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Les
dessous franco-français de la controverse climatique
L'hypothèse de Prud'homme (2010)
Benoît
Urgelli
31 mai 2010
last up-date :
21 octobre, 2013
Voir
aussi :
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Emission
intitulée "Climat:
Le premier débat" sur la chaine Public Sénat,
animée par Jean-Pierre Elkabbach, Vendredi 23 avril 2010.
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Je reproduis
ici des extraits de l'analyse de Remy
Prud'homme (2010) qui propose un éclairage socioscientifique
sur la dynamique de la controverse, à la suite de la publication
de l'appel de 600 chercheurs aux responsables politiques de la recherche
climatique (appel au ministre et aux « autorités de tutelle
»).
Pour reprendre
les propos de Chateauraynaud (2007), l'analyse de Prud'homme peut permettre
de comprendre les jeux d'acteurs et d'arguments, les rapports de force
qui animent le conflit triadique (Lemieux, 2007) sur la question climatique.
L'hypothèse de Prud'homme est la suivante : "il n’est
pas interdit de penser que certains des signataires règlent ici
un vieux contentieux, et en veulent autant à MM. Allègre
et Courtillot pour leurs critiques de l’organisation de la recherche
française que pour leurs critiques des thèses carbocentrées".
C'est une hypothèse
parmi d'autres, une forme de théorie du complot probablement discutable,
mais elle a le mérite d'être fondée sur une approche
sociale de l'épistémologie des sciences, une approche encore
bien trop rare, peut etre parce qu'elle suppose de se détacher
d'une image des sciences pures, autonomes, apolitiques et asociales, qu'elle
dénonce indirectement.
Je défends
même l'idée que cette représentation sociale des sciences
comporte des risques
de dérive antidémocratique notamment parce qu'elle sous
entend une délégation de confiance acritique et cloturée
par l'idéologie de la compétence, envers les scientifiques
officiellement nommés par le pouvoir comme experts. La pétition
des 600 chercheurs contre la médiatisation des analyses climatosceptiques
peut alors se comprendre comme une crainte de perte de légitimité
sociale à travers des questionnements introduisant le doute dans
l'expertise.
Une menace
de discrédit social ? Valérie
Pécresse se veut rassurante dans
Libération en confirmant le lien entre le pouvoir
et le savoir d'une communauté officiellement désignée
: "Ce n’est pas par hasard si j’ai proposé
que le climatologue Jean Jouzel préside le Haut conseil de la science
et de la technologie. C’est un signe de confiance du gouvernement
envers cette communauté".
Pour reprendre
l'analyse de Roqueplo (1993) et même si je comprends parfaitement
l'argumentaire de ceux qui disent que tous les doutes ne se valent pas
(c'est-à-dire qu'ils ne sont pas inscrits dans la même éthique),
je continue de penser que "sans la réconciliation entre
doute et certitude, sans la confiance raisonnée et raisonnable
dans le travail des scientifiques, c'est la fiabilité même
des connaissances qui finit par être objet de doute […] Un
diagnostic incertain n'est pas pour autant un diagnostic auquel on ne
fait pas confiance (Roqueplo, 1993).
Comme le précise
Prud'homme "La lettre de nos 600 est la goutte d’eau qui [risque
de faire, ndlr] déborder le vase de la crédibilité
du GIEC". Bernard Legras lui repondrait probablement, comme il le
répète souvent de manière arrogante, en convoquant
la simplicité et l'universalité des lois de la physique
(merci Fourier (1824) et Arrhenius (1896) ! ) :
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"Moi
je suis physicien, il a des lois quand même assez
simples qui sont celles de la spectroscopie moléculaire
et le gaz carbonique qu'il soit dans un récipient dans un
laboratoire ou qu'il soit dans l'atmosphère, il obéit
aux mêmes lois physiques ; c'est ce que nous apprend
la physique, elle est universelle, bien. Et bien à
partir de là, on est tout à fait capable de calculer
l'effet du doublement du gaz carbonique dans l'atmosphère
et comme nous avons aussi des bonnes raisons de penser que la vapeur
d'eau n'est pas un gaz qui a une contre réaction négative
mais positive, nous pouvons aussi calculer l'effet de la vapeur
d'eau qui va nous augmenter la réponse au gaz carbonique
et on arrivera si on double comme cela du gaz carbonique, vous voyez
rien qu'avec ces simples arguments là, environ
2 degrés. Après y'a des choses plus compliquées,
les nuages, les aérosols etc. mais l'ordre de grandeur, le
signe, est donné par ces simples considérations
qui sont basées sur de la physique très robuste."
