Histoire, philosophie et sociologie des relations sciences sociétés
Scientific thought : history, philosophy and sociology of science

Benoît Urgelli et Kevin De Checchi
last up-date : 13 mai, 2020

D'après les prises de notes de Lucas Sanchez, Clelia Bastonero, Maëva De Campos-Valette et Margot Chantelot (cours 2014),
Delphine Moulin et Charlotte Dalla Rosa
(cours 2015), Marine Sylvestre (cours 2016) Université de Lyon
Un grand merci à Jean-Yves Cariou pour ses recherches et ses écrits sur l'histoire de la démarche scientifique.

SUJETS d'EXAMENS (2016)
Une question de synthèse (répondre en une page double maximum) sur les relations entre sciences et croyances,
entre savoirs et opinions, à travers l'histoire des hommes et des religions, par exemple :

  • Sciences et religions : l'impossible dialogue ?
  • Y a-t-il une différence entre sciences et croyances ?
  • La nature des sciences
  • La révolution scientifique
  • Peut-on parler de sciences occidentales ?
  • Les connaissances scientifiques sont-elles universelles ?
  • Les sciences peuvent-elles être citoyennes ?
  • Du divorce au dialogue entre sciences et religions ?
  • La conception scientifique du monde
  • L'autonomie des sciences
  • La démarche scientifique
  • Un scientifique peut-il être croyant ?
  • Les sciences sont-elles fondées sur la raison ?
  • Les sciences de l'évolution sont-elle des sciences expérimentales ?
  • L’enseignement doit-il maintenir la supériorité de la science sur la croyance ?

Voir l'article de Gingras, Pourquoi j'ai écrit ce livre, dans Découvrir, le magasine de l'ACFAS, mars 2016

OBJECTIFS ET ENJEUX EDUCATIFS :

1. A travers une approche interdisciplinaire (sociologique, philosophique et historique) de l'entreprise scientifique, ce module d'enseignement permettra de proposer des éléments de réponses à ces quelques questions :

  • Qu'est-ce que la pensée scientifique par rapport aux autres modes de pensées ? Qu'est-ce qui différencie savoirs, opinions et croyances ?
  • Quelle est la nature des sciences ?
  • Comment a évolué la pensée sicentifique dans l'histoire de l'humanité  ? Des babyloniens à aujourd'hui, en passant par le Moyen Age ?
  • Peut-on distinguer une différence épistémologique entre sciences humaines et sciences expérimentales ?
  • Quelle est, quelle a été et quelle sera la place des sciences en société, et notamment dans les tentatives d'apprehension de la nature par les hommes porteurs de savoirs, à diverses époques de l'histoire des civilisations et à travers l'évolution des modes de pensée (Gingras et al., 2009) ?

2. Soumettre à la critique collective et au regard de l'histoire philosophique et sociologique des sciences, la proposition suivante :

[...] If you want science to deliver for society, through commerce, government or philanthropy, you need to support a capacity to understand that society, that is as deep as your capacity to understand the science. And your policy statements need to show that you believe in that necessity. [...] If social, economic and/or cultural factors are not included in the framing of the [scientific] questions, a great deal of creativity can be wasted. Editorial. Time for social sciences. Nature Vol. 517, 5 (01 January 2015).

Si cette proposition est robuste, elle a des implications éthiques, politiques, éducatives et communicationnelles sur la manière de penser et de médiatiser les relations sciences, techniques et sociétés. Elle conduirait à militer pour une culture scientifique entre sciences et humanités (Pour une troisième culture, voir le texte de Johanne Lebel (2013) dans Découvrir, le magazine de l'Association canadienne ACFAS, décembre 2013. Voir aussi l'entretien de Claudine Tiercelin (2012) : "La philosophie doit être scientifique", dans La Recherche, mai 2012, p.76.).

[...] la proximité entre complotisme et savoir donne à l’École les moyens d’agir. En rappelant la différence fondamentale entre savoir scientifique et révélation. En rappelant la distinction cardinale entre le vrai et le vraisemblable. En donnant aux élèves des outils techniques pour maîtriser la rhétorique, l’argumentation, et pouvoir ainsi mieux déconstruire les arguments qui leur sont opposés. Mais dans ce cas, me direz-vous, avons-nous besoin d’enseignement spécifique ? Tous ces enjeux ne sont-ils pas, d’une certaine façon, abordés par les enseignants, en Histoire, en sciences, en langues et en littérature ? Ils le sont, mais jamais de manière directe. On explique rarement comment se fabriquent les savoirs. Les connaissances. Quels sont les enjeux et les règles qui les régissent. Voilà pourquoi j’ai tenu à ce que deux enseignements soient mis en place : l’Enseignement Moral et Civique et l’Education aux Médias et à l’Information. Tout en convoquant des savoirs fondamentaux et des connaissances acquises dans d’autres cours, ils mettent l’accent sur des questions de citoyenneté, d’apprentissage et de pratique du débat, de connaissance des médias et de l’information.
Extrait du discours de Najat Vallaud-Belkacem du 09/02/2016 : Réagir face aux théories du complot

Attitudes développées par une éducation aux sciences (extrait du BOEN 2006 - Socle commun, p.12-14) : [...] faire comprendre aux élèves la distinction entre faits et hypothèses vérifiables d'une part, opinions et croyances d'autre part [...] le sens de l'observation ; la curiosité pour la découverte des causes des phénomènes naturels, l'imagination raisonnée, l'ouverture d'esprit ; l'esprit critique : distinction entre le prouvé, le probable ou l'incertain, la prédiction et la prévision, situation d'un résultat ou d'une information dans son contexte ; l'intérêt pour les progrès scientifiques et techniques ; la conscience des implications éthiques de ces changements ; l'observation des règles élémentaires de sécurité dans les domaines de la biologie, de la chimie et dans l'usage de l'électricité ; la responsabilité face à l'environnement, au monde vivant, à la santé.

PLAN DU COURS

A. Les représentations sociales des sciences
A1. Les représentations à propos des sciences en société et des sciences à l'école en particulier
A2. Les représentations des sciences à travers quelques enquêtes des années 1990
A3. Les représentations des sciences dans la presse quotidienne généraliste et les courriers des lecteurs
A4. Les représentations à propos de sciences dans la presse quotidienne spécialisée : l'année 2013 d'après les revues Nature et Science


B. La nature des sciences et le régime social des sciences modernes
B1. La sociologie des sciences selon Robert Merton (1938)
B2. La procédure de reconnaissance scientifique (Gingras, 2013) et la notion de champ et de capital scientifique (Bourdieu, 1997)
B3. La question de l'éthique scientifique à travers l'étude de controverses médiatisées
B4. Depuis les années 1930, les sciences entre une vision internaliste et une vision externaliste
B5. Le tournant socio-épistémologique des années 1970
B6. Le contrat social des sciences repensé depuis 1990


C. Les connaissances fondamentales en sciences en ce début de XXIe siècle
C1. Dix notions clés de sciences de la nature et de la matière
C2. Quelles notions clés en sciences humaines ?

D
. Aux origines de la période moderne : de 3500 AC à 1500 BC
D1. Les sciences mésopotamiennes et égyptiennes
D2. La période grecque et le début de la chrétienneté romaine
D3. La période médiévale : les sciences en Occident et en Orient


E. La révolution scientifique du XVIe et XVIIe siècle
E1. La remise en cause scientifique de l'héritage grec et la déshéllenisation du christianisme
E2.
Les observations astronomiques de Galilée et le début de la période moderne
E3.
Le XVIIe siècle : entre philosophie rationnelle et philosophie expérimentale

F. Au XVIIIe, la méthode scientifique à travers l'expérience, sans recours à l'hypothèse
F1. En France, des éloges pour la philosophie expérimentale des anglais
F2. Des défenseurs d'une troisième voie : la démarche expérimentale avec hypothèse !
F3. La critique de la raison pure (Kant)

G. XIXème siècle : le siècle de l'empirisme logique
G1. Quand l'empirisme anglais devient positivisme en Europe
G2. L'émergence de la philosophie et de l'histoire des sciences : vers une reconnaissance de la démarche hypothético-déductive
G3. Une révolution des sciences du vivant par l'hypothèse de la sélection naturelle (Charles Darwin)
G4. La signification des faits : réalité ou abstraction ?
G5. Claude Bernard et la démarche inductive
G6. Les controverses entre Berthelot-Pasteur (1879) et Pasteur-Pouchet sur la méthode scientifique
G7. En sciences humaines et sociales, une période de projets et d’impulsions

H . Cheminements au XXe siècle : les philosophes face à la science
H1. Une hyperspécialisation arborescente des champs de recherche
H2. Gaston Bachelard (1934) : la synthèse entre raison et expérience, entre rationalisme et réalisme
H3. Karl Popper (1938) : une progression par conjoncture et réfutation, un autre rapport à la connaissance
H4. Thomas Kuhn (1972) , Imre Lakatos : un dynamique des sciences inscrite dans des cadres mentaux d'une époque

H5. L'Affaire Sokal (1996-1997) ou la guerre des sciences

XXIe siècle : Vers un autre régime des sciences en société ?
1. Un appel au dialogue entre science et religions ?
2. Post modernisme et Post Normal Science : un nouveau régime des sciences en société ?
3. La revanche de l’anthropomorphisme et la question du rapport Homme-Nature
4. Quelles implications pour l'éducation aux sciences ?


« Aussi surprenant que cela puisse nous paraître, on peut édifier des temples et des palais, et même des cathédrales, creuser des canaux et bâtir des ponts, développer la métallurgie et la céramique, sans posséder de savoir scientifique - ou en n'en possédant que les rudiments. » La science n'est pas nécessaire : n'exagérons pas son rôle historique. On voit quel intérêt celui qui n'est pas un simple technicien rentable trouve en l'histoire de la science : situer son modernisme à travers les révolutions qui ont secoué et secouent le monde scientifique, le situer dans l'unité de la pensée humaine. Ces Études d'histoire de la pensée scientifique sont donc, elles aussi, des Études de la pensée philosophique.

Koyré, A. (1985). Études d'histoire de la pensée scientifique. Ed. Gallimard, 420 pages.

Les connaissances scientifiques sont caractérisées par une volonté d'explication rationnelle, par un souci d'appuyer la validité de ce que l'on tenait pour vrai soit par la démonstration, soit par la mise à lépreuve dans la discusiion et la critique - ce qu'Aristote nommait la dialectique -, soit encore par l'expérience eet, plus tard, par l'expérimentation [...] Faire de l'histoire des sciences, ce sera donc aussi faire l'histoire des relations d'emprunt, de contamination, d'exclusion, de conflit, etc., que n'ont cessé d'entretenir ces savoirs, soucieux qu'ils étaient de valiation rationnelle avec d'autres formes de savoirs, de croyances, de convictions.(p.13).

Yves Gingras, Peter Keating et Camille Limoges (2009). Du scribe au savant. Les porteurs du savoir de l'Antiquité à la révolution industrielle. Montréal, Les Éditions du Boréal (« Boréal compact » 105). 361 pages.

METHODES PEDAGOGIQUES :


We propose a socioscientific issue framework wherein students are confronted with real world science with the capacity to engage, inspire the contemplation of content and evidence and, [...] challenge ill-structured or conflicting beliefs.

These tasks may be accomplish by :

  • highlighting the significance of argumentation in scientific and socioscientific contexts,
  • providing opportunities for students to engage in these argumentation practices,
  • emphasizing the connections between science and morality especially with respect to SSI,
  • scaffolding students efforts to engage in critical reflection of their own positions and argument patterns as well as those of their peers
Zeidler, D.L., and Sadler, T.D. (2008). The Role of Moral Reasoning in Argumentation: Conscience, Character, and Care. In S.Erduran & M.Pilar Jimenez-Aleixandre (Eds.), Argumentation in science education: Perspectives from classroom-based research (pp. 201–216). New York: Springer Press.

CONSEILS BIBLIOGRAPHIQUES


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A. Représentations des sciences modernes à travers leurs médiatisations

A1. Les représentations à propos des sciences en société et des sciences à l'école en particulier

voir enquête réalisée le 20 janvier 2014 (deuxième vague : janvier 2015) à l'université Lyon 2 auprès de 148 étudiants de Licence 2 sociologie, psychologie et/ou sciences de l'éducation : Students' attitudes towards science, Urgelli, 2014.

A2. Les représentations des sciences à travers quelques enquêtes des années 1990

Contexte socioscientifique et éducatif des années 1990 : La Main à la pâte, la réforme Allègre de l'enseignement des sciences au lycée, en France et aux USA (Project 2061, science for all american, AAAS) :

Dans les années 1990, les gouvernements occidentaux s'inquiètent d'une désaffection des filières scientifiques : de moins en moins d'élèves veulent faire une carrière en sciences expérimentales. D'après les statistiques récentes de l'Education Nationale, sur 100 élèves de seconde, les 65% ne feront pas de filière scientifiques.
En 1997, avec l'arrivée de Claude Allègre au ministère de l'Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie dans le gouvernement Lionel Jospin,
une reforme sur l'enseignement des sciences au lycée est lancée, et les décideurs se tournent vers les USA pour voir ce que cette puissance a proposé, notamment par l'intermédiatie de l'AAAS et de l'académie des sciences américaine (NSA), notamment pour l'enseignement des sciences dans le primaire.

Parallèlement, le CNRS conduit des enquêtes pour caractériser l'image des sciences en société : enquête quantitative, couplée a des études qualitatives de Suzanne De Cheveigné et Daniel Boy (Les attentes des publics vis à vis des sciences, 2000). Les constats sont sévères et comparés aux résultats depuis 1970, les citoyens interrogés considèrent de plus en plus que les sciences apportent autant de bien que de mal (5 % disent plus de mal que de bien), alors que de moins en moins de citoyens conisdèrent que la science apporte plus de bien que de mal (30-35 %). Une demande de plus en plus forte de la part des publics de compréhension et d'intervention dans l'activité scientifique (pourquoi ce programme de recherche, quels sont les intérêts personnels des acteurs, qui finance le programme, et demande de mise à disposition de tous les résultats scientifiques produits. Le contrat social (Gingras, 2013) entre les scientifiques et la société semble remis en question.

Ces enquêtes révèlent également que les publics interrogés ne savent pas définir la pratique scientifique et manque de connaissances sur l'épistémologie des sciences alors que certaines personnes dans la population interrogée ont un niveau d'études équivalent à bac +3 ou même +5. Dans leur formation, il est probable que la question de "qu'est ce que c'est exactement les sciences" n'a pas été ou mal posé.

En 1998, Philippe Meirieu reçoit la mission du ministère Allègre de conduire une enquête par questionnaire (plus de 1 million de questionnaire) pour comprendre « quels savoirs enseignés au lycée ». Les adolescents critiquent les contenus et les pratiques pédagogiques. Ce constat oriente la réforme de l'ensiegnement des sciences au lycée, à la recherche de nouvelles pratiques pédagogiques donnant plus de sens aux sciences, pour tous les élèves. elle conduire à l'introduction des TPE et d'une demande explicite d'interdisciplinarité. En sciences de la vie et de la Terre, les questions socialement vives font leur entrée (questions de santé, d'environnement et d'astronomie), en lien avec l'actualité des sciences médiatisées. On demande aux enseignants de lycée de s'appuyer sur les sciences en train de se faire, pour faire comprendre les enjuex contemporains des sciences et comprendre les implications sociales de questions scientifiques. On demande de lâcher un peu sur ce que les élèves et certains chercheurs appellent les savoirs monumentaux dont le sens originel est imperceptible pour les élèves.

Le besoin de comprendre la nature des sciences, en lien avec leur vie quotidienne et la demande d'une padagogie plus adaptée se manisfesteront également dans d'autres enquêtes en Europe (Osborne, J. (2003). Students attitudes towards sciences. International Journal of Science Education, vol. 25, n°9, 1049–1079) et aux USA (Science for all americans, AAAS, 1990).  Aux USA, les nouveaux standards de l'éducation scientifique conduisent à l'introduction en 2010 d'un enseignement sur la nature des sciences. Du primaire au secondaire, on y parle des méthodes et des valeurs de l'entreprise scientifique, de ses relations avec la société, d'histoire moderne des sciences (depuis le XVIIe siècle), et, à travers elle, de l'histoire des sociétés.

A3. Les représentations des sciences dans la presse quotidienne généraliste et les courriers des lecteurs

TD1 : Article Naissance de moutons génétiquement modifiés phosphorescents en Uruguay (Le Monde.fr, Sciences, 25 avril 2013).


Source : le blog d'Alain Prunier (2013)


Un mouton phosphorescent né en Uruguay dont l'ADN a été génétiquement modifié.
Source : AFP/JAVIER CALVELO

Activité
Q1. Quelles sont les connaissances en jeu et leur sens social ?
Q2. Quel
est positionnement du journaliste ?
Q3.
En vous appuyant sur l'analyse des 40 réactions d'internautes sur le forum suivant l'article, quels sont les débats que suscite ce travail scientifique mis en réfcit par le journaliste ?

Débats socioscientifiques : Le sens de l'activité scientifique et les droits à expérimenter sur l'animal sont questionnés par les intermautes. Pourquoi le lapin, le mouton ? Idée de transférer les techniques à l'espèce humain, entre mammifères. Quel intérêt pour l'humain ? Apparemment pourrait permettre de travailler sur le diabète, la fluorescence permettant un marquage génétique des cellules et donc le suivi de l'introduction d'un gène nouveau dans un être vivant. S'il y a fluorescence, le gène a été efficacement transféré dans les cellules de l'organisme. La perspective est donc de la thérapie génique. Mais cette approche pose la question du droit et de la nécessité du test sur l'animal. Il y a donc un débat socioscientifique qui articule des connaissances scientifiques et des valeurs, plus ou moins explicitement visible dans l'article, et plus clairement dans les forums. Dans les forums, on peut cerner des familles d'interrogations éthiques et de représentations sociales mais attention toutes n'apparaissent pas en fonction du profil des internautes qui réagissent et de la gestion du forum par le journaliste.

TD2 : Article Doit-on ressusciter les espèces disparues ? Pierre Barthélémy (07 avril 2013)

Activité :
Q1 : Repérer dans l'article ce qui est de l'ordre des connaissances et de ce qui est de l'ordre des valeurs.
Q2. Quels débats suscitent la dé-extinction d'espèces disparues ?
Q3. Quelle est la position du journaliste ?
Q4. Lire les 40 réactions des internautes pour cartographier les contenus des débats sur la dé-extinction.

Débats socioscientifiques : Ici encore des réactions à propos de connaissances scientifiques mais aussi des valeurs en débat. Par exemple, en refaisant vivre une espèce, on ne sait pas trop les conséquences sur les autres espèces vivantes et pour l'espèce resuscitée aussi. L'idée d'une activité scientifique pour assouvir une forme de curiosité est ici présente. Pour certains, la technique permettrait également de déculpabiliser l'Homme lorsqu'il a été directement impliqué dans la disparition d'une espèce. Ceux qui défendent la dé-extinction y voient une solution pour réparer les erreurs du passé (extermination d'une espèce) ; d'autres considèrent que cette possibilité technoscientifique est dans la continuité de l'emprise de l'Homme sur la nature et sa tendance à toujours repousser les limites vis à vis de la nature. Ceux qui se disent opposer soutiennent l'idée que la nature n'appartient pas à l'Homme et qu'il ne dispose d'aucun droit vis à vis des autres espèces, et pas celui de modifier la biodiversité comme il l'entend. Ces débats questionnent donc le rapport de l'homme à la nature, avec une valeur et une éthique plus ou moins partagée. Ce qui orientent ici le positionnement des internautes n'est pas une question de connaissances (peut-on résusciter une espèce ?) mais bien une question de valeurs (doit-on résusciter une espèce ?) et de vision du rapport de l'homme à la nature.

Nous évoquerons cette évolution des représentations Homme-Nature lors de notre sortie au Parc Zoologique de Lyon sur le sens de la captivité animale.

Depuis les années 1990, dans les sociétés occidentales, la montée et la structuration des associations de protection des animaux se fondent sur une vision de plus en plus socialement partagée de ce rapport homme-nature : l'homme n'a pas à traiter les autres espèces différemment de lui même. Ces courants ont infuencé et influencent encore les pratiques scientifiques, notamment sur l’expérimentation animale. Des comités socioscientifiques ont été constitués pour établir des règles d'expérimentaiton animale et d'élevage d'animaux de laboratoire.

Ces débats montrent aussi qu'au cours du temps, si les sciences influencent la société, la société (ou plutot les sociétés !), elle(s) aussi, à travers la définition de valeurs et de normes partagés, exerce un contrôle sur l'entreprise scientifique, notamment par une demande d'évolutions des pratiques. Ces normes et ces valeurs se fondent sur un rapport particulier de l'Homme occidental à la nature et à l'environnement. Ces débats sur le rapport de l'Homme à la nature sont donc très anciens et continuent à être un facteur explicatif de la dynamique des sciences en sociétés.

A partir des années 1990, l'histoire fera rentrer les sciences dans un autre régime social. Tout en admettant l'existence d'une dimension socio-culturelle dans les pratiques scientifiques, la parole scientifique perd une partie de son autorité et on revendique progressivement le droit de citer et d'agir sur la base d'une expertise citoyenne, en complément ou en oppostion à l'expertise scientifique (exemple du bien être des animaux par exemple, voir TD).

A4. Les représentations à propos de sciences dans la presse quotidienne spécialisée : l'année 2013 d'après les revues Nature et Science

Si l'on tente de catégoriser les actualités scientifiques de l'année 2013 dans les deux plus grandes revues internationales de sciences, Science et Nature, 4 domaines d'investigation technoscientifique mondiale se dessinent et pour chacun d'eux, on peut dresser l'état des avancées et les perspectives à venir mais également, plus ou moins explicitement, les questions éthiques associées.

2013 Review of the Year : Shutdowns, lethal viruses, typhoons and meteorites — much of this year’s science news seemed to come straight from the set of a Hollywood disaster movie. But there were plenty of feel-good moments, too. Space exploration hit a new high, cash poured in to investigate that most cryptic of human organs, the brain, and huge leaps were made in stem-cell therapies and the treatment of HIV. Here, captured in soundbites, statistics and summaries, is everything you need to know about the science that mattered in 2013.




A partir d'une culture cellulaire, cette technique permet de produire les couches profondes de la peau.
Reportage France 3, avec les interviews de Christophe Marquette (Responsable 3dfab Université Lyon 1 - CNRS) et Amélie Thépot (PDG Labskin Créations)

 

  • Médecine et santé : tout ce qui concerne réparation et production d'organes artificiels (coeur artificiel, imprimante 3D d'organes, dont la peau reconstituée par une équipe de Lyon 1, janvier 2016), chirurgie génique réparatrice, mais aussi la possibilité de prendre des cellules souches d'embryons humains pour les injecter aux personnes souffrant de pathologie et reconstituer des organes défaillant (exemple des recherches pour redonner la vue) ; c'est aussi les perspectives de thérapie génique utilisant des virus. Les neurosciences également avec la capacité à comprendre le fonctionnement de notre cerveau, avec des outils de plus en plus performants, pousssant l'investigation jusqu'à l'échelle inter-neuronale, dans l'espoir de comprendre les maladies neurodégénératives mais également les mécanismes de la pensée ou du sommeil.


Q1. Selon vous, quels sont les débats socioscientifiques qui accompagnent la médiatisation de ces 4 grandes familles de travaux scientifiques  ?

Q2. A partir de la revue CNRS en ligne de janvier 2016 et l'article "2015, une année de science" d'Anne-Sophie Boutaud (29.12.2015), raffiner la catégorisation précédente issue de l'analyse de la médiation des sciences par Science et Nature.

B. La Nature des Sciences (NoS) : des pratiques entre connaissances et valeurs


Photographie en couleur de la première explosion nucléaire lors de l'essai Trinity le 16 juillet 1945 au Nouveau-Mexique

Depuis les années 30, la sociologie des sciences qui commence aux USA prend progessivement sa légitimité avec un contexte politique particulier : celui de la montée du fascisme et nazisme, avec l'idée qu'il existerait un race supérieure. Les sciences génétiques sont instrumentalisées pour porter une idéologie.

Robert MERTON, dans Sociology of science (1938), pose ainsi la question des liens entre science et démocratie. Son approche vise à montrer que l’éthique des scientifiques est une éthique démocratique, différente d'une idéologie, avec l'idée que la "bonne" science et donc la "vraie" science serait désintéressée. Il s'intéresse aux institutions, aux normes et aux valeurs qui orientent l'activité scientifique. Cette sociologie s'intéresse aux conditions d'existence de la rationalité et d ela méthode scientifique.

Après la seconde guerre mondiale, on réalise que le projet Manhattan (nom de code du projet de recherche mené par les États-Unis avec la participation du Royaume-Uni et du Canada et qui produisit la première bombe atomique en 1945) remet en cause cette valeur mertonnienne d'une science désintéressée. On s'interroge alors sur les motivations des scientifiques et les déterminants sociaux de la dynamique des sciences.

A partir des années 1970, les science studies s'intéressent au fonctionnement des laboratoires et tentent de montrer que l'activité scientifique est une activité sociale particulière, subissant des pressions externes, notamment pour obtenir à la fois des résultats "utiles" et une reconnaissance socioscientifique (Gingras, 2013). Les scientifiques sont des citoyens qui ont à faire, comme tous les citoyens, des choix, en se référant à des valeurs sociales et culturelles plus ou moins partagées. Le regard relativiste sur les sciences commence à inquiéter les communautés de scientifiques de la nature.

Dans les années 1990, la guerre des sciences entre rationalistes et relativistes, entre sciences expérimentales et sciences humaines et sociales, à travers l'affaire Sokal (voir TD), conduira à interroger ce que l'on entend par la pensée et la méthode scientifique d'un point de vue sociologique et philosophique.

La question est donc de savoir quelles sont les valeurs qui orientent les pratiques scientifiques modernes ?

Proposition d'une définition des valeurs : un principe qui nous dirige nos actions, un idéal qui nous pousse à agir d'une façon plutôt qu'une autre, indépendamment des connaissances (Urgelli, 2014, d'après Molinatti, 2010). La valeur peut être déterminante par rapport à la connaissance lors d'une prise de décision (Simonneaux, 2005). Dans les controverses socioscientifiques, comme nous l'avons vu dans l'analyse des courriers de lecteurs, et comme le montre également Guillo (2009) dans son enquete sur les représentations des français vis à vis de la théorie de l'évolution, les argumentaires montrent souvent des jeux d'acteurs et d'arguments qui articulent des connaissances et des valeurs, des rapports de force, vers une recherche de légitimité et de mobilisation des publics.

B1. La sociologie des sciences selon Merton

A partir de l'histoire des sciences modernes depuis le 17eme, les travaux de Merton (1938) cherchent à mettre en évidence les valeurs qui ont fondé l'activité scientifique et notamment la mise en place de son autonomie sociale. Nous y reviendrons lors de notre parcours d'histoire de sciences et des sociétés. Retenons simplement que depuis le 17ème siècle, les sciences s'affichent socialement comme la seule entreprise capable de produire des connaissances objectives, pouvant éclairer, assister, voire guider les choix politiques et sociaux. Les sciences prennent alors une forme sociale sur certains sujets. C'est cette vision des sciences qui sera remise en cause après la seconde guerre mondiale, mais surtout à partir des années 1990, avec les mouvements relativistes qui revendiquent le fait qu'une société ne peut pas évoluer et faire des choix uniquement sur la base des connaissances scientifiques supposées objectives, contre le positivisme et le scientisme du 19e et 20e siècle..

Pour Robert Merton,
l'ETHOS scientifique est l'ensemble des caractères et des normes cadrant plus ou moins explicitement l'activité des membres de la communauté scientifique. Merton en distingue 4 :

  1. Le Communalisme : « j'appartiens à 1 communauté mais les connaissances que je produis appartiennent à la communauté, quelque soit l'origine ethnique et politique »
  2. L'Universalisme : « Les connaissances que je produis sont indépendantes de ma personne et sont universelles, quelque soit la nationalité. »
  3. Le Désintéressement : « Etre humble, ne pas penser à ma carrière, la production de connaissances objectives et originales est mon seul but »
  4. Le Scepticisme Organisé : c'est une méthode de travail et une attitude de doute sur mes propres observations. Ce travail de doute est organisée au sein de la communauté scientifique à travers l'acceptation d'une soumission à la critique collective.

Le CUDOS est un modèle fonctionnaliste intéressant mais idéaliste et insuffisant car des dimensions socioscientifiques interviennent à travers la recherche de reconnaissance sociale, scientifique et collective, mais aussi politique et institutionnelle. Notons que s'il y a un contrat entre le laboratoire de recherche et une industrie (pharmaceutique ou militaire par exemple), les normes d'universalité et du communalisme ne s'appliquent plus car il y a des enjeux économiques et politiques associés à l'avancée de l'entreprise scientifique et technique. La lettre des 400 ou l'affaire Hwang (voir les deux TD) témoignent des forces et des faiblesses des normes identifiées par Merton, et notamment à travers la recherche par les scientifiques de reconnaissance et de crédibilité scientifique, politique, sociale et institutionnelle.

Il faut donc porter un autre regard sur l'activité scientifique, un regard qui considère les sciences comme une pratique socialisée et non déshumanisée, sans tomber dans un relativisme qui considérerait qu'il s'agit d'une pratique sociale comme une autre. Nous considérerons que l'activité scientifique est une entreprise humaine avec une spécificité de normes et de valeurs.

B2. La procédure de reconnaissance scientifique (d'après Gingras, 2013) et la notion de champ scientifique et de capital scientifique (Bourdieu, 1997).

Cette procédure peut être représentée sous la forme d'un cycle lent, entre 3 et 5 ans, à tendance spiralaire :


Cycle de production et de reproduction de la recherche et de la reconnaissance scientifiques.
In Gingras, Y. (2013). Sociologie des sciences.
Que sais-je.
Éditeur : Presses Universitaires de France. p.66.
  • - Recherches
  • - Ecriture d'un article à partir de ces recherches
  • - Envoi à une revue scientifique, par processus de soumission. Le choix de la revue se fait selon sa spécialité et son impact par rapport au nombre de lecteurs (Impact factor), ce qui donne une reconnaissance scientifique à l'article, plus ou moins forte, à travers l'index de citation (Science Citation Index, créé en 1960).
  • - Lecture par les pairs pour évaluation. C'est le processus de « peer-review ». Les critères d'évaluation sont le respect de l'éthique scientifique, la rigueur des hypothèses, des méthodes, de la récolte des données, ainsi que l'analyse et l'interprétation, la pertinence et l'originalité du travail, le style d'écriture, mais aussi la connaissance et la culture du champ (état actuel des connaissances sur le sujet).
  • . Si refus, il y a un retour à ses recherches
  • - Si validation et acceptation, il y a publication donc reconnaissance scientifique et institutionnelle, voire sociale et politique par les prix  (le Nobel notamment),
  • - Obtention de ressources (humaines, techniques et financières) pour développer les recherches

Mais encore une fois, comme dans tout système humain, il y a des risques de déviance par...

Voir aussi : Gingras, Y. (2014). Faire de la sociologie des sciences avec un marteau ? Science et éthique en action. Propos recueillis par Lamy Jérôme et Saint-Martin Arnaud. Revue Savoir/Agir, vol. 1, n° 27 , p. 71-84.

Voir aussi Bourdieu, P. (1997). Les usages sociaux de la science. Editions INRA. Il définie la notion de champ scientifique, comme espace d'affrontement entre deux formes de pouvoir : le capital scientifique social (lié à l'occupation de positions iminentes dans l'institution) et un capital scientifique spécifique qui repose sur la reconnaissance par les pairs et est donc soumis à contestation, y compris au sein de leur propre institution.

B3. La question de l'éthique scientifique à travers l'étude de controverses médiatisées

Q : Quelles sont les logiques qui peuvent expliquer la transgression de l'éthique scientifique, sur la base des articles ci-dessus du Journal du CNRS (2014).

Pour identifier les valeurs à l'oeuvre dans le fonctionnement des sciences, d'un point de vue théorique et méthodique, les sociologues (Callon et Latour, 1991 par exemple) estiment que l'étude des controverses permet de voir des jeux d'acteurs et d'arguments qui articulent des connaissances et des valeurs à propos de sciences. On identifie également des stratégies de communication inscrite dans des logiques de recherche de la reconnaissance socioscientifique et politique, visant donc à augmenter son capital scientifique (Bourdieu, 1997).

