L’origine anthropique du climat dans les pratiques enseignantes :
De la diversité des postures éducatives

Benoît Urgelli
last up-date : 23-nov-20

Résumé : Depuis plus de 20 ans et la réforme 2000 de l’enseignement scientifique au lycée, la question climatique a reconfiguré l’espace social et politique. Cette évolution suscite aujourd’hui des interrogations légitimes sur les finalités de l’enseignement des sciences placé en première ligne d'un vaste programma d'éducation aux risques climatiques. Durant toute cette période, nous avons analysé les postures enseignantes face à la responsabilité de l’Homme dans l’évolution climatique récente. Si ces postures apparaissent plurielles, entre instruction scientifique, responsabilisation critique et activisme militant, elles comportent des risques éducatifs quant à l’image des sciences qu’elles véhiculent. Nous discuterons des raisons qui pourraient expliquer cette diversité de postures. Ce qui est probablement en jeu, c’est le regard enseignant sur la nature des sciences et leur socialité, la perception des risques climatiques, et diverses représentations de la citoyenneté scientifique. Nous tenterons d’en déduire des implications pour la formation des enseignants.

VERSION 1 (en cours)

La question du réchauffement climatique est une question socialement vive (QSV), comme bien d'autres comme par exemple celle de l'hésitation vaccinale, que nous étudions avec nos collègues lyonnais.

Qu'est ce qu'une question socialement vive (QSV) ?

Pour Albe (2009, p.45), une QSV constitue un enjeu social, mobilise des représentations, des valeurs, des intérêts qui s’affrontent. Elle fait l’objet de débats et d’un traitement médiatique. Par nature complexe, une QSV confronte à l’incertitude, peut être porteuse d’émotions et être « politiquement sensible » (Tutiaux-Guillon, 2006, p. 119).

1. Ces questions ont donc une dimension épistémologique instable, avec des territoires d'incertitudes, comme dans toute science vivante. Elle suscite alors des controverses. Mais qu'entend-on par controverse ? je considérerai ici qu'il s'agit de productions d'argumentaires explicatives contradictoires, qui mobilisent et qui divisent les communautés de productions de ces énoncés. Dans la communauté scientifique, les productions sont fondées sur des méthodes et des logiques spécifiques. Dans cette communauté, la recherche collective et méthodique de preuves tangibles (Chateuraynaud, 2004) est la norme. Telle est probablement la nature des sciences, en tout cas en partie.... J'y reviendrai. D'autres communautés d'acteurs peuvent s'allier, ou contrer les productions argumentatives de la communauté scientifique, souvent même au sein de la communauté, entrant ainsi dans des jeux d'arguments et d'acteurs, visant à convaincre sur ce qui est vrai, mais aussi sur ce qui est justice ou encore à l'utile, c'est à dire ce qu'il serait "bon et juste de faire".

2. Une QSV mobilise donc des jeux d'acteurs et d'arguments contradictoires articulant subtilement des savoirs (pas seulement savants d'aileurs), des valeurs (ce qui nous emble être bon et juste, individuellement et collectivement), et des croyances. L'articulation entre savoirs, valeurs et croyances génère ainsi des opinions, selon Peirce (1878). Nous avons tous des opinions sur cette question socialement vive qu'est la responsabilité de l'homme dans l'évolution climatique récente.

3. Une QSV est politiquement sensible: elle appelle donc des actions fondées et des choix fondés pas seulement sur des savoirs, mais également sur un système de valeurs et des croyances, des convictions. A la charnière entre science et politique, une QSV est donc expertisée au sens de Roqueplo (1993). Selon cet auteur, dans le cas du réchauffement climatique, cette expertise prend un forme technocratique, impliquant peu ou pas les citoyens, loin des modèles des conférences de consensus des pays scandinaves, même si l'OPCST a tenté l'expérience en 2002, je pourrais y revenir.

Que fait-on en classe de sciences de l'expertise, des systèmes de valeurs et des croyances, et de la dimension épistémologique de la question scientifique ?