B.
Legras en réponse à B. Rittaud sur la complexité
du système climatique, émission Climat:
Le premier débat, Chaine Public Sénat, Vendredi
23 avril 2010, 25min55 - 26min45.
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"Quand
Bernard Legras dit "moi je suis physicien", il l'est sans
doute mais il faut faire très attention qu'on frôle
l'argument d'autorité. Combien de physiciens
dans des débats, et qui étaient excellents, se sont
trompés. Donc soyons modestes. Oui, moi
aussi je suis physicien, je propose une théorie,
je n'essaie pas de la démontrer à toute épreuve.
Je poursuis une hypothèse, je ne suis pas sûr
qu'elle soit certaine. Nous y avons absolument droit, l'hypothèse
d'en face est aussi une hypothèse. Elle n'a pas ce
degré de sécurité que depuis 20 ans
on croyait qu'elle avait."
V.
Courtillot en réponse à B. Legras, émission
Climat:
Le premier débat, Chaine Public Sénat, Vendredi
23 avril 2010, 32min35 - 33min10.
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Affaire à
suivre...
Benoit Urgelli
EXTRAITS
de Pétition
des 600 : qui sont les climatologues en colère ?
"Pour
le savoir, on a fait dans la liste des 400 un sondage aléatoire
au 1/5, et cherché sur internet le statut et l’affiliation
de nos censeurs"
[...]
"La première conclusion est que les chercheurs universitaires
sont très minoritaires : 16%. Bien plus nombreux sont les chercheurs
du CNRS (27%) et les chercheurs des grands organismes de recherche (40%)
comme le CEA, l’IRD (anciennement l’ORSTOM), Meteo-France,
ou l’IFREMER. Dans un groupe résiduel (16%), on trouve un
fonctionnaire de la Commission européenne, un directeur d’association,
des doctorants, quelques étudiants en post-doc, et des chercheurs
sans statut bien défini (peut-être des chercheurs sur contrat)"
[...]
"les signataires semblent davantage des institutions que des individus.
Ce sont apparemment des laboratoires entiers du CNRS, du CEA ou de l’IRD
qui ont pétitionné, du directeur à l’ingénieur
de recherche."
[...]
"Le dualisme Université - CNRS et grands organismes assimilés
que l’on retrouve ici est une exception française. On connaît
deux grands types d’organisation de la recherche : le modèle
soviétique ou elle est confiée à des organismes politiquement
contrôlés appelés académies, et le modèle
américain où elle est le fait des professeurs d’université,
comme en témoigne le fait qu’à peu près tous
les prix Nobel scientifiques américains sont des professeurs. Le
système français offre depuis la dernière guerre
une juxtaposition de ces deux modèles, même si en pratique
universités et CNRS coopèrent souvent. Depuis une vingtaine
d’années, la politique affichée est de rapprocher
la France du modèle américain, qui est le modèle
dominant dans le monde, c’est-à-dire au profit des universités
et au détriment des organismes de recherche. Claude Allègre,
lorsqu’il était ministre, et Vincent Courtillot, lorsqu’il
était directeur de l’enseignement supérieur, ont œuvré
dans ce sens. Ces observations éclairent peut-être la pétition,
d’une double façon. Pour régler un différent
scientifique des chercheurs du CNRS et de grands organismes publics -
dont les patrons sont nommés en conseil des ministres – ont
le réflexe d’en référer à leur ministre.
Des universitaires indépendants, en France comme dans le reste
du monde, trouvent cela moins convenable. D’autre part, il
n’est pas interdit de penser que certains des signataires règlent
ici un vieux contentieux, et en veulent autant à MM. Allègre
et Courtillot pour leurs critiques de l’organisation de la recherche
française que pour leurs critiques des thèses carbocentrées."
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