TD : Etude d'une controverse récente sur le réchauffement climatique d'origine anthropique

Quelles sont les valeurs que défendent les scientifiques à travers ce débat sur la responsabilité de l'homme dans les changements climatiques récents ?
- des équipes qui pensent que l'homme est responsable, et d'autres, climatosceptiques, qui pensent que le soleil est responsable. Si on adhère a l'une ou l'autre des théories on a donc une vision sociale différente de la responsabilité écologique et l'argumentation scientifique permet d'appuyer l'un ou l'autre de ces visions.
Si on pense, et on démontre, que l'homme n'est pas responsable, l'idée que la nature est plus forte que l'homme se trouve appuyer scientifiquement et l'action politique pour ne pas diminuer nos émissions de gaz a effet de serre se justifie.


La Recherche - décembre 2008


La Recherche - décembre 2008
Soleil et Climat : la polémique
ARTICLE 1 : NAOMI ORESKES : « Un discours simpliste et conservateur »
Propos recueillis par Yves Sciama dans mensuel n°425, page 44

La Recherche - février 2009
Rubrique courrier - dans mensuel n°427, page 6
ARTICLE 2 : La réaction de Vincent Courtillot et de Henri Rème
« Un discours simpliste et conservateur » : Réponse de Naomi Oreskes

La Recherche - février 2009
Rubrique courrier - dans mensuel n°427, page 6

ARTICLE 3 : Réchauffement : le rôle du Soleil : courrier de Claude Allègre
La réponse de La Recherche

Q1. Identifier les connaissances et les valeurs qui orientent le positionnement de la scientifique américaine interrogée en 2008 dans le magazine La Recherche au sujet de la controverse sur l'origine du réchauffement climatique.
Q2 : Quelles sont celles qui orientent les climatosceptiques (C. Allègre et V.Courtillot) répondant à cet article dans le courrier des lecteurs du magazine La Recherche de janvier 2009.

Elements de réponses : Pour se défendre, Allègre et Courtillot font un contre argumentaire dans le courrier des lecteurs de La Recherche, dans lequel Allègre précise qu'en science, le doute est une attitude fondamentale, et donc les climatologues devraient faire des déclarations plus nuancées sur la responsabilité de l'Homme dans l'évolution climatique récente. Il revendique donc le droit au doute et au scepticisme, selon lui aux fondements de l'activité et de la pensée scientifique. Lorsqu'on communique avec la société, il faudrait donc toujours le faire sur le registre de la prudence et de la nuance, et non sur le registre de la certitude. Pour Allègre, les climatologues ne seraient plus dans cette éthique scientifique lorsqu'ils communiquent sur les sciences du climat.

TD : Quel contrat social pour les sciences du climat ?

La lettre ouverte des 400 climatologues
29 mars 2010

Le monde du climat vire Allègre
Libération, 1 avril 2010 à 00:00, Par Sylvestre Huet

Plus de 400 climatologues en appellent à la ministre
Le Monde, 01.04.2010 à 15h18, par Stéphane Foucart

Climat : l'Académie des sciences va organiser un débat
Le Figaro, Mis à jour le 01/04/2010 à 21:56, Publié le 02/04/2010 à 21:55, par Marielle Court

Q1: Quelles sont les motivations des auteurs de cette lettre ouverte ?
Q2 : Dans la lettre à la Ministre, quelle est le contrat des sciences avec la société que les rédacteurs craignent de perdre dans cette affaire ?

Contexte de la Lettre ouverte : Claude Allègre publie en février 2010 un livre populaire affirmant que le réchauffement d'origine anthropique est une imposture scientifique. Pouvoir dire que l'homme est responsable du changement climatique, sur la base de modélisations n'est pas possible, d'autant plus que les sciences ne sont même pas capables de prévoir le temps qu'il va faire demain. 600 climatologues lancent alors un appel à la Ministre pour qu'elle légitime les sciences du climat contre les affirmations discréditantes et médiatisées de Claude Allègre. Politiquement, àcette même époque, Allègre serait pressenti par Sarkozy pour qu'il prenne à nouveau en charge le ministère de la recherche scientifique.
Eléments de réponses : Pour les climatologues auteurs de cette lettre, publier un livre n'est pas considéré comme une publication dans les standards scientifiques : pas de relecture critique par d'autres scientifiques, par des climatologues, par les pairs. On lui reproche même d'avoir falsifié des courbes, d'utiliser des données non vérifiées ou non actualisées. Allègre aurait rompu le
pacte moral qui lie les scientifiques et la société. Quel est ce pacte ? Toutes les connaissances produites par le scientifique et médiatisées doivent être soumises aux règles de l'éthique et de la validation scientifique avant d'être médiatisées, ce qu'Allègre n'aurait pas respecté dans l'Imposture climatique (février 2010).
Les auteurs demandent à la ministre de reconnaître publiquement que la climatologie est une science légitime pour expertiser l'évolution du climatique, par le fait qu'elle respecte les règles d'une éthique professionnelle. Cette éthique, précisent les climatologues, comprend la rigueur dans l'analyse des données et les interprétations, les publications dans les régles scientifiques, avec vérification des données et processus de relecture critique entre les pairs. Ils reconnaissent que tout scientifique peut se tromper mais doit reconnaître ses erreurs. Les grandes valeurs de la pratique scientifique moderne sont annoncées. Et ce sont ces valeurs qui font la crédibilité sociale des scientiques.

Remarque : pourquoi certains scientifiques communiqueraient socialement sur le registre de la certitude  ? Pourquoi certains passeraient au delà de l'éthique scientifique ?
Pour mobiliser des citoyens, certains médiateurs de sciences disent qu'il faut faire peur et ne pas semer le doute, pourqu'ils réagissent (voir Yann Arthus Bertrand, durant sa campagne médiatique à la fin 2006). Mais il y a dans cette vision de la communication scientifique une prise de risque, un risque de discrédit social si les certitudes venaient à être remises en question scientifiquement. Par ailleurs, une communication sur le registre de la certitude, de la peur et du catastrophisme risque de désensibiliser les citoyens : « l'environnement, ça commence à bien faire » disent certains élèves à partir de 2010. C'est donc une question de représentations des publics, considérés comme des individus naifs, ignorants et conditionnables qui pousseraient certains médiateurs à déformer les discours scientifiques à des fins politiques.

TD L'Affaire Hwang Woo-Suk : l'histoire d'un Cloningate

Voir le reportage du JT de 20 heures France 2 du 25 déc. 2005 (durée : 01min 46s)
En Corée du sud, le professeur HWANG Woo Suk avait produit des embryons humains clonés, suscitant d'immenses espoirs. Il a reconnu avoir triché, a présenté ses excuses et sa démission. Source INA.fr


Couverture du magazine hebdomadaire Time
06 janvier 2006

Q1 : En utilisant les récits médiatiques des quotidiens Métro et 20minutes, reconstituez l'histoire de cette affaire entre 2005 à 2013.
Q2 : Quelles sont les principes éthiques que le scientifique aurait transgressé ? Pour quelles raisons selon vous ?
Q3. Quelles faiblesses du système de reconnaissance scientifique met en évidence cette affaire ? Quelles conséquences sur le fonctionnement des sciences ?

Elements de réponses : Ce vétérinaire sud coréen est connu pour avoir cloné des mammifères comme le chien. Il affirme dans Science en 2005 avoir cloné plusieurs embryons humains. Exilé d'abord en Thailande puis en Russie, il affirme à présent être sur le point de cloner un mammouth (2013).
Son article lui a permis d'obtenir une reconnaissance scientifique nationale et internationale associée à l'espoir de clonage thérapeutique. Il deviendra une idole dans son pays, avant une chute vertigineuse. Il n'aurait pas pris des ovules de femmes donneuses bénévoles et aurait demander à de jeunes chercheusesde donner leurs ovules contre. rémunération. Les régles bioéthiques ont été ainsi transgressées, avec la marchandisation des ovules. Il est également accusé d'avoir falsifié certains des résultats publiés.
Cette affaire démontre que le peer-review est un processus d'expertise humaine et qu'il n'est donc pas infaillible. Il se fonde aussi en partie sur la confiance envers les pairs. Même s'il y a validation et publication, l'universalisation des résultats conduit inévitablement à des vérifications des résultats et des méthodes par d'autres équipes engagées sur les mêmes questions de recherche. Depuis l'affaire Hwang, la revue Science a renforcé son équipe de reviewers, mais il n'empêche que le processus reste toujours faillible et se fonde avant tout sur la probité intellectuelle des chercheurs. L'exil du chercheur dans d'autres pays asiatiques afin de continuer son activité de recherche montre les limites de la dimension universelle de la pratique scientifique. L'application de cette norme supposerait une cessation d'activité complète pour Hwang, quelque soit le pays de refuge du chercheur.

Bibliographie : Article de Chneiweiss, H. (2006). Cloningate ? La publication scientifique et le clonage thérapeutique face à la mystification Hwang. M/S : médecine sciences, Volume 22, numéro 2, février 2006, p. 218-222.

Cet exemple montre aussi que l'éthique scientifique n'est pas universelle et qu'elle évolue au cours de temps et en fonction des cultures (en Occident et en Asie par exemple). La mondialisation des pratiques scientifiques et des questions de recherche tend à faire évoluer les principes éthiques, notamment vis à vis du clonage en général, et du clonage humain en particulier (voir TD sur le BGI en Chine), mais aussi de l'expérimentation animale (notamment sur les chimpanzés, voir TD).

TD : Contrôler le génome. Une ambition sans limites ?


Reportage ARTE d'une durée de 53 min

voir aussi la vidéo du BGI (2min57)
Cloning pig in scale to advance medical studies

À Shenzhen, aux portes de Hong Kong, l’entreprise privée BGI (Beijing Genomics Institute) est le plus grand centre de recherche génétique au monde, tant en personnel (quelque quatre mille salariés) qu’en moyens techniques (plus de cent cinquante séquenceurs d’ADN aujourd’hui). Son objectif, pleinement assumé, et soutenu massivement par le gouvernement : se hisser à la pointe de la recherche mondiale sur le génome pour faire bénéficier le public, tout au moins celui qui est solvable, de ses progrès. C’est ainsi qu’à la tête de l’unité de recherche de génomique cognitive, Zhao Bowen (21 ans) tente de découvrir les gènes associés à l’intelligence dans l’espoir de permettre bientôt aux parents de pouvoir "manipuler le QI" de leur progéniture. Au sein de la BGI Ark Biotechnology, une autre branche ainsi baptisée en référence à l’arche de Noé, sa consoeur Lin Lin montre fièrement aux visiteurs étrangers les batteries de porcelets clonés qu’elle a fabriqués "de ses propres mains". Passionnés par leur travail, conscients de pouvoir surmonter des obstacles que des freins économiques et déontologiques rendent impossibles à franchir dans d’autres pays, et persuadés d’œuvrer pour le bien commun, ces chercheurs nouvelle génération se sont laissés filmer avec bonne grâce.
Sans commentaires ni dénonciation, Bregtje van der Haak montre combien ce futur façonné par la technologie, où le marché pourrait offrir aux consommateurs une forme d’eugénisme "ordinaire", a cessé de relever de la science-fiction.

voir aussi : Gauthier, U.(2014). Comment la Chine fabrique ses futurs génies. Le Nouvel Observateur, Rubrique Monde, 13 janvier 2014.
.... et les réactions associées des internautes !

Q1 : Analyser les positionnements éthiques des internautes ayant commenté le reportage sur le site d'ARTE.
Q2 : Ces positions vous semblent-elles diverses ? Sur quels points ?
Q3 : A quelles représentations des relations entre l'Homme et la Nature vous semblent-elles associées ?
Q4 : Argumenter votre position.

TD L'affaire de la fabrication d'un virus de la grippe aviaire mutant et mortel pour l'Homme (décembre 2011 à janvier 2013)


Revue de presse Le Monde
  • La création d'un supervirus fait polémique, Le Monde | 8 décembre 2011
  • "Science" et "Nature" s'interrogent sur la publication de travaux sur un virus mortel, Le Monde.fr | 20 décembre 2011
  • Virus mutant : des scientifiques mettent en garde contre la censure, LEMONDE.FR | 21 décembre 2011
  • Travaux sur un supervirus mutant : publication en suspens, LE MONDE | 23 décembre 2011
  • Virus mutant : les chercheurs cessent leurs travaux temporairement LEMONDE.FR | 20 janvier 2012
  • Les recherches sur le « supervirus » grippal sont suspendues LE MONDE | 24 janvier 2012
  • « Supervirus » : pour les chercheurs, une pause s'impose LE MONDE | 28 janvier 2012
  • La science doit-elle se censurer face à la menace bioterroriste ? LEMONDE.FR | 16 février 2012
  • Les publications sur les mutations du H5N1 sont gelées LEMONDE.FR | 18 février 2012
  • Les « supervirus » H5N1 mutants pas si meurtriers LE MONDE | 7 avril 2012
  • La recette d'un « supervirus » H5N1 est publiée LE MONDE | 5 mai 2012 |
  • Supervirus H5N1 : les secrets de fabrication du mutant dévoilés, Le Monde, Science et Techno - 21/06/2012
  • Controverse sur le supervirus H5N1 LE MONDE | 29 décembre 2012
  • Fin du moratoire sur le supervirus H5N1 LE MONDE | 26 janvier 2013

Q1 : En utilisant le récit médiatique des quotidiens Métro et 20minutes, reconstituez cette affaire entre 2011 à 2014.
Q2 : Quelles sont les normes scientifiques qui sont questionnées ?
Q3 : Comment expliquer l'évolution des positions scientifiques au cours de cette affaire ?
Q4 : Que nous apprend cette affaire sur les liens entre sciences et société ?

B4. Depuis les années 1930, les sciences entre une vision internaliste et une vision externaliste
(voir partie H pour plus de détails...)

Finalement, on peut simplifier en distinguant deux visions extrêmes de la pratique scientifique : soit les déterminants sociaux auraient prioritairement une influence sur les sciences, soit ce sont plutôt les déterminants cognitifs qui orientent des pratiques scientifiques visant à développer de nouvelles connaissances (vision plutôt bachelardienne). Nous évoquerons la diversité des approches sociologiques entre ces deux extrêmes, en passant aussi par Thomas Kuhn (1962) puis l'arrivée du relativisme américain et des science studies qui activera régulièrement une guerre des sciences.

En France, et dans son système éducatif et de formation des scientifiques, domine une vision plutot internaliste des sciences, héritée des travaux de Bachelard et de Popper, dont nous parlerons dans le parcours historique qui suivra. Notons cependant qu'on s'accorde généralement à considérer que l'activité des sciences est une activité visant la modélisation du réel:

Les pratiques et les valeurs qui fondent des sciences pour Bachelard (celles transmises d'ailleurs actuellement dans la plupart des systèmes éducatifs) :
- scepticisme
- imagination, curiosité
- ouverture à de nouvelles idées
- vérification des données et observations
- tester rigoureux des hypothèses et contruction de modèles

Comme avec Popper, Bachelard s'intéresse donc à la méthode scientifique et tous deux défendent une démarche rationnelle en rupture avec les idées premières. Pour Bachelard, les scientifiques seraient les travailleurs de la preuve, entre subjectivité et objectivation.

 

Le modèle est une représentation du monde que les scientifiques essayent de valider, de raffiner, c'est une représentation évolutive de la réalité. Elle possède une fonction prédictive essentielle qui en fait sa force et sa faiblesse (voir le programme de Première S et l'histoire du modèle de la tectonique des plaques).

TD : l'homéopathie est une science inscrite dans un autre modèle de fonctionnement de l'humain
Q1 : quel est le modèle mobilisé ?
Q2 : quelles en sont les données qui confortent ce modèle ?
Q3 : Quelles sont les limites de ce modèle médical ?

 

La vision des sciences de Popper accorde une place équivalente à l'imagination, la créativité, qui permettraient la découverte et la rationalité, la justification, l'argumentation, la logique et la rigueur. Pour cet auteur, la pensée scientifique serait dualiste et les accords se construiraient par la critique collective et l'autocritique.

B5. Le tournant socio-épistémologique des années 1970
(voir partie H pour plus de détails...)

C'est dans les années 1970-1980 que la sociologie des sciences est repensée, avec une vision qui dépasse la simple démarche inducitiviste et le primat de l'expérience, alors qu'émergent diverses théories constructivistes de la connaissance. Pour Alexandre Koyré, les contextes sociaux n'expliqueront jamais la construction des connaissances. C'est le mode de pensée et les pratiques associées qui expliquent l'apparition de connaissances nouvelles. A l'opposé, pour Bernal, la société organise les conditions des expériences et oriente les interprétations. Cette vision sociologique suppose donc qu'il  existe une influence des structures sociales sur la pratique scientifique et la production des connaissances.

De Wittgenstein qui s'interesse aux jeux de langage et aux règles non explicites qui se dévoile dans l'interaction et la négociation entre scientifiques, à Foucault qui identifie des régimes de discours scientifiques qui sont plus ou moins acceptables et acceptés en fonction des contextes sociohistoriques et politiques et donc des époques, Kuhn (1962) proposera, avec le notion de paradigme, une vision des sciences qui réunit  à la fois les dimensions cognitives et sociales de la pensée scientifique. L'entreprise scientifique serait sociocognitive, avec des mécanismes sociaux d'intégration et de transmission culturelle des savoirs, en lien avec la tentative de construction méthodique d'une représentation objective du monde.

Avec la vision de Kuhn, la rupture des années 1970, entre une sociologie internatiliste et une sociologie des sciences externalistes se prépare. On entre dans des considérations socioépistémologiques. Alors qu'avec Popper, on s'nitéressait à la science telle qu'elle devrait se faire, en Angleterre débuteront des études sociologiques qui vont se concentrer sur les sciences telles qu'elles se font, dépassant ainsi le dualisme internalisme/externalisme à propos des pratiques scientifiques.

Quelles méthodes d'étude des sciences seront appliquées ? à complèter d'après Callon et Latour (1991).

B6. Le contrat social des sciences repensé depuis 1990
(voir partie H pour plus de détails...)

Ces vingt dernières années, craignant une perte de légitimité sociale, l'effort des académies des sciences et d'autres communautés savantes occidentales a porté sur une communication à visée éducative et sur la clarification du contrat des sciences avec la société. Dans les guides pour la formation des enseignants de sciences, apparaissent souvent les visions de scientifiques de leur place en société mais aussi des valeurs qu'ils défendent.

Prenons l'exemple de la AAAS qui travaille ce dossier depuis les années 1990, dans le cadre de réformes de l'enseignement des sciences. L'association propose régulièrement des clarifications dans les standards américains pour l'enseignement des sciences :

SCIENCE AND SOCIETY : Science both affects and is affected by society. Scientists influence social decision making; new ideas in science challenge our views of the world, and new applications extend our abilities to shape it. At the same time, social and economic forces influence what research will be undertaken, paid attention to, and applied. Ethical principles inform the conduct of science and serve to keep the vast majority of scientists well within the bounds of ethical professional behavior.
Source : Teaching Guides for Special Topics, AAAS Project 2061: Exploring the nature of science. 2010, p.10.

VALUES IN SCIENCE : To understand the enterprises of science, mathematics, and technology, it is essential to be aware of the values that underlie them and that are shared by the people who work in them: the importance of verifiable data, testable hypotheses, and predictability in science; of rigorous proof and elegance in mathematics; and of optimum design in technology.
Science is also based on everyday values even as it questions our understanding of the world and ourselves. In many respects, science is the systematic application of some highly regarded and widely held human values—integrity, diligence, fairness, curiosity, openness to new ideas, skepticism, and imagination
.
Source : Teaching Guides for Special Topics, AAAS Project 2061: Exploring the nature of science. 2010, p.22.

On retrouve ici un positionnement institutionnel à la fois internaliste et externaliste, considérant que l'activité scientifique est de nature socioscientifique. Si cette question de la définition de ce qu'est l'activité scientifique est objet de débats dont nous allons reparler dans le parcours historique qui va suivre, il n'en demeure pas moins qu'il est possible en ce début de XXIeme siècle d'établir une liste des connaissances actuellement largement partagées par les communautés scientifiques du monde entier. C'est l'émergence d'une méthode spécifique (mathématisation, libre examen des postulats) mais également d'un cadrage social différent (notamment institutionnalisation et autonomisation des sciences) qui conduit à partir du XVIIe siécle à considérer que les sciences entrent dans une période que les sociologues et historiens des sciences qualifient de période moderne (voir partie correspondante).

C. Les connaissances fondamentales des sciences en ce début de XXIe siècle

C1. Dix notions clés de sciences de la nature et de la matière
d'après l'ouvrage 2011 de l'Académie des Sciences. Tout ceci est susceptible d'être modifiée en fonction de nouvelles données d'investigation scientifique ;


D'après 10 notions clés de sciences

Choix inspirés et modifiés à partir des travaux 2011 de l'Académie des Sciences et de la Fondation La Main à la Pâte
Voir l'ouvrage en ligne, format pdf, ici

  1. Le système solaire est une minuscule partie de l'univers, comme notre galaxie la voie lactée
  2. Toute la matière du monde est constituée de particules minuscules (les atomes). Les molécules sont des assemblages d'atomes.
  3. Des objets peuvent avoir des effets sur d'autres à distance (magnétisme et/ou Terre – Lune)
  4. Pouvoir modifier le mouvement d'un objet, il faut qu'une force agisse sur lui
  5. L’énergie d'un système se conserve et peut se transformer
  6. La surface du globe est façonnée au cours d'une histoire à la fois climatique et interne, associée à une évolution de la composition, de la structure et de la dynamique de l'atmosphère et de l'intérieur de la Terre.
  7. Tous les organismes vivants sont composés d'eau, d'ADN et de molécules organiques, inclus dans une structure : la cellule
  8. Pour vivre, il faut de l'énergie et de la matière
  9. L'information génétique est portée par l'ADN. Il se transmet de générations en générations et subit des modifications (mutations).
  10. Les espèces vivantes, actuelles ou éteintes, sont le résultat des mécanismes de l'évolution


Vidéo "De l'Inifiniment grand à l'infiniment petit" de Science et Vie
[musique : Ace Ventura (Exposed, liquid soul remix; progressive psy; morning), Mamue (Groove-agent)]

Qu'ont apporté les sciences humaines (c'est à dire les sciences qui s'intéressent à l’homme et aux sociétés) ?
Peut-on définir également un socle commun de connaissances dans ce domaine d'investigation scientifique ?

C2. Quelles notions clés en sciences humaines ?

Jean-François Dortier (2009), fondateur et directeur du magazine Sciences Humaines s'est livré à cet exercice (lire son introduction ici). Dans son ouvrage, il rappele que les questions qui fondent les principales investigations en sciences humaines sont les suivantes : Comment est né le langage ? Qu’est-ce que la conscience ? Sur quoi repose le lien social ? D’où viennent les inégalités entre hommes et femmes, entre pauvres et riches ? La violence est-elle naturelle ? Pourquoi les humains inventent-ils des mythes, des religions et des idéologies ? Comment expliquer les cycles de croissance et de crises économiques ? L’histoire humaine est-elle mue par des intérêts, des idées, des émotions ? L’inconscient existe-t-il ? Depuis les écrits philosophiques de la Grèce antique, mais également ceux de l'Inde ou la Chine, des générations de philosophes ont tenté d’apporter des réponses à ces questions.

Actuellement, les sciences humaines recouvrent un noyau de disciplines principales (l’anthropologie, la sociologie, la psychologie, l’histoire, l’économie, la géographie, la linguistique, les sciences politiques, l’archéologie, la démographie), auxquelles sont venues s’agréger de nouvelles disciplines: sciences des religions, sciences de la communication, sciences de l’éducation, sciences cognitives (Voir Beillerot, J. (1997). Sciences de l'éducation et pédagogie : un étrange manège. Revue française de pédagogie, Vol. 120 Penser la pédagogie. pp. 75-82). Ces disciplines nouvellement venues dans l’histoire des sciences humaines – comme les sciences de la communication après la Seconde guerre mondiale – bataillent encore pour obtenir une reconnaissance.


Jean-François Dortier, 2009 - 480 pages

Dans l'ouvrage de Dortier (2009), chacune des principales disciplines des sciences humaines est présentée de la manière suivante :

  • • Anthropologie : Au cœur des sociétés
  • • Archéologie - préhistoire : Aux origines de l’humanité
  • • Economie : Ordres et Désordres
  • • Géographie : L’espace et les hommes
  • • Histoire : Le passé est parmi nous
  • • Philosophie : à la recherche du sens
  • • Psychologie : Les mystères du psychisme
  • • Psychopathologie : Au cœur de la folie
  • • Psychologie sociale : L’emprise de la société sur l’individu
  • • Sciences cognitives : Du cerveau à l’esprit
  • • Sciences du langage : Langue, signe, communication
  • • Sciences politiques : Gouvernants et Gouvernés
  • • Sociologie : Comment étudier la société ?

Des théories du sujet, de l'individu et du collectif, théories de l'agir et de la connaissance (versus les valeurs), et de l'éducabilité entre adultes et entre générations. Avec peut être une piste synthétique de compréhension offerte par la théorie des représentations sociales, à la charnière entre l'individuel et le collectif, entre communication et éducation, et qui questionne les idées de sens commun et leurs places dans l'action individuel et collective (voir les travaux de Moscovici des années 1960 aux années 1990). On aboutit progressivement à une théorie du sujet et à théorie de la connaissance qui tentent d'expliquer le rapport au monde, aux autres, et aux savoirs de l'individu socialisé.

Les SHS vont contribué à une remise en question de dualisme comme par exemple rationnel/irrationnel, science/croyance, avec la prise en compte d'une rationalité subjective (voir l'article de Bronner, G. (2004). Contribution à une théorie de l'abandon des croyances : la fin du Père Noël. Cahiers internationaux de sociologie 116 (1), 117-140). A travers les dualismes réintérrogés, des scientifiques explorent une troisième voie explicative du comportement humain, parfois entre sciences humaines et sciences expérimentales (neurosciences notamment), mais avec des limites et des vigilances épistémologiques liées à la simplification mécaniste du modèle du sujet, notamment en neurosciences.

Dans le hors-série n° 30 de la revue Sciences Humaines (Décembre 2000/Janvier-Février 2001, 100 ans de sciences humaines), vous trouverez quelques controverses théoriques qui ont accompagné l'évolution des sciences humaines au XXème siècle. Elle montre que les questionnements portent sur l'existence de dualisme, des questionnements qui se renforcent au début du XXIeme siècle :
  • La théorie de l'acquisition du langage, de la connaissance ou encore de la numération chez l'enfant. A noter la controverse entre le suisse Piaget et l'américain Chomsky au colloque d'octobre 1975, au sujet de la psychologie du développement cognitif chez l'enfant, entre la part de constructivisme éducatif et culturel, et celle de l'innéisme. Même si on s'accordera progressivement sur l'existence d'une capacité fixe chez l'enfant lui permettant de former des phrases, in n'en demeure pas moins la question suivante : cette capacité est-elle innée, acquise ou un peu des deux ?

  • La nature de la conscience et de la subjectivité : les avancées des neurosciences dans la compréhension de l'activité neuronale par imagerie cérébrale génèrent des controverses, opposant les matérialistes et les dualistes. La conscience est-elle la cause de l'activité neuronale ou la conséquence de cette activité ? Ou alors existerait-il une troisième cause qui provoque à la fois conscience et activité neuronale comme le pensent les dualistes ?

  • La théorie du comportement social et individuel. Quels sont les déterminants qui orientent nos actions ? Inné ou acquis. Des travaux génétiques de plus en plus nombreux cherchent à démontrer les liens entre gène et intelligence (voir les travaux de BGI en Chine, TD), à la frontière entre sciences humaines et sciences expérimentales.

Comment en est-on arrivé là ?
Peut-on prévoir quelle sera l'évolution future de cette représentation particulière du monde et de l'Homme qu'est la science ?

D. Aux origines de la période moderne


Curt Suplee (2000).
Milestones of Science
The History of Humankind's Greatest ideas

National Geographic; August 1, 2000.

 

-3500 à -500
Fertile Crescent Period



-500 à 500
Classical Period
(Antiquité)


500 à 1500
Middle Ages

1500 à 1650
Scientific revolution

début de l'autonomisation des sciences et conflits science-religion autour des représentations de l'Homme et de la Nature)

1650 à 1970
Modern Science

des avancées en sciences physiques et en sciences de la vie au XIX et XXe siècle et l'émergence des sciences humaines)

1970 à l'actuel
Post-Modern Science ?

Partons de ce que les historiens considèrent que la période de naissance de la pensée scientifique, c'est à dire la période grecque, au Ve siècle avant JC. Cette civilisation hérite, comme toutes les civilisations et empires de l'histoire de l'humanité, des connaissances de ces prédécesseurs et plus particulièrement ici de celles des assyro-babyloniens (vivant en Mésopotamie) et des égyptiens (-3.500 ans avant notre ère). Certains auteurs ne considèrent pas les connaissances de ces prédécesseurs comme des connaissances scientifiques... pourquoi et comment la civilisation grecque aurait-elle commencé une véritable révolution littéraire, artistique et culturelle ?

D1. Des sciences mésopotamiennes et égyptiennes ? voir Gingras et al. (2009). Le savant et le scribe. p.15-41

L'anthropologie nous montre que toutes les cultures ont des connaissances étendues sur la nature, les plantes et les étoiles. Et ces connaissances sont plus ou moins soigneusement distinguées des mythes. Dès 3000 av JC, les babyloniens et les égyptiens connaissaient l'astronomie, la botanique, la médecine et le calcul. Dans la civilisation assyro-babylonienne, les connaissances sont essentiellement énumératives : on découvre des listes de remède, de plantes, de maladies, de résultats mathématiques, mais des listes sans ordre apparent, destinée probablement à être mémorisées et qui tentent d'être exhaustives, ce que ne permet pas toujours la tradition orale. Ces listes font ouvrir la voie à des tentatives de comparaision et de classification, voire de généralisation. Il faut également signaler que ces listes restent au stade de la consignation d'information et qu'elles ne s'accompagnent pas de tentatives de discussion ou de polémique, comme on en trouvera en quantité dans les écrits philosophiques grecs.

Or si l'on suppose que la méthode scientifique consiste à créer un ensemble ordonné de connaissances accompagnées de preuves raisonnées et discutées, liées à l'observation, à la démonstration, on ne peut pas considérer ces savoirs comme des connaissances scientifiques. Ainsi, les babyloniens ne faisaient pas de démonstration, contrairement aux grecs, même si ces derniers ne feront pas d'expérimentation (sauf dans le cas du grec Ptolémée (90 - 168 BC), qui vécut à Alexandrie (Égypte) et expérimenta en optique pour tenter de trouver des lois de réfraction de la lumière. Selon le postulat de l’optique géométrique de l’Antiquité, les rayons visuels sortent de l'oeil pour aller palper directement l’objet vu).

Mésopotamiens et Egyptiens resteront essentiellement préoccupés par des considérations pratiques et utilitaires, même si certains écrits montreront des tentatives d'exercice à la pensée mathématique (arithmétique) destiné à développer la "virtuosité", essentiellement dans les écoles. Ces exercices abstraits en milieu scolaire, et dissociés de la fonction pratique, deviennent une fin en soi, un jeu, et jetteront les bases de la mathématique pure, c'est à dire une mathématique désintéressée.

Notons d'ores et déjà l'existence de l'opposition entre le travail manuel qui est le sort des illétrés, et le travail intellectuel des lettrés porteurs de savoirs et gestionnaires des activités économiques et techniques, ce que seront les scribes, jusqu'à la période grecque. Dans ce contexte, les scribes mésopotamiens et égyptiens ne cherchent pas à développer des savoirs pour eux même, ni à philosopher, en tout cas pas à travers l'écriture sur tablette ou papyrus.


Carte du Croissant Fertile
Terme introduit en 1916 par l'archéologue James Henry Breasted
de l'Université de Chicago.
"Mesopotamie" signifie entre deux rivières (Tigre et Euphrate).