Une des positions identifiables dans les discours enseignants est celle qui consiste à eclure tout débat contradictoire, adoptant ainsi ce que Kelly (1986) appelle une neutralité exclusive. Cette posture consiste à dire que la science étant une pratique neutre, d'un point de vue des valeurs, elle est laique et universelle, et elle se déclare a-politique. Celle resterait donc à l'enseignant de sciences un travail sur la dimension épistémologique, et plus exactement sur la construction des savoirs savants, les logiques méthodologiques mais également sociales qui la fondent. En effet, loin d'une représentation a-sociale de la pratique scientifique, la sociologie des sciences depuis 50 ans ne cesse de montrer qu'une entreprise scientifique n'est peut etre uniquement pensée sous l'angle de la méthode. Le travail sur la refutabilité des énoncés, le scepticisme organisé, pour reprendre la terminologie de Merton (1973), ou encore la production de modèles explicatifs, ne permet pas de refléter la réalité des pratiques scientifiques. La dimension sociale des sciences, ce que les anglosaxons appellent Nature of science, est peu ou pas abordée dans les systèmes de formation des enseignants. Et Laurence Maurines (2010) estime que ce choix éducatif risque même de ne pas donner "le goût des sciences", de démotiver pour les carrières scientifiques, voire de conduire à un rejet . Eduquer à la nature des sciences... tout un programme pour l'AAAS (Project 2061, science for all american).

Que disent les programmes sur l'enseignement de la nature des sciences ? (a développer)

Je propose ici une approche historique et comparative, entre deux programmes scientifiques de lycée qui mettent la question climatique dans le curriculum, celui de 2000 auquel j'ai eu la chance de "participer" jusqu'en 2003, avec le GTD, puis GEPS à l'ENS de Lyon, dans la cadre du PNF et de la mise en place de la plateforme Planet-Terre d'accompagnement des enseignants de SVT.

Dans les programmes, l'entreprise scientifique est présentée comme un entreprise qui produit des savoirs à la fois robustes et provisoires, en l'état actuel des connaissances, c'est à dire un mélange épistémologique en apparence paradoxale. Les enquêtes de la revue Aster en 1998 avaient montré la présence de ce mélange dans les représentations des enseignants de sciences. Par exemple, sur la question climatique, on peut dire que les savoirs produits sont robustes à 95%, ce qui soulève d'ailleurs une multitude de questions : 95% de quoi ? des savants climatologues ? des modéles explicatifs de l'évolution climatique récenté et passé ? de leurs résultats ?...

Autre particularité, et je reprendrai les analyses de notre collègue Gérard Bonhoure de l'Inspection de SVT, "acteur engagé" dans la généralisation de l'éducation au développement durable (EDD) en 2003. Il rappellait, après quelques années d'observations des pratiques enseignantes, que nous ne devons pas enseigner des choix mais éduquer aux choix, même lorsque les résultats scientifiques nous poussent logiquement à un appel à des gestes écoresponsables (voir la citation de Bouhoure dans son rapport sur les SVT et l'EDD). En termes d'éducation scientifique et plus largement d'éducation  à la ciyoyenneté scientique (mettre la définition d'Irwin, 1995), cela signifie qu'il s'agit de former les élèves, futurs citoyens, à la responsabilité sociale, individuelle et collective. En d'autres termes, l'appel des programmes est donc un appel à l'éducation à la responsabilité, face aux risques climatiques.

Que veut dire une éducation à la responsabilité en classe de sciences ?

Cela suppose probablement pour les enseignants de sciences, d'évoquer d'abord la notion de risques : comment on l'évalue, à l'aide d'une méthode fiable mais non certaine (attention à la tyrannie des certitudes, selon l'expression de Fabre...), qui me permet de dire : "voilà selon nous, ou plutot selon eux ! ceux qui savent pour reprendre la formule du président Macron lors de l'annonce de la fermeture des écoles en mars 2020, "voici les prévisions possibles, les scénarios possibles en fonction du modèle physico-chimique de l'effet de serre et du bilan radiatif de la terre, mais également en fonction de modèles sociologiques et économiques. Le modèle de l'effet de serre décrit de manière satisfaisante l'évolution climatique récente et passée. Même si cela dépend des échelles de temps et d'espace, il intègre actuellement la thermodynamique des écoulements fluides et la plupart des interactions physico-chimiques connues entre l'atmosphère, l'hydrosphère, la bio-anthropo-sphère et la géosphère.

