Quelques liens entre la thèse de Jean-Baptiste COMBY et mon travail de recherche

Comby, J.-B. (2008). Créer un climat favorable.
Les enjeux liés aux changements climatiques : valorisation publique, médiatisation et appropriations au quotidien

Membres du jury :

Jean Jouzel, DR au CNRS, laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, directeur de l’IPSL, vice-président du groupe I du GIEC
Brigitte Le Grignou, Professeur à l’Université Paris Dauphine (rapporteur)
Erik Neveu, Professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Rennes
Isabelle Paillart, Professeur à l’Université Grenoble III (rapporteur)
Rémy Rieffel, Professeur à l’Université Paris II (directeur de thèse)

Résumé : En France, au début des années 2000, les changements climatiques commencent à devenir un problème qui compte. Ce qui rend possible cette valorisation publique relève de logiques qui conduisent des agents issus d’univers sociaux divers à s’investir dans un travail politique et collectif de « sensibilisation ».
Cet impératif qui vise à rendre sensible pour faire prendre conscience, se traduit par une dépolitisation du problème climatique. Il l’individualise en ce qu’il rend surtout visible les responsabilités domestiques. Il l’indifférencie en ce qu’il obscurcit les inégalités sociales de contribution et d’exposition au problème. Il le consensualise en ce qu’il disqualifie les controverses à propos de la responsabilité des comportements individuels.
Du point de vue de la production de l’information, cela se traduit par un traitement qui se focalise sur les conséquences du problème climatique plutôt que sur ses causes. La transformation sociologique du groupe des journalistes spécialisés « environnement » au cours des années 1990 favorise ainsi un traitement déconflictualisé des enjeux climatiques.
Face à ce dispositif de publicisation, les individus, dotés de dispositions inégales, se positionnent différemment. D’une part, ils se distinguent en pratique puisqu’en fonction de leurs ressources matérielles, ils ont une propension inégale à émettre des gaz à effet de serre. D’autre part, l’intérêt aux économies d’énergie (et au-delà aux enjeux climatiques) ne revêt ni le même sens, ni la même portée selon qu’il est motivé par des soucis distinctifs de vertu civique ou bien contraint par la nécessité de ne pas trop dépenser.
En somme, la sociologie du problème climatique met au jour ses réalités sociales et politiques, là où d’ordinaire, on invite à n’y voir que des faits naturels et individuels.

Benoît Urgelli
last up-date : 13 octobre, 2013

Autour de la publicisation de l'évolution des climats et des risques climatiques, le travail sociologique de Jean-Baptiste Comby porte sur la médiatisation des stratégies de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le lien entre l'expertise officielle du dossier climatique et la politique étatique, nationale et internationale de réduction des GES n'est pas vraiment questionné, comme avait pu le faire Roqueplo en 1993 dans son ouvrage sur les limites et les conditions de l'expertise climatique.

Les logiques communicationnelles des agents de la médiatisation sont analysées autour de 4 familles d'acteurs : les scientifiques experts, les décideurs politiques, les associations environnementales et les journalistes scientifiques.

Comby identifie une entreprise socio-politique de civilisation des moeurs (Norbert Elias) qui repose sur une croyance  : les capacités de la communication à modifier les comportements. Autour d'une doxa sensibilisatrice, cette théorie implicite des effets des symboles sur les pratiques sociales est reprise et adaptée par les différents acteurs, en accord avec leurs logiques de production discursive.

Comby souligne le caractère consensuel de l'expertise scientifique et des discours médiatiques et politiques. Il associe ce caractère à la doxa sensibilisatrice. La croyance sous jacente des acteurs qu’il étudie est celle qui soutient qu'une diffusion de savoirs consensuels est seule capable de susciter une prise de conscience et une mobilisation sociale. Cette croyance de l'État est associée à un modèle de communication qui porte l'espoir d'une modification des comportements et des pratiques de consommation. Comby met ainsi en évidence une croisade morale pour le développement d'une civilisation écologique des mœurs. Cette croyance est liée à l’importance dans l’administration centrale de professionnels de la communication et renvoie au mouvement plus général de managérialisation de l’action publique.

Il identifie un alliance entre les médias et les politiques, à travers une action publique commune de sensibilisation (exemple de la mise en place du Plan Climat). Comme le montre l’analyse socioépistémologique de la question climatique (Urgelli, 2009), l'appareil éducatif formel et informel, à travers les associations écologiques, est pris dans cette alliance communicationnelle. Les formes consensuelles et alarmistes de la médiatisation de l'expertise officielle (Roqueplo, 1993) sont supposées favoriser la mobilisation populaire, en accord avec le modèle de communication précédemment décrit.