MESOPOTAMIE : Cette technique se retrouve dans les civilisations mésopotamiennes et égyptiennes. Ces civilisations ont mis en place un système d'agriculture hydraulique qui a permis l'urbanisation, le passage à une vie sédentaire possible par la maitrise des techniques d'irrigation et l'augmentation des rendemants agricoles des terres alluviales et d'espaces semi-arides. L'apparation de scribes, porteurs de savoirs, va permettre la gestion des activités de leur société (adminsitratives, religieuses, médicales). Le savoir est ici un mélange de magie et de connaissance positive. Les premiers exemples d'écriture dite cunéiforme, apparue en 3500 av JC dans la zone sud de la Mésopotamie (Région de Sumer, villes de Our et Suse), ont été identifiés au XVIIIe siècle et déchiffrés en 100 ans. Les écritures cunéiformes des sumériens et des akkadiens, les deux langues les plus importantes de la Mésopotamie, ont été comprises au début du XXe sicèle. Ces écritures mésopotamiennes sont conservées sur des tablettes d'argile, plus durable que les papyrus de l'Egypte ancienne. Des empires se construisent autour de centres urbains comptant jusqu'à 24.000 habitants (exemple de Our) et étendent leur influence sur toute la Mésopotamie.

Les sumériens seront renversés vers 2300 avant JC par les peuples akkadiens qui habitent plus au nord. Les Akkadiens seront marqués par la culture sumérienne et leur empire durera 150 ans.


Emission C'est pas sorcier - L'écriture de A à Z

L'écriture cunéiforme mais également l'arithmétique vont permettre la gestion de cette nouvelle organisation sociale sédentaire. On estime que ce sont les enjeux comptables pour gérer les stocks de grains, d'huile, d'animaux, etc., qui vont être à l'origine du système d'écriture construit par les habitants du Croissant fertile. Les jetons par exemple, qui permettaient de nommer et de compter les objets (ex. un jeton ovoide = une jarre d'huile), font leur apparition pour gérer la production et les échanges de marchandises, mais surtout pour gérer l'ordre social d'une société hiérarchisée dans laquelle les surplus devaient pouvoir être comptabiliser pour pouvoir en rendre compte. Par la suite, on invente les chiffres (en forme de coins). Ces chiffres qui précédent le symbole de la jarre permettent de représenter la quantité et la nature de l'objet comptabilisé (ex : 5 jarres d'huile).

Dans un premier temps, les pictogrammes renvoient aux objets mais pas à un mot. Vers le début du troisième millénaire, dans les tablettes sumériennes apparaissent progressivement les sons des mots correspondant aux objets. Ce passage au phonétisme permettra d'alléger l'écriture cunéiforme. On passe de 1500 pictogrammes à 600 signes. Mais le système reste assez lourd (par rapport à nos 26 lettres de l'alphabet), d'où des apprentissages longs pour ceux qui voulaient écrire le sumérien. Sur les tablettes d'argile s'impose ainsi une écriture complexe réservée à des professionnels, les scribes, qui deviennent un groupe social important.

Avec eux se mettront en place des systèmes de numération à base 60, et dont nous conservons encore aujourd'hui les traces pour la mesure du temps (60 secondes pour une heure), ou pour diviser un cercle (6*60°=360°). Les Mésopotamiens savaient calculé les surfaces des polygones et construire des figures géométriques. Mais leurs mathématiques sont essentiellement pratiques et arithmétiques (manipulation des nombres). Deux types de tablettes mathématiques ont été identifiés : celle qui contiennent des résultats de calculs déjà faits (multiplication, racines) et celles qui donnent des procédures (des recettes) pour résoudre un problème de construction, de commerce, de mesures, de gestion militaire, etc. Mais la généralisation des procédures ne semble pas avoir été tentée: aucune loi mathématique n'est décrite permettant l'application d'une seule formule à plusieurs cas possibles.

 

Les scribes étaient formés dans des écoles sumériennes à caractère technique (scribe-fonctionnaire) ou littéraire (scribe-poète). Parmi les fonctionnaires, certains étudiants sumériens se destinaient à l'établissement des calendriers et aux prévisions astrologiques. Ces médecins, exorcistes et devins étaient consultés par les rois et les citoyens, pour interpréter des évènements celestes, terrestres et personnels susceptibles d'être porteurs des signes du futur (présage celeste). D'autres étaient responsables des contrats de commerce. Quant aux scribes poètes, ils façonnaient l'image du roi et des dieux, et justifiaient leur puissance, à travers des poèmes mais également des hymnes, des inscriptions et des récits historiques.

La seule bibliothèque mise à jour par l'archéologie, celle de roi assyrien Assurbanipal (669-631) à Ninive, comportait plus de 900 tablettes.

EGYPTE : A partir de 3100 av JC, date de la formation de la première dynastie, le pays est politiquement uni et centralisé. Une stabilité de 3000 ans marquera le pays, le régime politique tombera au VIe siècle avant notre ère sous la coupe des Perses, puis des Grecs puis des Romains. Là aussi, l'agriculture hydraulique, par système de canaux, se développe en lien avec la vie sédentaire et l'urbanisation. Et les processus évoluent et se déroulent de manière concomittante.

Le papyrus et le roseau trempé dans l'encre permirent le développement d'autres formes d'écriture, comme l'écriture hiéroglyphe (= écriture sacrée gravée ou peinte), l'écriture hiératique (écriture cursive simplifiant les hiéroglyphes et utilisée dans l'administration) ou encore l'écriture démotique (= dêmotiká, «populaire», écriture de type cursive (du latin currere «courir»)) avec une évolution différente de celle de l'écriture cunéiforme.


Source : site de vulgarisation de l'Université de Liège

Les pictogrammes des hiéroglyphes sont phonétiques, esthétiques et chargés de symboles. C'est la pierre de Rosette découverte en 1799, rédigé en deux langues et trois écritures (hiéroglyphe, démotique et grec) qui permit à Jean-François Chapomollion de déchiffrer cette écriture en 1822. Là aussi, 700 signes coexistent et demandent de longues années d'apprentissage.



Seshat est la déesse de l'écriture, de l'astronomie/astrologie, de l'architecture et des mathématiques
Les mathématiques égyptiennes sont plus rudimentaires que celle des mésopotamiens. Et le système fonctionne en base 10 mais il est difficile à manier. Pour écrire 9000, on repète 9 fois le symbole mille, selon un principe que l'on retrouvera chez les Romains. Les écritures cursives (hiératique et démotique) simplifieront les représentations pour moins d'encombrement. Les problèmes mathématiques à résoudre étaient les mêmes que ceux des mésopotamiens : calculer des surfaces de terrain, des inclinaisons de pyramide, des quantités de nourriture pour un nombre donnée de travailleurs, etc.

Les scribes égyptiens, porteurs de savoirs, sont des privilégiés ayant suivi de longues années d'étude, et deviendront souvent des officiers importants de l'Etat, d'après les inscriptions tombales égyptiennes. D'importantes collections de papyrus étaient stockées et conservées dans les maisons de la vie durant l'Ancien Empire (vers 2600 av JC) et les scribes égyptiens avaient leur bibliothèque personnelle que l'on a parfois retrouvée dans leur tombe.



La représentation sumérienne du monde
d'après S. Kramer, L'histoire commence à Sumer, Ed. Arthaud.

Cosmologie et Religion : Les éléments naturels sont identifiés à des dieux (l'eau, l'air, le vent, le feu, la Terre, le Soleil, ...). Pour les Mésopotamiens, la Terre est conçue comme un disque flottant sur une vaste mer, au dessus d'un Ciel étoilé hébergenant plus de 600 dieux. Les dieux servaient de justification aux systèmes politiques avec des rois quasi-divins, héritiers les uns des autres et autoritaires.

L'Univers est conçu à partir d'un chaos primordial duquel émerge un monde structuré en divinités, comme le dieu égyptien Geb (dieu de la Terre) qui génère les tremblements de Terre par ses éclats de rire.


Geb étendu sur le sol et séparé de son épouse (Nout, la voute céleste, déesse du ciel)
par son père Shou (dieu de l'air)

A 3000 year-old vignette from the Djedkhonsuiefankh funerary papyrus on display in the Cairo Egyptian Museum.

Le ciel étoilé avait une importance double : comme maison des dieux mais également comme lieu de lecture de l'avenir social et météorologique. Celui qui sait lire et anticiper la forme de la voûte céleste est capable de gérer la vie sociale, politique et agricole.

 



The Ebers Papyrus was found in Egypt in the 1870s.


A prosthetic toe from ancient Egypt, now in the Egyptian Museum in Cairo.
The big toe is carved from wood and is attached to the foot by a sewn leather wrapping.

Progressivement, avec l'accumulation d'informations sur la dynamique céleste, des calendriers essentiellement lunaires apparaitront, avec une astronomie mathématique sur géométrie sphérique. Exemple du polos des mésopotamiens ou du gnomon des Egyptiens, des instruments de mesures du temps et de l'espace à partir du mouvement du Soleil, ou encore le clepsydre égyptien, horloge à eau dont le principe physique repose sur la maitrise des paramètres d'écoulement d'un fluide (et plus exactement le débit).

Médecins, devins et exorcistes : là aussi des tablettes babyloniennes mais également des papyrus égyptiens, datés d'environ 1000 AC, nous informent pratiques médicales mais également l'existence de trois professions chargées de la santé, et récompensées en cas de guérison. Les écrits nous informent également sur les représentations du corps à cette période.

Dans les tablettes, on retrouve des descriptifs de symptomes, des traitements et des recettes médicales, mais également des pronostics vitaux. La maladie est associée à un mauvais sort. Comme chez les Egyptiens, les recettes sont élaborées à partir de plantes et de produits animaux (miel, dattes, acacia, etc...) et on souvent une fonction laxative.

Le papyrus médical d'Ebers (20 mètres de long et 30 cm de large, 1500 AC) contient plus de 700 recettes écrites en hiéroglyphe. Par example, the prescription for an asthma remedy is to be prepared as a mixture of herbs heated on a brick so that the sufferer could inhale their fumes.

On y retrouve également une théorie du coeur et des canaux qui tente d'expliquer l'origine des maladies par un déséquilibre entre trois "humeurs" : l'eau, l'air et le sang. Le coeur est présenté comme un organe centrale vers lequel convergent des canaux pour amener l'air par exemple à partir du nez et de la trachée, puis des vaisseaux qui permettent le mélange de l'air avec l'eau et le sang et qui conduisent l'ensemble aux organes. Un autre système de canaux permet d'évacuer certains liquides comme le mucus jusqu'au nez, ou encore l'urine et les excréments.

On peut s'interroger sur le fait que les Egyptiens pratiquent la momification mais présentent dans leurs écrits des connaissances anatomiques plutot rudimentaires. Une des explications avancées est le fait que la momification était une pratique religieuse déconnectée de toute tentative d'exploration anatomique.

Développpements techniques

Les connaissances techniques dont disposent ces civilisations montrent que l'essentiel pour l'organisation sociale est décrit et connue. Ces connaissances se rapportent au travail manuel, à la conception de grands travaux (construction, irrigation, pyramide,...) et aux artisans qui fabriquent des briques mais également des objets en bois et en pierre pour édifier des villes avec des systèmes d'irrigation et d'aqueducs. Des techniques d'extraction et de fonte des minerais, pour fabriquer du bronze par exemple, le tissage, la poterie, le tannage du cuir, la confection d'outils ou encore la fabrication d'horloge à eau.

Les techniques de réalisation de produits de luxe comme le verre, les bijoux, la bière, ou le parfum font partie des savoirs décrits. Ils sortent du champ de compétences des scribes et ont probablement été écrits à la demande du roi, puis reproduits par d'autres scribes. Mais les artisans ne peuvent les lire, car la lecture n'est pas à leur portée. Les techniques portent également sur la production et la conservation des aliments, la culture du blé, de l'orge, des légumes (oignon, laitue, ail, poireau,...) et des épices comme la coriandre.

Conclusion : science, technique et croyance divine sont intimement liées durant cette période qui s'étend de -3500 à 500 AC. Les connaissances prennent la forme de listes d'objets et de techniques, avec peu de théorisation, et apparaissent en lien avec la naissance de l'écriture et la sédentarisation en société agricole. ce sont donc des connaissances utilitaristes et/ou intéressées. Mais attention : peut etre qu'une tradition orale de la critique de ces savoirs existait mais aucune trace écrite n'en témoigne pour l'instant. Nous prendrons également comme principe méthodique que l'histoire des sciences ne peut être reconstituée qu'à partir de l'invention et l'utilisation de l'écriture, qui permet d'enregistrer et de transmettre le savoir. Attention à ne pas confondre corrélation et causalité entre apparition de l'écriture et développement de la pensée scientifique. Socrate refusait l'écriture mais philosopher comme le relate Platon. Cette période marque peut etre le passage d'une tradition orale à une tradition écrite (et donc historique) avec les premiers traités philosophiques. Si l'on peut penser que l'écriture est un facteur déterministe à l'apparition de la pensée scientifique, ce n'est probablement pas le seul...

D2. La période grecque

Les historiens estiment que cette période correspond à la "naissance" d'une philosophie qui se concentre sur la question des origines de l'Homme, des sociétés, de l'Univers. Avec Socrate et Platon, les grecs retravaillent les connaissances des babyloniens et des égyptiens, notamment en médecine, en botanique, en astronomie, on en géométrie, en interrogeant ouvertement les causes des phénomènes et en élaborant des modèles explicatifs. On passe de connaissances énumératives avec des listes de plantes, de maladies, à la recherche des causes, au moyen de preuves, d'observation et de démonstration de la validité des savoirs. On invente la recherche systématique de la preuve par l'observation et la démonstration, mais pas encore par l'expérimentation, autour de centres culturels comme l'école d'Athènes, dans l'Académie de Platon puis le lycée d'Aristote.

En histoire par exemple, on ne se contente par seulement de raconter les guerres mais on cherche les causes des "invasions barbares", en réalisant ce que l'on commence à appeler une enquete. La même démarche est appliquée en médecine, avec Hippocrate qui s'interroge sur les causes des maladies, alors qu'en mathématique, Euclide cherche à démontrer les propriétés géométriques, notamment de la lumière.

Plus tard, le grec Ptolémée (90 - 168 BC), qui vécut à Alexandrie (Égypte), reprendra les traités d'Euclide et expérimenta en optique pour tenter de trouver des lois de réfraction de la lumière.Selon le postulat de l’optique géométrique de l’Antiquité, les rayons visuels sortent de l'oeil (O, sommet du cône visuel) pour aller palper directement l’objet vu (AB).

Plusieurs facteurs sociopolitiques peuvent être avancés pour expliquer l'émergence de ce mode de pensée, et le passage de connaissances en lien avec des croyances et des mythes à des connaissances dont on recherche systématiquement les preuves de leur fondement, notamment par l'observation.

  1. Un facteur lié au passage de la tradition orale à la tradition écrite . Elle se développe vers le VIIe siècle avant JC, en corrélation avec l'émergence de cette nouvelle pensée philosophique. Mais est ce une relation causale ? On passe en effet d'un pratique philosphique de Socrate qui refuse l'écriture à celle de Platon qui publie les premiers dialogues. Il y a passage d'une tradition orale à une tradition écrite, et donc historique avec les premiers traités de médecine, de mathématiques, qui codifient la pensée et favorisent une mémorisation mais aussi une circulation des idées. Pourtant ce n'est pas un facteur déterministe, puisque les Egyptiens et les Babyloniens écrivaient aussi, alors que les Assyriens, entre le Tigre et l'Euphrate, en Mésopotamie, étaient plutot dans la tradition orale.
  2. Un facteur lié à une civilisation portée sur le voyage et la découverte du monde, essentiellement en Méditerranée.
  3. Un facteur sociotechnique lié à la colonisation, avec la construction de villes et de réseaux d'approvisionnement en eaux, comme dans l'exemple du canal de Samos au VIe siècle après JC. Les connaissances en géotechniques et physiques se développement dans ce contexte.
  4. Un facteur militaire, lié à la construction de machines de guerre, de navires, avec Archimède notamment qui développent des connaissances en physique et en mathématiques, pour résoudre par exemple le problème de la flottaison des navires.
  5. Un facteur politique : Avec les grecs, l'organisation politique n'est plus pyramidale comme chez les Egyptiens ou les Babyloniens. Une assemblée est mise en place avec l'idée de décider sur la base d'un débat argumenté dans lequel on écoute la parole de tous. La prise de décision se fonde sur la discussion de différentes thèses possibles. C'est également une politique laique qui se met en place (pas de prêtres rois), alors que les cultes sont polythéistes, avec la liberté de choisir son culte. La mythologie n'est pas une croyance officielle et sectaire ou un dogme. Les croyances sont donc plurielles, alors que chez les Egyptiens, ce sont les scribes qui monopolisent les connaissances et les formes de pensée. La mise en place d'une pratique de débat démocratique et laique a probablement favorisé l'émergence d'une pensée scientifique permettant la recherche de preuves tangibles, au sens de Chateauraynaud (2007). Ce débat s'élabore entre individus qui se considèrent égaux et les discours d'autorité sont marginalisés. Pour convaincre, il faut argumenter (c'est à dire persuader) et démontrer (c'est à dire avancer des preuves) pour finalement rendre raison. Il s'agit de rechercher des preuves, avec des pratiques fortement inspirées des pratiques juridiques. Ce modèle du débat philosophique contradictoire met donc à l'écart la justice et les lois divines. Cette pratique devient une habitude culturelle et s'niscrit dans une éducation à la citoyenneté.


Quelques mots sur Socrate : Connu par les écrits de son disciple Platon, les "Dialogues de Socrate" sont parfois considérés comme des fictions littéraires autour d'un personnage conceptuel. Socrate se présente comme un individu qui questionne les idées reçues et les dogmes, en soulignant les contradictions. Il défend l'idée que reconnaitre ses erreurs conduit à la vérité et à la sagesse, et proclame un constat d'ignorance  : "je ne sais qu'une seule chose, c'est que je ne sais rien". Socrate enseigne le doute et la réfutation des idées reçues, tout en cherchant le vrai par la démonstration. Il enseigne par le débat. Pour lui, c'est la problématisation qui compte plus que la réponse à une question, afin de maintenir la pensée en marche et confronter la diversité des opinions.

Selon les écrits, Socrate est perçu comme une menace politique avec son modèle de démocratie populaire, et il n'arrive pas à convertir ses disciples. Il sera condamné à mort pour perversion de la jeunesse à un moment où la démocratie commence à remplacer le tyrannie, ses disciples restant attachés à la tyrannie. Agé de 70 ans, il accepte la mort, pour libérer son âme de ce vieux corps. Il croit que l'ame est éternel et que la démocratie qui se met en place ne prend pas la bonne tournure politique.

 

Ci-contre un buste de Socrate. Copie romaine du IIe siècle d'un original grec. Musée archéologique régional de Palerme.


Buste de Platon. Marbre,
copie romaine d'un original grec - IVe siècle av. J.-C

Quelques mots sur Platon : Disciple de Socrate, Platon crée l'Académie d'Athènes au IVeme siècle avant JC et défend l'idée qu'il existerait deux mondes, le monde sensible et le monde des idées dans son ouvrage la République. Il développe ainsi une théorie de la connaissance : sous le monde des idées, il y a les opinions monde du sensible et du visible, du monde ordinaire. Il forme les jeunes nobles à diriger la Cité en devenant magistrat, dans une institution particulièrement élitiste. Il ne croit pas à la démocratie populaire qui aurait condamné Socrate. Selon lui, pour diriger la Cité, il faut des individus au dessus de la masse, des philosophes formés à la sagesse à l'Académie : "Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre". L'Académie est donc l'équivalent d'une grande école et sa théorie de la connaissance est en lien avec sa vision politique.

Dans le livre VII de la République, avec l'Allégorie de la Caverne, il décrit des humains emprisonnés dans l'obscurité et qui connaissent une réalité déformée, celle des ombres. Si on venait à les libérer, personne ne les croirait et ils seraient tués, comme Socrate, qui voulaient éclairer les humains enchainés et ignorants, inaptes à comprendre le monde des idées. Les croyances sont des ombres issus de nos sens, du monde sensible, dont il faut s'extraire pour accéder à la vérité supérieure et éternelle, et au monde des idées. Pour passer de la perception à l'abstraction, l'âme doit s'élever par la raison, la morale et la pulsion, équivalent du char ailé de la mythologie. Il faut également accepter une forme de désintéressement pour pouvoir servir la Cité. Cette vision politique se démarque de la démocratie populaire mais aussi de la dictature. La théorie de la connaissance de Platon stimulera la pensée dans de nombreux domaines et on retrouvera ce courant chez les Romains. Platon enseignera cette doctrine pendant 40 ans et l'Académie disparait en 86 avant JC.


L'école d'Athènes

TD : L'école d'Athènes

Ce tableau est une allégorie réalisée par Raphaël entre 1509 et 1512. La fresque de 7,7 m sur 5 m, commandée par le pape Jules II rassemble les figures majeures de la pensée antique.

Q1. Où se trouve cette oeuvre ?
Q2. Identifiez les principaux personnages de ce tableau
Q3. Qu'est-ce qui oppose Platon et Aristote ?

 

 

L'allégorie de la caverne de Platon

 

L'idéalisme de Platon et L'allégorie de la caverne, texte du livre VII de la République. : le texte présente la théorie des Idées de Platon, qui constitue à la fois sa métaphysique (= sa théorie de la connaissance) et son ontologie (= sa théorie de l’être et du réel). Ce texte est représentatif de la philosophie platonicienne.
  • La Caverne désigne le monde de l’opinion, alors que l’extérieur désigne le monde de la connaissance. Platon affirme que le lieu naturel des hommes est l’ignorance. La plupart des hommes sont bercés par les sens et les préjugés. Pour se libérer de la doxa (opinion), il faut opérer une révolution dans la manière de voir le monde, et convertir son regard.
    L’ontologie platonicienne (sa théorie de l’être et du réel) est dualiste avec une dichotomie sensible/intelligible.
    La Caverne désigne le monde sensible, dont le sage-philosophe doit se détourner au profit du monde des Idées. Le réel n’est pas homogène selon Platon. Il se décompose en deux parties : d’une part le monde sensible accessible aux sens, source d’erreur et d’illusion; de l’autre, le monde intelligible accessible à la seule raison, lieu des Idées et de la vérité. En associant la réalité et la vérité, Platon condamne le monde sensible. L’accès à la Vérité passe par la contemplation, un exercice qui consiste à faire usage de sa raison. Platon pose le primat des idées sur la matière. Le monde des Idées, éternel et immobile, prévaut sur le monde sensible, monde de l’illusion, temporaire. La réalité intelligible est le vrai réel. Les objets du monde ne sont que des reflets (Marx, en matérialiste, renversera la hiérarchie platonicienne : le monde des idées est le reflet du monde des objets (rapports de production).

    Platon se base sur les idées, sur la spéculation : il est donc rationaliste. O
    n n'accède pas aux idées par déduction, mais par une induction puis une sorte d'illumination favorisée par la réminiscence. On peut distinguer deux types d'induction, dont l'un revient à une déduction.
  • L'induction amplifiante : à partir de n cas, je généralise sans avoir vu tous les cas, mais je peux me tromper.
  • L'induction totalisante : je recense tous les cas et j'en tire une conclusion générale, mais si j'ai tout recensé, la conclusion s'ensuit nécessairement, donc c'est une déduction. La déduction est le raisonnement qui consiste à dire, à partir de prémisses, "il s'ensuit nécessairement" telle autre chose. C'est la démarche que privilégiera Aristote.
  •  

Buste d'Aristote. Marbre, copie romaine d'un original grec en bronze de Lysippse (vers 330 av. J.-C.). Ancienne collection Ludovisi.

Quelques mots sur Aristote : Aristote et les grands principes de la Logique : Pour Aristote, la connaissance scientifique se construit par déduction à partir de prémisses assurées (c'est à dire des discours qui nient ou affirment quelque chose). Aristote prend l'exemple de l'homme, du cheval et du mulet, seuls animaux "sans fiel", et qui ont la vie longue, donc tous les animaux "sans fiel" ont la vie longue. L'induction amplifiante donne une autre sorte de connaissance, dont on peut tirer les prémisses assurées nécessaires à la déduction scientifique. Mais comme l'induction ne donne pas de certitudes et qu'il en faut pour les prémisses assurées, Aristote ne s'en tire pas !  Aristote se démarque du rationalisme de Platon ("j'aime bien mes amis, mais je préfère la vérité"), il prône et pratique l'observation mais on peut difficilement le déclarer empiriste, ses affirmations sur le système du monde étant parfois très dogmatiques.

Dans le livre II de sa Physique, Aristote suggère d'étudier chaque chose à partir de 4 questions qui renvoient chacune à un type de cause : Qu'est ce que c'est ? De quoi est-ce fait ? D'où vient-elle ? A quoi sert-elle ? Il construira une oeuvre écrite monumentale, avec aussi bien des traités en sciences de la nature (physique en grec), en psychologie (questions de motivation, d'émotions, d'intelligence animale et humaine), des traités sur la connaissance, mais aussi sur les sciences politiques, sur la rhétorique, sur les genres littéraires et théatraux, et enfin sur l'éthique et la morale.

 

En zoologie, plus de 400 espèces seront décrites dans le détail. Dans ce domaine, le projet d'Aristote est de comprendre la vie et le mouvement, en estimant que les animaux se déplacent grâce à des causes finales et que leurs mouvements ne se réduisent pas, comme chez les végétaux, au vent ou à l'eau des rivières. Ce sont des êtres vivants supérieurs dont la biologie intégre les contraintes physiques du milieu de vie.

Exemple du bec des Oiseaux dans Les parties des animaux, Livre III, Chapitre I : Les oiseaux ont pour bouche ce qu'on appelle leur bec; le bec leur tient lieu en effet de lèvres et de dents. Le bec diffère selon les usages auxquels il sert, et selon le secours dont l'être a besoin. (663a) Les oiseaux à serres recourbées, comme on les appelle, ont tous le bec recourbé aussi, parce qu'ils mangent de la chair et qu'ils ne se nourrissent jamais de fruits. Ainsi fait, le bec leur sert à vaincre l'ennemi; et sous cette forme, il est plus solide pour leur assurer la victoire. La force nécessaire à ces oiseaux pour le combat est dans leur bec et dans leurs serres, qui, dans cette vue, sont plus recourbées [...]

Dans ce discours finaliste d'Aristote, l'auteur met en lien la structure et la fonction du bec et s'efforcera ensuite de construire un modèle global de l'animal intégrant les particularités propres à chaque espèce, autour des questions d'alimentation, de locomotion et de reproduction. On ne peut selon lui étudier les organes sans les lier aux fonctions et aux modes de vie.

Après Aristote, la controverse épistémologique entre induction et déduction pour atteindre la Vérité prend corps entre dogmatiques et empiriques dans la médecine antique, à propos de la part de la théorie et de l'expérience dans la pratique médicale. Galien, qui prolonge la théorie des humeurs d'Hippocrate, est dogmatique : il ne réfuse pas les expériences mais les interprétent à la lumière de la théorie. La spéculation et le raisonnement ont une place importante chez les dogmatiques. Les médecins empiriques s'en tiennent à l'expérience sans spéculer sur les causes, comme le préconisera Newton au XVIIe siècle. Les empiriques adoptent une philosophie sceptique et critiquent les excès de la raison. On peut penser que c'est le monde chrétien qui va émettre des doutes sur la pertinence de cette méthode empirique.

Quelques mots a propos du centre culturel international d'Alexandrie


The Great Library of Alexandria
O. Von Corven, 1st century


The Burning of the Library at Alexandria in 391 AD
Dudley, Robert Ambrose (1867-1951)

 

La bibliothèque d'Alexandrie est un centre international de culture et de recherche, conçu et soutenu par le grec Ptolémée 1er (368-283 AC), Roi d'Egypte et toute la dynastie pharaonique qui suivra. Elle réunissait probablement entre 300.000 et 500.000 ouvrages parmi les plus importants de l'Antiquité.

 

Pendant son existence, plusieurs incendies vont détruire partiellement la bibliothèque d'Alexandrie. On évoque souvent celui de 48 avant JC, déclenché accidentellement, selon la légende, par le général romain Jules César, alors que l'Egypte est dirigée par Cléopatre VII, d'origine grecque, âgée de 19 ans, et dernière représentante de la dynastie pharaonique des Ptolémée. Au moment de l'arrivée de César, Cléopatre est alors en pleine guerre civile avec son frère. Après le suicide de Cléopâtre VII et l'assassinat de Ptolémée Césarion par son cousin Octave, l'Égypte devint une province romaine au sein de l'Empire romain (-27/395 de notre ère), dont elle était le principal grenier à blé.

A la mort de Cléopatre, en 30 avant JC, une grande partie des livres et des connaissances de l'Antiquité vont être dispersés ou perdus. La montée de la réligion chrétienne dans l'Empire romain va alors fournir les crédos et les textes à étudier. Les écoles d'Athènes et d'Alexandrie déclinent au début de l'ére chrétienne et avec la fin de la dynastie des Ptolémées (Cléopatre meurt en se suicidant en 30 avant JC). Puis sous la pression de la conquête perse, c'est l'Empire romain qui s'effondre en 400 après JC.

En Occident, le développement culturel et la curiosité de l'Antiquité grecque se réduisent alors sensiblement et marquent l'entrée dans la période médiévale, avec la réduction du soutien politique et financier aux centres culturels existants. La pensée reste alors confinée pendant plusieurs siècles dans les monastères.

Une partie des ouvrages grecques seront pourtant récupérés par les arabes, qui vont les traduire, et à partir du XIIeme siècle, avec la création de la scolastique (philosophie visant à concilier l'apport de la philosophie grecque d'Aristote avec la théologie chrétienne) et des universités en Occident, ces oeuvres seront retraduites en latin (du grec, à l'arabe, puis au latin !).

Ainsi, durant le Moyen Age, plusieurs formes de pensée scientifique vont donc se développer, d'abord parallèlement puis en symbiose : dans le monde occidental chrétien d'une part, et dans le monde oriental (arabo-musulman), indien et asiatique d'autre part.

D3. Les pensées scientifiques au Moyen Age : subjective et qualitative en Occident, synthètique en Orient ?

Dans le monde arabo-musulman et indien

Les sciences se développent en mathématiques et en astronomie, essentiellement à partir des textes de l'Antiquité, avant de revenir en Occident au XIIeme siècle. On va s'éloigner progressivement des écrits helléniques, jusqu'à les commenter et les remettre en question, préparant ainsi l'entrée des sciences européennes dans leur période révolutionnaire du XVIIe siècle.


Carte de l'Empire musulman au VIIIe siècle
Voir L'émission ISLAM MÉTIS, Dessous des Cartes, ARTE, diffusé en juin 2011

Dès le Ve siècle, l'Empire de Bagdad, à la frontière de l'Empire byzantin, développe une culture originale qui bénéficie d'influences grecques, égyptiennes, mais aussi indiennes et chinoises. Il s'effondrera comme l'Empire romain, avec la conquête musulmane.

En effet, dès la mort du prophète Mahomet en 632, l'Islam va s'étendre au Moyen Orient, à l'Afrique du Nord et à l'Espagne. C’est en Arabie, autour de la ville caravanière de La Mecque, que naît au VIIe siècle cette nouvelle religion. À partir de cette péninsule, les troupes musulmanes conquièrent en moins d’un siècle la Perse à l’est et à l’ouest, l'Égypte byzantine et les côtes nord-africaines. En 661, les conquêtes reprennent, et le détroit de Gibraltar est franchi en 711. Ainsi, partie de La Mecque, la nouvelle religion s’impose désormais sur un immense territoire qui va de l’Atlantique jusqu’au fleuve Indus dans le sous-continent indien.

Au VIIIe siècle, les chroniques décrivent les somptueux cadeaux offerts par le Calife de Bagdad, Haroun al Rashid, à Charlemagne, empereur de l'Empire caroligien : un éléphant, des tissus, un jeu d’échecs, et une horloge automate dont le mécanisme hydraulique subjugua l’empereur.

Durant cette période, les Arabes entrèrent en contact avec les Chinois lors de batailles qui permettront l'avancée la plus à l'est des armées arabes (jusqu'au Kirghizistan actuel). De nombreuses techniques chinoises dont celle de la fabrication du papier séduirent les conquérants et le papier remplacera rapidement le parchemin (le papier étant plus facile à fabriquer, moins coûteux et plus sûr, car on ne peut facilement effacer ce qui y est écrit). Des manufactures furent établies à Samarkand, Bagdad, Damas et au Caire. Haroun al Rashid imposa l'usage du papier dans toutes les administrations de l'empire.


