Programme de recherche 2014-2020
Sciences, croyances et laïcité

Quelles pratiques éducatives et culturelles face à l’existence de croyances ?
Implications pour une formation réflexive des médiateurs de sciences

Benoît Urgelli
last up-date : 19-nov-20

En lien avec le programme ARC 5 - Cultures, Sciences, Sociétés et Médiation - Bourse doctorale 2016-2020

Axe 3 « Sciences et techniques : cultures, pratiques, représentations »
Thèmes : « Représentations sociales et culturelles des sciences et des techniques »
« Médiation et Communication scientifique et technique
« Education et Appropriation des savoirs ».

PRESENTATION DU PROJET
Cette recherche propose d'étudier la diversité des postures de différents médiateurs scientifiques confrontés au traitement de la question de l'évolution des espèces et de la biodiversité, mais également d'autres questions scientifiques socialement vives, c'est à dire des questions complexes, expertisées et médiatisées, articulant une diversité de représentations, de croyances, de connaissances, de savoirs, de valeurs et de normes à l'origine de controverses.

Face à l’existence de cette diversité de représentations sociales, il s'agit d'interroger les visions de la place des sciences et des croyances en société, et en contexte laïc. A travers l’analyse des discours et des pratiques d’acteurs engagés dans une médiation scientifique à visée culturelle et éducative (école, musée, zoo, CCSTI, presse généraliste), cette approche tente de construire une cartographie des postures médiatiques et de leurs fondements socio-épistémologiques.

Plus concrètement, à proximité de différentes communautés d’acteurs, les chercheurs et apprentis-chercheurs engagés dans cette recherche analysent des dispositifs et des situations de médiation à propos de questions socialement vives, en ayant comme objectif l’identification des logiques d’engagement des acteurs. A l'occasion de rencontres professionnelles, nous tentons de développer un débat éthique sur les conditions de légitimation des différentes postures possibles.

La question des conditions de partenariat entre différentes communautés de médiateurs fera également l’objet d’une attention particulière.

A l'interface entre communication, éducation et socio-épistémologie des sciences, ce projet doit permettre d’en déduire des implications :

  1. pour la mise en place de dispositifs interprofessionnels et interdisciplinaires de médiation scientifique,
  2. pour la formation initiale et continue de médiateurs et d’éducateurs confrontés au traitement de questions vives, dont la vivacité résulte de tensions entre sciences et croyances, mais plus génralement de différentes représentations de la laïcité

PERSPECTIVES ET RETOMBEES ATTENDUES
Ce projet ambitionne d’abord d’apporter des connaissances sur les pratiques de médiation à propos de questions socialement vives portant sur les origines, la santé, l’environnement, le développement durable ou l'univers, articulant sciences et croyances. L'ouverture d’un débat éthique sur ces pratiques pourrait contribuer à des recommandations pour la formation des médiateurs des sciences. On espère aussi co-construire, voire expérimenter des actions partenariales de médiation à propos de la nature des sciences et leur place dans une société démocratique et laïque.

INTERET DU PROJET
Dans le cadre de différents dispositifs et situations de communication scientifique à visée culturelle et éducative, une enquête de terrain sur les stratégies adoptées par des médiateurs scientifiques (enseignants, animateurs de service pédagogique, chargés de communication scientifique, etc…) permettra de catégoriser les formes d'évitement ou de traitement des croyances des publics, et leurs motivations individuelles et collectives.
Face à ces questions socialement vives qui nécessitent a priori d’établir une distinction entre sciences et croyances, entre connaissances et valeurs (rapport à la nature et à l’humain), on tentera également de saisir les logiques d’engagement dans des partenariats interdisciplinaires et interprofessionnels, comme par exemple la mise en place de binômes d’enseignants philosophie-science en contexte scolaire, ou encore des partenariats école-musée ou école-zoo. On en déduira des implications pour une formation réflexive des médiateurs scientifiques qui interviennent en contexte laïque.

ORIGINALITE DU PROJET
En partant des expériences pratiques de médiateurs scientifiques (animateurs d’exposition, de service pédagogique, de centre de culture scientifique et technique, mais également enseignants et de journalistes scientifiques), il s’agit d'inviter ces acteurs à expliciter leurs logiques d’engagement dans le traitement de questions socialement vives, faisant l’objet d’une circulation sociale de représentations entre sciences et croyances. L’hypothèse testée est que leurs pratiques et leurs engagements se fondent en partie sur différentes interprétations du principe de laïcité (évitement, réfutation ou tentative de compréhension culturelle de la nature des sciences et des croyances). Mais également sur différentes représentations :

  1. représentations de la nature des sciences ;
  2. reprénsentatiions du rapport de l’homme à la nature
  3. représentations de la mission de médiation et d'éducation
  4. représentations des publics et de leur éducabilité scientifique.

L’enjeu est également l’ouverture de débats entre professionnels de la médiation des sciences, afin de définir un positionnement éthique facilitant un traitement laïc de questions qui supposent a priori une distinction entre sciences, croyances et valeurs, et probablement aussi un engagement partenarial dans les actions de médiation.

