L'idéologie
de la compétence
ou le fourvoiement de l'ignorant (que je suis !)
Lorsque mon
projet d'intervention dans les laboratoires de l'IPGP autour de la question
de l'enseignement des controverses climatiques a été formalisé,
j'ai reçu quelques avertissements de scientifiques climatologues
: "c'est une évidence, il n'y a pas de doute scientifique
sur la responsablilité de l'homme dans l'évolution climatique
récente et les auteurs de la contre-expertise française
ne sont pas dignes de confiance".
J'ai longtemps
hésité à publier ces réactions (ci-dessous)
car ce sont des réactions inscrites dans le cadre d'une communication
personnelle. On peut alors s'interroger sur l'éthique de celui
qui publie des écrits de "proches" sans les avoir averti
au préalable qu'ils feraient l'objet d'une analyse forcèment
publique sur la communication scientifique. Mon collègue Molinatti,
qui travaille comme moi sur la médiation des relations sciences
sociétés, s'interroge même sur ma contribution à
la dynamique propre de la controverse... Le questionnement me semble ouvert
et je souhaite avancer sur ce point avec vous.
Quoiqu'il en
soit, il est clair que les avertissements des climatologues proches de
l'expertise officielle visaient à me convaincre de la malhonneté
des travaux de contre-expertise. Par prinicpe de symétrisation,
je refuse d'entrer dans ce jeu d'alliances puisque je veux comprendre
les enjeux et les limites des argumentaires socioscientifiques utilisés
par ceux qui ont accepté le jeu d'une large communication sociale
autour de l'expertise climatique.
Mon horizon
politique étant l'éducation scientifique citoyenne, je refuse
également le legendaire grand
partage social entre l'univers des savants et celui des ignorants,
notamment parce
qu'il conduit à :
-
maintenir
les relations entre le savoir et le pouvoir dans l'obscurité
(à travers des processus d'expertise socialement peu transparents,
sous prétexte d'incompétence scientifique des citoyens...)
-
demander
une délégation de confiance aveugle et acritique envers
un discours d'expertise consensuelle et alarmiste, à visée
mobilisatrice, pris comme unique référence, au risque
de conduire le monde à la catastrophe (chantage au consensus).
Je publie donc,
pour l'instant, les deux réactions suivantes,
avec une couverture anomyme. Ces réactions illustrent que la dynamique
des controverses suppose une attention aux connaissances en jeu, mais
également aux valeurs et aux intérêts. Elles illustrent
également les limites d'une vision mertonnienne des sciences, pures,
autonomes, asociales et apolitiques.
Pour
discuter d'une analyse socioscientifique des controverses climatiques,
je vous propose également de partager nos impressions autour du
débat sur la Chaine Public Sénat, à la Bibliothèque
Médicis : Climat : le premier débat (avril 2010). Vous
y verrez probablement à l'oeuvre les deux dérives que je
dénonce (idéologie
de la compétence et chantage au consensus) à la suite
des travaux de Roqueplo (1993).
REACTION
1 ------------------------------------------------------------------------------
Date : Wed,
17 Mar 2010 ; Objet : climat et expertise ; À : Benoit
Urgelli
"Cher
Collègue
J'ai eu connaissance d'un
document de vous qui a circulé au sein de l'IPGP. Je pense
que vous avez tout à fait raison de poser la question de l'expertise
dans le cadre des questions complexes sur le climat. Comme j'apprécie
par ailleurs votre travail et notamment ce que vous avez fait sur le
site planet-terre, je voudrais cependant vous mettre en garde pour
que vous ne vous fourvoyiez pas à prendre pour un débat
scientifique l'actuelle campagne de dénigrement du GIEC et de la
science du climat relayée en France par nos chers collègues
Allègre et Courtillot. Même si cela a l'apparence d'un discours
scientifique pour qui n'est pas spécialiste de ces questions, il
s'agit en fait d'une polémique où erreurs, mensonges et
mauvaise foi constituent l'essentiel de la matière. Je peux vous
le démontrer quand vous le désirez.
Mensonges et calmonies sont des méthodes courantes dans le champ
politique et cela fait partie des règles du jeu. On suppose généralement
que dans un débat scientifique, même sévère,
les interlocuteurs sont de bonne foi. C'est même la condition sine
qua non d'un débat scientifique sain et la raison pour laquelle
la fraude scientifique est si sévèrement punie. Ces conditions
ne sont pas réunies en l'occurrence. Cela tient sans doute à
l'extrême exposition médiatique du problème climatique
qui attire comme des mouches tous ceux qui veulent se faire de la publicité
à peu de frais. La réputation de probité des scientifiques
étant grande, ceux qui la dévoient bénéficient
bien sur, mais pour un temps seulement, d'un avantage considérable
pour tromper leur public.
Le doute est respectable mais tout doute n'est pas également éligible
à considération. Il existe une minorité, au moins
aussi nombreuse et vociférante que les climato-sceptiques, et comprenant
des universitaires dans divers pays, qui considère que la Terre
et l'univers ont été crées il y a 6000 ans. Allez
vous pour autant laisser une place au créationnisme dans vos cours
de géologie ? Ou pensez vous que la science de la datation isotopique
soit plus sérieuse que la spectroscopie moléculaire. J'ose
la comparaison car la qualité de l'argumentation et la malhonnêteté
intellectuelle actuellement en vigueurs dans la campagne anti-GIEC sont
à peu près de même facture. En espérant que
vous voudrez bien entendre cette argumentation, je suis à votre
disposition pour toute discussion ultérieure."