Alors dois-je aller plus loin, notamment sur l'action individuelle et collective, les écogestes, les gestes barrières pour reprendre l'expression du moment ? Dois-je évoquer la question de la croissance et de la décroissance ? On vit actuellement un cas forcé de décroissance. Alors que faire de cette image de la Chine à l'arrêt, et des conséquences environnementales sur l'atmosphère mais également sur la biosphère (je pense au retour des oiseaux en milieu urbain durant le confinement de mars-avril 2020...). Il s'agit bien là de données, de "faits scientifiques" qui auraient toute leur place dans l'enseignement des sciences... Mais elles suscitent inévitablement des questionnements sociopolitiques et économiques. Pour traiter la question de manière systèmique dans le cadre d'une éducation au développement durable, il faudrait, à côté de ces cartes, superposer l'évolution économique et social des populations, et lancer des discussions sur le probable, le prévisible mais aussi le souhaitable pour notre avenir. Mais est-ce à l'enseignant de sciences de le faire ?...

Que font donc concrètement les enseignants qui traitent en classe de sciences l'origine anthropique du réchauffement climatique ?

Difficile à décrire et à analyser sans être dans la classe, derrière chaque enseignant de SVT, mais aussi derrière chacune de ses classes, et c'est probablement la limite de nos analyses. Précisions que ce que nous proposons comme système explicatif et compréhensif des pratiques enseignantes est fondé sur du déclaratif, par entretiens semi-directifs, sur la récolte de productions pédagogiques. L'enjeu est d'essayer de comprendre les logiques d'action et de justification des acteurs, dans un cadre de travail qui est celui de la sociologie pragmatique. Ce cadre est comparable à celui qu'utilisent les climatologues qui mobilise la physico-chimie de l'effet de serre, alors que certains géographes physiciens avaient tenté, sans "succès collectif", dans les années 1990-2000, de traiter la question climatique dans le cadre des AMP de Marcel Leroux...

D'une manière plus concrète, dans nos enquêtes, nous interrogeons les enseignants sur les situations vécues, et leurs demandons de justifier leurs choix, et leurs logiques d'engagement, pour reprendre le titre de la thèse que j'ai soutenue il y a plus de 10 ans.

Nos amis canadiens sont particulièrement actifs sur ce terrain des pratiques enseignants face à la question climatique, et je pense également en France à Jean-Marc Lange, Laurence Simonneaux, Olivier Morin ou encore Virginie Albe, formant une communauté de chercheurs qui s'interrogent sur le traitement didactique et pédagogique d'autres questions socialement vives et l'enseignement aux controverses ou par les controverses. Dans l'état actuel des connaissances, nous avons à présent une assez bonne visibilité sur les logiques déclaratives des enseignants (et des élèves), même si, comme dans toute science, nous restons vigilants sur les risques de généralisation abusive et de simplification de la réalité.

Quatre logiques de justification et d'action, ou modèles si on préfère, semblent prévaloir dans les pratiques enseignantes :

