Qui est au premier rang selon vous ?

Les dessous franco-français de la controverse climatique
L'hypothèse de Prud'homme (2010)


Benoît Urgelli

31 mai 2010
last up-date : 21 octobre, 2013

Voir aussi :

Je reproduis ici des extraits de l'analyse de Remy Prud'homme (2010) qui propose un éclairage socioscientifique sur la dynamique de la controverse, à la suite de la publication de l'appel de 600 chercheurs aux responsables politiques de la recherche climatique (appel au ministre et aux « autorités de tutelle »).

Pour reprendre les propos de Chateauraynaud (2007), l'analyse de Prud'homme peut permettre de comprendre les jeux d'acteurs et d'arguments, les rapports de force qui animent le conflit triadique (Lemieux, 2007) sur la question climatique. L'hypothèse de Prud'homme est la suivante : "il n’est pas interdit de penser que certains des signataires règlent ici un vieux contentieux, et en veulent autant à MM. Allègre et Courtillot pour leurs critiques de l’organisation de la recherche française que pour leurs critiques des thèses carbocentrées".

C'est une hypothèse parmi d'autres, une forme de théorie du complot probablement discutable, mais elle a le mérite d'être fondée sur une approche sociale de l'épistémologie des sciences, une approche encore bien trop rare, peut etre parce qu'elle suppose de se détacher d'une image des sciences pures, autonomes, apolitiques et asociales, qu'elle dénonce indirectement.

Je défends même l'idée que cette représentation sociale des sciences comporte des risques de dérive antidémocratique notamment parce qu'elle sous entend une délégation de confiance acritique et cloturée par l'idéologie de la compétence, envers les scientifiques officiellement nommés par le pouvoir comme experts. La pétition des 600 chercheurs contre la médiatisation des analyses climatosceptiques peut alors se comprendre comme une crainte de perte de légitimité sociale à travers des questionnements introduisant le doute dans l'expertise.

Une menace de discrédit social ? Valérie Pécresse se veut rassurante dans Libération en confirmant le lien entre le pouvoir et le savoir d'une communauté officiellement désignée : "Ce n’est pas par hasard si j’ai proposé que le climatologue Jean Jouzel préside le Haut conseil de la science et de la technologie. C’est un signe de confiance du gouvernement envers cette communauté".

Pour reprendre l'analyse de Roqueplo (1993) et même si je comprends parfaitement l'argumentaire de ceux qui disent que tous les doutes ne se valent pas (c'est-à-dire qu'ils ne sont pas inscrits dans la même éthique), je continue de penser que "sans la réconciliation entre doute et certitude, sans la confiance raisonnée et raisonnable dans le travail des scientifiques, c'est la fiabilité même des connaissances qui finit par être objet de doute […] Un diagnostic incertain n'est pas pour autant un diagnostic auquel on ne fait pas confiance (Roqueplo, 1993).

Comme le précise Prud'homme "La lettre de nos 600 est la goutte d’eau qui [risque de faire, ndlr] déborder le vase de la crédibilité du GIEC". Bernard Legras lui repondrait probablement, comme il le répète souvent de manière arrogante, en convoquant la simplicité et l'universalité des lois de la physique (merci Fourier (1824) et Arrhenius (1896) ! ) :

"Moi je suis physicien, il a des lois quand même assez simples qui sont celles de la spectroscopie moléculaire et le gaz carbonique qu'il soit dans un récipient dans un laboratoire ou qu'il soit dans l'atmosphère, il obéit aux mêmes lois physiques ; c'est ce que nous apprend la physique, elle est universelle, bien. Et bien à partir de là, on est tout à fait capable de calculer l'effet du doublement du gaz carbonique dans l'atmosphère et comme nous avons aussi des bonnes raisons de penser que la vapeur d'eau n'est pas un gaz qui a une contre réaction négative mais positive, nous pouvons aussi calculer l'effet de la vapeur d'eau qui va nous augmenter la réponse au gaz carbonique et on arrivera si on double comme cela du gaz carbonique, vous voyez rien qu'avec ces simples arguments là, environ 2 degrés. Après y'a des choses plus compliquées, les nuages, les aérosols etc. mais l'ordre de grandeur, le signe, est donné par ces simples considérations qui sont basées sur de la physique très robuste."

