L'éducation
au XXIeme siècle
Quels styles éducatifs ?
D'une école du savoir à une communauté
éducatif démocratique pour tous
Intervention à
l'Académie des Sciences de Macon - septembre 2015
Benoît
Urgelli
last
up-date : 23 novembre, 2015
L'éducation
peut etre comprise comme un fait social, culturel, et politique qui
porte l'espoir de socialisation des jeunes générations,
à travers la transmission de savoirs mais aussi de valeurs culturellement
partagés. En France, ce sont les sciences de l’éducation
qui étudient "les conditions d’existence, de fonctionnement
et d’évolutions des situations et des faits d’éducation"
(Mialaret, 1976, p.32).
Que
nous disent ces sciences sur l'évolution probable de notre système
éducatif ?
Le
style éducatif d'un pays est la reflet d'une
tradition et d'une culture. Il résulte d'une conception spécifique
de la citoyenneté, de la relation individu-société,
mais plus largement individu-société-espèce pour
reprendre la vision de Morin (2000), des
savoirs à transmettre, et des capacités d'apprentissage
des individus, ce que l'on pourrait appeler le rapport aux savoirs au
sens de Charlot (1997).
Une étude
quantitative des sociologues Dubet et al. (2010,
115-130) a permis d'identifier, de manière un peu caricaturale,
quatre styles éducatifs à travers le monde.
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Le style éducatif des pays anglosaxons accorde
une place importante aux activités extrascolaires,
privilègie l'expérience individuelle et les
relations entre élèves. Les inégalités
de résultats sont admis d'autant plus facilement que
la croyance à la part de l'inné dans les apprentissages
est forte. Les enseignants sont définis par leurs compétences
pédagogiques plus que par leurs attachements disciplinaires,
les découpages disciplinaires étant estompés.
Dans cette communauté démocratique, la proximité
avec les parents et les élèves est forte. L'instruction
n'est qu'un volet de ce style éducatif visant avant
tout une citoyenneté active et créative.
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Le
modèle de certains pays méditerranéens
d'influence catholique
se construit autour de valeurs communautaires et familiales.
Dans cette communauté bienveillante, entre élèves
et enseignants, l'ambiance est détendue et on cherche
à lier le sensible et le scolaire.
L'école se veut humaniste, et le critère de
réussite n'est pas seulement scolaire. La répartition
des individus sur le marché du travail n'est pas directement
liée à la réussite scolaire.
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L'école
de "l'excellence pour tous" se
dessine en Asie, en Norvège, en Autriche, en Tchéquie
et en Suisse. Au Japon par exemple, l'inné compte peu
et se sont les efforts qui récompensent. Dans ces pays,
les enseignants et les parents collaborent pour un controle
serré des enfants. Ce style éducatif allie tradition
communautaire, compétition économique et sélection
brutale.
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En
Belgique, en Allemagne, en France, en Pologne et en Hongrie,
"l'école du savoir" se fonde
sur la transmission de contenus disciplinaires rationnels
et universels. L'enjeu affiché est la sélection
d'élites et l'institution d'une société
démocratique. La proximité entre élèves
et enseignants est faible et on identifie une certaine méfiance
vis à vis de la vie quotidienne et des savoirs familiers.
L'éducation privée est maintenue à distance,
tout comme les parents et les employeurs considérés
comme des partenaires peu légitimes, voire des consommateurs
égoïstes. En retour, la confiance sociale envers
les enseignants est plutot faible. L'école est une
affaire d'Etat plus qu'une affaire sociale. Les normes scolaires
sont édictées par le haut, avec, en France,
une focalisation sur l'enseignant et sa spécialisation
disciplinaire.
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Selon Dubet
et al. (2010), l'avenir du modèle éducatif français
doit passer par le désserement de l'emprise scolaire et le développement
et la valorisation d'autres modes de formation. Pour cela, il faudrait
remettre en question le prophétisme républicain qui postule
que la réussite sociale passe nécessairement par la réussite
scolaire. Dans notre pays, de manière réductrice, la vision
républicaine de l'éducation, qui met l'accent sur les
savoirs à transmettre dans un système scolaire plutot
autoritaire, constraste avec une vision scolaire pédagogiste
centrée sur l'élève et sur une relation détendue
avec les enseignants.
