Contribution aux questionnements du projet ANR (2009-2013)
Appuis et obstacles pour une éducation au développement durable (EDD)


Benoît Urgelli
last up-date : 14 août, 2012

Rejoignant Yves Girault lorsqu’il déclare que c’est en terme de scénarios d’entrée ou de sortie des enseignants dans l’EDD qu’il faudrait analyser nos résultats de recherches, mon approche s’intéresse aux logiques d’engagement d’enseignants du secondaire. Néanmoins, si on fait l’effort d’articuler nos résultats de recherche autour de points d’obstacles et d’appuis pour une EDD,

  • face aux dimensions complexes, expertisées et médiatisées des questions de développement durable,
  • face aux injonctions politiques soutenant une éducation interventionniste,
  • face aux finalités d’émancipation citoyenne d’une éducation aux questions d’environnement et de développement [1],

les stratégies et les finalités éducatives déclarées par huit enseignants de lycée dans le cadre d’une étude des logiques d’engagement dans un programme pluridisciplinaire d’EDD (année scolaire 2006-2007), montrent :

Des obstacles [2] intelligibles à travers une attention à la conviction écologique et au doute épistémologique, à l’attachement disciplinaire, aux référents médiatiques et aux représentations de l’éducation à la citoyenneté de l’enseignant ….

Plus précisement, l'étude montre :
  • Une tendance à séparer dimensions scientifiques et dimensions sociétales des questions de développement durable, justifiée par l’attachement didactique disciplinaire (obstacle à l’appréhension de la complexité) ;
  • Une tendance à simplifier les discours sur le développement durable, en relation avec la conviction écologique de l’enseignant et un modèle de communication didactique supposant que la diffusion de messages simples sera favorable à la mobilisation écologique des élèves, futurs citoyens ;
  • Une tendance à éviter les controverses sur les conditions et les limites des expertises, se référant aux scientifiques experts médiatisés et désignés par les pouvoirs politiques comme dignes de probité ;
  • Une tendance à dépolitiser les discours scolaires en se référant aux discours politiques supposés structurer et soutenir l’action et la responsabilité éducative, conduisant alors à l’adoption d’une éthique de neutralité ou de partialité exclusives dans l’action.

Au final, je constate que les enseignants expriment individuellement pas ou peu d’autonomie dans leurs discours scolaires par rapport aux cadres scientifiques, médiatiques et politiques alliés dans le projet de développement durable ; Les formes choisies d’éducation scientifique citoyenne sont éloignées des idéaux d’émancipation démocratique des citoyens par l’éducation critique. Entre un objectif imposé de promotion du développement durable et une mission d’éducation citoyenne critique, une éthique déclarée de neutralité ou de partialité exclusive (Kelly, 1986) permet à l’enseignant d’éviter une mise en tension professionnelle.

Des appuis dans la pluridisciplinarité pour sortir en partie d’un dilemme professionnel…

Dans le cadre d’approches pluridisciplinaires, les formes d'éducation au développement durable négociées collectivement maintiennent la place des approches didactiques disciplinaires (et donc un morcellement de la complexité et peu de questionnements didactiques sur les dimensions socioscientifiques de la question (expertise et médiatisation notamment)). L’appréhension de la complexité est le plus souvent laissée à la charge des élèves. Dans ces approches, la juxtaposition disciplinaire semble donc faire obstacle à un enseignement interdisciplinaire souhaitable dans le cadre d’une EDD.

Néanmoins, ces approches pluridisciplinaires conduisent les acteurs à déclarer ensemble des finalités d'éducation au développement durable visant à questionner la place des technosciences en société (biocarburants et énergie nucléaire) : ils s’éloignent alors d'un modèle d'enseignement positiviste (Tutiaux-Guillon, 2006 et Audigier, 1993) et se rapprochent d’un modèle d’éducation citoyenne critique face aux risques technoscientifiques. Les enseignants soulignent alors que la résolution des questions d’environnement et de développement passe par la prise en compte de l’existence de réponses et de prévisions multiples. Pour des actions citoyennes responsables, cette résolution ne peut se contenter de certitudes illusoires face à des situations complexes et expertisées.

Enfin, dans les équipes pluridisciplinaires, même si un accord collectif se construit pour un traitement didactique impartial des controverses sur les risques technoscientifiques, des divergences entre individus apparaissent autour de la question de la posture de l’enseignant (neutralité ou engagement). Face aux controverses sur les questions d’environnement et de développement, certains déclarent que l’adoption d’une posture de neutralité permet de ne pas influencer les jeunes publics. A contrario, d’autres estiment qu'une posture d’impartialité engagée (Kelly, 1986) permet aux jeunes de construire leur propre représentation en se confrontant à celle que l’enseignant exprime clairement.

Un débat sur l’éthique de la profession face aux enjeux de l’éducation au développement durable semble donc ouvert, que ce soit dans les approches didactiques individuelles ou collectives des questions d'environnement et de développement.


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[1] Comme le précise Meirieu (2006), les enseignants sont placés dans la situation d’une courroie de transmission sociale d’une demande administrative. Or, d’un point de vue humaniste, l’éducation au développement durable devrait conduire à une éducation à la responsabilité citoyenne et à la prise de décision dans des situations complexes, mobilisant des savoirs souvent incertains et controversés, et des valeurs. In Urgelli, 2009, p. 102.

[2] Pour Meirieu, il y a quatre difficultés professionnelles pour les enseignants : les enjeux de l’enseignement (ici l’écocitoyenneté), la gestion de la complexité et de l’incertitude, la structuration disciplinaire des savoirs et des programmes scolaires, la question de l’engagement des enseignants et du militantisme. In Urgelli, 2009, pp. 102-103.