MA REPONSE
: Date: Wed, 17 Mar 2010 :
"Cher collègue,
non seulement je comprends votre argumentation mais je l'intègre
! C'est mon devoir et ma crédibilité en sociologie des sciences
et des controverses, et en sociologie de l'éducation qui est en
jeu ! Soyez conscient qu'une des règles de mon éthique de
recherche est de conserver le principe de symétrie pour pouvoir
identifier les limites de l'expertise médiatisée de la question
climatique. Je vais tenter de vous expliquer pourquoi.
J'ai
beaucoup de respect pour les pratiques scientifiques (j'y ai été
formé, il y a dix ans à présent...) mais surtout
pour les valeurs qui fondent les sciences. Ce sont les limites de ces
valeurs que je cherche à identifier dans le cadre de la médiatisation
des controverses.
La limite importante de mon approche est la suivante : je n'ai plus de
pratiques en sciences expérimentales et mon discours est donc forcèment
un discours de médiation a-pratique mais qui se veut non spectaculaire.
Il s'agit de comprendre les processus de communication autour d'une question
socioscientifique et notamment dans l'enceinte scolaire à laquelle
on a confié politiquement une mission d'éducation scientifique
des citoyens.
L'enjeu
pour moi n'est donc pas de prendre position sur la responsabilité
de l'homme dans l'évolution climatique récente mais d'alimenter
le débat sur ce que pourrait être une communication sociale
sur le sujet qui permettre de mettre les sciences en société
de manière transparante et en intégrant les questionnements
citoyens et finalement en redonnant le gout pour les sciences.
J'ai
très envi de vous lire suite à ce message et de vous entendre
au téléphone pour en parler [...] Merci de me pousser à
clarifier ma posture et mes enjeux de recherche. C'est en sociologie une
étape fondamentale de nos travaux de recherche, qui permet d'en
comprendre les enjeux.
Bien à vous
Benoit Urgelli."
J'ai donc répondu que j'entendais bien cette argumentaire mais
que le devoir de toute éducation scientifique citoyenne est d'éclairer
les débats socio-scientifiques et les processus de communication
associés, aussi bien sur les connaissances que sur les valeurs
sous-jacentes en jeu. Même si cette personne semble considérer
que les débats actuels ne méritent pas qu'on applique le
principe de symétrie, je trouve cette approche profondément
anti-démocratique et inquiétante, dans la mesure ou elle
suppose de ma part et de celles d'autres citoyens intéressés,
une délégation de confiance aveugle, sous prétexte
d'incompétence dans la pratique scientifique.
REACTION
2 ------------------------------------------------------------------------------
Date:
Sat, 27 Mar 2010 ; De: XX ; À: Benoit Urgelli
Objet: representativite
Tu
vas voir Courtillot ?!
BEN, ce type
est malhonnnête, je ne pensais pas qu'un scientifique pouvait l'être
à ce point : il continue, dans ses séminaires, à
répéter les mêmes erreurs faites dans son article
de 2007 [...] ; il a empilé les erreurs et approximations dans
son dernier bouquin ; il continue à présenter ces études
comme des découvertes majeures alors que c'est soit du vide soit
déjà montré depuis longtemps; et pour publier ces
études il est passé en force en contournant le système
d'évaluation. La même preuve en est sa "prévision
climatique d'un réchauffement global important dans les années
1995", publiée dans Nature (excuse du peu) en 1982-1983. A
cette époque, il croyait bien à la température moyenne
globale. Sa prévision ne s'est pas réalisée, et on
attend toujours une rétraction ou au moins un correctif de son
étude qui était -dixit un grand géophysicien- bidon.
MA
REPONSE : Date:
Sun, 28 Mar 2010 De: Benoit Urgelli ; A: X
cher
XX
je reçois tes commentaires avec beaucoup d'attention et de respect
car pour moi comme pour tout ceux qui n'ont de pratiques de sciences expérimentales
et quantitatives c'est selon moi une condition indispensable pour essayer
de comprendre vos argumentaires dans le cadre dune controverse qui est
sortie de son confinement entre spécialistes à cause de
ses enjeux sociaux et politiques. J'essaie de ne pas prendre position
dans le cadre de ma recherche et par principe de symétrie j'espère
comprendre les interactions entre sciences et société et
ce que la publicisation fait aux sciences et à la société
notamment dans la cadre de controverses.
J'aimerais quand même lire les écrits dont tu parles dans
Nature pour les analyser et en parler avec lui pour voir comment il argumente
là dessus. Comme c'est pour ma recherche et pour émettre
des hypothèses sur les jeux d'acteurs et d'arguments dans cette
affaire, je garde l'anonymat de ton commentaire même si je suppose
que tu n'es pas le seul à commenter ces deux articles de Courtillot.
Merci si cela te convient et si tu en as le temps de me les faire parvenir
?
Amitiés
b
Date:
Sun, 28 Mar 2010 ; De: XX ; À: Benoit Urgelli
Objet: Re: representativite
Ben,
tu me fais peur : tu te comportes comme un journaliste, qui note les avis
différents et les présente côte-à-côte.
En tant que scientifique, tu devrais au moins être critique sur
la logique de ces avis, indépendamment du fond : quand Courtillot
affirme que "ses" données de température sont
réelles et donc que celles du Giec sont fausses, est-ce-que "ses"
températures sont plus valables que celles du Giec ? Quand Courtillot
affirme que les modèles ne sont pas bons parce que le réchauffement
simulé ne suit pas le CO2, est-ce-qu'on peut affirmer ça
alors que les modèles prennent en compte aussi les aérosols
? Etc.
Affaire
à suivre...
Benoit Urgelli |