1. Comment cette communication à visée mobilisatrice se traduit-elle dans les productions médiatiques ?

Dans les logiques journalistiques, Comby observe un traitement médiatique mettant l'accent sur les conséquences probables de l'évolution des climats plus que sur les causes sociales. Il explique cette tendance par la volonté de réduire la complexité de la question à ces dimensions concrètes, en fonction des attentes anticipées des publics (voir l'intervention d'Anne Debroise à l'Ifrée en novembre 2008 durant laquelle elle évoquait la double contrainte de captation et de crédibilité à laquelle sont sousmis les journalistes ; voir aussi les analyses des éthiques journalistiques et de leur limites selon Mindich (1998, 2000) cité par Grimm, 2009). Cette réduction de la complexité d’une question socioscientifique est interprétée par Ansart (1974, cité par Lenoir, 2008) comme l’expression d’une idéologie. Par ailleurs, dans les médiations de la question climatique, ces dimensions concrètes et simplificatrices se traduisent par la recherche de preuves perceptibles qui prennent temporairement, pour certains médiateurs comme Yann Arthus Bertrand autour de la fonte des neiges du Kilimandjaro, l’allure de preuves tangibles (Chateauraynaud, 2004).

En relation avec la doxa sensibilisatrice, Comby identifie une construction dépolitisée du problème et un traitement anecdotique des enjeux visant à inscrire la question dans l'individuel, le privé, le domestique, le quotidien, plus que dans le collectif et les choix publiques. Pour l'auteur de cette thèqe, cette dépolitisation des enjeux se traduit par une dé-conflictualisation et une individualisation de la question, supposées mieux la publiciser et favoriser l’engagement des publics considéré comme dépendant de la simplification des messages. J'y rajouterai que la publicisation des résultats de l'expertise officielle sous une forme consensuelle et alarmiste est probablement liée au désir d’obtenir la légitimation des scientifiques experts qui fondera la reconnaissance du vulgarisateur journaliste.

La volonté de simplification des discours, qui seule pourrait conduire à l'engagement des publics expliquerait l'exclusion du traitement médiatique des controverses scientifiques. Il y a évitement des controverses par crainte d'une contre-productivité sociale liée aux risques supposés de semer le doute, un doute considéré comme source de démobilisation sociale, comme le précise Yann Arthus Bertrand dans l'émission Arret sur images. Le chantage au consensus (Roqueplo, 1993) exprimé publiquement par certains médiateurs engagés dans la préservation de l’environnement (Arthus-Bertrand, 2006), ou par certains scientifiques britanniques de grand renom (notamment à la suite de la diffusion du documentaire « La grande arnaque du réchauffement climatique ») en témoigne.

Selon moi, l'exclusion médiatique des controverses s'explique également par la crainte d'une perte de légitimité du vulgarisateur scientifique vis à vis de ses sources et donc par une réseau d'alliance entre journalsites et scientifiques experts sources d’information. Reste à expliquer l’ouverture à la publicisation des controverses sur les origines anthropiques ou naturelles du réchauffement climatique, dans le contexte de la Conférence de Copenhague de décembre 2009. S’agit-il de stratégies destinées à consolider publiquement la confiance sociale et la vision positiviste des sciences (Massseran et Chavot, 2003), en construisant des mises en scène d’expertises et de contre-expertises dans des arènes dont les normes et les valeurs ne sont pas celles de la communauté scientifique (voir le CUDOS de Merton, 1942) ?

J.-B. Comby observe dans les JT de 20h00 de France 2 et TF1 (entre 1997 et 2006) une séparation entre le traitement des enjeux scientifiques et environnementaux et le traitement des enjeux économiques et énergétiques. On peut s’interroger sur les origines de cette dichotomie qui dénature la socio-épistémologie de la question environnementale des risques climatiques.

Cette dichotomie se retrouve dans les discours et les pratiques didactiques des médiateurs enseignants, une dichotomie qu’ils justifient par une médiatisation simplificatrice de la question mais aussi par la forme scolaire disciplinaire (qui induit un rapport à des savoirs scolaires spécialisés éclairant la question), et par leur représentation de la question (conviction écologique ou doute épistémologique). Ces déterminants orientent leurs actions pédagogiques autour de projets d’éducation à la citoyenneté plus ou moins critique vis-à-vis des formes consensuelles et alarmistes de l’expertise médiatisée.

Comby signale également l'instrumentalisation des aléas naturels météorologiques (tempête, canicule), afin de rendre concret, palpable les risques climatiques évalués par l’expertise officielle et pour leur donner un sens social. Il s'agirait d'une tentative de recherche de preuve tangible, au sens de Chateauraynaud (2004), et plus exactement de preuve perceptible mobilisatrice, face à « l'ennemi invisible » (voir la controverse sur les neiges du Kilimandjaro, notamment dans l’émission ASI de novembre 2006).