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"Modèle
républicain" |
"Modèle
pédagogiste" |
Posture
de l'enseignant |
L'enseignant,
dans un face à face avec l'élève, est un
instructeur spécialiste des savoirs à transmettre |
L'enseignant,
côte à côte avec l'élève, adapte
ses contenus et ses méthodes pour faciliter la découverte
des savoirs |
Place
de l'élève |
L'èleve
doit s'adapter
aux choix du maitre |
L'élève
est au centre du système
La pédagogie proposée est active |
Savoirs
à transmettre |
Des
savoirs fondamentaux, permettant notamment de savoir lire, écrire,
et compter |
Des
savoirs fondamentaux mais aussi des capacités (savoir-faire)
et des attitudes (savoir-être) |
Méthodes
d'apprentissage |
Une
pédagogie de l'effort récompensé dans l'apprentissage
des savoirs fondamentaux |
Une
pédagogie de la découverte avec la sélection
de thèmes séduisants à explorer avec plaisir |
Evaluation
de la réussite
des élèves |
Evaluation
notée
et essentiellement sommative (controle terminale) |
Par
contrat de confiance, l'évaluation est essentiellement
formative (controle continu)L'évaluation
doit être responsabilisante, contre l'arbitraire et la note
sanction |
Tableau des principales différences
entre style éducatif républicain et style éducatif
pédagogiste
Urgelli, B. (2013), d'après Guigon G. (2013).
Education : Meirieu a-t-il tué l'école ? Mag2Lyon
n°45, avril 2013.
Styles
éducatifs : parents, enseignants et forme scolaire
Le
concept de style éducatif a été largement utilisé
dans la littérature quese rapporter à l'éducation
familiale et donc à une forme d'éducation informelle.
Depuis quelques années, je tente de transposer cette notion à
l'éducation formelle en parlant du style éducatif des
enseignants, d'où l'intéret que je porte à l'ouvrage
de Dubet précédemment cité. Je tente de faire le
lien entre style éducatif et posture
éducative, que je définie comme l'attitude de l'éducateur
résultant d'une tentative de mise en cohérence de sa pratique
pédagogique avec les finalités qu'il se donne, mais également
avec les connaissances et les représentations qu'il a des publics
à éduquer (quel regard porte-t-il sur l'enfant, l'enfance,
l'éducabilité, le développement cognitif et l'apprentissage
?).
La
forme scolaire (Vincent, 1980, 2012), et plus généralement
l'éducation formelle, est associée à une diversité
de styles éducatifs, probablement en lien avec la diversité
des visées éducatives, des représentations de l'enfant
et l'importance accordée aux savoirs et aux valeurs dans l'éducation
(vérité, justice, utilité). Vincent
(2012) écrit que la forme scolaire apparaît dans tout
l'Occident moderne, du XVIe au XVIIIe siècle [...] en se substituant
à un ancien mode d'apprentissage par ouï-dire, voir faire
et faire avec. À la différence de ce mode ancien, la forme
scolaire, qui est une forme de transmission de savoirs et de
savoir faire, privilégie l'écrit, entraîne
la séparation de « l'écolier » par rapport
à la vie adulte, ainsi que du savoir par rapport au faire. En
outre, elle exige la soumission à des règles, à
une discipline spécifique qui se substitue à l'ancienne
relation personnelle teintée d'affectivité [...] ce qui
crée donc - historiquement - une relation sociale nouvelle.
[...] la forme scolaire est une forme socio-historique de
transmission. Elle apparaît à un certain moment
dans certaines sociétés. [...] c'est [...] une
forme sociale parmi d'autres et liée à d'autres.
[...] Il y a des relations entre formes de transmission, formes politiques,
formes économiques, formes de division du travail, formes religieuses,
formes de pouvoir ecclésiastique, etc.
L'article
de Kellerhals et al. (1992) tente d'établir
des corrélations entre le style éducatif parental et l'estime
de soi des adolescents (sens
de la valeur personnelle et sentiment de compétence).