Feuillet du Coran bleu
provenant de l'ancienne bibliothèque de la Grande Mosquée de Kairouan (en Tunisie) ;
écrit en coufique doré sur du vélin teint à l'indigo, il date du Xe siècle


Les textes médicaux sont très nombreux, dès cette époque. Du VIIIe au XVe siècle, la langue arabe devient celle des sciences, depuis l'Espagne, jusqu'aux confins de la Chine. Cette science arabo-musulmane n'a pas été qu'un simple relais entre la science grecque de Ptolémée, Aristote, Euclide, Hippocrate et la Renaissance occidentale du XVIe siècle. La majorité des auteurs s'accorde actuellement à penser qu'elle a préparé la révolution scientifique du XVIIe siècle.

Débat d'actualité : La science moderne est-elle née en Occident ?

L'affirmation d'Etienne Klein selon laquelle "La science moderne est née en Occident" a fait naître un vif débat avec l'astrophysicien Nidhal Guessoum, lequel a mis en exergue l'apport de la civilisation arabo-musulmane.

Voir l'article ici. Nous y reviendrons plus tard...


Les princes arabes construisent également des centres culturels, Bagdad, puis Le Caire, et Cordoue (Espagne) dans lesquels on traduit les ouvrages grecs, mais aussi égyptiens et indiens. On innove sur la base des acquis en mathematiques, astronomie, médicine et alchimie, mais également en sciences du langage, en psychologie, en histoire et en géographie.


Système digestif et artériel
Extrait de l'ouvrage Canon de la Médecine
du persan Avicenna, Xe siècle


Tiré d’un manuscrit de l'ouzbek Al-Biruni (XIe siècle)
Folio 161, 16r - Illustration d’une césarienne.


Détail d'une peinture de Bonaiuto montrant Averroes.
Le Triomphe de Saint Thomas d'Aquin (ca. 1365)
Florence, église Santa Maria Novella,
chapelle des Espagnols

  • En mathématique, les travaux d'Euclide et les techniques indiennes de calcul conduisent Al-Khwarizmi a publié en 830 un traité d'algébre qui sera commenté jusqu'au XVIIIe siècle en Europe. Un autre ouvrage, le « Livre de l'addition et de la soustraction d'après le calcul indien » décrit le système des chiffres « arabes », empruntés en réalité aux Indiens. Il fut le vecteur de la diffusion de ces chiffres dans le Moyen-Orient et dans le Califat de Cordoue, avant de parvenir au monde chrétien.
  • L'astronomie, pour des exigences de culte (calcul des mois du Ramadan, heures de prière, orientation vers la Mecque, etc...) se fonde sur le système géocentriste de Ptolémée et sur les acquis babylonniens et indiens. Des tables de calcul sont produites, alors que se développe des observatoires, des astrolabes et des quadrants.
  • En alchimie, qui est l'ancête de la chimie moderne, on étudie les minéraux et les métaux, avec des réactions à froid et à chaud et des mélanges. Alchimiste musulman d'origine perse, Geber (721-815) est le premier à pratiquer l'alchimie de manière scientifique. Il reconnut clairement l'importance de l'expérimentation : « La première chose essentielle en alchimie, c'est que vous devez effectuer des travaux appliqués et des expériences, car celui qui n'effectue pas de travail appliqué et d'expérience n'atteindra jamais les plus hauts degrés de la connaissance. ». Chaque élément de la physique d'Aristote était caractérisé par les propriétés suivantes : le Feu était chaud et sec, l'Eau froide et humide, la Terre froide et sèche et l'Air chaud et humide :

    Geber classa les métaux en considérant les 4 propriétés (le chaud, le froid, le sec et l'humide). Par exemple, le plomb était froid et sec, et l'or chaud et humide. D'après la théorie de Geber, il devrait être possible en réarrangeant les propriétés d'un métal d'en créer un nouveau. Cette théorie fut à l'origine de la recherche de l’al-iksir, l'élixir indéfinissable qui aurait rendu cette transformation possible, équivalent de la pierre philosophale dans l'alchimie européenne.
    L'iranien Rhazès (865-925) publie un traité en 900 qui détaille la distillation, la cristallisation, la filtration, l'évaporation, etc., pour fabriquer des poisons, des colorants et des médicaments.
  • En médecine, les pratiques médicales grecques et romaines, mais également la pharmacopée indiennes sont compilées par Rhazès qui les compile. Alchimiste devenu médecin, il les expérimente alors qu'il dirige l'hopital de Bagdad. Il décrit alors la variole et la rougeole. Il a vigoureusement défendu la démarche scientifique dans le diagnostic et la thérapeutique. Il a influencé la conception de l'organisation hospitalière en lien avec la formation des futurs médecins.
    Au Xe siècle, le médecin persan Avicenne (980-1037) traduit les œuvres des médecins grecs Hippocrate (460-370 av JC) et Galien (130 à 200 apr. J.-C). Il rédige son Canon de la médecine avec la théorie des 4 humeurs héritée de Hippocrate, Galien et Aristote. L'ouvrage servira de référence dans les universités européennes jusqu’au XVIIe siècle. Avicenne estime qu'il faut expérimenter pour vérifier toute hypothèse ou théorie. Il montre par exemple que les représentations grecques du corps humain ne sont pas le résultat de dissections de corps humain. Galien aurait aimé étudier l’anatomie, mais la dissection des cadavres humains était interdite par le droit romain ; à défaut, il a travaillé sur la vivisection de porcs, des singes magots et d’autres animaux. Il propose aussi des traitements médicamenteux et diététiques. Au XIIe siècle, à la demande d'un prince, le médecin musulman andalou Averroes (1126-1198) commente Aristote. Une partie de ses commentaires est traduite en latin et gagne l'université de Paris. Aristote et Averroès sont alors discutés avec ardeur à l'université parisienne.
  • En psychologie : Pour Thomas d'Aquin (XIIIe siècle), avec l'averroïsme, une erreur a envahi l'université parisienne au sujet de la théorie de l'intellect - il faut la réfuter. Averroès enseignait qu'il existe une intelligence universelle à laquelle tous les hommes participent, que cette intelligence est immortelle, et que les âmes particulières sont périssables. Selon Alain de Libera (2009), Averroès est l'un des premiers philosophes du « ça pense » : le sujet n'est pas maître de sa propre pensée, il y a quelque chose d'autre qui le fait penser. C'est l'« intellect unique et séparé, commun à tous les hommes qui pense en moi quand je pense ». Pour Averroès, « ce n'est pas l'homme qui pense, mais l'intellect, ou ce n'est pas « moi » qui pense, mais l'agrégat constitué par mon corps (objet de l'intellect) et l'intellect séparé (sujet agent de la pensée) ». Le « ça » désigne cet intellect séparé qui est Dieu, et qui actualise dans mon esprit les formes intelligibles lorsque mon corps perçoit des objets. Cette théorie de l'illumination a été critiquée par Albert le Grand et Thomas d'Aquin voulant sauvegarder le caractère individuel de la pensée. En 1270, Thomas d'Aquin rédige le De l'unité de l'intellect. Il accuse la thèse averroïste de conduire à l'irresponsabilité d'un point de vue moral : si je ne suis pas maître de mes pensées, on ne peut pas me reprocher les actions dont mes pensées sont les motifs. Il n'y aurait pas de place pour le libre arbitre, selon l'interprétation de Lucien-Samir Arezki Oulahbib (2007) : « Averroès [...] n'a fait que s'insurger contre le libre arbitre comme l'a démontré Thomas d'Aquin dans son « Contre Averroès » [...]. En effet, pour Averroès, « l'homme ne pense pas, il est pensé »...» On pourrait penser qu'Averroès est un précurseur de la psychanalyse (le « ça » de Freud), mais la singularité de sa théorie vient de son identification du « ça » et de Dieu, comme si l'action de Dieu sur nos pensées se situait dans les profondeurs de notre âme et non dans la conscience.

Voir une polémique contemporaine à propos de l'apport des Arabes dans la transmission de la philosophie grecque à l'Occident, suite à la parution de l'ouvrage du médiéviste Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont-Saint-Michel (Seuil). In Larcher, L. (2008). Averroès et Thomas d'Aquin au centre de la querelle d'Aristote. Quoditien LaCroix du 17/10/2008.


Voir le film égyptien Le Destin (1997) de Youssef Chahine sur Averroes

Traitant de la tolérance et de l'intégrisme au XIIe siècle, c'est un film d'une étonnante actualité. Le film remporte le Prix du cinquantième anniversaire du Festival de Cannes.

Synopsis : À travers la vie du savant Averroès est évoquée l'Andalousie du XIIe siècle, lieu d'affrontements entre extrémistes musulmans et savants soucieux de la diffusion des connaissances. Le philosophe Averroès, premier conseiller du Calife al-Mansur, est reconnu pour sa sagesse, sa tolérance et son équité. Mais le Calife, désirant amadouer les intégristes, ordonne l'autodafé de toutes les œuvres du philosophe, dont les concepts influenceront non seulement l'âge des Lumières en Occident, mais toute la pensée humaine. Les disciples d'Averroès et ses proches décident alors d'en faire des copies et de les passer au-delà des frontières. Ce film, d'un point de vue documentaire, nous informe également sur les caractéristiques des trois grandes civilisations de l'espace méditerranéen au XIIe siècle. Le contexte géographique et historique prouve à quel point les contacts entre celles-ci étaient forts, qu'ils soient pacifiques ou violents.

Dès le XIIe siècle, ces sciences pénètrent par l'Espagne en Occident et les universités européennes vont découvrir les grecs Aristote, Ptolémée, Hippocrate et Euclide via l'arabe. Ce sont les juifs venus d'orient et les clercs de l'Eglise qui diffusent ces connaissances. La révolution du XVIIIe siècle est en ferment, elle intégrera les racines greco-byzantines et indo-persanes mais surtout Aristote.

Dans le monde occidental

Les sciences occidentales du Moyen Age restent subjectives et qualitatives. La magie et la religion y occupent une place importante comme hypothèse explicative. Comme dans l'Antiquité, les savants pratiquent un art qui sera qualifié de libéral (de l'homme libre, par opposition à l'esclave), sans recours aux techniques et aux expérimentations. Ils gardent leurs connaissances à l'abri du regard des ignorants, jusqu'à la scolastique et les universités du XIIe siècle. Les savants sont des hommes secrets et rares, sans maitrise technique (pas de blouse blanche !).


La création de la scolastique dans les monastères a pour but d'instruire et d'éduquer les prêtres. La théologie est la matière principale mais le souci de chercher des causes naturelles pour expliquer aux phénomènes commence à se faire sentir. La pauvrété des connaissances en physique va conduire de nombreux lettrés à se mettre en quête de manuscrits, notamment en direction de l'Espagne qui redevient chrétienne vers 1085 et tolère les trois religions. Un centre culturel est crée à Tolède et on commence, pendant deux siècles, à y traduire les manuscrits disponibles, de la langue arabe à la langue populaire puis, de la langue populaire au latin. Ces traductions conduisent à des glissements de sens. A la fin du XIIe siècle, une minorité lettrée en Occident dispose des connaissances scientifiques gréco-arabes, à travers les écrits grecs de Ptolémée, d'Aristote disponibles dans des traités arabes. On tente d'assimiler et d'interpréter les travaux grecs, mais l'approche reste subjective. Les interprétations des textes antiques restent liées à la religion et à l'astrologie.

Avec le soutien actif de l'Eglise catholique, la première université est fondée à Bologne à la fin du XIe siècle. Des universités importantes apparaissent en France, en Italie, en Angleterre (Paris, Padoue, Oxford). Elles choisissent de former aux sciences et à la philosophie, mais aussi à la religion. Il s'agit de diffuser les connaissances antiques mais aussi des connaissances pratiques sur l'agriculture, la botanique, la géographie, alors que la démographie occidentale à doubler. Dès le début du XVIe siècle, on compte une soixantaine d'universités à travers toute l'Europe, des institutions soutenues par l'Eglise.

Dans les universités, on revient progressivement au niveau de connaissances de l'Antiquité grecque, on y traite "l'art des nombres" (le QUADRIVIUM : arithmétique, géométrie, musique, astronomie) et l'art de la parole (le TRIVIUM : grammaire, rhétorique, logique).



Septem artes liberales from "Hortus deliciarum" by Herrad von Landsberg (about 1180)

A travers un enseignement basé sur la disputatio, les étudiants apprennent à opposer et à défendre leurs arguments par l'esprit critique. L'héritage grec conduira au développement de plusieurs disciplines scientifiques jusqu'à la fin de la période médiévale:

  • philosophie, biologie, astronomie, en référence à Aristote et Platon,
  • médecine (avec la connaissance du corps), en référence à Hippocrate et Galien,
  • arithmétique, géométrie, en référence à Pythagore, Euclide,Thalès.

Cependant, à plusieurs reprises, l'évéché de Paris condamne l'enseignement d'Aristote qui occupe une place prépondérante dans les sciences du Moyen Age occidental. En effet, les écrits d'Aristote, qui considérent le monde comme éternel, nient l'acte divin de la Création. Parce qu'il considère que l'âme ne survit pas au corps, Aristote nie également la croyance en l'immortalité. Si Aristote est interdit à Paris, il continue à être enseigné ailleurs mais également critiqué par les penseurs de l'époque, en lien avec la censure religieuse.

En physique par exemple, on s'interroge sur le mouvement d'un objet lancé et sur le fait qu'il continue son mouvement une fois qu'il a été lancé. Aristote évoque un effet lié au mouvement successif des portions d'air qui s'épuise avec le temps, ce qui conduit l'objet à tomber progressivement. L'air assurerait donc la continuité du mouvement et son ralentissement. Jean Buridan émettra alors la théorie de l'impetus en 1340. Pour lui, il s'agit d'une force motrice transitoire dépendant de la vitesse et de la masse de l'objet en mouvement. L'impetus serait annulé progressivement par la résistance du milieu mais dans l'espace, cette force expliquerait le mouvement circulaire indéfini des astres. Il rompt avec Aristote qui considérait que les lois du monde terrestre ne s'applique pas au monde des cieux, et annonce ainsi l'arrivée de la physique moderne.

Mais les textes d'Aristote continuent malgré tout à faire office de vérité. La chrétienneté est plutot divisée par rapport à la place de ces connaissances scientifiques en société : si certains proposent le refus d'une pensée d'origine grecque et paienne pour se concentrer sur la question du salut des âmes, d'autres estiment que cette pensée révéle la puissance et la sagesse de Dieu. C'est cette vision et cette hellenisation de la religion catholique qui rendra célèbre Saint Thomas d'Aquin. On a souvent pensé que l'Eglise médiévale était hostile aux sciences mais elle a en réalité favorisée l'émergence progressive d'une physique médiévale parfois en rupture avec Aristote et qui annoncera celle de XVIIe siècle. On ne se contentera plus seulement de formuler des hypothèses explicatives plurielles qui rendraient compte de la complexité du monde créé par Dieu, mais les modernes tenteront de les soumettre à l'épreuve du réel pour n'en retenir qu'une.

TD : Saint Thomas d'Aquin - XIIIe siècle : entre foi et raison

During the 13th century, Saint Thomas Aquinas sought to reconcile Aristotelian philosophy with Augustinian theology. Aquinas employed both reason and faith in the study of metaphysics, moral philosophy, and religion.

"Born in Italy in around 1225, Thomas's father had him educated in preparation for high office. However, while studying at Naples University, the young Aquinas came into contact with the brothers of Saint Dominic, an order of monks dedicated to poverty and teaching, and decided to join them. His father sent his brothers to bring him home where he was imprisoned for two years until his father finally accepted his son's vocation. Aquinas spent his life teaching and studying, producing one of the most important texts of the Catholic Church, the 'Summa Theologica'.[...] National Gallery, London.

Dans Summa Theologica (Ire partie "Dieu, la création", question 2 "L'existence de Dieu", article 3 : « Dieu existe-t-il ? »), Thomas d'Aquin présente cinq voies (quinquae viae) de la raison naturelle qui, partant du réel existant, permettent de remonter à l'existence de Dieu.

1. par le mouvement : les choses sont constamment en mouvement, or il est nécessaire qu'il y ait une cause motrice à tout mouvement. Afin de ne pas remonter d'une cause motrice à une autre, il faut reconnaître l'existence d'un « Premier moteur non mû », c'est Dieu.

2. par la causalité efficiente : nous observons un enchaînement de causes à effet dans la nature, or il est impossible de remonter de causes à causes à l'infini ; il faut nécessairement une Cause Première : c'est Dieu.

3. par la contingence : il y a dans l'univers des choses nécessaires qui n'ont pas en elles-mêmes le fondement de leur nécessité. Il faut donc un Être par Lui-même nécessaire qui est Dieu.

4. par les degrés des êtres : preuve reprise de Platon, qui a remarqué qu'il y a des perfections dans les choses (bien, beau, amour, etc.) mais à des degrés différents. Or il faut nécessairement qu'il y ait un Être qui possède ces perfections à un degré maximum, puisque dans la nature toutes les perfections sont limitées.

5. par l'ordre du monde : on observe un ordre dans la nature, l'œil est ordonné à la vue, le poumon à la respiration, etc. Or à tout ordre, il faut une intelligence qui le commande. Cette Intelligence ordinatrice est celle de Dieu.


Le Triomphe de Saint Thomas d'Aquin
(Gozzoli (1470 - 1475),
Musée du Louvre) au centre, Saint Thomas d'Aquin, entre Aristote et Platon, terrassant Averroès

Comme dans les sciences arabes, l'objectif des sciences reste d'établir des calendriers lunaires et solaires utiles à la religion, mais aussi pour résoudre des problèmes pratiques, notamment en agriculture (date des récoltes ou des vendanges) et par rapport aux épidémies.

Bilan : En occident, entre le XIII et le XVe siècle, l'imprimerie et les techniques artisanales explosent. Ces techniques vont aider les pratiques scientifiques. En retour, la science alimentera la réflexion technique. C'est l'époque des ingénieurs du Prince comme Leonard de Vinci. Les horloges, les lunettes contribuent à mieux comprendre la mécanique, en relation avec les techniques artisanales. Ces facteurs techniques, associés à la création des universités favorisent l'émergence d'un nouvel état d'esprit scientifique et d'une nouvelle méthode qui conduira à la révolution scientifique copernicienne par l'objectivation, l'esprit critique et la remise en cause des évidences et des postulats.

En astronomie, Galilée et Kepler apporteront l'expérimental et le quantitatif. Les mouvements astronomiques, circulaires et parfaits selon les grecs (notamment dans la Physique d'Aristote) deviendront des ellipses, et le géocentrisme du grec Ptolémée reculera devant les évidences galiléennes de l'héliocentrisme. Newton, soixante ans plus tard, apportera une loi causale mathématique pour expliquer la dynamique céleste.

Voir les travaux de l'anglais Robert Hooke (1635-1703), un scientifique expérimentaliste du XVIIe siècle, et l'une des figures clés de la révolution scientifique de l'époque moderne, notamment avec l'invention d'un microscope à grossissement de 30 fois, ce qui est bien supérieur aux instruments précédents.

Dessin des premières « cellules » observées dans des coupes d'écorce d'arbre
par Robert Hooke en 1665. Dessin dans son ouvrage Micrographia, Observation XVIII.

Ce n'est qu'en 1839, que le biologiste allemand Theodor Schwann proposera sa théorie cellulaire : tous les êtres vivants sont formés d'un ensemble d'unités structurales de même type, les cellules.

Les sciences et la philosophie chinoise

Alors que la science occidentale mécaniste, géométrique, théorique et analytique se développe progressivment, on découvre en Chine, au XVIIe siècle, lors des missions jésuites, une science chinoise organique, pragmatique et algébrique, alors qu'elle génère des découvertes techniques majeurs comme l'étrier qui arrive en Europe au Xe sicèle et permettra à la cavalerie de maintenir le régime féodale, la poudre qui marquera la fin de ce régime au XIVe sicèle et le début de la bourgeoisie, le papier et l'imprimerie au XVe siècle qui permettront la diffusion et le partage des savoirs entre les centres culturels, ou encore la boussole qui permettra aux Européens de conduire l'exploration maritime plus efficace.

On véhicule encore aujourd'hui l'idée fausse que l'astronomie arrive en Chine grâce aux Jésuites. Alors que l'Europe considère la voute céleste comme immuable, pendant 15 siècles et en relation avec la pensée d'Aristote, la Chine observe et décrit les cieux avec des instruments sophistiqués que découvriront les missionnaires jésuites au XVIIe siècle.


L'ancien observatoire de Pékin


L'astrolabe de l'ancient observatoire de Pékin


« le lieu où l’Orient et l’Occident se rencontrent »


Reconstruction de la mini-automobile à vapeur
inventé par Verbiest.

Trois d'entre eux ont joué le temps d’un siècle un rôle décisif pour obtenir en 1692 la liberté religieuse pour les chrétiens en Chine : l’Italien Mattéo Ricci (1552-1610), l’Allemand Johann Adam Schall von Bell (1591 – 1666) et enfin le Belge Ferdinand Verbiest (1623 – 1688). Pour conduire les Chinois vers le catholicisme, ils décidèrent de gagner leur confiance en les épatant avec les connaissances astronomiques, scientifiques et techniques occidentales les plus avancées de leur époque, domaine où l’Occident l’emportait sur l’Orient. Par ce « détour scientifique » qui consistait à faire reconnaitre la supériorité de la science occidentale, on espérait amener les Chinois à adhérer à la religion occidentale elle aussi jugé supérieure. Comme le formulait Verbiest : Comme la connaissance des étoiles avait jadis guidés les mages d’Orient vers Bethléem et les jeta en adoration devant l’enfant divin, ainsi l’astronomie guidera les peuples de Chine pour les conduire devant l’autel du vrai Dieu !

Le jésuite Ricci décrie en 1601 l'observatoire de Pékin. Mais les missionnaires tentent plutot de modifier cette cosmologie chinoise pour la rendre conforme à l'astronomie grecque. Les chinois connaissaient les comètes (29 passages de la comète de Halley sont décrits), la naissance d'étoiles nouvelles, les calendriers annuels, mais ces savoirs seront escamotés par les jésuites.

Au XVIIe siècle éclate en Chine une controverse au sujet de la prédiction de l'éclipse du 16 janvier 1665. Verbiest réalise une prédiction plus précise que ses homologues chinois et islamiques, en se fondant sur les nouvelles lois de Kepler. Le jeune Empereur Kangxi, qui prend alors les commandes de l'Empire en 1667, nomme Verbiest directeur du bureau de l’Astronomie et en 1671 il devient le tuteur privé de l’Empereur ce qui fait naitre chez lui l’espoir de pouvoir un jour convertir l’Empereur au Christianisme.

Ce jésuite flamand passera 20 ans à Pékin comme astronome en chef à la Cour de l’Empereur de Chine pour qui il élabora des calendriers, des tables d’éphémérides, des montres solaires, des clepsydres, un thermomètre, une camera obscura et même un petit charriot tracté par un machine à vapeur élémentaire, ancêtre lointain de la première automobile. En dirigeant la vapeur produite par une bouilloire placé sur un petit charriot vers une roue à aubes, Verbiest rapporte d’avoir réussi à créer une auto-mobile rudimentaire : « Avec ce principe de propulsion, on peut imaginer pas mal d’autres belles applications ».

A la demande de l’Empereur, Verbiest apprendra la langue Mandchou pour lequel il élabore une grammaire. En 1674, il dessine une mappemonde et, s’applique à produire avec les artisans chinois des canons légers pour la défense de l’Empire. Verbiest faisait également office de diplomate avec les délégations portugaises, russes, hollandaises.

A Paris, Couplet, le collaborateur de Verbiest, publie en 1687 un livre dédié à Louis XIV, le Confucius Sinarum philosophus, qui le fait connaître partout en Europe. Couplet est enthousiaste : On pourrait dire que le système éthique du philosophe Confucius est sublime. Il est en même temps simple, sensible et issu des meilleures sources de la raison naturelle. Jamais la raison humaine, ici sans appui de la Révélation divine, n’a atteint un tel niveau et une telle vigueur.


Confucius (551-479 av JC) est considéré comme le premier « éducateur » de la Chine. La lecture attentive des Entretiens montre qu’il n’a pas voulu s’ériger en maître à penser, et qu’au contraire il voulait développer chez ses disciples l’esprit critique et la réflexion personnelle : « Je lève un coin du voile, si l’étudiant ne peut découvrir les trois autres, tant pis pour lui. ». Le confucianisme a été choisi comme philosophie d’État pendant la dynastie Han.
Les Jésuites en Chine ont tenter un transfert culturel de la pensée confucéenne aux élites européennes du XVIIe et XVIIIe siècles, favorisant la sinophilie, voire la sinomanie des intellectuels. On parlera même d'humanisme chinois. Ils font de Confucius un saint, ce qui est un des éléments déclencheurs de la Querelle des rites (plusieurs querelles entre 1552 et 1773). Jusqu’à la fin de l’Empire, en 1911, le système des examens est resté basé sur le corpus confucéen.

En 1692, L’Empereur Kangxi, sans doute en partie pour honorer Verbiest (mort en 1688), décrète la tolérance religieuse pour les chrétiens (Édit de tolérance). Au moment même, la réponse du Vatican fait exploser une fois de plus la « Querelle des Rites ». Il propose d’utiliser le mot « Tian-zhu » pour désigner l’idée occidentale d’un Dieu personnifié, concept totalement étranger à la culture chinoise, d’interdire la tablette impériale dans les églises, interdire les rites à Confucius, et on condamne le culte des Ancêtres. Les rites chinois seront définitivement condamnés en 1704. Lorsque l’Empereur Yongzheng succède à Kangxi, il fait interdire le christianisme en 1724. Seuls les Jésuites, scientifiques et savants à la cour de Pékin, peuvent rester en Chine.

La science chinoise, qui n'est pas mécaniste mais globale, est fondée sur des principes d'opposition (exemple du yin-yang) et sur le fait que les effets et les causes sont liés. En médecine, les organes sont liés dans des flux d'énergie et la technique de l'acupuncture tente de gérer ces flux d'énergie. Considérer que la Terre est à la fois ronde et plate, suivant les problèmes que l'on doit résoudre (étude céleste ou construction d'un batiment), n'est pas une difficulté insurmontable.

Alors pourquoi la révolution scientifique n'est pas chinoise ? Plusieurs hypothèses socioscientifiques peuvent être avancées. Au XVIIe siècle, la rupture politique entre la dynastie et les scientifiques, la centralisation du système sociale ou encore l'administration impériale n'ont pas favorisé les échanges interculturels de connaissances.

Pour certains, l'avènement au milieu du XXe siècle des sciences quantiques, avec la reconnaissance de la complémentarité nécessaire entre des opposés comme l'espace-temps, ou encore onde-particule ou encore l'observateur-observé, et plus récemment, au début du XXIe siècle, l'émergence d'une médecine organique (voir TD ci-dessous) à partir de l'étude des micro-organismes de l'appareil digestif montre que les sciences occidentales se tournent progressivment vers des fondements paradigmatiques d'origine chinoise.

TD "Le ventre, notre deuxième cerveau" vers un autre paradigme en médecine : voir le site Arte et les commentaires de 71 internautes suite à la diffusion du documentaire Arte-France de 2013 (durée  : 55 min, diffusion le vendredi 31 janvier 2014 à 22h20, ).


Ce documentaire de Cécile Denjean évoque un probable changement de paradigme dans la médicine occidentale, avec des représentations de l'argumentation scientifique, de la méthode scientifique et de son éthique, de la découverte, de la gestion des preuves en sciences, de la place des sciences en société, et un rapport particulier à la vérité et au progrès.

Lire les commentaites du journal Le Monde :

Ecouter les commentaires de France Culture dans l'émission "Le cerveau dans le ventre" du 07 avril 2014.

Lire les commentaires de France Info : "L'influence du ventre sur le cerveau" du 20 août 2014.

E. Aux origines de la "Révolution scientifique" du XVIè-XVIIè siècle : vers le libre examen des postulats et des credo religieux - Et le début de la déshellinisation du christianisme...

De Revolutionibus Orbium Coelestium (Libri VI, 1543, Des révolutions des sphères célestes) de Copernic. Cet ouvrage bouleverse la vision des Occidentaux en imaginant un univers héliocentriste [...] L'ouvrage original a été acheté en 2008 pour 2 millions de dollars (1,55 millions d'euros).

Pour Shapin (1998), à partir de Copernic et de la nouvelle astronomie (1543), la période est marquée par un changement dans la conception du rapport de l'homme à la Nature et la mise en place de nouvelles pratiques destinées à expliquer, comprendre et prévoir le monde naturel. Ce changement s'accompagne d'une modification des structures religieuses, politiques et économiques.

Pestre (2006) parle de la mise en place d'un nouveau régime des sciences en société. Les sciences dites modernes vont changer les croyances sur la nature, sur la place de l'Homme dans la nature mais également sur la façon d'établir les croyances, éloignée des credo religieux. Des processus sociaux nouveaux apparaissent progressivement pour réguler l'entreprise scientifique, en lien avec le contexte socio-historique.


Harun Yahya, L’Atlas de la création,
vol. 1, Editions Global, Istambul, 2006

A partir de cette époque et durant les 4 siècles suivants, quatre changements apparaissent dans la théorie de la connaissance de la Nature et les modes d'appréhension de la Nature (Gingras, 2009):

  1. la mécanisation et la mathématisation de la Nature,
  2. la dépersonnalisation des connaissances naturelles (tentative d'objectivation),
  3. la mise en place de normes méthodiques associées à l'entreprise scientifique
  4. l'emploi de la connaissance naturelle à des fins morales, politiques et sociales, puis économiques à partir de l'après seconde guerre mondiale (Pestre, 2006). Ce dernier point conduira les sociétés et les Etats à soutenir et à donner de la valeur et de l'autonomie à l'entreprise scientifique, mais aussi, comme dans l'exemple de l'Allemagne nazie ou de la Russie communiste, ou plus récemment la montée mondiale des courants créationnistes, à instrumentaliser les sciences et les technosciences à des fins idéologiques et politiques.
  • Exemple de l'envoi de l'Atlas de la Création dans plusieurs écoles et universités françaises à la fin du mois de janvier 2007.

Yahya, A. (2006, p.720-729)

Russel (1990, Science et religion) précise que l'entreprise scientifique va progressivement être associée à des progrès sociaux notables. Parallèlement, elle s'accompagne d'une remise en cause des credo religieux et à des conflits avec les Eglises à partir du XVIe siècle. Les sciences modernes apparaitront alors comme révolutionnaires dans la mesure où elles entreront en opposition avec le credo médieval défendu par le théologien Saint Thomas d'Aquin affirmant l'existence d'un créateur omnipotent et bienveillant. Rappelons que ce credo, certitude éternelle et une vérité absolue déduite des Ecritures, Saint Thomas d'Aquin avait tenter au XIIIe siècle de le concilier avec la philosophie du grec Aristote, redécouverte au XIIe siècle en Occident. C'est ce que Benoit XVI (2006) qualifie d'hellenisation du christianisme.

Le crédo entrera en conflit avec les vérités provisoires et les hypothèses hautement probables, c'est à dire les théories scientifiques, reposant sur des faits observables et vérifiables. Russel identifie à partir du XVIe siècle l'émergence de plusieurs théories scientifiques ayant conduit à des ruptures de représentations avec les religions.

Voir également les deux conférences en ligne de Sciences et Avenir n°184, Janvier 2016, Dieu et la science : Leçon de Luc Ferry et celle de Pascal Picq).

Russel (1990 : 38) précise que les sciences se sont développés dans un ordre particulier. Ce qui était le plus loin de nous a d'abord été soumis à des lois, puis ce qui était plus près : d'abord les cieux, puis la Terre, puis la vie animale et végétale, puis le corps humain et en dernier lieu (très imparfaitement d'ailleurs) l'esprit humain.