  • la logique du formateur de sciences, "missionnaire de sciences" dirait Fourez (2002), formateur à la méthode scientifique, avec une posture qualifiée de neutralité exclusive, à la suite des travaux de Kelly (1996) sur le positionnement des enseignants dans le cadre de traitement de questions controversées. Et j'attends ici la réaction de nos collègues climatologues "mais il n'y a pas de controverses scientifiques en climatologie", une réaction qui sous entend souvent un grand partage entre science et société, entre savant et ignorant, entre climat et développement durable pour revenir à notre sujet.
  • Une autre logique qui relève du mythe selon moi, celle de la neutralité impartiale : "je présente toutes les positions et je ne donne pas mon positionnement". On sait que les élèves sont particulièrement compétents dans la recherche des "positionnements masqués" de leur éducateur, et j'ai même tendance à penser que c'est une des premiers déterminants dans l'établissement d'une relation éducative de confiance. Ce qui nous éloigne de cette étrange loi éducative fondée sur la peur de dévoiler sa conviction intime, de maintenir à distance la propre personne et ses émotions, pour ne pas influencer les jeunes esprits. D'ailleurs, des travaux récents en sociologie et didactique montrent qu'avec le temps, et le vécu pédagogique, les enseignants lâchent progressivement cette loi d'une nécessaire mise à distance affective et éthique entre l'enseignant et l'élève (Broccolichi et Roditi, 2001 par exemple).
  • La posture d'impartialité engagée fait eactement le pari inverse : sur la question climatique, elle consisterait à révéler ce que nous en pensons, sur le champ de l'action et la justice environnementale, sociale et politique, en fonction de notre représentation des relations entre l'homme et la nature, et de nos craintes pour l'avenir, bref en explicitant notre représentation du "risque climatique", bien au delà des savoirs en jeu. Cette posture suscite des craintes et un malaise didactique chez les professionnels, encore avec la peur de l'endoctrinement des plus jeunes, mais également la peur de semer le doute, dont on peut questionner le dévenir actuellement dans les discours sociaux et médiatiques. En 2006, à propos des productions documentaires de Yann Arthus Bertrand, j'avais montré comme le médiateur éducateur, tout en dénonçant la peur de semer le doute sur l'origine anthropique du réchauffement climatique, produisait plus ou moins consciemment d'autres peurs, susceptibles selon lui de mobiliser les publics, à travers le symbole de l'ours polaire affamé sur la banquise.
  • La derniere logique est celle de la partialité exclusive. Elle consiste à vouloir minorer, voire neutraliser tout discours contradictoire, en devenant soi-meme acteur de la controverse, par exemple en dressant l'expertise du GIEC contre les discours d'Allègre, de Courtillot dans les années 2006 à 2010. On se fie alors à l'expertise dite officielle, notamment celle du volume 1, et c'est alors la loi du plus grand nombre qui légitime le dire vrai, une loi dont on sait, en sciences, qu'il faut la manipuler avec prudence, comme nous le rappelle l'émergence du modèle de la tectonique des plaques dans les années 1960-1970, ou encore le modèle de l'effet de serre et la théorie climatique du CO2 d'Arrhénius (1896), dans la seconde mpoitié du XIXE siècle. C'est ici le rapport à l'expertise qui est interrogé, mais aussi notre vision de la place des sciences en société, de la place des citoyens dans l'expertise, du rapport entre savoir et pouvoir, et de la construction des savoirs et de leur partage (Roqueplo, 1974).

Et les élèves dans tout cela ?

Ce que montrent la majorité des travaux des chercheurs en didactique des questions socialement vives, c'est que les élèves (et les enseignants également, Forissier et Clément, 2003) ne se postionnement pas essentiellement sur la base des savoirs savants et des expertises à leur disposition, dont ils ont d'ailleurs confiance tout en demandant des précisions sur les logiques sociopilitiques et individuelles sous jacentes. Ils se positionnement face aux risques et par dessus tout, sur la base de leur propre système de valeurs (Simonneaux, 2005) et de représentations des relations entre l'homme et la nature, entre écolocentrisme et anthropocentrisme, entre ce qui sera bien, ou ce qui est mal pour l'environnement et/ou pour l'homme. Ils articulent d'ailleurs ces systèmes de représentations à leurs visions de la nature des sciences (entreprise de production empirique de certitudes, ou univers d'une science en marche) et construisent alors un système qui fait sens pour eux, et qui conforte leurs convictions et leurs opinions. Ce résultat, qui semble à présent largement confirmé, avec le renfort de la psychologie sociale (Perretti-Watel, 2002) conduit à deux implications majeures pour l'enseignement des sciences face aux risques.

  1. C'est d'abord un appel à comprendre la nature des sciences, pour comprendre comment on sait, quelle place est faite à l'ignorance, aux débats, quel est le poids de l'individuel et du collectif, sur la base de quels systèmes de normes et donc de quelle éthique professionnelle ?
  2. C'est aussi un appel à la discussion à propos de nos valeurs, avec nos élèves et en situation de classe. Si nous ne le faisons pas en classe (de sciences ?), ils le feront et ils le font déjà dans d'autres universes de socialisation, non formelles et informelles, et il n'est pas garanti que dans ces univers, la place soit laissée à d'autres visions du monde et surtout à l'éducation aux choix responsables. Conclusion d'ailleurs valable pour d'autres QSV, comme l'éducation à la sexualité par exemple, et plus généralement les questions de santé et de place de l'homme dans l'environnement, et dans l'univers.