Nos
données permettent de relier le degré d'estime que les
jeunes se portent avec les choix professionnels qu'ils envisagent. Une
relation sensible entre ces deux termes apparaît chez les enfants
de milieux populaires : 80 % de ceux qui ont une estime de soi élevée
choisissent des professions nécessitant des études longues,
contre 47% de ceux qui ont une estime de soi faible. Par contre, cette
association disparaît chez les enfants de cadres, dont la grande
majorité choisit - normes du milieu obligent - des études
longues. L'estime de soi apparaît donc comme un facteur
déterminant dans le choix professionnel de jeunes qui ne sont
pas «naturellement» destinés par leur milieu à
poursuivre de longues études. On observe des tendances
analogues lorsqu'on distingue les pré-adolescents en fonction
de leur sexe. Pour les filles, l'estime de soi ne semble exercer aucun
effet sur le choix de la profession future.
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Ils
définissent trois styles éducatifs (statutaire,
maternaliste et contractualiste, p.318) en relation avec
les pratiques et les attitudes des parents. Ces styles
font référence à des styles de relation
entre parents et enfant. Ils dépendent des 4
variables : les compétences que les parents cherchent
à construire avec leur enfant, les méthodes pédagogiques
associées (techniques d'influence), les rôles
éducatifs que chacun se donne, et le degré de
coordination avec d'autres formes éducatives (formelles
et non formelles : influences des pairs, de l'école,
de la télévision ou des divers spécialistes
de l'enfance).
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Le
style statutaire est caractérisé par
un fort accent sur l'accommodation (se plier aux rythmes
et disciplines de l'environnement), les autres valeurs (autorégulation
et sensibilité) se situant très en retrait.
Les méthodes pédagogoques sont fréquemment
marquées par le contrôle (contraindre et interdire)
plutôt que par la motivation. Une nette différenciation
des ressources (plus expressives pour la mère, instrumentales
pour le père) caractérise les rôles des
parents, qui par ailleurs ne reconnaissent qu'une mission
assez étroite aux agents extérieurs de socialisation.
La distance entre parents et enfants est assez considérable
: les communications ne sont ni très fréquentes
ni très intimes, et les activités communes sont,
comparativement, réduites. L'accent sur les barrières
de génération et de statuts, ainsi que sur la
normativité, est très net.
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Le
style maternaliste ressemble au premier par son
accent sur l'accommodation et le contrôle, mais en diffère
fortement par la forte communication et l'importance des activités
communes entre parents et enfants. Les confidences réciproques
sont fréquentes et encouragées, on fait beaucoup
de sports ou de jeux ensemble. Il s'agit donc d'un style beaucoup
plus chaleureux, intimiste, que le premier, même si
la normativité y est importante.
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Le
style contractualiste se caractérise par
l'importance accordée, comparativement, à l'autorégulation
de l'enfant et à la créativité. Du point
de vue des techniques d'influence (méthodes pédagogiques),
il est marqué par une manipulation importante de la
relation plutôt que par le contrôle. L'autorité
est plus négociatrice que coercitive. L'accent sur
l'empathie, plutôt que sur la stabilité normative,
y est net. Les rôles féminin et masculin sont
moins différenciés que dans les styles précédents
(l'implication du père est plus nette et plus diversifiée).
Les parents reconnaissent une large mission à l'école,
à la télévision et aux amis, qui sont
par ailleurs accueillis très souvent. Enfin, la coopération
avec l'enfant est moins fort que chez les maternalistes, l'accent
sur l'autonomie étant assez net.
La
cohésion familiale est définie par les
auteurs par le degré d'autonomie et d'ouverture sur
l'extérieur que manifestent les parents. Elle est
fondée sur les modes de cohésion interne et d'intégration
de la famille avec son environnement (p.316). Cette
cohésion définie un type de famille et
les auteurs identifient 4 types de familles : bastion, parallèle,
compagnonnage et association.