  • la révolution copernicienne (versus le dessein cosmique)
  • la théorie de l'évolution (versus le dessein intelligent)
  • la médecine (versus la démonologie)
  • l'âme et le corps (versus le mysticisme)
  • le déterminisme (recherche de lois causales versus le dessein intelligent et le finalisme)

Les différents conflits entre science et religion vont ainsi conduire à la déshéllenisation du christianisme. Selon Benoit XVI (Rencontre avec les représentants du monde des sciences, discours à l'Université de Ratisbonne, septembre 2006), cette déshellenisation s'est construire en trois étapes : le XVIe avec la Réforme, le XIX-XXe avec le protestantisme libérale et XXIe avec la demande politique d'un pluralisme culturelle. Habermas (2008, article : l'espace public et la religion) soutient d'ailleurs que la modernité correspond à cette déshellénisation progressive du christianisme, en rupture avec Saint Thomas d'Aquin.

Les théologiens vont progressivement réinterpréter les Ecritures comme des récits allégoriques, abandonnant par exemple la question de l'existence historique de l'Arche de Noé, du Déluge ou encore d'Adam et Eve. Les religions continueront par contre à défendre et à revendiquer un état d'esprit spécifique et différent de celui des sciences, en interrogeant les buts de la vie humaine, la sagesse, le bien et la mal, le respect d'autrui.

Cette tendance conduira à ce que Gould (1998) appelle le principe de séparation des magistères de la science et de la religion catholique (principe NOMA ou Non-Overlapping Magistera).

Pour Habermas (2008), au XIXe siècle, le monopole des sciences sur la production de connaissances, la rupture avec la métaphysique du Moyen-Age et les credos, a conduit à l'émergence d'une nouvelle foi aveugle en la science (le positivisme d'Auguste Comte et le scientisme), avec réduction de la rationalité à la seule rationalité scientifique. C'est cette vision que l'on découvre dans les textes actuelles d'enseignement des sciences par des recommandations du type : Les élèves doivent comprendre que les sciences et les techniques contribuent au progrès et au bien-être des sociétés (Socle commun de connaissances et de compétences, 2006). En se référant aux enquêtes du CNRS (2000) citées précédemment, on se rend compte que cette vision des sciences ne fait pas l'unanimité, puisque pour près de 55% des sondés, les sciences apportent autant de bien que de mal.

E1. La remise en cause progressive de l'héritage grec : exemple de l'émergence d'une médecine universitaire d'observation et d'expérimentation
voir l'ouvrage Jean Claude Ameisen, Patrick Berche, Yvan Brohard (2011). Une histoire de la médecine ou le souffle d'Hippocrate. Editions de la Martinière.

Au Moyen Age, en Occident, les maladies sont considérées comme une punition divine, selon la tradition grecque et même égyptienne, qui considèrait que les maladies étaient d'origine surnaturelle ou liées à des accidents astrologiques. Elles doivent être soignées par un Saint Patron, plutot que par un médecin.


Source : Musée canadien de l'histoire

Pourtant dès le Ve siècle avant JC, les grecs commencent à chercher des raisons physiques. Hippocrate ignore les causes spirituelles et développe la théorie des humeurs.

4 humeurs (sang, phelgme, bile jaune et la bile noire) sont associés à 4 organes (coeur, cerveau, foie et rate), aux quatre saisons et aux quatre âges de l'homme (enfance, adolescence, adulte et vielliesse). Selon cette théorie, le tempéramment (sanguin, phelgmatique, colérique, mélancolique) mais aussi les sauts d'humeur et les maladies résulteraient d'une suractivité de certains organes, créant un déséquilibre des humeurs.

Au IIIe siècle après JC, Claude Galien prolonge cette théorie des 4 fluides gouvernant notre santé. Elle se maintiendra jusqu'à la fin du Moyen Age. Galien se lancera dans des dissections minutieuses de Mammifères. Il distinguera "l'esprit vital" dans le coeur et "l'esprit animal" (animé) dans le cerveau et les nerfs. Galien recommande alors la saignée comme remède à n'importe quelle maladie (traitement universel). Cette pratique influencera la médecine occidentale jusqu'au XIXe siècle.

Dans la lignée des savants grecs, les médecins du Moyen Age sont des hommes riches, méprisants le travail manuel. Il suffit d'apprendre dans les livres pour devenir médecin.

Au XIIè siècle, les premières écoles médicales sont fondées en France et en Italie, à partir de la redécouverte des textes d'Hippocrate et de Galien. Les traductions d'Hippocrate et de Galien par Avicenne (Xe siècle) circulent en Europe et se trouveront dans les mains du franciscain Roger Bacon au XIIIe siècle.


Roger Bacon (1214-1294), le Docteur admirable
Oxford University Museum of Natural History. Photograph taken by Michael Reeve (2004).



Le Nom de la Rose, Umberto Eco (1982)
4e jour, vêpres, p. 330 et p. 338.

TD : Les débuts de la philosophie expérimentale (XIIIe siècle) dans le film : Le Nom de la Rose

Dans Le Nom de la Rose d'Umberto Eco, le moine enquêteur Guillaume de Baskerville, que campe un Sean Connery au regard pénétrant, s'inspire des préceptes de son maître franciscain Roger Bacon (1214-1294), le Docteur admirable. Pour résoudre un mystère dans un monastère bénédictin, s'entend dire le jeune novice Adsor, ni la voie purement déductive ni la voie inductive ne sauraient être fécondes.

Adso, dit Guillaume, résoudre un mystère n'est pas la même chose qu'une déduction à partir de principes premiers. Et ça n'équivaut pas non plus à recueillir une bonne quantité de données particulières pour en inférer ensuite une loi générale.

Dans les brumes mystiques du Moyen-Âge perce la maxime de frère Roger, dans un latin que nous comprenons encore aisément : sola experientia certificat, et non argumentum. Frère Roger porte dans le même temps un premier coup de bélier à l'enseignement scolastique, pourfendant les autorités et s'élevant contre les méthodes employées à l'Université de Paris. Partisan des abrégés qui laissent de côté les questions superflues, il raille les traités volumineux qu'il faut transporter à dos de mulet.

 

Je compris à ce moment là quelle était la façon de raisonner de mon maître. (...). Je compris que lorsqu'il n'avait pas de réponse, Guillaume s'en proposait un grand nombre, et très différentes les unes des autres. Je restai perplexe.
- Mais alors, osai-je commenter, vous êtes encore loin de la solution…
- J'en suis très près, dit Guillaume, mais je ne sais pas de laquelle.
- Donc, vous n'avez pas qu'une seule réponse à vos questions ?
- Adso, si tel était le cas, j'enseignerais la théologie à Paris.
Il se divertissait à imaginer le plus de possibles qu'il était possible.

Le moine franciscain Guillaume de Baskerville est, de l'aveu même d'Eco, un clin d'œil à Guillaume d'Ockham, notamment lorsqu'il déclare : « il ne faut pas multiplier les explications et les causes sans qu'on en ait une stricte nécessité. » Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem (principe de parcimonie ou rasoir d'Occam). Dans le cas où deux hypothèses ont la même vraisemblance (ou poids d'évidence), on favorisera l'hypothèse la plus simple (ou parcimonieuse). Mais la maxime reconnaissable dans les écrits de Guillaume d'Ockham (1319) est « Une pluralité ne doit pas être posée sans nécessité. Pluralitas non est ponenda sine necessitate (Quaestiones et decisiones in quatuor libros Sententiarum cum centilogio theologico, livre II) (1319).

La théière de Russell, parfois appelée théière céleste, est une analogie évoquée par Bertrand Russell en 1952, affirme que c'est au croyant de prouver les bases « invérifiables » de la religion plutot qu'au sceptique de les réfuter. L'idée est de supposer l'existence d'une hypothétique théière en orbite autour du Soleil, entre la Terre et la planète Mars ; selon Russell, y croire (et demander aux gens d'y croire) sous prétexte qu'il n'est pas possible de prouver sa non-existence est insensé.


William of Ockham

from the 'Summa Logicae', 1341 (litho)
He was an English Franciscan friar and scholastic philosopher and theologian, who is believed to have been born in Ockham, a small village in Surrey.

Au XIVe siècle, Guillaume d'Ockham, dit le « Docteur invincible » et le « Vénérable initiateur » (Venerabilis inceptor), philosophe, logicien et théologien anglais, membre de l'ordre franciscain, considéré comme un éminent représentant de l'école scolastique nominaliste (ou « terministe », selon la terminologie ockhamienne), principale concurrente des écoles thomiste et scotiste.

Sa doctrine fut soupçonnée d'hérésie par les autorités ecclésiastiques parce qu'elle remettait en cause bon nombre de postulats de la théologie traditionnelle, notamment ses prémisses « scientifiques » (subordination thomiste ou déduction scotiste), et parce qu'elle critiquait la possibilité d'une démonstration de l'existence divine. Ockham s'en est également pris aux fondements de l'autorité temporelle du pape dans ses écrits politiques, rejoignant de facto l'empereur Louis IV de Bavière en lutte contre le Saint-Siège.

On voit parfois dans la philosophie d'Ockham les prémices de la science moderne, de l'empirisme anglais ainsi que de la philosophie analytique contemporaine, car elle insiste surtout sur les faits et sur le type de raisonnement utilisé dans le discours rationnel, au détriment d'une spéculation métaphysique sur les essences.

Guillaume d'Ockham affirme la séparation de la raison et de la foi, tout en posant qu'il n'y a pas de hiérarchie entre la philosophie et la théologie, que la première ne peut devenir la servante de la seconde, car il n'y a aucun rapport entre elles. De même que la science et Dieu ne se rencontrent pas, Guillaume d'Ockham considère que le pouvoir temporel est d'un autre ordre que le pouvoir spirituel [...] Six siècles avant que ne commence à prendre une certaine ampleur le principe de la séparation de l'Église et de l'État, Guillaume d'Ockham aura été un précurseur de la sécularisation. En cela, il se place en continuateur et en modérateur de l'œuvre de Marsile de Padoue.

 

Au XIVè siècle, les dissections sont autorisées, mais rares, à partir des cadavres de pendus ou surtout en relation avec l'épidémie de Peste Noire (1348-1352) qui anéantit 1/3 de la population occidentale. La cause invoquée est un air vicié et les médecins de l'époque se munissent d'un masque à bec rempli d'herbes aromatiques supposées agir comme un filtre à air.


Plague Doctor Medieval Mask



Portrait présumé de Paracelse
huile sur bois, musée du Louvre, Paris.

Au XVIe siècle, le médecin et alchimiste suisse Paracelse refuse les fondements grecs et conservateurs de la médecine de Galien et d'Avicenne, qu'il brule. Il développe une théorie alchimique selon laquelle tout est le résultat de transformation chimique : par analogie avec ce que l'on constate dans l'alchimie (distillation-condensation), il considère que l'évaporation de l'eau puis sa condensation genère la pluie. La croissance des animaux ou des plantes, mais aussi la création du monde, avec la séparation de l'eau  et de la Terre trouve une explication dans cette théorie du tout. Il propose ainsi une science rationaliste qui cherche des causes à tous les phénomènes, en supposant que le macrocosme et le microcosme sont en correspondance, des cieux jusque dans le corps humain et les fioles des alchimistes. Cela le conduit par exemple à supposer qu'une plante en forme de rein peut guérir une maladie rénale. Cette plante serait un signe laissé par Dieu.

Paracelse entre alors en conflit avec les enseignements donnés dans les facultés de médecine dans lesquelles Hippocrate et Galien sont la référence. Il estime que pour devenir médecin, il faut de l'expérience et de la pratique. Il se tourne vers l'alchimie pour soigner, avec la recherche de remèdes spécifiques à chaque maladie. C'est la fin des traitements universels. Sa vision s'impose en Angleterre mais pas à la faculté catholique et conservatrice de Paris, pour des raisons religieuses.

Paracelse est plutot issu de la Réforme protestante, il se compare d'ailleurs à Martin Luther. Le roi Henri IV est favorable à son approche, ce qui crée des tensions en 1589 avec la faculté de Paris défendant l'approche d'Hippocrate et de Galien. A la mort du Roi, Paracelse part pour l'Angleterre puis revient en France en 1650, lors de l'ouverture du "Jardin royale des plantes médicinales" et de la nomination de William Davisson, un français d'origine écossaise, comme premier professeur de Chimie en France puis intendant du "Jardin du Roy". La faculté de médecine de Paris réussira à le faire expulser mais il reviendra dès que le Jardin sera une institution célèbre et grâce à ses publications de Chimie et de médecine chimique en langue populaire.



Frontispice du livre d'André Vésale
De humani corporis fabrica, 1542

Public dissection, being conducted by Vesalius himself who lectures from the side of the opened corpse, not from the lecturer's chair.

A la même époque que Paracelse, à l'Université de Padoue, le belge Vesalius Andreas s'attaque aux enseignements proposés à l'université de Paris. Il met fin aux dogmes du galiénisme avec la publication en 1540 de "De humani corporis fabrica". Il utilise une stratégie de formation radicalement différente de celle de Paris : il enseigne à partir de dissections de pendus et d'observations directes.

Les livres ne sont plus la référence. C'est une rupture franche avec la période médiévale. Il découvre les erreurs de Galien qui a travaillé à partir des singes magot, les dissections humaines étant interdites dans la Rome Antique.

Son ouvrage sera contemporain de celui de Copernic sur le système héliocentrique.


Leçon d'anatomie du Docteur Tulp devant 7 chirugiens. Scène peinte par Rembrandt à Amsterdam, le 16 janvier 1632

Ces controverses, liées aussi à la recherche d'une reconnaissance mais aussi d'une indépendance politique par les médecins de l'époque, ont surtout permis de tester la solidité des arguments des uns et des autres, mais aussi de chercher à développer une rhéotique convaincante socialement et politiquement, fondée sur l'expérimentation critique. En 1620, le philosophe anglais Francis Bacon (à ne pas confondre avec le franciscain Roger Bacon) incluera la médecine chimique dans sa vision d'une science fondée sur l'expérimentation critique.

E2. Les observations de Galilée et le début de la période moderne

Durant le mois de janvier 1610, Galilée observe avec une lunette astronomique Jupiter et trois de ses satellites en rotation (changement de position au cours du temps) : Jupiter est donc un deuxième centre de rotation dans l'univers ! C'est le début de l'approche héliocentrique, amorcée quelques années auparavant par Copernic.

Contexte socioscientifique : Galilée est financé par les Medicis pour produire des armes de guerre (voir texte ci-contre), dont les lunettes, qu'il utilise parallèlement pour regarder les astres du système solaire. Il montre que le modèle géocentrique du grec Claudius Ptolémée est un modèle de dynamique céleste qui ne correspond pas à la réalité. Il défend la pertinence explicative d'un modèle héliocentrique de son collègue Copernic, et entre en opposition avec la vision cosmologique de la religion catholique.

Soixante ans plus tard, Newton va proposer un moteur au modèle héliocentrique et une loi explicative que n'avait pas Gallilée pour expliquer la mécanique céleste : la loi de la gravitation universelle.

"This telescope has the advantage of discovering the ships of the enemy two hours before they can be seen with the natural vision and to distinguish the number and quality of the ships and to judge their strength and be ready to chase them, to fight them, or to flee from them; or, in the open country to see all details and to distinguish every movement and preparation"


Diagrams and notes documenting the position of Jupiter's moons on several nights in January 1610.

Cette tentative d'autonomisation des sciences par rapport à la pensée religieuse et politique marque le début des sciences modernes, avec l'entrée de la mathématisation des sciences, et d'un nouveau régime des sciences en société (Pestre, 2006). De cette période émergeront des connaissances "universelles", considérées comme le socle commun de connaissances scientifiques pour l'école française. Depuis cette époque, la place de l'homme dans la nature et les méthodes d'appréhension de la Nature sont repensées. L'émergence d'une nouvelle pratique culturelle associée à une pensée scientifique fondée sur l'expérimentation, l'observation et la modélisation scientifique, conduit à l'abandon progressif de l'hypothèse divine et de la subjectivité caractéristiques des sciences du Moyen Age. Avec Copernic (1540), c'est le début du libre examen des postulats.

E3. Le XVIIe siècle : entre philosophie rationnelle et philosophie expérimentale

Au XVIIe siècle, la controverse épistémologique opposera l'expérimentaliste anglais Francis Bacon, juriste de profession au rationnaliste français René Descartes (Discours de la méthode, 1637). Tous deux s'accordent sur le fait que les sens et l'esprit peuvent tromper, à cause de nos opinions et de nos préjugés. Pour espérer atteindre la vérité et la certitude, il faut une théorie de la connaissance (une métaphysique) qui nous éloigne des livres d'Aristote qui encombrent nos esprits. Ces deux hommes vont contribuer à séculariser le savoir humain à travers deux philosophies nouvelles.


Bacon appelle également à la création de sociétés savantes autour de sa méthode scientifique.
Son appel sera au fondement de la Royal Society en1660 et de l'Académie royale des sciences en 1666.

  • L'expérimentalisme anglais de Francis Bacon

Bacon propose de ne plus s'appuyer sur les textes anciens. Par observation, expérience et induction, on peut comprendre et établir les lois de la nature, en passant des effets aux causes. Selon lui, c'est une méthode scientifique sure qu'il définit dans le Novum Organum (1620). On parlera de philosophie expérimentale. Bacon parlera d'expérience cruciale permettant de trancher entre deux interprétations des faits ou hypothèses concurrentes.
Pourtant, même si Bacon appelle à une récolte soigneuse des données et à des expériences variées et méthodiques, ses pratiques sont pleines de préjugés et de croyances.

  • Le rationnalisme français de René Descartes

Pour Descartes, on peut passer des causes aux effets en procédant par a priori. Pour arriver à la certitude, on part d'une intuition et on opère ensuite la déduction. La raison décide en maitresse, puisqu'elle redresse le baton dans l'eau que l'on perçoit courbé. Il propose d'étendre cette philosophie rationnaliste et la méthode mathématique, source de certitudes, à toutes les sciences. On parlera de la raison pure cartésienne. Descartes s'oppose à la scolastique : il recommande de partir de l'exemple et non de la règle, de douter de sa raison et de celles des autres et de trouver par soi-même.

  • Vers la voie hypothético-déductive

Même si les hypothèses semblaient pourtant devoir être évitées par ces deux réformateurs, qui veulent établir des certitudes, on constate que Bacon fait un détour par l'hypothèse, alors que Descartes fait un crochet par l'expérience. Ils se rejoignent alors sur la voie médiane, la voie hypothético-déductive. Bacon dira avancer par une voie médiane, celle de l'abeille : « les empiriques, à la manière des fourmis, se contentent d'amasser et de faire usage ; les rationnels, à la manière des araignées, tissent des toiles à partir de leur propre substance ; mais la méthode de l'abeille tient le milieu : elle recueille sa matière des fleurs des jardins et des champs, mais la transforme et la digère par une faculté qui lui est propre. » (1620, I, 92).

René Descartes et Francis Bacon ont fourni deux philosophies qui se rejoignent dans la seconde moitié du XVIIe siècle : la première, héritière d'une philosophie rationnelle, en avançant sur les hypothèses, la seconde, représentant la philosophie expérimentale, en détaillant les rôles des expériences. Même si la voie du milieu semble se tracer, elle ne sera pas empruntée si aisément : l'engouement pour le système cartésien va bientôt l'en détourner, avant que la déviation mise en place par Newton dans un sens opposé en éloigne davantage encore.

Mais si Bacon, avec son appel à l'expérience et à la collaboration entre savants, est à l'origine de la Royal Society (1660) et de la tradition expérimentale anglo-saxonne, Descartes jouit bientôt d'un immense prestige, non seulement en tant que savant, mais parce qu'il fournit un système explicatif de l'Univers qui permet de se passer de celui d'Aristote -ce qui lui vaut d'ailleurs tout d'abord une résistance farouche de l'université parisienne conservatrice de la Sorbonne. Descartes est le premier, depuis Aristote, à offrir un tout cohérent, un nouveau paradigme (selon le terme de Thomas Kuhn). L'aspect mécaniste de la philosophie cartésienne aura un succès très étendu : tous les phénomènes naturels sont s'expliquer en termes de collision entre particules, l'univers est plein et tout y est machine et engrenages. Le tout, se substituant avantageusement aux qualités occultes cachées dans les corps et aux obscurités scolastiques, exercent une séduction qui se répand vite.

Préambule
PREMIÈRE PARTIE : CONSIDÉRATIONS TOUCHANT LES SCIENCES
SECONDE PARTIE : PRINCIPALES RÈGLES TOUCHANT LES SCIENCES
TROISIÈME PARTIE : QUELQUES RÈGLES DE LA MORALE TIRÉES DE LA MÉTHODE
QUATRIÈME PARTIE : PREUVES DE L’EXISTENCE DE DIEU ET DE L’ÂME HUMAINE OU FONDEMENTS DE LA MÉTAPHYSIQUE
CINQUIÈME PARTIE : ORDRE DES QUESTIONS DE PHYSIQUE
SIXIÈME PARTIE : CHOSES REQUISES POUR ALLER PLUS AVANT DANS LA RECHERCHE DE LA NATURE

SECONDE PARTIE : [...] au lieu de ce grand nombre de préceptes dont la logique est composée, je crus que j'aurais assez des quatre suivants pourvu que je prisse une ferme et constante résolution de ne manquer pas une seule fois à les observer.

  • Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle c’est-à-dire d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute.
  • Le second de diviser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de pour celles qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre
  • Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître,pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés; et supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres
  • Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre.

SIXIÈME PARTIE : [...] sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j’ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s’est servi jusques à présent, j’ai cru que je ne pouvais les tenir cachées, sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu’il est en nous, le bien général de tous les hommes. Car elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu’au lieu de cette philosophie spéculative, qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi dis-tinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feraient qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ;

E4. Newton et la querelle des hypothèses (Cariou, 2009)

Mais à la fin du XVIIe, le bel édifice cartésien se lézarde. La réaction contre Descartes a d'abord pris la forme d'un débat à propos des objections, qu'il a lui-même sollicitées, à ses Méditations métaphysiques (1641). Descartes doute de l'existence de toute réalité et récuse le témoignage des sens. Lorsque meurt Descartes (1650), le jeune anglais Isaac Newton (1643-1727) propose de bannir les hypothèses, et de contenir l'audace. Voilà qui caractérise la position méthodologique de Newton. Ses condamnations des hypothèses l'ont rendue célèbre à travers son ouvrage Optique (1704): "My Design in this Book is not to explain the properties of Light by Hypotheses, but to propose and prove them by Reason and Experiments" .

Dans la lettre qu'il adresse au secrétaire de la Royal Society en 1672, Newton affirme démontrer que les couleurs sont inhérentes à la lumière et ne sont pas dues, comme on l'admettait jusque là (Descartes, Hooke), à son affaiblissement. C'est dans les échanges vifs qui ont suivi que l'on voit évoluer la position de Newton concernant les hypothèses, qui finira par se cristalliser dans son hypotheses non fingo, une déclaration lourde de conséquences méthodologiques.


Image colorisée de la photogravure publiée par Selmar Hess en 1894 reproduisant une peinture réalisée par Loudan.

Pour Newton, l'observation se trouve donc en contradiction avec la théorie préexistante de Descartes : « Au début de l'année 1666, je me procurai un prisme de verre pour réaliser la célèbre expérience des couleurs ».[...] « je fus surpris de les voir de forme oblongue, alors que, selon les lois établies de la réfraction, je m'attendais à ce qu'elles soient circulaires. » Newton écrit alors, en termes typiquement baconiens, que l'exclusion graduelle de ces différentes suspicions finit par le conduire à l'expérience cruciale.

Une analyse plus détaillée de cette première présentation d'un travail scientifique par Newton montre qu'il s'agit d'une reconstruction, d'une mise en ordre de bataille, destinée à la fois à se conformer aux directives baconiennes de la Royal Society et à persuader le lecteur. Dans ses notes de laboratoire intitulées Of colours, Newton rapporte non pas une, mais 47 expériences avec un prisme. Ces notes témoignent de la formation des idées de Newton, avec un passage des expériences à la théorie qui n'est pas aussi direct qu'il a voulu le faire croire.

Pour Newton, les raisonnements mathématiques doivent s'étendre, et la certitude avec eux, jusqu'à la philosophie naturelle. Les deux sources méthodologiques de la science newtonienne sont la tradition mathématique et l'épistémologie baconienne. La méthode de Newton se distingue cependant de la méthode hypothético-déductive en ce qu'il ne lui suffit pas qu'une hypothèse soit explicative, encore faut-il qu'elle soit dérivée des expériences. Mais le monde physique est plus complexe que le monde mathématique.

C'est sa prétention à la certitude qui va causer le premier choc entre Newton et ses objecteurs, sur le sujet des hypothèses. Newton s'est aventuré trop loin en privilégiant une interprétation corpusculaire plutôt qu'ondulatoire de la nature de la lumière. Robert Hooke, de la Royal Society, défenseur de la théorie ondulatoire, écrit en réponse à Newton : « les mêmes phénomènes s'expliquent par mon hypothèse, aussi bien que par la sienne, (…) et je vais montrer qu'une autre hypothèse, différente à la fois de la sienne et de la mienne, peut faire la même chose. " Newton réalise alors qu'il a commis une erreur en reliant sa théorie des couleurs à une hypothèse particulière sur la nature de la lumière, corpusculaire plutôt qu'ondulatoire, mais il continue à répéter qu'il a décrit les choses telles qu'elles sont et qu'il ne faisait pas d'hypothèse.

L'orgueil de Newton est atteint et il se justifie en juillet 1672 : « La vraie méthode, vous le savez, pour s'enquérir des propriétés des choses, c'est de les déduire des expériences. Et je vous ai dit que la théorie que j'ai proposée m'est venue, non pas en inférant, c'est ainsi et ce n'est pas autrement, c'est-à-dire, non en la déduisant seulement de la réfutation des suppositions contraires, mais en la dérivant d'expériences d'où elle se conclut positivement et directement. ». En 1673, les critiques de Hooke continuant, il demande à ne plus être membre de la Royal Society et déclare ne plus vouloir s'engager dans une publication scientifique. Cependant, en 1675, pressé toujours par les critiques, il envoie à la Royal Society un essai nommé… An Hypothesis explaining the Properties of Light. La situation s'envenime avec Hooke, puis une trêve apparait jusqu'en 1679, date à laquelle Hooke devient secrétaire de la Royal Society et commence à émettre une hypothèse concernant la gravitation, qu'il soumet à Newton.

  • Controverse sur les origines de la gravitation et querelle de priorités entre Newton et Hooke

Hooke se demande si la gravitation n'est pas une sorte de magnétisme, comme le supposait Kepler, ou bien une onde, comme pour la lumière. Hooke explique qu'une onde peut entraîner un rapprochement comme lorsquron cogne le manche drun marteau retourné pour mieux en assujettir le métal ! Hooke précise que si les planètes ne vont pas droit, c'est quril doit y avoir une autre cause, en plus de leur première impulsion, qui courbe leur trajectoire. Il avance alors deux hypothèses : l'une d'un espace plein dans lequel varie la densité, et l'autre, « une propriété attractive du corps placé au centre ». Pour Newton, c'est la condensation de l'éther (1675), ou un gradient dans sa texture (1679) qui retient les planètes, adaptations de l'idée de Descartes.

Hooke émet une seconde hypothèse : cette force doit être inversement proportionnelle au carré de la distance. Il s'adresse en 1680 Newton, mathématicien, parce qu'il sait que celui-ci est capable, s'il adopte ses hypothèses, de déterminer par le calcul si elles conduisent bien aux lois orbitales de Kepler : de l'hypothèse d'une force attractive agissant selon l'inverse du carré de la distance, peut-on démontrer qu'il s'ensuit que l'orbite d'une planète est, comme on le sait depuis Kepler, une ellipse ?

Progressivement, Newton passe, en quelque sorte, de l'épaule du premier géant (Descartes) à celle du second (Hooke). Newton détient alors la solution mathématique qui aboutira, en 1687, à ses Principia. Mais il ne voudra jamais admettre qu'il s'est servi, pour la trouver, de l'hypothèse de la loi de l'inverse carré que Hooke lui a fournie : lorsque celui-ci estime devoir être cité pour son antériorité, sans nier la démonstration mathématique faite par Newton, le refus de ce dernier est catégorique: "Je le savais déjà", dit-il en substance, "je ne m'en suis pas servi", "cette loi se trouve dans le paragraphe de l'une de mes lettres envoyée au secrétaire de la Royal Society", en 1673. Bien plus tard, on trouvera en effet la lettre dans les archives de Huygens, mais sans le paragraphe en question. Certains auteurs pensent même que l'histoire de la pomme, qui n'apparaît qu'en 1726, est une invention pour ne pas reconnaître l'utilisation des hypothèses de Hooke.

Newton déclare à de nombreuses reprises qu'il n'a pas besoin d'hypothèses. La comparaison des procédures des deux adversaires est riche d'enseignement. Hooke a formulé son hypothèse sur la force d'attraction, mais ne parvient pas à en déduire, comme conséquence, la forme elliptique de l'orbite, même s'il n'en était cependant pas loin. Newton, lui, prétend passer de la forme à la force, et ainsi découvrir celle-ci, sans en avoir fait l'hypothèse. Du "phénomène" (l'ellipse), il "déduit" directement la loi, conformément aux canons méthodologiques qu'il avance. S'il trouve la proposition de Hooke, on peut penser qu'elle ne lui a pas été nécessaire. Des phénomènes à la loi abstraite, c'est bien une induction qu'il revendique :

      par l'induction : Ellipse ---> Loi                 par la déduction : Loi hypothétique ---> Ellipse

Si Newton prétendra qu'il avait démontré depuis longtemps par induction que Ellipse ---> Loi, il publie Principia après avoir calculé par déduction que Loi hypothétique ---> Ellipse.


Lorsqu'en 1689, Hooke rencontrera par hasard Newton, il l'interpelle sur l'antériorité de son hypothèse, et Newton lui répond (en latin) : « du simple fait que quelque chose puisse être, il ne s'ensuit pas que cette chose est ». Il avait déjà écrit que c'était bien lui, Newton, qui avait mené à bien tout le travail mathématique. Hooke note, ce jour là, dans son journal : « L'intérêt n'a pas de conscience. »

Quelles qu'aient été les motivations profondes de Newton, il prononce en 1713 son fameux blâme des hypothèses dans les sciences expérimentales, qui est sans appel. Cette sentence tombe comme un couperet, et aura une influence déterminante dans le monde savant comme, plus tard, dans le monde de l'enseignement.

Newton tient à faire disparaître la notion d'hypothèse, même de ses écrits antérieurs : dans la première édition des Principia, il avait nommé "hypothèses" certains préceptes généraux qu'il admettait, tel « Les effets du même genre doivent toujours être attribués, autant qu'il est possible, à la même cause ». Il remplace le mot latin hypotheses par Regulae philosophandi (règles pour philosopher). La querelle avec Hooke a poussé Newton à se retrancher sous la bannière "hypotheses non fingo", et tel demeure son principal legs méthodologique à la postérité, legs paradoxal de la part de l'auteur d'ingénieuses hypothèses ! Newton et son anathème l'emportent ainsi sur Hooke et son maniement des hypothèses.

F. Au XVIIIe et XIXe siècle, la place de l'observation, de l'expérience et de l'hypothèse dans la méthode

Au XVIIIe, l'Encyclopédie et les Lumières rendront hommage à Descartes mais consacreront le succès newtonien.
voir le dossier Historia spécial La folie des sciences au Siècle des lumières, numéro 28, mars-avril 2016.

F1. En France, des éloges pour la philosophie expérimentale des anglais

Fontenelle envisage leurs méthodologies : « Les deux grands hommes qui se trouvent dans une si grande opposition ont eu de grands rapports. Tous deux ont été des génies du premier ordre, nés pour dominer sur les autres esprits, et pour fonder des empires. (…) Mais l'un, prenant un vol hardi, a voulu se placer à la source de tout, se rendre maître des premiers principes par quelques idées claires et fondamentales, pour n'avoir plus qu'à descendre aux phénomènes de la Nature comme à des conséquences nécessaires. L'autre, plus timide ou plus modeste, a commencé sa marche en s'appuyant sur les phénomènes pour remonter aux principes inconnus » (Éloge de Newton, 1727).

La vogue pour Newton doit beaucoup aux Éléments de la philosophie de Newton publié par Voltaire en 1738. Dans le demi-siècle qui suit sa première publication, cet ouvrage de vulgarisation et divulgation du système de Newton connaîtra en moyenne une nouvelle édition tous les deux ans. Le public éclairé du XVIIIe siècle et même du XIXe apprend donc Newton dans Voltaire. On y trouve l'anecdote de la chute de la pomme, anecdote la plus connue de toute l'histoire des sciences, que Voltaire tient de la nièce de Newton et que le savant racontait lui-même à la fin de sa vie.