Encore une fois, est-ce aux enseignants de sciences de le faire ?

L'idéologie de la compétence disciplinaire conduirait certains à répondre à cette question par la négative. Mais dans une entreprise éducative, celle de l'éducation aux sciences, la réponse doit venir à mon sens d'un collectif de praticiens enseignants, et peut etre d'éducateurs au sens large (médiateurs et animateurs de sciences par exemple) qui connaissent le mieux les jeunes publics à ne perdant peut etre pas de vue une des finalités de l'éducation aux sciences, et un des résultats des pédagogies de l'émancipation par les savoirs (Galichet, 2018): cette émancipation par les savoirs nécessite une pédagogie adaptée aux représentations de nos publics, au risque de ne convaincre que les convaincus. C'est comme souvent en didactique des sciences, un appel à la formation des enseignants, mais à une formation pensée avec eux et pour une citoyenneté scientifique activie et responsable.

Bibliographie

Albe

Arrhénius

Bonhoure

Broccolichi et Roditi

Chateauraynaud

Fabre

Forissier et Clément

Fourez

Galichet

Irwin

Kelly

Maurines 2010

Merton (1973)

Perretti-Watel (2002).

Roqueplo

Roqueplo

Simonneaux

Tutiau-Guillon

 

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

VERSION 2 (à retravailler, et intégrer au tete ci-dessus ?)

En France, le réchauffement climatique est devenu un problème politique dès la fin des années 1980 et 1990, avec un activisme administratif fort sous Michel Rocard, autour de la question de l’effet de serre, et une couverture médiatique en lien avec le traitement international de la question, alors que les candidats écologistes passent la barre des 10% dans les suffrages (Aykut, 2011). Mais l’expertise reste confidentielle entre état et l’académie des sciences, avec une symbiose sensée incarnée l’intérêt général, l’objectivité et le désintéressement, pour guider l’action politique à travers le monopole d’une expertise d’état. Elle se distingue de l’expertise allemande sur la question climatique qui mobilise elle une diversité de points de vue socialement et scientifiquement importants.

A partir des années 2000, et après la ratification du protocole de Kyoto en 1997, les plans nationaux de lutte contre le changement climatique, pour le climat et le développement durable se structurent sous l’égide des premiers ministres français. La couverture médiatique française s’intensifie avec le troisième et quatrième rapport de GIEC qui déclare un degré de corrélation causale fort entre les émissions de GES et l’évolution de la température moyenne de surface du globe. Sur le territoire, les évènements météorologiques extrêmes (tempêtes de 1999 et canicule de 2003 notamment) donnent l’occasion aux journalistes de tenter de rendre les preuves tangibles, et d’en faire des signes du réchauffement climatique, en faisant parfois des corrélations parfois abusives, face à l’ennemi invisible qu’est le CO2, pour reprendre les propos du photographe écologiste Yann Arthus Bertrand.

On consultera avec beaucoup d’attention, les échanges en octobre 2006, sur le plateau d’Arret sur Images entre Hervé Le Treut, et le photographe et le journaliste, à propos de ces corrélations et de l’indétermination des savoirs sur le climat, et des tentatives de semer le doute versus de faire peur pour mobiliser (mettre le lien).

Image de Arthus Bertand (2006) et de l’appel à la peur, à l’émotion de l’ours polaire affamé sur la banquise à la dérive. Un appel à l’émotion supposé vecteur de mobilisation, loin de la rationalité scientifique

Metttre les deux images 2006 et 2019 pour montrer les mêmes stratégies communicationnelles.

Les journaux régionaux, à cette même époque, commencent à s’intéresser fortement à la question et le problème global commence à être traité comme un problème local dans la presse à partir de 2005, les discours restant moins alarmistes que ceux des confrères allemands, et les contestations du réchauffement anthropique plus visible qu’en Allemagne, avec en France, un appel au droit au doute, contre les certitudes, la deep ecology ou encore l’intégrisme vert.

A partir des années 2006, l’expertise française sur le changement climatique devient parlementaire et se veut plus alarmiste, alors que se met en place un Grenelle de l’environnement (2007) dans le contexte de la présidentielle française et d’un renouveau de l’intérêt politique pour l’environnement, accompagné par la sortie du quatrième rapport du GIEC en février 2007.