CADRE, PROBLEMATIQUE, METHODE
Dans ce projet, nous considérerons les musées, les parcs zoologiques, les services pédagogiques de différentes institutions de culture scientifique et technique, mais également la presse généraliste et les écoles, comme des sphères médiatiques dans lesquelles se déploient différentes stratégies de mise en débat et de problématisation des sciences, au-delà de la question de l’instruction.

Dans ces sphères, mais aussi à leurs interfaces, lorsqu’il s’agit de communiquer sur une question socialement vive qui mobilise une diversité de connaissances et de valeurs, les positionnements de médiateurs de sciences peuvent être a priori divers. Ce sont ces positionnements et leurs logiques que nous tentons d’identifier, par une approche inductive et comparatiste.

1. Dans un premier temps, dans ces sphères médiatiques, les discours à propos de sciences et de croyances associées seront décrits et analysés en ayant recours aux apports de l'histoire, de la philosophie et de la sociologie des sciences, afin d'éclairer d'un point de vue épistémologique les jeux d'acteurs et d'arguments. Ainsi, une analyse historique préalable de positions socioscientifiques autour d'une question socialement vive doit permettre de mettre en lumière les représentations de la nature des sciences et des croyances, et les éventuelles interactions science-croyance dans les schémas narratifs. Un travail sur les discours des expositions comme Origines et Espèces au Musée des Confluences par exemple, sur les contenus de la programmation pédagogique du Zoo de Lyon, du Service Sciences et Sociétés de l’université de Lyon, ou encore des plans académiques de formation des enseignants de sciences, seront des terrains privilégiés pour l’enquête.

2. Dans un second temps ou en parallèle, par focus group et entretiens semi-directifs, se référant à leurs expériences, les acteurs de ces univers médiatiques seront invités à expliciter 1. les enjeux éducatifs et culturels du traitement de cette question socialement vive, mais également 2. les conditions de réalisation d’actions partenariales face à une question. Cette étape de l’enquête auprès des professionnels permettra de catégoriser la diversité des postures et des enjeux de la médiation scientifique en contexte laïque.

3. La restitution aux acteurs de cette catégorisation permettra de réinterroger de manière réflexive leurs pratiques éducatives et culturelles, leurs représentations de la nature des sciences, mais également leurs rapports aux croyances sociales, à la place de l’Homme dans la nature et au principe de laïcité.

ORIGINE DU PROJET : EVOLUTION ET CREATIONNISME
En février 2007, la distribution dans les écoles et les universités d’un « Atlas de la création » avait suscité une diversité d’engagement des éducateurs et des médiateurs de sciences. Cet évènement avait importé en France une question classique dans le contexte sociopolitique américain : serait-il possible, envisageable qu'on enseigne en classe de sciences évolution et créationnisme ? dans quels buts éducatifs et culturels ?

Depuis les années 1995, d’autres évènements médiatiques, comme des prises de position radicale de créationnistes fondamentalistes ou de matérialistes dogmatiques, les débats européens sur l’enseignement de l’évolution, ou encore les recours en justice de protestants américains de l’Intelligent Design avaient contribué à cette même problématisation éducative et culturelle.

Dans le contexte français, l’étude des réponses élaborées montre une diversité d’engagements, en relation avec le principe de laïcité. Par exemple, dans les récits de la presse généraliste, certains jeux d'acteurs et d’arguments invoquent la nécessité d'une éducation aux sciences pour réfuter « l'obscurantisme et le fondamentalisme religieux" ou pour comprendre la différence entre sciences et croyances. Ces projets éducatifs s’accompagnent cependant d’une diversité de postures, entre évitement, réfutation ou tentatives de compréhension culturelle des discours créationnistes.

L’existence de controverses à propos des finalités d’un enseignement de l'évolution, et les diverses logiques d’engagement médiatique à propos de sciences et de croyances, sont donc au fondement de ce projet. Nous souhaitons nous tourner vers les acteurs de la médiation scientifique à visée éducative et culturelle pour comprendre, à travers leurs pratiques individuelles et collectives, ce qui fonde leurs engagements lorsqu’ils communiquent à propos d’une question socialement vive comme celle de l’évolution des espèces et de la biodiversité, mais également d'autres questions socialement vives, par essence controversées, comme celle du réchauffement climatique.

AVIS D'EXPERTS SUR LE PROJET

REFERENCES

  • Arnould, J. (2007). Dieu versus Darwin, Les créationnistes vont-ils triompher de la science ? Ed. Albin Michel.
  • Charaudeau, P. (2008). La médiatisation de la science. Ed. De Boeck et INA.
  • Chateauraynaud, F. (2011). Sociologie argumentative et dynamique des controverses. A contrario, 16, (2), 131-150.
  • Clément, P. & Quessada, M.-P. (2008). Les convictions créationnistes et/ou évolutionnistes d'enseignants de biologie. Nature Sciences Sociétés, 16, 154-158.
  • Fortin, C. (2009). L’évolution à l’école. Créationnisme contre darwinisme ? Ed. Armand Colin.
  • Fortin-Debart, C. & Girault, Y. (2004). Le partenariat école-musée pour une éducation à l'environnement. Ed. L’Harmattan.
  • Perru, O. (2010). La création sans le créationnisme ? Ed. Kimé.
  • Urgelli, B. (2014). De la médiatisation du néo-créationnisme aux débats sur l’enseignement laïc de l’évolution. Dossier Religion et communication. Médiation et Information, 38,199-210.