Voltaire a profondément admiré la science de Newton, sa méthode expérimentale, son refus de faire des hypothèses et son exigence de s'en tenir aux faits et à l'expérience : "tous les anciens qui ont raisonné sur la physique, sans avoir le flambeau de l'expérience, n'ont été que des aveugles qui expliquaient la nature des couleurs à d'autres aveugles [...] N'allons donc point d'abord imaginer des causes et faire des hypothèses ; c'est le sûr moyen de s'égarer : suivons pas à pas ce qui se passe réellement dans la nature ; nous sommes des voyageurs arrivés à l'embouchure d'un fleuve : il faut le remonter avant que d'imaginer où est sa source» (Voltaire, 1738).


Portrait de Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon
par François-Hubert Drouais (1753).
Musée Buffon à Montbard

Dans Époques de la Nature (1778), texte considéré comme l'un des chefs-d'oeuvre de Buffon, on peut lire :

"tout parle à des yeux attentifs, tout est indice pour ceux qui savent voir ; mais que rien n'est sensible, rien n'est clair pour le vulgaire, et même pour ce vulgaire savant qu'aveugle le préjugé". Il écrivait déjà en 1735 : il ne s'agit pas, pour être Physicien, de savoir ce qui arriverait dans telle ou telle hypothèse, en supposant, par exemple, une matière subtile, des tourbillons, une attraction, etc. Il sragit de bien savoir ce qui arrive, et de bien connaître ce qui se présente à nos yeux ; la connaissance des effets nous conduira insensiblement à celle des causes, et l'on ne tombera plus dans les absurdités, qui semblent caractériser tous les systèmes (…). Amassons donc toujours des Expériences, et éloignons-nous, s'il est possible, de tout esprit de système, du moins jusqu'à ce que nous soyons instruits".

Pour Buffon, cette méthode est celle de Newton, et il l'attribue également à Bacon et à Galilée. Pourtant, malgré ses affirmations et son admiration pour Newton, Buffon mêle à ses expériences certaines hypothèses. Mais il se comporte comme quelqu'un qui prétendrait écrire sous la dictée de la nature.

Pour Ampère (1827), la méthode de Newton a ouvert une nouvelle route dans les sciences : « Observer d'abord les faits, en varier les circonstances autant qu'il est possible, accompagner ce premier travail de mesures précises pour en déduire des lois générales, uniquement fondées sur l'expérience, et déduire de ces lois, indépendamment de toute hypothèse sur la nature des forces qui produisent les phénomènes, la valeur mathématique de ces forces, c'est-à-dire la formule qui les représente, telle est la marche qu'a suivie Newton. »

En 1846, des anomalies dans l'orbite d'Uranus ayant fait prédire l'existence d'une nouvelle planète, l'application de la loi de Newton en détermine l'endroit, et le télescope découvre Neptune. Et paradoxalement, bien qu'il se soit agi d'une hypothèse sur la cause de ces anomalies, confirmée par l'observation, le supplément de prestige qu'en reçoit le système de Newton rejaillit sur ses consignes méthodologiques.

L'influence de Newton se fait même sentir hors du champ des "sciences expérimentales" dès 1739, puisque le philosophe écossais David Hume (1711-1776) veut, par exemple, transposer la méthode expérimentale à l'étude de l'homme, et de l'esprit humain, dans son Traité de la nature humaine (1739) précisent : an attempt to introduce the experimental method of reasoning into moral subjects. Il souhaite : « éviter cette erreur, où tant sont tombés, d'imposer au monde leurs conjectures et hypothèses comme [si c'étaient] les principes les plus certains. ».

Dans son ouvrage Enquête sur l'entendement humain, tout particulièrement la section X intitulée "Les miracles", le passage le plus célèbre de son ouvrage (p.188-190) conduit à considérer que : "une hypothèse extraordinaire demande des preuves extraordinaires". En science, cette Maxime de Hume est un outil méthodique qui permet de faire le tri entre plusieurs hypothèses en fonction de leur probablilité. Plus le témoignage est improbable, plus on attendra de la preuve qu'elle soit solide et étayée (ou preuve tangible pour reprendre l'expression de Francis Chateauraynaud (2014)) :

Un miracle est une violation des lois de la nature [...] Ce n'est pas un miracle qu'un homme, apparemment en bonne santé, meure subitement; car un tel genre de mort, bien que plus inhabituel qu'un autre, on a pourtant fréquemment observé qu'il se produisait. Mais c'est un miracle qu'un mort puisse revenir à la vie; car le fait n'a jamais été observé à aucune époque ni en aucun pays. Il faut donc qu'il y ait une expérience uniforme contre tout évènement miraculeux, sinon l'évènement ne mérite pas cette appellation. Et comme une expérience uniforme se monte à une preuve, il y a ici une preuve directe et entière, tirée de la nature du fait, contre l'existence d'un miracle; une telle preuve ne peut être détruite et le miracle rendu croyable que par une preuve contraire supérieure. [...]
Quand un homme me dit qu'il a vu un mort rappelé à la vie, je considère immédiatement en moi-même s'il est plus probable que cet homme me trompe ou qu'il se trompe, ou que le fait qu'il rapporte s'est réellement produit. Je pèse, l'un en regard de l'autre, les deux miracles; et, selon la supériorité que je découvre, je prononce ma décision et rejette toujours le plus grand miracle. Si la fausseté de son témoignage était encore plus miraculeuse que l'évènement qu'il rapporte, alors, et alors seulement, il peut prétendre gouverner ma croyance et mon opinion.

Le français Pierre-Simon Laplace en 1812 formulera une maxime similaire dans son ouvrage sur la Théorie des probabilités : "[...] plus un fait est extraordinaire, plus il a besoin d’être appuyé de fortes preuves ; car, ceux qui l’attestent pouvant ou tromper ou avoir été trompés, ces deux causes sont d’autant plus probables que la réalité du fait l’est moins en elle-même".

Voir la VIDEO. Une maison "hantée" mise sens dessus dessous à Amnéville - Un couple de Mosellans a vu ses meubles et bibelots s'envoler et tomber de manière inexpliquée. Reportage du 22/08/2014 - France Television

 

Laplace est célèbre pour une boutade par laquelle, devant Napoléon, il aurait relégué Dieu au rang de supposition. La nuance entre théorie prédictive et théorie explicative est souvent illustrée par ce dialogue célèbre mais probablement apocryphe.
- Napoléon : Monsieur de Laplace, je ne trouve pas dans votre système mention de Dieu.
- Laplace : Sire, je n'ai pas eu besoin de cette hypothèse.

D'autres savants ayant déploré que Laplace fasse l'économie d'une hypothèse qui avait justement « le mérite d'expliquer tout », Laplace répondit cette fois-ci à l'Empereur :
-
Laplace : Cette hypothèse, sire, explique en effet tout, mais ne permet de prédire rien. En tant que savant, je me dois de vous fournir des travaux permettant des prédictions.
Quelles que soient les paroles réellement échangées avec Napoléon, Laplace ajouta le nom de « Dieu » dans les éditions suivantes de son Exposition du Système du monde. L'analyse du passage semble confirmer que le débat ne portait pas sur l’existence de Dieu, mais sur la nécessité de son intervention directe et spéciale pour maintenir le monde dans l’ordre.

F2. Au XVIIIe siècle, pourtant, des défenseurs d'une troisième voie : la démarche expérimentale avec hypothèse !

Dans Pensées sur l'interprétation de la nature (1753), Diderot règle leur compte aux folles spéculations tout comme à l'empirisme stérile : « Mais par malheur il est plus facile et plus court de se consulter soi que la nature » [...] « L'intérêt de la vérité demanderait que ceux qui réfléchissent daignassent enfin s'associer à ceux qui se remuent". Diderot est le premier à poser les fondements d'une démarche expérimentale qu'il définit de la manière suivante : "l'observation recueille les faits, la réflexion les combine, l'expérience vérifie les résultats de la combinaison » [...] « Combien de conjectures à former d'imagination, et à confirmer ou détruire par l'expérience !".

Cette vision correspond à la philosophie de Locke introduite en France par Condillac (1746). Cette philosophie donne deux sources à notre connaissance : la sensation, et la réflexion qui combine les sensations élémentaires en idées. Condillac sert de référence et de caution philosophique à Lavoisier, qui place son Traité élémentaire de chimie (1789) sous son haut patronage.

Un siècle avant Claude Bernard, à une époque où le newtonianisme fait fureur, et où on croit, de ce fait, devoir fuir les hypothèses et ne s'en référer qu'à l'expérience, Diderot définie la méthode expérimentale et ses trois temps : observation, hypothèse, vérification par l'expérience. Il maintient un équilibre entre ce qu'il nomme philosophie rationnelle et philosophie expérimentale. Diderot, loin de quitter l'édifice branlant de la raison pure cartésienne pour se jeter dans les bras d'un empirisme ténébreux, en appelle à une raison qui dirige le manoeuvre, qui cherche à deviner avant d'entreprendre.

Condillac, qui rejette les fictions cartésiennes, oppose Descartes à Francis Bacon : « Bacon proposait une méthode trop parfaite, pour être l'auteur d'une révolution ; et celle de Descartes devait réussir, parce qu'elle laissait subsister une partie des erreurs. (…) Descartes, (…) ayant une imagination plus vive et plus féconde, n'a quelquefois substitué aux erreurs des autres que des erreurs plus séduisantes : elles n'ont pas peu contribué à sa réputation. » (1746).

D'Alembert, qui cherche à démontrer que toutes nos connaissances proviennent des sens, en vient à faire un « voyage au pays des hypothèses ». Et ceci dans un texte majeur, puisqu'il s'agit du Discours préliminaire de l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (1751), introductif à l'ouvrage monumental du XVIIIe siècle (18.000 pages), symbole de l'oeuvre des Lumières et synthèse des connaissances du temps.

Le raisonnement de d'Alembert est le suivant : « Toutes nos connaissances directes se réduisent à celles que nous recevons par les sens ; d'où il s'ensuit que c'est à nos sensations que nous devons toutes nos idées. [...] Ce n'est donc point par des hypothèses vagues et arbitraires que nous pouvons espérer de connaître la nature, c'est par l'étude réfléchie des phénomènes [...] La seule ressource qui nous reste donc [...], c'est d'amasser le plus de faits qu'il nous est possible, de les disposer dans l'ordre le plus naturel [...] on peut regarder en quelque manière l'expérience et l'observation comme la suite et le complément l'une de l'autre. » On ne voit pas d'hypothèse s'insérer entre les deux, et d'ailleurs d'Alembert signale « l'abus des hypothèses dans la Physique », en demandant de se défier de « cette fureur d'expliquer tout, que Descartes a introduite ». L'époque est donc malgré tout nettement contre les systèmes et les hypothèses, dans la lignée de Newton, et tournée vers le pouvoir des sens.

Entre les excès de Descartes et le dégoût nocif de Newton, la voie du milieu est prônée, et la réserve à l'égard de Newton est notable dans un siècle où il est universellement encensé. Or cette position moyenne rejoint celle de Condillac, dont on peut penser qu'il est l'auteur anonyme de l'article hypothèse de l'Encyclopédie, ou en tout cas que ce dernier s'en inspire fortement. L'abbé distingue deux sortes d'hypothèses, et relativise l'avantage des newtoniens.

TD : Etude de l'article hypothèse
(auteur inconnu, 1765) de l'Encyclopédie


Encyclopédie en ligne


"Les véritables causes des effets naturels et des phénomènes que nous observons, sont souvent si éloignées des principes sur lesquels nous pouvons nous appuyer, et des expériences que nous pouvons faire, qu'on est obligé de se contenter de raisons probables pour les expliquer. Les probabilités ne sont donc pas à rejeter dans les sciences ; il faut un commencement dans toutes les recherches, et ce commencement doit presque toujours être une tentative très imparfaite, et souvent sans succès. Il y a des vérités inconnues, comme des pays, dont on ne peut trouver la bonne route qu'après avoir essayé toutes les autres ; ainsi, il faut que quelques-uns courent le risque de s'égarer, pour montrer le bon chemin aux autres. Les hypothèses doivent donc trouver place dans les sciences, puisqu'elles sont propres à faire découvrir la vérité et à nous donner de nouvelles vues ; car une hypothèse étant une fois posée, on fait souvent des expériences pour s'assurer si elle est bonne" (article hypothèse de l'Encyclopédie, 1765).

« Il y a deux excès à éviter au sujet des hypothèses, celui de les estimer trop, et celui de les proscrire entièrement. Descartes, qui avait établi une bonne partie de sa philosophie sur des hypothèses, mit tout le monde savant dans le goût de ces hypothèses, et l'on ne fut pas longtemps sans tomber dans celui des fictions. Newton et surtout ses disciples, se sont jetés dans l'extrémité contraire. Dégoûtés des suppositions et des erreurs, dont ils trouvaient les livres de philosophie remplis, ils se sont élevés contre les hypothèses, ils ont taché de les rendre suspectes et ridicules, en les appelant le poison de la raison et la peste de la philosophie. Cependant, ne pourrait-on point dire qu'ils prononcent leur propre condamnation, et le principe fondamental du Newtonianisme sera-t-il jamais admis à titre plus honorable que celui d'hypothèse ? » (article hypothèse de l'Encyclopédie, 1765).

La position de Condillac sur le sort à réserver aux hypothèses évolue entre 1749 et 1775 vers davantage de résistance à la " newtonmania" de son siècle. L'article hypothèse de l'Encyclopédie (1765) étant déjà conforme à l'état achevé de cette démarcation. La comparaison des titres des chapitres de Condillac sur ce sujet, dans deux de ces ouvrages, est significative : en 1749, simplement Des hypothèses ; en 1775, De la force des conjectures. Condillac est passé de quelquefois en 1749, pour les "esprits vifs", à souvent en 1775, et même obligation tant qu'il y aura des découvertes à faire :

Condillac (1749). Traité des systèmes
Chapitre XII : Des hypothèses

« Faut-il donc bannir de la physique toutes les hypothèses ? Non, sans doute : mais il y aurait peu de sagesse à les adopter sans choix. (…) On ne doit donc pas interdire l'usage des hypothèses aux esprits assez vifs pour devancer quelquefois l'expérience. »

Condillac (1775) - Cours d'études
Chapitre IV, 2 : De la force des conjectures

« Les conjectures sont le degré de certitude le plus éloigné de l'évidence ; mais ce n'est pas une raison pour les rejeter. C'est par elles que toutes les sciences et tous les arts ont commencé : car nous entrevoyons la vérité avant de la voir ; et l'évidence ne vient souvent qu'après le tâtonnement. (…) L'histoire de l'esprit humain prouve que les conjectures sont souvent sur le chemin de la vérité. Nous serons donc obligés de conjecturer, tant que nous aurons des découvertes à faire ; et nous conjecturerons avec d'autant plus de sagacité, que nous aurons fait plus de découvertes. »

Apparaissent donc d'un côté les "conjectures frivoles" qui, exonérées de contrôle, mènent droit aux systèmes, et, d'un autre, les hypothèses "secourues" par l'expérience : si le savant se bornait à ces dernières, non seulement il ne tomberait pas dans les systèmes, universellement rejetés à l'époque, mais forger ce genre d'hypothèses serait même son principal mérite.

En 1777, Lavoisier va renverser le système des quatre éléments qui perdure depuis l'Antiquité. Il présente son Mémoire sur la combustion en général, dans laquelle il avance une nouvelle théorie de la combustion et compare celle-ci à la respiration. « (...) ce sont, à proprement parler, des méthodes d'approximation qui nous mettent sur la voie de la solution du problème ; ce sont des hypothèses qui, successivement modifiées, corrigées et changées à mesure qurelles sont démenties par lrexpérience, doivent nous conduire immanquablement un jour, à force drexclusions et dréliminations, à la connaissance des vraies lois de la nature. » (p. 225). La procédure paraît relever de la réjection baconienne, en même temps que, par son insistance sur le démenti, l'exclusion et l'élimination des hypothèses, elle présente déjà un caractère qui, bien plus tard, sera celui de la progression par conjectures et réfutations de Karl Popper (1934). Lavoisier écrira encore que le raisonnement nous trompe facilement « lorsque ses opérations ne sont pas continuellement redressées par l'expérience » (1792, p. 78).

F3. La critique de la raison pure


La critique de la raison pure
Emmanuel Kant, première édition en 1781

En 1787, le raisonnement cartésien subit un assaut de la part du philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804). L'introduction à la deuxième édition de sa Critique de la raison pure (1787) s'ouvre sur cette affirmation qui rejoint Condillac : « Que toute notre connaissance commence avec l'expérience, cela ne soulève aucun doute. »

Mais si Kant attaque la raison pure de Descartes, il n'attribue pas pour autant tout à l'expérience, car il poursuit : « Mais si toute notre connaissance débute AVEC l'expérience, cela ne prouve pas qu'elle dérive toute DE l'expérience » (majuscules de Kant, p. 31). L'alliance de la raison et de l'expérience est ainsi célébrée : « Il faut donc que la raison se présente à la nature tenant, d'une main, ses principes (…), et de l'autre, l'expérimentation qu'elle a imaginée d'après ces principes, pour être instruite par elle » (1787, p. 17).

Pour Kant, la raison peut croire avancer seule, mais il lui est en fait nécessaire, pour ne pas rester sur place, de s'appuyer sur l'expérience.

"La colombe légère, lorsque, dans son libre vol, elle fend l'air dont elle sent la résistance, pourrait s'imaginer qu'elle réussirait bien mieux encore dans le vide. C'est justement ainsi que Platon quitta le monde sensible parce que ce monde oppose à l'entendement trop d'obstacles divers, et se risqua au-delà de ce monde, sur les ailes des idées, dans le vide de l'entendement pur." (Kant, Critique de la raison pure, 1781).

BILAN : Au début du XVIIIe siècle, privées de reconnaissance scientifique par Isaac Newton, les hypothèses tombent en disgrâce et l'empirisme logique (ou positivisme) devient la méthode scientifique par excellence. Il n'y aura pas de plaidoyer véritablement influent pour les hypothèses avant ceux des philosophes anglais John Herschel et William Whewell dans les années 1830, leur emploi étant ensuite théorisé par Claude Bernard (1865) puis Karl Popper (1934).

G. XIXème siècle : l'empirisme logique et le retour progressif des hypothèses

G1. Le positivisme du XIXe siècle : Quand l'empirisme anglais devient français puis européen !

Dès 1802, le newtonianisme triomphant inspire également le français Claude Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon, le fondateur de la sociologie (selon Durkheim). Il prend Newton en référence absolue. Le positivisme que développera son secrétaire, Auguste Comte, sera marqué par une relation assez particulière aux hypothèses, et le néopositivisme les refusera. Notons que le positivisme aura une influence non négligeable sur les concepteurs des programmes d'enseignement du XIXe siècle. Les rédacteurs du socle commun des connaissances et des compétences en 2006 montrent, consciemment ou non, une vision de la démarche scientifique très proche de celle des néopositivistes que combattra en 1934 Karl Popper.


Le comte de Saint Simon
Galerie des contemporains illustres, par un homme de rien, t. 2, Bruxelles, Meline, Cans et Cie, 1848.

Saint-Simon oppose les sciences conjecturales ou métaphysiques, qu'il rejette, aux sciences positives qui sont fondées sur des observations : il adopte le terme de positivisme, qui sera popularisé en philosophie par Auguste Comte. A partir de l'exemple de l'astronomie, il précise que «Toutes les sciences ont commencé par être conjecturales ; le grand ordre des choses les a appelées toutes à devenir positives » (1813). Auguste Comte dans son Cours de philosophie positive (1830) écrira : « Il y a, sans doute, beaucoup d'analogie entre ma philosophie positive et ce que les savants anglais entendent, depuis Newton surtout, par philosophie naturelle. »

C'est l'époque où se produit, en Europe, une sorte de "renversement épistémologique" : alors que l'Angleterre faisait jusqu'alors figure de représentante d'une tradition empiriste en partie héritée de Francis Bacon, tandis que l'esprit français était considéré comme naturellement spéculateur avec Réné Descartes comme figure de proue, c'est en France, notamment sous l'influence d'Auguste Comte et du positivisme, que s'implante le culte du fait et de l'expérience, qui est celui d'une « majorité de savants, particulièrement de ceux qui, surtout expérimentateurs, se méfiaient des théories ».

Les physiciens français reçoivent avec réticence les théories développées en Allemagne et en Angleterre, qu'ils considèrent comme des spéculations trop hypothétiques. La réaction anticartésienne se fait sentir. Pour Comte, il faut quitter l'état théologique et l'état métaphysique pour entrer dans l'état positif. Il retient de Descartes l'appel à la raison et non la construction de son système.

 

Bilan : Au début du XXe siècle, le positivisme logique (ou empirisme logique ou néo-positivisme) sera la théorie de la connaissance défendue par le Cercle de Vienne (et à laquelle s'opposera Karl Popper). Ce néo-positivisme reprendra et adaptera les thèses de Comte, délaissant aussi les dieux et les causes mystérieuses pour expliquer les phénomènes, mais sans laisser de place à l'imaginaire et à l'hypothèse.

G2. L'émergence de la philosophie et de l'histoire des sciences en 1830 : Reconnaissance de la démarche hypothético-déductive

Les discussions méthodologiques vont prendre une grande place au XIXe siècle, notamment parmi les philosophes britanniques qui, bien que s'inscrivant dans la lignée de Bacon, tendent à perfectionner son approche ou à s'en détacher. Les titres de leurs oeuvres reflètent ces préoccupations : William Whewell (1794-1866), ami de John Herschel, fait paraître en 1837 une Histoire des Sciences Inductives et en 1840 une Philosophie des Sciences Inductives, fondée sur leur Histoire, dont le titre lie bien l'histoire des sciences et la réflexion sur leur marche, tandis qu'en 1843, John Stuart Mill (1806-1873) publie son Système de logique déductive et inductive.

C'est l'époque où naissent les expressions Histoire des sciences, dans le titre de Whewell (1837), et Philosophie des sciences, qui se rencontre déjà chez Auguste Comte (1830). Les réflexions épistémologiques de John Herschel, William Whewell et John Stuart Mill portent sur les parts de l'intellect et de l'expérience dans l'acquisition de la connaissance.

En 1831, Charles Darwin (1809-1882) vient de lire un livre qui l'incite à rechercher les lois universelles de la biologie : le Discours sur l'étude de la philosophie naturelle, premier ouvrage moderne de philosophie des sciences, que John Herschel (1792-1871) a publié l'année précédente (1830). Le livre d'Herschel qui influence tant le jeune Darwin porte sur sa page de titre un portrait de Bacon, suivi d'une citation du même. Herschel suit son "immortel compatriote Bacon" et, comme lui, préconise une purification préalable de l'esprit avant une montée graduelle aux axiomes à partir de l'expérience, "source de toutes nos connaissances sur la nature", en suspendant son opinion et en " se contentant d'observer ce qui est". Puis les axiomes sont suivis dans leurs conséquences, une déduction menant aux propositions d'origine comme à d'autres dont on n'avait pas de connaissance antérieure (§ 68 et 96). Mais bientôt Herschel s'écarte de l'induction baconienne qui n'est qu'une des voies, "la plus sûre" certes, mais pas unique, de l'induction ou de la découverte.

L'Homme est un être naturellement spéculatif, « De l'homme considéré comme un être d'instinct, de raison et de spéculation » dit-il en rendant hommage à la fécondité des rêves de Kepler ou des alchimistes. Pour lui, « le véritable, l'unique caractère de la vérité est de supporter l'épreuve de l'expérience » (§6). On peut suivre, dit-il, trois voies, trois processus de découverte : 1° par un raisonnement inductif, en généralisant, 2° en formant d'un coup une hypothèse hardie, 3° en adoptant une méthode qui combine ces deux approches (§210-211).

Dès 1830, Herschel redonne donc aux hypothèses leur place, distingue des voies diverses "montant" vers les causes ou les lois (discovery), avant une phase de vérification lors de laquelle ce qui compte surtout est la sévérité des tests, idée qui sera chère à Popper.

La Philosophie des Sciences Inductives, fondée sur leur Histoire présente (Whewell, 1840) "l'antithèse fondamentale de la philosophie" : Whewell y montre l'opposition et les insuffisances des voies rationaliste et empiriste, et prône la coopération des deux approches. Whewell, influencé par Kant, décrit une méthode qui sera ultérieurement dénommée hypothético-déductive, même si certains auteurs la distinguent de celle que décrira plus tard Popper. Kant disait « (...) même à nos expériences, il se mêle des connaissances qui doivent avoir une origine a priori et qui peut être servent seulement à fournir une liaison aux représentations des sens. » (1781). La prise en compte de Kant semble pouvoir rénover la pensée de Bacon. Même si certains aspects de la philosophie de Popper ne sont pas dans Whewell, et réciproquement, il paraît difficile de ne pas rapprocher cette procédure par hypothèses. La comparution du discours de l'esprit devant le cours des choses est au coeur du procédé et on confronte ce qui pourrait être et ce qui est. Une autre qualité est mentionnée par Whewell: « Les hypothèses que nous acceptons doivent expliquer les phénomènes que nous avons observés. Mais elles doivent faire davantage : elles doivent prédire les phénomènes qui nront pas encore été observés »
Whewell dit que l'histoire des sciences comporte donc des hypothèses, même fausses ou non relatées par la suite, ainsi que leur mise à l'épreuve par les conséquences qu'on en tire, notamment concernant la prédiction de faits inconnus. Tous les ingrédients de la démarche hypothético-déductive semblent présents. En considérant le fait d'imaginer des hypothèses comme indispensable, Whewell s'oppose radicalement à Newton.

John Stuart Mill, de son côté, s'est rendu célèbre par ses "méthodes de recherche expérimentale" inspirées de Bacon, qu'il nomme "canons" (1843-65, III, VIII) : la méthode de concordance (proche de la table de présence chez Bacon), par exemple, consiste à considérer que si l'on sait que les causes ABC produisent les effets abc, et les causes ADE les effets ade, alors A cause a. Il décrit aussi la méthode de différence (proche de la table d'absence 'dans la proximité" : si ABC cause abc et si BC cause bc, alors A cause a), celle des variations concomitantes (proche de la table des degrés de Bacon) et celle des résidus. Mill admet donc ici que ses canons ne sont qu'un préalable à l'usage des hypothèses.

Sa "Méthode Déductive" (1865, III, XI, 1, p. 510) consiste en trois opérations : « 1° une Induction directe ; 2° un Raisonnement ; 3° une Vérification. ». Mill choisit pour illustrer cette méthode des hypothèses Newton ! « Newton commença par la supposition que la force qui à chaque instant détourne une planète de sa route rectiligne (...) est une force tendant directement vers le soleil. (...) Il supposa que la force varie en raison inverse du carré de la distance ; il montra ensuite que les deux autres lois de Kepler se déduisaient de cette supposition » (III, XIV, 4, p. 10). Mill fait ici revivre le spectre de Hooke que Newton s'était évertué à faire disparaître, quand il ajoute : « ce rôle des hypothèses est absolument indispensable dans la science » (III, XIV, 5, p. 14).

Mill en vient à des considérations qui seront très développées par la suite : « presque tout ce qui est maintenant théorie fut d'abord hypothèse. Même dans la science purement expérimentale, il faut quelque ouverture pour faire une expérience plutôt qu'une autre » (III, XIV, 5). Il distingue avant Claude Bernard, mais sans les nommer ainsi, les expériences "pour voir" et les expériences "de contrôle".

Mill indique les limites de l'induction et de la déduction pures : « (...) l'une et l'autre voie seraient certainement insuffisantes, même à l'égard des plus simples phénomènes, (...) si l'on ne commençait souvent par anticiper sur les résultats en faisant une supposition provisoire, d'abord essentiellement conjecturale ».

G3. Charles Darwin (1809-1882) : une révolution des sciences par l'hypothèse de la sélection naturelle

Darwin commence son ouvrage De l'Origine des espèces (1859) par une citation de Whewell. Or Whewell avait été ordonné prêtre et son idéalisme associé à sa théologie lui faisait rejeter le darwinisme. Quand il publie sa théorie nouvelle, Darwin est anxieux du jugement de ses pairs à propos de sa méthode .

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Son professeur de géologie, Adam Sedgwick, lui écrit : "vous avez déserté la vraie méthode d'induction", dans une lettre qu'il termine en se qualifiant lui-même avec humour de « fils de singe et vieil ami à vous » (24 nov. 1859). Il déclare à une séance de la Philosophical Society (7 mai 1860) : « (...) la théorie de Darwin n'est pas inductive - elle n'est pas basée sur une série de faits connus, menant à une conclusion générale, logiquement extraite des faits. (...) les seuls faits qu'il prétend fournir en guise d'éléments de preuve sont les variétés issues de la domestication et les artifices des croisements reproducteurs ».

Darwin ne comprend pas qu'on lui reproche son hypothèse alors que d'autres, comme Newton, en ont fait :

« pourquoi ne puis-je pas inventer l'hypothèse de la Sélection Naturelle (...) et tester si cette hypothèse (try whether this hypothesis) de la Sélection Naturelle n'explique pas (comme je pense qu'elle le fait) un large éventail de faits (...). J'aimerais vraiment bien savoir pourquoi une hypothèse telle que l'ondulation de l'éther peut être inventée, et pourquoi je ne peux inventer (non que je l'aie inventée, car j'y ai été conduit par l'étude des variétés domestiques) aucune hypothèse, telle que la Sélection Naturelle. (...) Je peux parfaitement comprendre Sedgwick ou quiconque disant que la Sélection Naturelle n'explique pas une large classe de faits ; mais c'est très différent de dire que je m'écarte des véritables principes de l'investigation scientifique » (More Letters, I, p. 150).

Les philosophes britanniques Herschel et Whewell, pourtant favorables aux spéculations, ne jugent pas la méthode de Darwin mais le fond de son hypothèse : croyants, ils sont choqués. Pour Herschel, c'est la "loi du n'importe quoi" (the law of higgledypiggledy) !

Mill est d'un autre avis : il estime que le raisonnement est d'un bout à l'autre en accord le plus exact avec les principes stricts de la logique. Selon lui, la méthode d'investigation suivie par Darwin est la seule convenable pour un tel sujet. Darwin répondra : « vous ne pouviez pas m'avoir dit quelque chose qui m'ait donné plus de satisfaction (...) je commençais à penser que peut-être je ne comprenais rien du tout au raisonnement scientifique » (More Letters, I, p. 189).

Mill ajoute que « la remarquable spéculation de M. Darwin (...) est encore un exemple irréprochable d'une hypothèse légitime. (...) Il n'est pas juste d'accuser, comme on l'a fait, M. Darwin de violer les règles de l'induction. Les règles de l'induction sont relatives aux conditions de la Preuve. M. Darwin n'a jamais prétendu que sa théorie était prouvée. Il n'était pas lié par les Règles de l'Induction, mais par celles de l'Hypothèse ; et celles-ci ont rarement été plus complètement observées. Il a ouvert une voie de recherche pleine de promesses, dont personne ne peut prévoir les résultats. » (Système de logique, XIV, 5).

Darwin explique sa méthode dans son autobiographie : « Je me suis toujours efforcé de garder l'esprit libre, de façon à abandonner une hypothèse, même séduisante (et je ne peux m'empêcher d'en formuler sur tous les sujets), dès que les faits s'y trouvent opposés. En aucun cas je n'aurais pu agir autrement, car à l'exception des récifs coralliens, je ne peux me rappeler une seule hypothèse qui, d'abord formulée, n'ait été ensuite abandonnée ou profondément modifiée » (1876, p. 124). "Les hommes spéculatifs, quand ils savent se freiner, font de loin les meilleurs observateurs. » (1850, More Letters II, p. 133).

"Il y a à peu près trente ans on disait beaucoup que les géologues devaient seulement observer et non théoriser (...) il est étrange que personne ne voie que toute observation doit être pour ou contre quelque point de vue si l'on veut qu'elle soit d'un quelconque service ! » (1861, More Letters, I, p. 195). Karl Popper citera cette dernière phrase quand il critiquera la place première attribuée à l'observation (1979, p. 389).