C’est dans ce dernier contexte que nous avons conduit une enquête sur le traitement scolaire du changement climatique dans deux établissements publics de la région Auvergne Rhône Alpes.

La lutte contre le réchauffement climatique : une question complexe surdéterminée idéologiquement

Pour Fabre (201, 2015), la problématisation de cette question est un enjeu et un défi éducatif. Le problème est en effet à structurer, car en fonction du cadre d’analyse que l’on choisit (écologique, économique, industriel, etc.), les solutions apparaissent multiples, et il y a parfois désaccord sur les données et les expertises. On est donc face à ce qu’il qualifie de problème complexe et indéterminé qui ne peut se réduire à sa dimension scientifique ou technique, car sa résolution mobilise des processus d’évaluation politique mais aussi éthique (qu’est-il juste et bon de faire ? quels choix de vie devons-nous faire individuellement et collectivement ?).

On estime qu’un problème complexe de cet ordre ne peut se déterminer qu’en faisant appel à des valeurs politiques et idéologiques qui guideront le choix des données et des cadres d’action. Pour Fabre, on peut dire qu’une question vive est indéterminée épistémologiquement et surdéterminées idéologiquement. Et ces différentes dimensions de la question climatique rendent son traitement didactique et sa scolarisation particulièrement difficile pour les enseignants.

Comme le montre notre enquête conduite durant l’année scolaire 2006-2007 dans deux établissements scolaires (lycée) de la région lyonnaise et grenobloise, les postures enseignantes sont diverses.

Présenter rapidement la méthode d’enquête (ref Urbalnski 2019)
Définir les postures éducatives (Urgelli, 2018 ; Le Bouedec, 2016)

Certains enseignants peuvent choisir de déterminer la question climatique, en ne traitant que la question de la physique de l’effet de serre, et du lien entre émissions de CO2 et évaluation de la température moyenne de surface de la Terre. Il y a là une réduction de l’indétermination de la question climatique, en travaillant sur des données physico-chimiques déterminées, en évacuant plus ou moins consciemment la possibilité d’une discussion éthique et politique. Ce traitement didactique de la question est de type technocratique, voire même militant lorsque l’enseignant tente de minimiser les contestations sceptiques en classe de sciences de la vie et de la Terre, ou de mobiliser les élèves en les engageant dans un travail pédagogique sur les petits gestes dans un enseignement de sciences économiques et sociales.

D’autres enseignants n’entrent dans la problématisation que sous l’angle du débat d’opinion, sans aborder la question de l’indétermination épistémologique. Les aspects techniques et scientifiques ne sont pas abordés ou sont délégués à des discours consensuels, comme par exemple le visionnage du film d’AL Gore Une vérité qui dérange durant le début de l’année 2006-2007. Le traitement de la question risque alors d’être relativiste si l’on arrive à la question que toutes les opinions se valent.

Avec les élèves, dans une optique d’éducation aux sciences et à la citoyenneté scientifique, il faut arriver à saisir les deux dimensions de la question de l’évolution climatique récente. C’est ce que réussissent particulièrement bien les équipes enseignantes lorsqu’elles arrivent à co-construire des projets éducatifs entre collègues de disciplines différentes. L’enjeu devient alors de former les élèves à la nature des sciences et des expertises, sans fuir les dimensions incertaines et controversées, mais également une éducation au politique qui montrerait comment les acteurs sociaux qui s’expriment sur la question de l’évolution climatique lèvent l’indétermination du problème, et le structurent autour de valeurs économiques, politiques ou idéologiques qui sont les leurs, en fonction de leur principe de justice, c’est-à-dire de ce qu’ils estiment être juste et bon de faire.

Voilà probablement là un enjeu éducatif fort sur lesquels les éducateurs devraient s’accorder d’un point de vue des pratiques, sachant par ailleurs qu’il reste encore aujourd’hui l’objet de controverses, notamment dans un monde de l’éducation scientifique qui considère que ce sont essentiellement les savoirs déterminés et objectifs, et la rationalité scientifique, qui guideront les sociétés vers les choix les plus pertinents pour leur avenir. Affaire à suivre…