Morceaux choisis pour une analyse socioscientifique
des discours de scientifiques sur la controverse climatique

Exemple du dossier
"Réchauffement climatique : le procès Allègre"
Le Point, n°1962, 22 avril 2010, page 56-63.

Benoit Urgelli
publication : 25 avril 2010
last up-date : 31 mai, 2010



Commentaires de Sylvestre Huet, journaliste de Libération
et membre de l'Association de journalistes scientifiques de la presse d'information

  • Réactions de Claude Allègre :
    Les climatologues sont dans l'imposture lorsqu'ils prétendent prévoir avec certitude les possibles mutations du climat.
    [...] Je n'ai sans doute pas pris suffisamment de précautions, je le regrette, sans doute suis-je trop vif. quand je parle d'appétit de gloire et d'argent, je ne devrais pas englober tous les climatologues dans le même sac.
    [...] Je ne refuse aucun débat. Je les provoque, or mes adversaires ne répondent à aucune question, ils se focalisent sur quelques erreurs. Je ne parviendrai jamais à publier dans des revues scientifiques, c'est un système clanique, ils raisonnent en terme de dogmes.
    [...] J'ai fait corriger [les erreurs] dans la prochaine édition [de l'imposture climatique].
    Il m'importait de montrer qu'il faisait beaucoup plus chaud sur Terre en l'an mil qu'aujourd'hui. Seul compte l'idée vraie, pas le détail de la courbe.

    [...] Je me bats pour que cesse l'écologie de la fessée, antiprogrès, et qu'advienne l'écologie positive, productrice d'emplois. Là est l'enjeu capital.

    [...] La science ne se juge pas au nombre de divisions ! Ce n'est pas une statistique d'opinions. La science, ce sont des arguments, des raisonnements, des observations.
    [...] Il n'est pas nécessaire de relancer sous forme polémique un processus qui ne peut que fracturer la communauté scientifique et isoler les climatologues, aui doivent au contraire être encouragés à s'ouvrir vers d'autres disciplines et accepter le débat libre.

Réactions de scientifiques
voir aussi le billet : Le fourvoiement de l'ignorant

  • Pour Michel Petit, physicien de l'atmosphère, membre du bureau du GIEC de 1992 à 2002, une controverse animée par la recherche de reconnaissance sociale et par des différences de représentations scientifiques du monde. critique l'éthique de la communication médiatique et les capacités de compréhension des publics

Son comportement s'explique par son attachement à son domaine [...] Les géologues furent considérés comme des bienfaiteurs de l'humanité car ils permettaient de trouver des énergies fossiles, dont se nourissait notre économie. Ils obtenaient tous les crédits. Tout à coup, fin des énergies fossiles [...] L'argent de la science a changé de camp. De surcroit, les géologues ne sont pas intellectuellement habitués à penser le monde sur une échelle de quelques années, ils comptent en dizaines de milliers d'années. Ils ne croient guère à l'action de l'homme, un invariant de leur schéma. Tout les distingue donc des climatologues, pour lesquels les hypothèses se valident sur quelques années, pour lesquels encore l'humain est une variable qui fait sens. La climalogie est devenue une science aimée et écoutée.

  • Pour Michel Petit, une controverse animée par une éthique de la communication médiatique et des capacités de compréhension des publics, c'est-à-dire un modèle de communication "entre savant et ignorant" défini en ces termes :

Le public aime entendre ceux qui comme Allègre lui font croire que tout va bien. Les médias aiment ceux qui disent le contraire.

  • Pour Michel Petit, une controverse animée également par des valeurs autour des relations entre l'homme et la nature et la place du progrès scientifique et technique dans le développement humain :

Notre science paie les pots cassés de l'intégrisme écologique qui effraie en réclamant l'antiprogrès.

  • Pour Jean Jouzel, géochimiste des paléoclimats (sic !), et président du Haut comité pour la science et la technologie, vice-président du GIEC, une controverse dont la médiatisation sort de l'éthique scientifique et porte atteinte à la légitimité sociale des chercheurs climatologues :

Le débat n'est pas clos, oui il y a des incertitudes, nous cherchons à les réduire, conscients que le climat ne sera jamais prévisible [...] Nous avons proposé à M. Allègre un débat en bonne et due forme. Il refuse. Nous attendons qu'il publie ses travaux dans des revues spécialisées. Il n'en fait rien. Il nous attaque sur le fond et sur la forme. Nos jeunes chercheurs n'en peuvent plus de l'entendre clamer sur tous les plateaux de télévision qu'ils sont des voyous, des escrocs, des mafieux.

  • Pour Axel Kahn, généticien et président de l'université Paris-Descartes, une controverse illégitimée par l'incompétence :

Ses compétences tout à fait remarquable en géochimie lui laissent penser qu'il aurait les mêmes en tout domaine.

 
  • Pour Dominique Lecourt, professeur de philosophie à Paris VII, une controverse animée par des croyances :

Nous sommes dans une atmosphère de haine théologique, de dogmes contre dogmes. Allègre a sa manière personnelle d'exprimer une position, qui, sur le fond, est partagée par nombre de ses collègues.

  • Pour Benoit Rittaud, mathématicien, le modèle de l'effet de serre en question :

Il n'existe aujourd'hui aucune preuve expérimentale directe d'un lien entre le gaz carbonique et l'augmentation de la température globale.

  • Pour Albert Fert, prix Nobel de physique en 2007, l'utilisation de la modélisation pour prédire le climat futur est un point de controverses :

Personnellement, bien que non spécialiste, je tendrais à faire confiance aux obserevations expérimentales du lien entre réchauffement récent et activité humaine et serais plus sceptique sur la prédiction précise du climat futur par des modèles de calcul.
[...] Après l'échec partiel de Copenhague, il n'est pas interdit à Allègre de critiquer les orientations du rapport résumé du GIEC et de suggèrer d'autres voies.

  • Pour Henri Altan, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, la question de la dimension prédictive de la modélisation est source de controverses. Par ailleurs, le contexte d'expertise, en surdéterminant les connaissances, explique le caractère alarmiste de l'approche du GIEC :

En science, les modèles ne doivent pas être crus seulement parce qu'ils sont corrects. Ils doivent être vérifiés et éventuellement réfutés par des observations et des expériences. Lorsqu'on a affaire à un système naturel complexe [...] disposer d'un modèle correct en ce qu'il explique les observations disponibles ne saurait être la preuve qu'il décrit la réalité [...] on ne peut pas faire d'expériences sur le climat, on doit se contenter d'observations sur le passé et le présent. La climatologie ne devrait être prédictive que de façon hypothétique avec beaucoup de questions et peu de certitudes.

[...] S'ajoute à cela l'effet nocif du principe de précaution, qui ne doit pas être utilisé comme un principe d'où l'on déduirait automatiquement en situation d'incertitude les moyens d'éviter tous les dangers [...] Comme un expert n'ose pas dire à un politique qu'il ne sait pas, il doit dire quelque chose. Il est plus facile d'alarmer que de rassurer, car si vous avez alarmé à tort, on se dira que le pire n'a pas eu lieu grâce à vous. Tandis que si vous rassurez à tort, on vous reprochera d'avoir conduit à la catastrophe. Le GIEC, c'est la vieille stratégie du prohète Jérémie, systématiquement annonciateur de malheurs [...]