Darwin explique l'évolution de sa méthode. Après être parti avec le livre d'Herschel en 1831, il revient en Angleterre et veut travailler, en 1837, en collectant les faits "de tous côtés" et sans théorie. « En octobre 1838, c'est-à-dire quinze mois après le début de mon enquête systématique, il m'arriva de lire, pour me distraire, l'essai de Malthus sur la Population ; (...) l'idée me vint tout à coup que (...) les variations favorables auraient tendance à être préservées » (1876, p. 99-100). Quinze mois de collecte de faits n'ont donc abouti à aucune théorie, qui aurait dû en être extraite selon l'approche baconienne, tandis qu'une seule lecture externe la lui fournit.

La révolution darwinienne s'accompagne d'une innovation méthodologique par l'application de la méthode hypothético-déductive : « La démarche de Darwin consiste, dans un premier temps, à “spéculer” comme disait Darwin, c'est-à-dire (...) qu'on peut formuler des hypothèses basées sur des observations, hypothèses testées à leur tour par de nouvelles observations.» (Mayr, E. 1982, p. 53). « Le chapitre X [de l'Origine des espèces] représente une application magistrale de la méthode hypothético-déductive. » (Mayr, E. 1982, p. 580).

G4. La démarche expérimentale, et la signification des faits au XIXe siècle : de Lavoisier à Claude Bernard

Lavoisier redoutait la tendance de notre imagination à nous porter sans cesse au-delà du vrai. Il voulait redresser continuellement le raisonnement par l'expérience. S'en tenir aux faits est, depuis la déroute des fictions cartésiennes devant Newton, une attitude toujours répandue au temps de Lavoisier. Eugène Chevreul (1786-1889), au début du XIXe siècle, va s'intéresser de près à la signification des faits. La dette du physiologiste Claude Bernard envers les thèses méthodologiques de Chevreul est importante, notamment avec la définition du fait comme abstraction.

Chevreul, à la suite du dosage colorométrique du cholestérol (décomposition de la lumière par le cholestérol), est reconnu comme spécialiste des colorants (Chevreul, E. (1823). Recherches chimiques sur les corps gras d'origine animale). Le voilà nommé en 1824 par Louis XVIII directeur des teintures de la Manufacture Royale des Gobelins. Mais on s'y plaint du manque de stabilité de certaines teintes : le noir qui sort des ateliers n'est pas noir noir, et monsieur le directeur, à force d'expériences, se rend compte que « le défaut de vigueur reproché aux noirs tenait à la couleur qu'on y juxtaposait ». Ampère l'incite à en tirer une loi, ce qu'il fait : deux couleurs qui se touchent paraissent les plus dissemblables possibles.

C'est, dit-il, "une modification qui se passe en nous" : dès lors, le crédit à accorder aux "faits" est relatif, et il en vient, en 1856, et tout en veillant aux tons roses des meubles de l'Impératrice, à cette idée alors très originale que « le fait est une abstraction » : « Vous voyez, monsieur et illustre collègue, écrit-il, combien est grande l'illusion de ceux qui prétendent que les sciences dites positives ne se composent que de ce qu'ils appellent des faits » (1856, p. 60).

Chevreul nomme les faits des abstractions précisées.

Cette idée est déjà exprimée par Kant au XVIIIe siècle: « il se pourrait bien que même notre connaissance par expérience fût un composé de ce que nous recevons des impressions sensibles et de ce que notre propre pouvoir de connaître (...) produit de lui-même : addition que nous ne distinguons pas de la matière première jusqu'à ce que notre attention y ait été portée par un long exercice qui nous ait appris à l'en séparer. » (1787, p. 31-32).

« Un phénomène frappe vos sens, vous l'observez avec l'intention d'en découvrir la cause, et pour cela vous en supposez une dont vous cherchez la vérification en instituant une expérience (…). Ce raisonnement constitue la méthode que j'appelle expérimentale, parce qu'en définitive l'expérience est le contrôle, le criterium de l'exactitude du raisonnement dans la recherche des causes ou de la vérité » (Chevreul,1856, p. 26-28).

« La méthode a posteriori expérimentale, telle que je l'envisage, repose sur le contrôle, conformément à l'idée que je me fais de la faiblesse de l'esprit humain, puisque l'expérience, instituée par l'esprit de l'homme, fidèle à cette méthode, a pour objet de vérifier si l'interprétation d'un phénomène est exacte » (Chevreul, 1865, p. 236).

Chevreul fait ainsi l'examen de La baguette divinatoire, du pendule dit explorateur et des tables tournantes (1854). Il donne, pour la méthode, les mêmes trois temps qui sont chez Diderot et Claude Bernard : « 1° L'observation d'un phénomène ; 2° Le raisonnement (…) ; 3° L'expérience, pour contrôler la conclusion du raisonnement. » (1866, I, II, 18).

G5. Claude Bernard et l'induction baconienne
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Une main habile sans la tête qui la dirige est un instrument aveugle ; la tète sans la main qui réalise reste impuissante" (Bernard, C., 1865).


Claude Bernard donne une leçon de physiologie
by Léon Augustin Lhermitte, January 1889 :
À l’extrême gauche du tableau, un jeune homme aux longs cheveux bouclés se tient debout. Il est simplement vêtu : écharpe écossaise, manteau « trois-quarts », pantalon à rayures. Peut-être vient-il seulement d’arriver. Un porte-documents à la main, il fait face à Paul Bert, qui le regarde les bras croisés. Le personnage à l’écharpe est un fidèle élève de Claude Bernard : Nestor Gréhant.

Claude Bernard, dans Introduction à l'étude de la médecine expérimentale (1865, p. 52-56) et dans Principes de médecine expérimentale (rédigés de 1862 à 1877, parus seulement en 1947, p. 78) : « Le savant complet est celui qui embrasse à la fois la théorie et la pratique expérimentale. 1° Il constate un fait ; 2° à propos de ce fait, une idée naît dans son esprit ; 3° en vue de cette idée, il raisonne, institue une expérience, en imagine et en réalise les conditions matérielles. ».

L'anticipation de l'esprit sur l'expérience est clairement énoncée et les hypothèses sont déclarées indispensables « comme les échafaudages sont nécessaires pour construire une maison. » (1865, p. 86) :

« Il y a donc deux opérations à considérer dans une expérience. La première consiste à préméditer et à réaliser les conditions de l'expérience ; la deuxième consiste à constater les résultats de l'expérience. Il n'est pas possible d'instituer une expérience sans une idée préconçue ; instituer une expérience, avons-nous dit, c'est poser une question ; on ne conçoit jamais une question sans l'idée qui sollicite la réponse. Je considère donc, en principe absolu, que l'expérience doit toujours être instituée en vue d'une idée préconçue, peu importe que cette idée soit plus ou moins vague, plus ou moins bien définie. (...) On pourrait encore distinguer et séparer dans l'expérimentateur celui qui prémédite et institue l'expérience de celui qui en réalise l'exécution ou en constate les résultats. » (1865, p. 53). « (...) ce n'est qu'après qu'il aura constaté les résultats de l'expérience (...) que son esprit reviendra pour raisonner, comparer et juger si l'hypothèse expérimentale est vérifiée ou infirmée par ces mêmes résultats. » (1865, p. 52). « l'hypothèse expérimentale n'est que l'idée scientifique, préconçue ou anticipée. (...) tout se ramène primitivement et finalement à une idée », qui constitue "le point de départ de tout raisonnement scientifique" (1865, p. 56). "l'idée a priori ou mieux l'hypothèse est le stimulus de l'expérience » (p. 55).

 

Claude Bernard tient à se démarquer de Francis Bacon qui se méfie des hypothèses et ne les préconise qu'en tant qu'aide, précieuse mais marginale. Claude Bernard fait cependant une lecture fructueuse du Novum Organum de Bacon, lui empruntant nombre de ses images et une partie de son vocabulaire : « L'induction baconienne est devenue célèbre et on en a fait le principe fondamental de toute philosophie scientifique. (...). L'idée baconienne de la grande restauration des sciences est une idée sublime ; on est séduit et entraîné malgré soi par la lecture du Novum organum (...), et on reste dans une admiration soutenue en face de cet amalgame des vérités scientifiques les plus saisissantes revêtues des formes poétiques les plus élevées. Bacon s'est véritablement posé en législateur dans le domaine des sciences et il est impossible de parler philosophie scientifique sans le citer perpétuellement. ».

Le texte de Claude Bernard qui appelle à réfléchir sur la place des faits et la signification qu'ils doivent avoir dans l'édifice scientifique, se trouve dans une note destinée au ministre de l'Instruction publique de l'Empereur (Victor Duruy) qui a demandé une série de rapports sur les progrès accomplis en France dans les sciences et dans les lettres depuis vingt ans, pour l'Exposition Universelle de 1867 (exposition dont on verra l'importance pour l'enseignement des sciences, avec encouragement à utiliser des expériences et manipulations en sciences, les sorties dans la nature ou dans les musées, l’utilisation de l’image, des cartes, des atlas…). Ce texte est une note relative au passage suivant : « L'empirisme peut servir à accumuler les faits, mais il ne saurait jamais édifier la science. L'expérimentateur qui ne sait point ce qu'il cherche ne comprend pas ce qu'il trouve. » (Rapport sur les progrès et la marche de la physiologie générale en France, Imprimerie impériale, 1867, p. 131).

G6. Sur la méthode, la controverse Berthelot-Pasteur (1879) et la controverse Pasteur-Pouchet

Après la mort de Claude Bernard (1878), une controverse va éclater entre Louis Pasteur (1822-1895) et Marcelin Berthelot (1827-1907). Berthelot fait paraître un manuscrit posthume des ultimes travaux de Bernard où il s'oppose aux vues de Pasteur, estimant que de l'alcool peut se former en l'absence de cellules, et donc en dehors de la vie. Pasteur va réagir vivement, et la controverse avec Berthelot va se déploier dans les Comptes Rendus de l'Académie des Sciences en 1878 et 1879. Le débat s'envenime vite, Pasteur reprochant à Berthelot (et indirectement à Bernard) leurs idées préconçues, alors que Berthelot juge Pasteur à côté de la « vraie méthode ».

Marcelin Berthelot (indirectement Claude Bernard)
l'alcool peut se former en l'absence de cellules (levures)
Louis Pasteur
l'alcool est d'origine biologique : il se forme par fermentation

cette confusion perpétuelle et presque inconsciente entre ce qui est prouvé et ce qui ne l'est pas (…). La conjecture et l'hypothèse sont légitimes, sans aucun doute, dans la Science, mais à la condition de ne pas les imposer au lecteur.

"La conjecture et l'hypothèse sont légitimes dans la Science…" : je suis complètement de cet avis, mais je préférerais qu'il eût dit l'induction au lieu de l'hypothèse. (…) La signification de ces deux expressions n'est pas du tout la même. L'hypothèse est toujours plus ou moins loin des faits, l'induction les touche et leur est enchaînée. (…) J'ai la prétention de faire des inductions, tandis que mon confrère fait des hypothèses. »

« Entre M. Berthelot et moi il y a cette différence, qu'à cette nature d'hypothèses jamais je ne fais voir le jour, si ce n'est lorsque j'ai reconnu qu'elles sont vraies et qu'elles permettent d'aller en avant. M. Berthelot, lui, les publie. »

Berthelot n'apporterait que des hypothèses tandis que Pasteur produit les observations et les expériences, que certes des hypothèses ont invité à accomplir mais dont la somme des résultats conduit, par induction, à une conclusion autrement fondée. Pour Pasteur, ce type d'induction a valeur de démonstration. Le débat entre Pasteur et Berthelot est un peu de même nature que celui qui, dans les pages de l'Encyclopédie, opposait d'Alembert à Diderot à propos des hypothèses. Pasteur attribue à Claude Bernard, à tort semble-t-il, une idée fixe là où il n'y a, pour reprendre les termes de Canguilhem, qu'une idée directrice. La hantise des idées fixes est telle que Pasteur y assimile aisément une idée directrice, et ce, au point de prêter à Claude Bernard la dénégation de tous ses principes, alors qu'il a toujours déclaré vouloir "suivre une idée", mais l'abandonner devant l'expérience, et alors que Pasteur reconnaît lui-même user d'hypothèses.

Pasteur cependant, considérant l'hypothèse de Claude Bernard, ne se contente pas de la tenir pour vaine, mais monte aussitôt une expérience pour la réfuter. Lorsque Pasteur ne se sent pas sur la défensive, il dit travailler avec de telles idées qui le guident et sont soumises au contrôle de l'expérimentation : « Elles sont très bonnes, les idées préconçues… à condition toutefois qu'on ne les transforme pas en idées fixes. » (1872, tome VII, p.33).« Les idées préconçues sont le phare qui éclaire l'expérimentateur et qui lui sert de guide pour interroger la nature. » (1876, tome VI, p. 101-102). François Jacob (1970, p. 24) dira: « le hasard ne favorise que les esprits préparés » ; la rencontre d'un fait nouveau n'a de sens que pour qui possède une idée préconçue adéquate pour en faire quelque chose ; « la théorie était déjà là », dit Jacob.

Les méthodes de Claude Bernard et de Pasteur ne semblent donc pas différentes dans l'esprit, procédant par hypothèses ou idées préconçues qu'il s'agit de modifier selon les résultats des expériences. Une différence méthodologique tient au fait que Pasteur réfléchit beaucoup avant d'expérimenter, là où Claude Bernard part à l'aventure avec des hypothèses souvent fausses.

G7. En sciences humaines et sociales, une période de projets et d’impulsions

Rappelons qu'il faut attendre le XVIIIe siècle pour que le projet de fonder une véritable «science de l’homme» se structure. La Société des observateurs de l’homme est créée au moment de la Révolution française. Le projet initial est véritablement anthropologique. Il s’agit de réaliser des observations et de recueillir des faits sur l’homme sauvage afin de comprendre comment l’être humain se construit peu à peu par l’éducation et la culture. Une des pistes de réflexion est de chercher à comprendre comment le milieu naturel influe sur les mœurs de chaque peuple (voir TD sur les musées et les zoos humains à la fin du XIXe siècle).

L'existence d'un dualisme nature-culture est pris comme postulat (un postulat qui sera rediscuté en 2012 par Philippe Descola, anthropologue, spécialiste des indiens d'Amazonie, professeur au Collège de France, et Médaille d'Or 2012 du CNRS).

La Société des observateurs de l’homme, soucieuse de rapporter des informations précises sur les modes de vie des peuples «sauvages», enverra une expédition dans les terres australes, du Piton de la Fournaise à l'Australie (Expédition Baudin, entre 1801 et 1803). À la tête de cette expédition, on désigne le marin, Nicolas Baudin, natif de l'île de Ré. Auprès de lui, plus de vingt savants et artistes, envoyés collecter des échantillons et les dessiner : botanistes, zoologistes, astronomes, hydrographes et, avec François Péron, le représentant d'une toute nouvelle discipline : l'anthropologie. Les explorateurs vont conduire des observations ethnographiques pour comprendre les  mœurs des indigènes.

La découverte en 1797 d’un «enfant sauvage» dans la forêt de Caune en Aveyron sera l'occasion pour les membres de la Société des observateurs de l’homme, animés par le même but de saisir l’homme à l’état naturel, de voir comment émergent en lui les premières idées et comment elles le transforment. En 1801, l'enfant est confié au docteur Jean Itard, qui travaille à Paris avec des sourds-muets. Il tente de le socialiser. La Société des observateurs de l’homme va se pencher sur le cas du jeune Victor. Mais l'enfant reste incapable de parler. Itard qui tente une prise en charge individuelle de l'enfant, finit par baisser les bras en 1805, année correspondant au décès de sa mère.

Des controverses sur la thérapie à mettre en place et les capacités intellectuelles de cet enfant, éclateront entre les deux médecins fondateurs de la psychiatrie française, Jean Itard et le docteur Philippe Pinel, qui travaille sur l'aliénation mentale. Pinel estime que Victor doit être « rangé parmi les enfants atteints d'idiotisme ». Le diagnostic le plus probable aujourd'hui est celui de l'autisme.

En sciences humaines et sociales, le XIXe siècle marque la naissance des grands champs disciplinaires.

Les fouilles de Pompéi (à partir de 1750) et l’expédition d’Égypte (1799) dirigée par Bonaparte, vont inaugurer la grande aventure de l’archéologie et une véritable passion pour le lointain passé.  De leur côté, les linguistes s’attachent à décrypter les langues anciennes : le hiéroglyphe, le sanskrit, le cunéiforme. Les savants commencent à décrire, comparer et classer les langues anciennes pour essayer de retrouver leurs liens de parenté. C’est ainsi que naît la grammaire comparée, ancêtre de la linguistique moderne. L’étude des mythes de l’humanité, des rites, des techniques des peuples primitifs passionne aussi les membres de l'anthropologie naissante. Les premiers psychologues se lancent dans l'exploration de l’esprit humain en rompant avec la spéculation philosophique. Il s’agit désormais de mesurer les capacités de la mémoire, de l’intelligence, de la perception, en appliquant à l’humain la méthode expérimentale qui a produit tant de réussites éclatantes dans les sciences physiques et chimiques.

L’histoire, l’anthropologie, l’archéologie, la sociologie, la psychologie, la linguistique mais aussi l’économie se développent donc au XIXe siècle, lors d'une période marquée par le positivisme, l'idéologie du progrès des sciences et par des bouleversements historiques importants. Les premiers laboratoires de psychologie voient le jour en Allemagne et en Amérique dans les années 1870; la sociologie s’institutionnalise en France, en Allemagne, aux États-Unis dans les années 1890. Cette constitution de grands champs disciplinaires passe par la définition de méthodes, la création d’un vocabulaire spécialisé, la délimitation d’un territoire propre. Et le partage des territoires entre historiens, sociologues, géographes, etc., ne fut pas exempt de querelles de frontières (voir Laurent Mucchielli, Mythes et histoire des sciences humaines, Ed. La Découverte, 2004, 344 p.).

L’économie, l’histoire, la linguistique forgent ainsi leurs principaux modèles de référence. La sociologie et l’anthropologie naissantes se dotent en Europe et aux États-Unis de leurs premières chaires universitaires. Des sociétés savantes et les laboratoires se multiplient. Des revues et des associations professionnelles se constituent. Toutes ces initiatives sont animées d’un esprit positiviste, toujours optimiste et conquérant.

H. Cheminements au XXe siècle : les philosophes face à l'idéologie du progrès

H1. Au XXeme siècle, une hyperspécialisation arborescente des champs de recherche

Les effets de la spécialisation disciplinaire sont contradictoires. D’un côté, elle permet d’élargir et approfondir les connaissances. Mais, d’autre part, elle rend difficile la synthèse et le cumul des connaissances (Urgelli, 2014). Cette hyperspécialisation des champs de recherche effacent progressivement les théories générales qui prétendaient offrir des réponses globales aux questions fondatrices des sciences humaines. Et face à cette balkanisation des recherches, les institutions scientifiques proposent, à partir des années 1990, un regroupement des recherches autour de thèmes fédérateurs: la ville, la santé ou le développement durable. Mais les colloques et publications qui apparaissent comme pluridisciplinaires restent souvent une façade qui cache un empilement des vieilles disciplines, plutôt que des études qui transcendent les disciplines anciennes.

Pourtant des notions, paradigmes et modèles se propagent d’une discipline à l’autre et forment des courants d’idées transversaux. Ainsi, l’idée d’évolution fut au XIXe siècle, un «paradigme» puissant qui s’est diffusé dans plusieurs domaines. Auguste Comte par exemple construit une histoire de l’esprit humain alors que Marx décrit la marche de l’histoire en grandes étapes menant du communisme primitif au communisme final. Dans les années 1850, des savants pensent qu’il est temps de trouver des lois pour les sciences de l’homme, des lois simples et universelles qui gouvernent le comportement humain, comme il en existe en physique (lois de la mécanique, de l’optique, de l’électricité). C’est ainsi que des économistes se mettent en quête de «lois». Au début des années 2000, on a vu le préfixe «neuro» se répandre créant ainsi une constellation de nouveaux domaines de recherches ; neuro-économie, neuro-pédagogie, neuro-théologie, neuro-éthique, etc.

Citons également l'exemple de la psychologie clinique et de la psychologie expérimentale chez le suisse Jean Piaget en 1955 qui tente d'établir un lien entre l'évolution historique de la pensée scientifique, et l'évolution du développement de l'enfant, en le considérant comme un "sujet épistémique", c'est à dire le représentant de l'universalité de l'intelligence humaine. (Chapelle, G. (2000). Psychologie de l'enfant. Intelligence, pulsions et affectivité. Sciences Humaines, Hors-série N° 30 - Décembre 2000/Janvier-Février 2001 "100 ans de sciences humaines".)

H2. Bachelard : la synthèse entre raison et expérience, entre rationalisme et réalisme

Au début du XXe siècle, la physique va faire un bond considérable, à tel point que le professeur de physique et philosophe Bachelard (1938)  déclare : « nous fixerons très exactement l'ère du nouvel esprit scientifique en 1905", soit trois siècles exactement après l'entrée en scène de Francis Bacon (1605), et deux siècles exactement après l'interdit de Newton frappant les abstractions audacieuses (1706). Bachelard estime que si le spéculateur avance à la lumière du raisonnement et l'empiriste se veut éclairé par l'expérience, « le savant ne peut plus être réaliste ou rationaliste » à la manière des philosophes antérieurs tenant ces positions extrêmes. « Il faut donc que l'épistémologie rende compte de la synthèse plus ou moins mobile de la raison et de l'expérience » (Bachelard 1934, p. 20). « tout homme, dans son effort de culture scientifique, s'appuie non pas sur une, mais bien sur deux métaphysiques (...) contradictoires (...) tranquillement associées dans un esprit scientifique moderne, sous les étiquettes classiques de rationalisme et de réalisme » (1934, p. 5).

Bachelard dit vouloir montrer la "nouveauté essentielle" de cette dialectique de la pensée scientifique, de cette "conciliation" (1934, p. 18-19). Mais elle n'est que relativement nouvelle lorsque l'on songe aux cheminements de Galilée ou encore de Hooke, sans parler des vues de Whewell ou de Diderot !

Bachelard énonce : « Quel que soit le point de départ de l'activité scientifique, cette activité ne peut pleinement convaincre qu'en quittant son domaine de base : si elle expérimente, il faut raisonner ; si elle raisonne, il faut expérimenter » (1934, p. 7). Ce qui rejoint la pensée du psychologue et éducateur John Dewey. Bachelard décrit ce qu'on pourrait nommer une philosophie de la rectification permanente, dans laquelle s'inscrit également Jean Piaget.

Contre l'inductivisme, Bachelard précise : « le sens du vecteur épistémologique nous paraît bien net. Il va sûrement du rationnel au réel et non point, à l'inverse, de la réalité au général comme le professaient tous les philosophes depuis Aristote jusqu'à Bacon ». Des chercheurs tels Henri Poincaré (1902, La science et l'hypothèse), Pierre et Marie Curie (conférence Nobel de 1905) ou Albert Einstein (1919) se sont prononcés dans le même sens à propos des démarches scientifiques. Ce dernier, physicien, considérait sa théorie comme insoutenable si elle ne résistait pas à l'épreuve de certains tests.

H3. Karl Popper : une progression par conjoncture et réfutation, un nouveau rapport à la vérité et à la connaissance


La conception scientifique du monde
Un texte d'un groupe de savants et de philosophes
en guerre contre l'esprit spéculatif et métaphysique


voir l'article Dortier, J.-F. (2000).
Le Cercle de Vienne et le nouvel esprit scientifique
Sciences Humaines, Hors série n°30
"100 ans de sciences humaines", Décembre 2000

Au début de XXe siècle, Vienne est la capitale intellectuelle de l'Europe, notamment dans les arts et les sciences. L'Europe centrale accueille les élites intellectuelles de l'époque et la capitale autrichienne est le pivot.

Vienne est par exemple le berceau de la psychanalyse du médecin viennois Sigmund Freud (1856-1939). La ville est également réputée pour son école d'économie néoclassique et pour la production d'oeuvres littéraires. L'esprit de Vienne, c'est également la musique de Gustav Malher (par exemple la 5eme symphonie, Mouvement 4 : Adagietto -Sehr Langsam- (Lentissimo) que l'on retrouvera dans le film Mort à Venise (1971) de Luchino Visconti) et la peinture de Gustave Klimt.

Un courant philosophique nait dans cette ville autour du Cercle de Vienne, fondé entre autres par Rudolph Carnap. Pour lui la pensée scientifique se démarque du discours "métaphysique" spéculatif, avec deux types d'énoncés : les énoncés empiriques vérifiables par l'expérience et les énoncés logiques qui repose sur le critère de validité.

  • Le philosophe Karl Popper, qui gravite autour du groupe sans en être membre, remet en cause l'idée de "preuves scientifiques et expérimentales" et l'empirisme logique. Et il donne comme base de discussion un texte d'un autre jeune philosophe viennois : Ludwig Wittgenstein (1889-1951). Il propose en 1938 que l'expérience ne valide jamais complètement une hypothèse. Il énonce la théorie de la réfutabilité des hypothèses.

L'arrivée au pouvoir des nazis, la chasse aux juifs en Allemagne puis en Autriche va contraindre une grande partie des membres à se réfugier en Angleterre et aux Etats-Unis. Ce groupe de penseurs, qui se dissoudra rapidement après sa constitution, exercera un influence décisive sur la philosophie anglo-saxonne des sciences.

Voir pour la suite
Dortier, J.-F. (2000). Les philosophes face à la science. Sciences Humaines, Hors série n°30. "100 ans de sciences humaines", Décembre 2000



Faillibilisme, vérificationnisme et histoire
Popper vs Cercle de Vienne
Par Fabrice Descamps, 17 mars 2012

Popper s'oppose ainsi au "positivisme logique" du Cercle de Vienne selon lequel tout énoncé qui ne s'appuie pas sur des observations et n'est pas "dérivé de l'expérience" est "dépourvu de sens". Le positivisme prône une méthode inductive dans laquelle la répétition des observations permet de formuler des énoncés généraux, eux-mêmes "vérifiés" par l'accumulation de nouvelles observations.

L'opposition porte sur les forces attribuées à l'esprit et à l'expérience : Kant avait critiqué la raison pure de Descartes ; contre Kant, Hegel et les Idéalistes allemands veulent redonner ses lettres de noblesse à une métaphysique spéculative, et le font dans des textes qu'ils reconnaissent eux-mêmes comme obscurs (ce que Jacques Monod (1973) appelle les "plus obscures extravagances de la métaphysique allemande"). Et les néo-positivistes autrichiens sont les fourmis qui veulent faire tomber les scories métaphysiques et théologiques de leurs toiles. Popper reconnaît la valeur du combat de ses concitoyens de Vienne contre le "verbiage dénué de sens" et "ce type d'écrits irresponsables", en particulier de Hegel.

Mais Popper estime qu'ils sont allés trop loin, jetant l'hypothèse avec l'eau du bain métaphysique sans laisser subsister ce qu'il y a de bénéfique dans la conjecture. Popper admet qu'il « lève les barrières qui séparent la science de la spéculation métaphysique » (1934, p. 30), mais, s'il ne craint pas de le faire, c'est qu'elles étaient déjà perméables.

En 1919, à Vienne, il est frappé (à 17 ans) par le fait que le régime marxiste prétend détenir une vérité que les faits confirment toujours, tout comme Freud, tandis qu'Eddington s'embarque pour une petite île afin de soumettre la théorie de la relativité au test d'une observation astronomique qui peut la réfuter, avec une prise de risque (1963, p. 59-64). Pour Popper, l'important n'est pas dans la vérification, mais dans la soumission de conjectures à des tentatives de réfutation, à l'aide de tests sévères. Elles y résisteront peut-être (l'idée sera alors corroborée, mais non vérifiée) ou non (idée "falsifiée" ou plutôt, en français, réfutée). Cette position est proche de celle de Chevreul.

Cette progression par conjectures et réfutations dans le royaume des idées est comparée par Jacques Monod (1973), dans la préface de la traduction de Popper en français, avec l'évolution biologique qui procède, de manière comparable, par mutation et sélection. L'expérience est établie non pas, essentiellement, pour être la source d'une idée, mais pour en être l'épreuve. Popper déclare : « il est vraiment étonnant de voir à quel degré mes vues sur les méthodes en science furent anticipées par Claude Bernard. Cependant, je n'ai lu Claude Bernard que récemment" (1975).


En effet, Claude Bernard distingue trois périodes dans la vie d'un chercheur, tout en précisant qu'il a perdu 4 ou 5 ans à se débattre dans les deux premières. À chacune de ces périodes, le point de départ est théorique :
  1. Une première période de simple application des connaissances théoriques et des préceptes pratiques des maîtres ;
  2. Une deuxième période où on conçoit les expériences à partir des théories régnantes afin d'accumuler les faits qui les confortent ;
  3. Une troisième période à laquelle arrivent « ceux qui font surtout attention aux faits contraires (et je suis de ce nombre) », et qui « tiennent peu à la théorie vacillante par sa nature ».

Pour Grmek (1997b, p. 13), on reconnaît facilement dans les deux premières périodes du schéma épistémologique bernardien ce que Thomas Kuhn appelle "la science normale", et dans la troisième période ce que Karl Popper considère comme la bonne méthode scientifique, à savoir la poursuite méthodologique de la "falsification" (réfutation) et non de la "vérification" des hypothèses de travail ».

En épistémologue, Georges Canguilhem avait fait en 1942 une mise au point intitulée Leçons sur la méthode : "L'épistémologie contemporaine ne connaît ni les sciences inductives, ni les sciences déductives. (…) Elle ne connaît que des sciences hypothético-déductives. En ce sens, il n'y a pas (…) de coupure entre la raison et l'expérience.

BILAN : De nombreux scientifiques se reconnaissent dans la description hypothético-déductive, et l'épistémologie de Popper reçoit le soutien des biologistes et des physiciens.

Le rapport entre ce qui pourrait être et ce qui est constitue, pour François Jacob le coeur même de l'accès à la connaissance : « La démarche scientifique confronte sans relâche ce qui pourrait être et ce qui est » (1981). Dans son autobiographie (1987, p. 250), François Jacob revient sur son passé d'empiriste inductif défroqué et narre sa conversion en hypothético-déductiviste : « Contrairement à ce que j'avais pu croire, la démarche scientifique ne consistait pas simplement à observer, à accumuler des données expérimentales et à en tirer une théorie. Elle commençait par l'invention d'un monde possible, ou d'un fragment de monde possible, pour le confronter, par l'expérimentation, au monde extérieur. Et c'était ce dialogue sans fin entre l'imagination et l'expérience qui permettait de se former une représentation toujours plus fine de ce qu'on appelle "la réalité". »,

Richard Feynman reçut le prix Nobel de physique en même temps que Jacob et Monod recevaient celui de médecine (1965). Alors qu'il donne en 1966 une conférence au congrès de l'Association nationale des professeurs de science des USA, Feynman décide de leur parler, non de comment enseigner, mais comment il a appris : son père, au lieu de lui donner le nom des oiseaux rencontrés, lui demandait comment, à son avis, expliquer leur comportement (en l'occurrence, de lissage de plumes), puis l'engage à vérifier. "Imaginez qu'au lieu de cela, on m'ait dit de faire des observations, de prendre des notes, de dresser une liste, de faire ceci et cela, de regarder ici et là, et de consigner le tout dans une fiche que j'aurais rangée dans un classeur avec 137 autres. La seule leçon que j'en aurais tirée, c'est qu'une observation, ce n'est pas bien drôle et que ça ne conduit pas à grand-chose. » (1980, p. 224-225).

En plus de la méthode hypothético-déductive, Carl Sagan, en 1996, précise qu'en science, la pensée créative et la pensée critique (creative thinking and skeptical thinking) travaillent ensemble. « Le mélange judicieux de ces deux modes de pensée est central pour le succès de la science. Les bons scientifiques utilisent les deux. (...) La plupart des idées n'apparaissent pas dans le monde extérieur » (1996, p. 304-305). Isabelle Stengers définit « la singularité des pratiques scientifiques modernes » en disant : « il ne s'agit plus de vaincre le pouvoir de la fiction, il s'agit toujours de le mettre à l’épreuve (...). En d'autres termes, il s'agit toujours d'inventer les pratiques qui rendront nos opinions vulnérables » (1993, p.151).