Pour Comby, les journalistes seraient placés sous la double contrainte de rendre concret leur discours et de l'adapter aux attentes supposées des publics. Je crois que cette contrainte intègre également un rapport d’alliance à la communauté scientifique qui légitime le travail des médiateurs vulgarisateurs, comme l'illustre mon analyse de l'affaire Courtillot (2007-2008) et plus particulièrement la lettre de l’AJSPI (2007) (exemple d’une épreuve de force autour des questions de médiation des controverses qui sera renforcée en 2010 par l’appel politique de 400 scientifiques climatologues à la suite de la publication de l'ouvrage de Claude Allègre).

Enfin, je retiens également de ce travail de thèse que, même si, en apparence, certaines associations et leurs médiateurs bénéficiant d'une reconnaissance socio-politique, redoublent le travail étatique de sensibilisation autour d'un enjeu d'éco-citoyenneté des individus. Ils contribuent également à conflictualiser les discours autour de l’expertise climatique et de sa médiatisation.

2. Comment le modèle de communication à visée mobilisatrice se traduit-il dans les productions d’enseignants ?

Ma thèse croise les logiques communicationnelles des journalistes scientifiques à celles d'un groupe d'enseignants. Je considère que ces deux groupes d'acteurs font partie de deux appareils de diffusion sociale de culture scientifique, motivés en partie par des finalités d'éducation scientifique citoyenne. Ces logiques, selon moi, ne peuvent pas faire l'économie d'une réflexion sur les rapports qu'entretiennent les acteurs avec les communautés scientifiques placées dans une demande d'expertise officielle autour de cette question environnementale. A la suite de Roqueplo (1993), je considère que l’expertise et la médiatisation de la question contribuent à surdéterminer les savoirs sur la complexité de la question. Dans ce contexte de double surdétermination des savoirs (médiatique et politique), Que fait la scolarisation de la question climatique à cette complexité est un point central de mon travail.

J'ai conduit une enquête auprès de 8 enseignants afin de discuter leur modèle de publicisation de la question socioscientifique de l'évolution des climats. Cette enquête qualitative permet d'évaluer la compétence politique et la prise en charge de l'expertise scientifique médiatisée, notamment sous les angles des dépendances et des autonomies vis-à-vis des cadres journalistiques, des injonctions de politiques éducatives mais également des discours d'expertises scientifiques (consensuelles ou controversées). Elle interroge également la diversité des représentations sociales d’une éducation à la citoyenneté scientifique dans le cadre du traitement didactique pluridisciplinaire d’une question socioscientifique. L’approche qualitative permet d’explorer ces représentations sociales à travers des situations de communications (Moscovici, 1989) créées pour les besoins de l’enquête.

Plus concrètement, pour apprécier les capacités d'autonomisation des discours scolaires, face aux communications politiques, scientifiques et journalistiques sur les relations sciences sociétés, je rapporte la parole et les pratiques déclarées des enseignants sur la question climatique et l’éducation au développement durable, aux contenus médiatiques mobilisés. L’analyse mobilise ainsi un cadre théorique commun aux sciences de la communication et  aux sciences de l'éducation : celui des représentations sociales.

Les enseignants ont été recrutés dans deux établissements scolaires du secondaire, sur la base d'un volontariat et d'un engagement à produire à plusieurs des ressources pluridisciplinaires sur la question climatique pour l'accompagnement de la généralisation de l'éducation au développement durable. Les deux groupes d'enseignants ont été sollicités dans le cadre d’un contrat INRP conclu pour l'année scolaire 2006-2007. C'est une année socioscientifiquement particulière dans la mesure où elle correspond à la remise du quatrième rapport d’expertise officielle sur l'évolution des climats associée à une riche production médiatique, dans le cadre d'un agenda lié aussi à l'élection présidentielle française et de l’engagement politique et écologique sollicité par le Pacte écologique de la Fondation Nicolas Hulot (novembre 2006).

Le corpus de thèse croise les productions didactiques réalisées par les enseignants dans le cadre de leur contrat de travail avec les analyses d'entretiens individuels et de séances collectives de travail. L’attention portée aux mises en scène didactique de controverses médiatisées, mais également les évitements de ces controverses sont particulièrement significatives dans l’exploration des logiques d’engagement des enseignants, en lien avec leurs représentations de la question climatique, de la fonction éducative et des publics scolaires.

On en déduit des implications en contexte d’enseignement pour une médiation critique et citoyenne des relations sciences sociétés. Pour les professionnels de l’enseignement secondaire, des questions d’éthique et de formation sont soulevées par cette étude. Ces questions appellent un débat national pour discuter des postures de neutralité et d’impartialité revendiquées par la majorité des enseignants, alors qu’une injonction politique les invite à développer une éducation interventionniste pour soutenir socialement la politique internationale de développement durable à travers le traitement didactique d’une question environnementale dont on ne questionne pas les procédures d’expertise et leurs limites, mobilisant principalement une forme médiatique consensuelle et alarmiste du verdict des scientifiques experts.