B. Legras en réponse à B. Rittaud sur la complexité du système climatique, émission Climat: Le premier débat, Chaine Public Sénat, Vendredi 23 avril 2010, 25min55 - 26min45.


"Quand Bernard Legras dit "moi je suis physicien", il l'est sans doute mais il faut faire très attention qu'on frôle l'argument d'autorité. Combien de physiciens dans des débats, et qui étaient excellents, se sont trompés. Donc soyons modestes. Oui, moi aussi je suis physicien, je propose une théorie, je n'essaie pas de la démontrer à toute épreuve. Je poursuis une hypothèse, je ne suis pas sûr qu'elle soit certaine. Nous y avons absolument droit, l'hypothèse d'en face est aussi une hypothèse. Elle n'a pas ce degré de sécurité que depuis 20 ans on croyait qu'elle avait."

V. Courtillot en réponse à B. Legras, émission Climat: Le premier débat, Chaine Public Sénat, Vendredi 23 avril 2010, 32min35 - 33min10.

Affaire à suivre...
Benoit Urgelli

EXTRAITS de Pétition des 600 : qui sont les climatologues en colère ?

"Pour le savoir, on a fait dans la liste des 400 un sondage aléatoire au 1/5, et cherché sur internet le statut et l’affiliation de nos censeurs"
[...]
"La première conclusion est que les chercheurs universitaires sont très minoritaires : 16%. Bien plus nombreux sont les chercheurs du CNRS (27%) et les chercheurs des grands organismes de recherche (40%) comme le CEA, l’IRD (anciennement l’ORSTOM), Meteo-France, ou l’IFREMER. Dans un groupe résiduel (16%), on trouve un fonctionnaire de la Commission européenne, un directeur d’association, des doctorants, quelques étudiants en post-doc, et des chercheurs sans statut bien défini (peut-être des chercheurs sur contrat)"
[...]
"les signataires semblent davantage des institutions que des individus. Ce sont apparemment des laboratoires entiers du CNRS, du CEA ou de l’IRD qui ont pétitionné, du directeur à l’ingénieur de recherche."
[...]
"Le dualisme Université - CNRS et grands organismes assimilés que l’on retrouve ici est une exception française. On connaît deux grands types d’organisation de la recherche : le modèle soviétique ou elle est confiée à des organismes politiquement contrôlés appelés académies, et le modèle américain où elle est le fait des professeurs d’université, comme en témoigne le fait qu’à peu près tous les prix Nobel scientifiques américains sont des professeurs. Le système français offre depuis la dernière guerre une juxtaposition de ces deux modèles, même si en pratique universités et CNRS coopèrent souvent. Depuis une vingtaine d’années, la politique affichée est de rapprocher la France du modèle américain, qui est le modèle dominant dans le monde, c’est-à-dire au profit des universités et au détriment des organismes de recherche. Claude Allègre, lorsqu’il était ministre, et Vincent Courtillot, lorsqu’il était directeur de l’enseignement supérieur, ont œuvré dans ce sens. Ces observations éclairent peut-être la pétition, d’une double façon. Pour régler un différent scientifique des chercheurs du CNRS et de grands organismes publics - dont les patrons sont nommés en conseil des ministres – ont le réflexe d’en référer à leur ministre. Des universitaires indépendants, en France comme dans le reste du monde, trouvent cela moins convenable. D’autre part, il n’est pas interdit de penser que certains des signataires règlent ici un vieux contentieux, et en veulent autant à MM. Allègre et Courtillot pour leurs critiques de l’organisation de la recherche française que pour leurs critiques des thèses carbocentrées."