"Après
avoir défini quatre types de cohésion familiale
et trois styles éducatifs, on montre que si le genre
de cohésion familiale et le style d'éducation
dépendent clairement de la position de classe des familles,
l'estime de soi de l'adolescent est par contre surtout modulée
par le style éducatif [...] Cette influence
du style éducatif sur l'estime de soi tient surtout au
degré de soutien, de contrôle et de communication
existant entre parents et adolescents" [...] "on
peut faire l'hypothèse que cette estime varie selon l'autonomie
accordée à l'enfant et le degré de soutien
qu'il reçoit de ses parents [...] plus le style éducatif
parental est caractérisé par la négociation,
la relation, la communication, l'encouragement à la prise
de décision, plus l'estime de soi de l'adolescent serait
forte".
L'estime
de soi est clairement reliée au style éducatif
que les parents adoptent, et plus particulièrement au
degré d'autonomie et de soutien dont l'enfant dispose
ainsi qu'à la qualité de la communication entre
lui et les adultes. Les auteurs montrent que cette
estime de soi ne dépend pas du statut social des parents,
ni du type de cohésion familiale (à l'exception
du type «bastion», dont l'impact paraît négatif).
[...] Les auteurs soulignent que le style éducatif
«statutaire» est franchement minoritaire dans les
milieux aisés, alors qu'il constitue un cas fréquent
dans les milieux populaires.
On
s'interrogera dans les mois à venir sur l'existence d'une
correlation similaire dans le monde de l'éducation formelle,
en lien avec la forme scolaire. Nous travaillerons le concept
de style ou de posture éducative des enseignants...
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Où
en sommes nous aujourd'hui ?
En juillet 2013, la loi de réfondation
"pédagogique" de l'école a tenté
de mettre fin à la crise de confiance et de sens de l'école.
L'article 3 précise : Outre
la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission
première à l'école de faire partager aux
élèves les valeurs de la République, parmi
lesquelles l'égale dignité de tous les êtres
humains, l'égalité entre les femmes et les hommes,
la solidarité et la laïcité qui repose sur
le respect de valeurs communes et la liberté de conscience.
En misant sur
les compétences, l'expérience et l'engagement des
enseignants, l'objectif est de permettre aux élèves
de s'épanouir socialement, de penser par eux mêmes
et d'exercer leur esprit critique autour des valeurs de la République
et d'un idéal de justice sociale. Dans cette optique, la
pertinence d'espaces peri-scolaires d'éducation et de formation
est reconnue, au moins dans les textes. C'est donc un
appel clair à un changement de style
éducatif,
avec la notion de communauté éducative et
la nécessité d'ouverture sociale.
Mais quelles formes pourraient prendre cette nouvelle
école ?
Dans
les 20 ans à venir, il s'agira probablement de construire
un autre rapport aux savoirs. Pour contribuer au développement
d'une citoyenneté démocratique et participative,
pour construire et accompagner l'évolution de notre société,
l'école devra aussi s'intéresser au traitement didactique
de questions complexes, expertisées et médiatisées.
Ces 20 dernières années, les programmes d'"éducations
à" la santé, à l'environnement,
au développement durable, aux risques, aux médias,
aux expertises scientifiques, à la nature des sciences,
etc... ont été lancé dans cette perspective
d'avenir. Mais ce que certains analysent comme une "anthropisation"
des questions scientifiques (Orange Ravachol,
2013) se heurte actuellement à la forme scolaire
disciplinaire et, à travers elle, à tout le système
de formation. C'est aussi la posture des enseignants qui est interrogée
dans ces programmes
éducatifs, car il n'est plus seulement question de transmettre
des savoirs, souvent d'ailleurs hybrides, incertains et controversés,
mais aussi de prendre en compte et de discuter la diverstié
de valeurs en débat sur ces questions fondamentalement
politiques.
Si les sciences de l'éducation ne peuvent pas, comme toute
science qui se respecte, prévoir avec certitude l'avenir,
elles peuvent néanmoins parier sur le fait que l'évolution
de notre système éducatif naîtra d'une idée
collective inspirée par la diversité des lieux,
des pratiques et des acteurs du champ de l'éducation.
voir
ma conférence TEDx
INSA de février 2014 à propos d'une éducation
scientifique pour tous |
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