Neutraliser les climato-sceptiques
par l'idéologie de la compétence et le chantage au consensus

Benoît Urgelli

30 mars 2010
last up-date : 13 février, 2014

Voir l'article La climatologie est un sport de combat, Anne Sengès, Terra eco, 29 mars 2010

Aux questions de la journaliste Anne Sengès, les réponses de Schneider, chercheur auteur de l'ouvrage Science as a Contact Sport : Inside the Battle to save Earth’s climate » me semblent profondément dérangeantes, notamment le passage suivant :

Les dénigreurs du réchauffement anthropique "ont un impact sur l’opinion publique même si les gens qui croient ces accusations sont ignorants et que ceux qui les propagent sont des menteurs. Dans mon livre, je pose la question de savoir si la démocratie peut survivre à la complexité : le public ne comprend pas des problèmes complexes majeurs tels que le réchauffement climatique et c’est l’une des choses qui m’inquiètent le plus."

La vision d’un monde partagé entre savants et ignorants est sincèrement rétrograde. Elle tend à soutenir l’idée que ceux qui pratiquent les sciences désignées comme expertes développent des savoirs auxquels on doit faire une confiance aveugle et dévoué car nous, ignorants, ne comprenons rien à la complexité du monde. La conséquence grave de ce raisonnement est que ceux qui détiennent ces savoirs s'autolégitiment comme étant les seuls capables d'aider le pouvoir à prendre des décisions rationnelles. On établit donc ici un lien direct entre savoir et pouvoir, que certains qualifient et dénoncent comme l'idéologie de la compétence (Roqueplo, 1974).

En tant qu’éducateur scientifique, je ne partage absolument pas cette vision car il me semble que "le public", au contraire, demande à comprendre la complexité, le fonctionnement et les limites de l’expertise. Il accepte même les incertitudes propres à l'évaluation des risques mais souhaite qu’on réponde à la question : "que faire face aux risques ?".

Si je peux me permettre, et parce que je n’ai pas de compétence en sciences du climat, Schneider devrait plutôt militer pour plus de transparence sociale dans les travaux scientifiques et un partage de ces questionnements avec ceux des citoyens. Si des chercheurs comme lui continuent à communiquer sur le registre du consensus scientifique, de l’incompétence, voire de la malhonnêteté des dénigreurs, ils risquent à terme de perdre la confiance sociale : un diagnostic incertain n'est pas pour autant un diagnostic auquel on ne fait pas confiance (Roqueplo, 1993).

Pourquoi pour ne choisissent-ils pas d’ouvrir leurs processus d'expertise plutôt que de développer tant d’énergie à marginaliser les dénigreurs, recloisonner socialement les controverses et à demander des sanctions politiques à leur égard ? J'emets deux hypothèses :

  1. Parce que ces dénigreurs contribueraient à semer le doute dans la tête des ignorants que nous sommes, un doute supposé démobilisateur. Quel beau chantage au consensus dont Yann Arthus Bertrand est expert (voir l'émission Arrêt sur images, Au secours les médias la planète meurt ! novembre 2006),
  2. parce qu'ils contribueraient à une re-négociation de pouvoirs et à une ré-interrogation citoyenne des relations entre sciences et société.

Affaire à suivre...
Benoit Urgelli