Plus tard, la vision de Popper sera affinée par ses successeurs. Thomas Kuhn (1962) estime alors qu'une théorie, même si elle est réfutée, n'est pas automatiquement et historiquement rejetée (voir l'histoire de la tectonique des plaques par exemple).

H4. Thomas Kuhn, Imre Lakatos : un dynamique des sciences inscrite dans des cadres mentaux propres à une époque

Nous avons évoqué plus haut la controverse autrichienne sur les critères de vérité scientifique entre Popper et le représentant du cercle de Vienne, Rudolph Carnap. Mais en 1962, l'américain et historien des sciences Thomas S. Kuhn propose de sortir de cette controverse dans son ouvrage sur La structure des révolutions scientifiques : pour lui la pensée scientifique n'avance pas par une démarche progressive et continue d'essais-erreurs. Il existe plutot en sciences de modèles de pensée dominants ou paradigme, dans lesquels une communauté scientifique se reconnait. On est alors dans le cadre ce ce qu'il nomme la science normale, jusqu'à ce que le modèle entre en crise et qu'un nouveau modèle (paradigme) vienne le substituer. L'histoire des sciences évolue donc par bond révolutionnaire entre deux périodes stables.

Le hongrois Imre Lakatos, élève de Popper, réfugié à Londres, est proche de la vision de Kuhn : les programmes de recherches scientifiques (PRS) seraient structurés autour d'hypothèses qui dirigeraient les sciences à un moment donné de leur histoire. La théorie mécaniste de Descartes est ainsi un programme de recherche qui envisage l'univers comme un immense système d'horlogerie. Un PRS est formé d'un coeur inviolable de thèses et d'hypothèses auxiliaires qui peuvent être éventuellement modifiées, sans remettre en péril le coeur de la théorie. On pourrait ainsi interpréter les travaux actuelles de sciences de la Terre dans le cadre du paradigme de la tectonique des plaques, avec des hypothèses auxiliares travaillées actuellement sur l'origine des volcans intraplaques ou encore sur l'existence de microplaques, qui ne remettent pas en question le paradigme dominant. Idem pour le paradigme de l'effet de serre comme explication de la température de surface d'une planète. Le PRS oriente donc les recherches et les champs d'études, mais semble aussi laisser dans l'ombre les hypothèses contradictoires qui réfutent le paradigme. Lakatos n'est donc pas en accord avec son maitre Popper sur la théorie de la réfutation.

Pour Feyerabend, il existe une autre vision de la théorie de la connaissance. Certaines théories scientifiques s'étant imposées contre les faits expérimentaux, avec des incohérences internes et des faiblesses avérées, c'est la preuve de l'existence d'une théorie anarchique de la connaissance qui s'affranchie des règles de la méthode. Feyerabend considère qu'il n'existerait pas de démarche scientifique idéale !

Kuhn connait parfaitement les travaux du français philosphe des sciences Gaston Bachelard et déclare qu'il lui doit beaucoup dans l'élaboration de sa théorie des paradigmes scientifiques. Il reconnait également la pertinence des travaux du russe Alexandre Koyré qui avait quitter son pays après la révolution pour s'installer à Paris. En 1957, Koyré étudie la physique de Galilée et montre que la pensée scientifique évolue au sein de structrures mentales qui rendent certains phénomènes pensables et d'autres non, en fonction de chaque époque.

Bachelard, en 1938, considère comme Popper, que la science consiste davantage à dépister des erreurs qu'à trouver des vérités ; l'esprit scientifique se constitue sur un ensemble d'erreurs rectifiées. La science véhicule des représentations issues de l'imagination, des images trompeuses, que seule une psychanalyse de la pensée scientifique peut dévoiler. Georges Canguilheim, successeur de Bachelard à la chaire d'histoire des sciences de la Sorbonne, appliquera cette approche à l'histoire de la médecine et de la biologie, et il inspirera Michel Foucault dans l'élaboration de sa théorie des épistémê d'une époque.

BILAN : La démarche scientifique est donc, dans ses grandes lignes, hypothético-déductive pour la majorité des savants et des philosophes du XXe siècle, dans la lignée de Claude Bernard. La lecture régulière de revues scientifiques telles La Recherche ou Pour la Science permet d'y rencontrer très fréquemment des auteurs qui font état de leurs propres hypothèses.

TD Le sang des dinosaures, Pour la Science, avril 2011


Pour la Science - n° 402 - Avril 2011

Q. Dans cet extrait de l'article Pour La Science d'avril 2011, et plus exactement dans ces quelques lignes écrites par la chercheuse américaine Mary Schweitzer, maître de conférences au Département des sciences marines, terrestres et atmosphériques de l’Université de Caroline du Nord, et conservatrice adjointe du Muséum d’histoire naturelle, justifier que la forme d'argumentation est popperienne :

À l’époque, tout juste diplômée de l’Université d’État du Montana, je n’étais pas une paléontologue confirmée. Parce que je demandais l’avis de divers enseignants et thésards, Jack Horner, le conservateur du Département de paléontologie du Muséum des Rocheuses, à Bozeman, eut vent de mes petites sphères rouges. Il me pria d’y jeter lui-même un coup d’œil, et je le vis alors, le front plissé par l’attention, regarder dans le microscope pendant ce qui me sembla des heures. Puis il me demanda ce que j’en pensais. Je lui répondis que ces structures avaient la taille, la forme et la couleur de globules rouges et qu’elles semblaient aussi être là où l’on trouve de telles cellules… C’est alors qu’il me lança le défi qui, aujourd’hui encore, inspire mes recherches : «Eh bien, prouvez-moi qu’il ne s’agit pas de cellules sanguines !» Si je n’y parviens pas, il faudrait alors bien admettre que c’en sont.
Depuis, mes collègues et moi avons retrouvé dans plusieurs spécimens divers restes organiques : vaisseaux sanguins, cellules osseuses, fragments du tissu corné qui constituait les griffes, etc. La préservation de tissus mous au cours de la fossilisation est certes très rare, mais ce phénomène ne s’est pas non plus produit qu’une seule fois.
Ces découvertes contredisent les descriptions classiques de la fossilisation.

Mais la présentation des démarches par les scientifiques risque cependant d'être modifiée par une reconstruction a posteriori, plaçant des hypothèses là où elles auraient "logiquement" dû, ou pu, se trouver, omettant les errements et les voies sans issue. Divers travaux d'historiens des sciences ont montré que c'était là une pratique courante. Mais lorsque les scientifiques présentent une recherche encore inachevée, et avancent des hypothèses avant de détenir la solution, avant même de mettre en oeuvre les expériences qu'ils se proposent de faire, ce biais ne peut exister.

TD : Un mutant défie Mendel, par Cécile Klingler, La Recherche, janvier 2006

La Recherche n°393, janvier 2006, p. 58-60.

Un article paru dans La Recherche en janvier 2006 présente une énigme scientifique non résolue : un gène (et non un caractère) semble sauter une génération, et réapparaître dans la descendance de mutants alors que leurs parents en sont a priori dépourvus. "Les faits sont troublants", lit-on en en-tête de l'article, dont le titre, "Un mutant défie Mendel", dit qu'ils n'entrent pas dans le cadre de la théorie.

Q. Combien d'hypothèses sont émises dans cet article ?
Q. quel sort ces hypothèses ont-elles subi ou vont-elles subir ?

Sont avancées, au fil de l'article, pas moins de huit hypothèses, dont trois ont été testées, une écartée en considération drune observation antérieure, pour une autre, « lrune des expériences à réaliser en premier serait (…) », et rien encore nrest suggéré pour les trois dernières. « On le voit, les spéculations vont bon train » note lrauteur de lrarticle, avant drindiquer la piste du rapprochement avec drautres recherches (sur le Lin), tandis que par ailleurs : « Des données récentes, encore préliminaires, pourraient contribuer à faire le tri parmi les spéculations (…).On attend avec impatience la publication de ces résultats.

Mais comme au temps des sectes médicales de l'Antiquité, certains scientifiques relancent.le débat épistémologique, en opposant des Empiriques, non plus à des Dogmatiques, mais à des Conceptualistes.

TD Qu'est-ce qu'un biologiste aujourd'hui ?

 
Dans l'article de Chapouthier, G. (2008). Pour la Science n°366, avril 2008, p. 30-33, le biologiste dresse un bilan des "espèces" de chercheurs qui se rencontrent en biologie, notamment du point de vue de la méthode.
Q. Commenter la vision de la pensée scientifique de Chapouthier.

BILAN : Les empiriques du XXe siècle sont comme leurs prédécesseurs du temps de Galien : ils font usage des hypothèses. Les deux courants actuels (empiristes et conceptualistes) ont, justement, un important point commun : ils font des hypothèses qui précèdent et déterminent les expériences, qui sont, de ce fait, destinées à les tester. C'est la troisième voie, en somme, même si les uns font plus grand cas de leurs ingénieuses hypothèses et les autres, de leurs habiles expériences. Les conceptualistes ont donc tort de voir les empiristes démunis d'hypothèses, puisqu'ils en font, et les empiristes ont tort de reprocher aux conceptualistes de prévoir leurs résultats : tout ce qu'ils peuvent être en mesure de faire, c'est d'espérer, comme disait Galien des Empiriques antiques, que les résultats soient conformes à leurs attentes.

Les conceptualistes, s'ils sont familiers de la recherche, savent que souvent on ne trouve autre chose que ce qu'on cherche. Qu'ils fassent mine ensuite d'avoir toujours été liés à une hypothèse féconde et légitime en lieu et place d'évanescentes et frêles suppositions désormais envolées n'est qu'un artifice de présentation qui a moins pour but de masquer une frivolité d'esprit que de présenter une exposition "logique" de leurs travaux.

Richard Feynman commence d'ailleurs par ce sujet sa conférence Nobel de 1965 : « quand nous écrivons un article pour une revue scientifique, nous avons l'habitude de présenter un travail aussi bien fini que possible, d'effacer toutes nos traces derrière nous, d'oublier les impasses, de ne jamais écrire les idées fausses de départ, et ainsi de suite. De sorte qu'il n'existe aucune publication où l'on puisse raconter, de façon sérieuse, le travail tel qu'on l'a vraiment fait » (1980, p. 235),

À la même époque et pour des raisons similaires, le britannique Peter Medawar, prix Nobel en 1960 pour ses travaux d'immunologie, publiait un article au titre provocateur : "Is the scientific paper a fraud?" (The Listener, 70, 12 septembre 1963, p. 377.). Mais la situation qu'il décrit est pire : non seulement le chercheur ne peut pas exposer la démarche hypothético-déductive errante qu'il a suivie, mais il doit se plier à un "format inductif" de présentation.

H5. L'Affaire Sokal (1996-1997) ou "la guerre des sciences"




Alan Sokal, professeur de physique
à l'Université de New York

Q1. Retracer le récit de cette affaire. Sur quels points portent cette affaire ?
Q2. Que nous apprend cette affaire sur l'éthique et les pratiques scientifiques ?

Elements de réponses : La sociologie des sciences des années 1990 et le courant des Science studies se déclarant rationaliste et objectif, tentent de montrer que la subjectivité domine dans les pratiques de recherches des sciences sociales. Sokal, physicien américain, envoie un article canular à une revue relativiste à la mode, Social Text, pour démontrer que ce courant manque de rigueur intellectuelle, avec "une profonde indiffférence, sinon un mépris pour les faits et la logique". Il sera publié.

L'affaire Sokal pose la question du statut des sciences, dures et molles. Quand Bruno Latour et Bernadette Bensaude affirment que les physiciens américains attaquent parce que, depuis la fin de la guerre froide, leurs crédits ont diminué, Jacques Treiner voit, lui, dans les discours pseudo-scientifiques de certains intellectuels une stratégie de conquête des positions d'autorité. «J'ai envie de leur dire: arrêtez, il n'y a rien à prendre chez nous. Nous travaillons sur des objets inertes, simples. C'est très pauvre par rapport à ce que vous faites. Fabriquez donc vos propres concepts !».

  • Sokal, A. (1996). Transgressing the Boundaries: Toward a Transformative Hermeneutics of Quantum Gravity. Social Text, vol. 14, no 1 & 2, 1996, p. 217-252.
  • Editorial response to Alan Sokal’s claim, in Lingua Franca, that his article, published in the current issue of Social Text, is a parody, and that he intended this hoax as a critique of science studies.

Conclusion : le XXIe siècle, vers une autre science ? L'animalisme, comme revanche à l’anthropomorphisme ?

Entre empirisme et conceptualisme, du positivisme au scientisme, entre rationalisme et relativisme, de la modernité et à la postmodernité*, de la science normale à la science post-normale**... La pensée scientifique non linéaire est inscrite dans une époque donnée. Une histoire inscrite aussi dans la structuration et la hiérarchisation de champs disciplinaires, dans la professionnalisation des scientifiques et la recherche d'autonomie vis à vis des formes de pouvoir et d'autorité.

Des sciences de la matière, aux sciences du vivant et aux sciences humaines et sociales (qui font s'inspirer au XIXe siècle des méthodes des sciences de la nature), c'est aussi une aventure humaine et politique, à appréhender entre histoire, sociologie et philosophie des sciences et des sociétés. Cette pensée, cette méthode d'appréhension de la nature, et les représentations de la nature des sciences sont associées à des modèles d'éducation et de communication scientifique citoyenne.

1. Le retour d'un appel au dialogue entre science et religions ?

Depuis les années 1980-1990, les tentatives concordistes se multiplient, correspondant à la réhabilitation par Jean-Paul II en 1992 de Galilée, symbole dans l'imaginaire de l'opposition entre la pe,sée scientifique et les croyances religieuses, à l'occasion de 350e anniversaire du décès du savant. Rappelons qu'à partir du XVIIe siècle, les sciences ont réalisé le divorce avec les religions, à travers leur capacité à désanchanter le monde et à le transformer en un mécanisme causal, loin de la vision d'un cosmos ordonné par Dieu (voir Max Weber). Avec le XIXe siècle, la théologie chrétienne cède le pas à la méthode naturaliste et la sécularisation de nos sociétés se confirme, alors que l'Eglise chrétienne dominait largement le monde intellectuel européen.

Les courants spiritualistes des années 1970 tentent des mises en relation entre Dieu et la science, notamment à travers la physique quantique qui défie la logique et le bon sens. On tente de montrer que la science est compatible avec les croyances, qu'elle ne mène pas à l'athéisme mais plutot à la vision d'une nature créée par un être supérieur. La fondation Templeton, dans le miliue des années 1990, va financer des travaux de recherche, en astrophysique, mais également au sujet de l'origine de l'homme et des espèces notamment, qui mettent en relation science, religion et spiritualité et proposent des interprétations religieuses ou spiritualistes à la physique moderne et à l'évolution des espèces (cas du dessein intelligent et du créationnisme scientifique). Ces propositions touchent actuellement le monde chrétien mais également le monde musulman. Gindras les interprète comme une volonté de diminuer l'autonomie politique des sciences en se référant plutot à des croyances que des groupes organisés tentent d'imposer à tous.

L'autonomie des sciences est le fruit d'une conquête historique et elle n'est pas irréversible. Elle est inscrite dans des présupposés culturels (Max Weber) et la remise en cause des sciences médicales dite traditionnelles par la montée des spiritualités autochtones et des croyances aux médecines dites douces (acupuncture, homéopathie, effet placebo et nocébo, etc..).

2. Post modernisme et post normal Science : un nouveau régime des sciences en société ?

Contrairement au mouvement d'autonomisation qui caractérise le développement des sciences jusqu'aux années 1980, on observe un renversement de tendance depuis les années 1980. Deux idéologies historiquement construites sont remises en question en ce début du XXIe siècle : l'idéologie positiviste d'un progrès social directement lié aux progrès technoscientifiques, et l'idéologie de la compétence (voir Roqueplo, 1974).

A ces évolutions se rajoutent l'entrée des sciences dans un régime d'administration et d'évaluation de l'activité directement lié à la performance et au progrès économique : la valeur de la connaissance produite est ainsi surdéterminée par un potentiel de valeur économique (voir Bernard Schiele et Joelle Le Marec, Magazine Découvrir de mars 2016). Les rythmes et les temps de travail qui sont imposés aux chercheurs les dépossèdent partiellement de la spécificité de l'activité scientifique.


Hors-série N° 30
Décembre 2000/Janvier-Février 2001
100 ans de sciences humaines

* En 1979, dans La Condition postmoderne, J.-F. Lyotard définissait le postmodernisme comme la recherche d'un dépassement des idéaux progressistes qui se sont développés à partir de l'esprit des Lumières, et une remise en question du rationalisme et du scientisme qui en a découlé. La vérité, le progrès, la révolution ont été les grandes valeurs du modernisme qui devaient permettre d'atteindre la liberté et le bonheur. Selon J.-F. Lyotard, après les horreurs du XXe siècle (les guerres et les régimes totalitaires), il ne faut plus attendre de la science et des grandes idéologies politiques, des lendemains qui chantent. Fournier, M. (2000). Postmodernité. Une idée fin de siècle ? Sciences Humaines, hors-série N° 30 - Décembre 2000/Janvier-Février 2001 "100 ans de sciences humaines"

** The field of Post Normal Science (PNS) has been defined by Funtowitcz & Ravetz (1993) [...]. SSI positioning acknowledges its strong links to human needs that involves large uncertainties, major issues, values, and requires urgent decisions. [...] That social dimension of this positioning of science is emphasized within PNS. Funtowitcz & Ravetz emphasize that within PNS the decision process should involve open dialogue with everyone concerned and propose the concept of an "extended peer community". [...] We believe that it is important to train students to participate within the "peer extended community” so that different perspectives can be taken into account.

  • Simonneaux, L. (2013). Questions Socialement Vives and Socio-scientific Issues. New trends of research to meet the training needs of postmodern society. In C.Bruguière, A.Tiberghien & P.Clément (eds.), Topics and Trends in Current Science Education, Springer, pp. 37-54.
  • Funtowicz S. O., Ravetz J. R. (1993). Science for the Post-Normal Age. Futures, (25)7 , 739-755.

En terme de représentations sociales des sciences et des scientifiques, et donc de communication à propos de sciences, Schiele et Le Marec (2016) constatent l'existence d'une mouvement de délégitimation de la parole scientifique, et de la raison critique, dans une logique néo-libérale qui considère que cet esprit serait contre-productif pour la croissance des nations et une délégitimation de la parole des publics, par des enquêtes répétées qui construisent discrètement mais fidèlement une représentation des publics considérés comme des ignorants, mais également sceptique et hostile aux sciences par manque de connaissances scientifiques et donc par ignorance...

A ce mouvement de double délégitimation s'oppose un appel à intégrer les sciences sociales à l'expertise scientifique et à ouvrir le processus au dialogue entre sciences et sociétés pour un partage des savoirs. Loin d'un modèle déficitaire qui valorise les scientifiques comme producteurs et détenteurs des savoirs et relègue les citoyens au rang de personnes à (in)former (voir Julie Godbout et Chantal Pouliot, Magazine Découvrir de mars 2016), il s'agirait de considérer que l'expertise peut être socialement construite autour de questions socialement vives, comme les décisions relatives aux développements, en intégrant les savoirs et les questions de responsabilités de partenaires comme les associations de professionnels, d'ONG, de l'industrie et de secteurs gouvernementaux des sciences et des technologies. Finalement, il s'agirait de passer d'un modèle déficitaire à un modèle de débat voire de co-construction de la parole experte (voir aussi les travaux de Brian Trench, 2008).

Callon (1998) milite dans le même ordre d'idée pour le passage à une démocratique technique, par la participation des citoyens non spécialistes aux débats scientifiques et techniques. Il s'agit de rendre discutable des questions sociotechniques comme celle de l'orientation des politiques de recherches, loin de l'image de l'illétrisme scientifique des citoyens qui de fait les empécheriant de prendre part aux débats (idéologie de la compétence, Roqueplo, 1993 et 1974) et nécessiterait de développer le modèle de l'instruction publique (Callon, 1998) ou deficit model médiatisé par Irwin et Wynne en 1996 :

Callon précise les principes de réussite de ces modèles : le modèle de l'instruction suppose la confiance des profanes, le modèle du débat publique est basé que la représentatitivé des publics, et le modèle de la co-production des savoirs sur la reconnaissance d'un bien commun et d'une minorité conciliable, chacun ayant un objectif de réduction d'une soi-disant crise de confiance des publics.

Dans le modèle de l'instruction publique (ou déficit model), on considère que les savoirs profanes indigènes sont pétris de croyances et de superstitions, à l'opposé des savoirs scientifiques objectifs. Les scientifiques estiment qu'is n'ont rien à apprendre des publlcs. On estime ici que les croyances populaires sont un poisson pour la démocratie, qu'il fait éradiquer si on veut débattre politiquement. On estime ici que la confiance entre scientifiques et profanes est nécessaire, puisque les science sont sources de progrès. Néanmoins, face à de résultats scientifiques inatendus, il y a risque de perte de confiance entre profanes et scientifiques. Si la méfiance s'installe, on accuse alors l'illétrisme scientifique et on active le modèle de l'instruction pour informer et former, pour les Lumières et contre l'obscurantisme des émotions et des croyances, qui empêcherait de prendre des décisions rationnelles. On considère que les profanes percoivent les risques de manière subjective et qu'il faut donc les rapprocher d'une perception rationnelle des risques, en matière de santé ou d'environnement par exemple.

 

Le modèle du débat public est une extension du précédent mais on considère ici que les publics sont diversifiés, en fonction de l'age, du sexe, de leur culture, des CSP,.... On leur reconnait des savoirs et des compétences expérientiels qui peuvent enrichir les savoirs scientifiques souvent abstraits et qui ont des limites de validité, celles du laboratoire. Ces savoirs apparaissent comme incomplets, voire irréalistes, face à la complexité du réel et des cas particuliers. On reconnait que les modèles experts sont incomplets et que les profanes en savent plus que les experts notamment pour intégrer les dimensions économiques, éthiques et politiques dans les recherches visant l'explication dela complexité du réel (voir l'étude de Wynne, 1996 sur les relations entre les bergers anglais et les experts du nucléaire). Pour etre réaliste, les savoirs des expets doivent etre complétés par ceux des indigènes, une hybridation entre savoirs universels et savoirs locau pour enrichir les savoirs savants (par exemple en ce qui concerne l'efficacité d'une médicament). La lumière nait d'une confrontation des savoirs, des points de vue et des jugements, et non d'une science rayonnaite. On propose donc un espace de discussion pour enrichir l'approche scientifique, surtout en situation de controverses. On consulte donc les publics par l'intermédiaire d'enquêtes, d'audition publique, de conférence de consensus. Ici, la supposé crise de confiance se résoudrait dans laprise de parole des profanes dans un espace public de discusssion permettant d'intégrer la diversité des situations locales. Dans ce modèle de démocratie technique, la représentativité des publics mobilisés est centrale. Ici, m^me si les scientifiques n'ont plus le monopole de la parole, les profanes ne sont pas producteurs de savoirs scientifiques, tout comme dans le modèle de l'instruction publique.

 

Il y a dans le modèle de la co-production des savoirs, la reconstruction d'un lien social à partir de l'existence reconnue des minorités. Ces profanes ont un rôle actif pour enrichir et participer à l'élaboration de connaissances. Dans le moèdle de la coproduction, les savoirs locaux et indigènes (exclus dans le déficit model ou pouvant enrichir ceux des experts officiels (modèle du débat publique)), et les savoirs généraux des experts officiels sont considérés comme deux formes de savoirs compatibles et dépendants, resultant d'un processus intellectuel similaire de personnes concernées (associations de malades, de parents, d'éducateurs, d'enseignants par exemple). Ces personnes ne sont plus une masse d'nidividualités et la singularité du groupe est liée au fait qu'ils sont tous concernés par le problème. La question de la confiance ou de la méfiance est hors de propos dans ce modèle de sciences impliquées. Ici on ne craint pas la colère des profanes contre les scientifiques puisqu'ils ne sont pas exclus, comme c'est le cas dans le modèle de l'instruction publique ou du débat publique. Il n'y a pas de démarcation forte entre experts et profanes.

Cela suppose de penser dans la formation des scientifiques (et des médiateurs de sciences dont les enseignants...), la question de leurs postures réflexives, à l'égard des publics mais aussi face à la gestion des incertitudes, des doutes et des risques. Cette formation pourrait permettre de favoriser l'évolution de préjugés des médiateurs vis à vis des capacités limités des publics, pour mieux appréhender et intégrer les attentes et les représentations des citoyens vis à vis des sciences. Mais des obstacles structuraux persistent, liés à l'autorégulation de l'activité scientifique par les pairs, ce qui perpétue les stéréotypes sur les citoyens et les scientifiques vis à vis des savoirs et de l'expertise, et notamment sur l'idée que le citoyen profane doit être éduqué.

3. La revanche de l’anthropomorphisme et la question du rapport Homme-Nature
Voir Francis Lecompte (2016), CNRS Le journal, n°283, Hiver 2016.
Voir aussi l'exposition Persona, étrangement humain, au Musée du quai Branly, jusqu'au 13 novembre 2016.

 
Les singes, mais aussi de nombreux autres animaux, révèlent quantité d’aptitudes qui les rapprochent de plus en plus du statut de personne. Ici, les selfies qui ont rendu célèbre mondialement le macaque Naruto agé de 6 ans. Les singes mais également d'autres animaux révèlent des attitudes comparables à celle des êtres humains.

Le singe Naruto, futur propriétaire de son (soi-disant) selfie ? Louise Duclos, Sciences et Avenir, 24-09-2015. Débat éthique.

 

Avec la révolution numérique, on observe que la personnification des animaux et des objets ne fait plus partie d'un passé obscur de l'humanité, alors que pendant deux siècles, la pensée rationnelle l'avait snobé. L'anthropomorphisme devient un terrain de jeu et d'expérimentation, une nouvelle forme d'aménagement du territoire.
Aujourd'hui, le sociologue Emmanuel Grimaud considère l'anthropomorphisme comme un moyen qui permettrait de se mettre à la place de l'animal ou de l'objet, afin de mieux le comprendre. "Faire comme si" devient un moyen de comprendre, de prédire, mais aussi de décider quel type de relations nous voulons entretenir avec les animaux et les objets qui nous entourent, pour vivre plus en douceur nos différences et accepter l'altérité des non-humains. L'animal et l'objet nous transforment en retour, comme dans le cas des relations parfois fusionnelles entre l'enfant (notamment) et le smartphone, prolongement de son propre corps.

Anthropomorphiser les animaux conduit à leur accorder des droits et à prendre au sérieux les souffrances qu'on peut leur affliger, qu'il soit animal de compagnie ou destiné à la filière alimentaire (voir les engagements et dénonciations de l'association L214). On prendra quelques exemples de cette évolution récente des pratiques en société :

  • celui de l'expérimentation animale des années 1990 à 2000 (la notion d'animal modèle et d'animal machine, avec les questions éthiques associées et la participation sociale à l'évolution des pratiques biomédicales et celui de l'animal de zoo (Voir le numéro 50 de la revue Techniques et Culture : Les Natures de l'homme (2008).
  • Nous évoquerons, sur le terrain, la question de sens de la captivité animale, qui, comme la question précédente interroge finalement la dualité Homme-Nature, Humanité-Animalité, mais aussi la dualité Nature-Culture, des dualités présentes dans les représentations scientifiques modernes. Signalons que dans le cas du réchauffement climatique, on s'efforce d'identifier des causes naturelles et des causes anthropiques, s'inscrivant ainsi dans le postulat dualiste Homme-Nature.

 

L'association a été fondée en 2008 par des militants végétariens pour les animaux de l'équipe de Stop Gavage, campagne pour l'abolition du foie gras qui se poursuit dorénavant au sein de L214. Le noyau central est constitué d'une dizaine de bénévoles et une dizaine de salariés qui se coordonnent à distance. Des centaines de militants viennent en renfort pour mettre en place des actions dans leur région. Des adhérents ou sympathisants apportent leur contribution dans des domaines variés, selon leurs talents et disponiblités (comptabilité, graphisme, montage vidéo…). Ce nom un peu mystérieux fait référence à l'article L214 du code rural : en 1976, les animaux y sont pour la première fois désignés en tant qu'êtres sensibles. Art L214-1: « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. »

Vers une civilisation sensibiliste : L214 s'inscrit dans un mouvement qui souhaite une société attentive aux besoins de tous les êtres sensibles à l'opposé des courants prônant discrimination, haine ou xénophobie. L214 souhaite que notre société en arrive à reconnaître que les animaux ne sont pas des biens à notre disposition, et ne permette plus qu’ils soient utilisés comme tels. Ils sont eux aussi des habitants de cette planète et leurs intérêts méritent considération.

Consommation responsable : L214 encourage les consommateurs à adopter une attitude d’achat responsable, au mieux en se passant de produits d’origine animale, au minimum en réduisant leur consommation de tels produits et en refusant ceux issus des élevages intensifs.


 

Quel est le propre de l'Homme ? (Universcience TV, 2010)

Pour Rabelais, le propre de l'homme c'est le rire ! Et pour le paléoanthropologue Pascal Picq, serait-ce l'amour, la guerre, l'outil, le langage, la morale ou la bipédie ? Petit cours d'éthologie au tableau blanc pour relativiser notre place dans l'évolution.

L'homme, un être de récit ?

4. Quelles implications pour l'éducation aux sciences

Cette période est probablement également celle de l'entrée des sciences dans un régime de questionnement socioscientifique, entre sciences, techniques, société et défi économique. La présentation de la nature socioépistémologie des sciences est devenu un enjeu de formation, d'éducation et de culture, notamment en contexte laique. Mais comment faire ?

La didactisation de questions socioscientifiques, que certains considèrent comme a-disciplinaire, ou interdisciplinaire, est une recommandation éducative. Mais c'est également une question de recherche en éducation, puisqu'elle se heurte à la forme scolaire disciplinaire et un rapport positiviste aux savoirs. L'entrée par la médiation scientifique pour une éducationà la nature des sciences et aux médias peut être un vecteur de mise en scène pédagogique et didactique des questions socioscientifiques, si l'on accepte l'idée que les médias contribuent à une mise en problème et en sens des sciences en société (Champagne, in Bourdieu, 1993 et 1997), mais aussi à la structuration, à la mise en circulation et à l'évolution de représentations sociales (Sommer, in Flick, 1998).

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TD Le sens de la captivité animale
De la ménagerie populaire au conservatoire de la biodiversité
Les rapports Homme-Nature à travers l'histoire du "Jardin Zoologique" de Lyon de 1858 à nos jours

TD Bien-être animal, animalisme, droits des animaux et l'expérimentation animale


Jean-Pierre Digard, ethnologue, anthropologue,
directeur de recherche émérite au CNRS

  • voir aussi l'analyse sur l'animalisme et le droit des animaux de Jean-Pierre Digard :  "La notion de bien-être animal est ambiguë" (France inter, 09 aout 2018, 20 min)

  • J.-P. Digard est l'auteur du livre "L'animalisme est un anti-humanisme" aux éditions du CNRS - 2018 : "Depuis plusieurs années, les animaux sont devenus un sujet sensible. Documentaires, tribunes, pétitions émaillent l’actualité, dénonçant des actes de maltraitance ou appelant à des mesures en faveur des animaux, et prenant à témoin l’opinion publique. Le droit lui-même s’est fait l’écho de ces préoccupations avec l’introduction des animaux dans le Code civil en 2015. C’est ce phénomène social, cette nouvelle sensibilité que scrute cet ouvrage, à sa façon aussi engagé que les tenants de la « cause animale ». Spécialiste de la domestication animale, Jean-Pierre Digard nuance, contextualise, passe de la longue durée historique à l’examen des revendications présentes, et balaye bien des idées reçues. De quels animaux parle-t-on ? Que connaissent les urbains de la vie animale ? L’utilisation d’animaux par l’homme n’a-t-elle pas avant tout été un élément déterminant du processus de civilisation ? Et quelles seraient les conséquences d’une « libération animale » ?
    S’il critique et dénonce les dérives des mouvements animaliste, antispéciste et véganien, cet ouvrage n’en reste pas à une telle prise de position. Plus profondément, c’est le rapport des animalistes à leur propre humanité, et leur façon de diaboliser l’homme, qui sont rigoureusement mis en question."

Q. Faire une analyse des discours médiatiques à propos de la directive du 28 novembre 2014 interdisant les dissections animales de vertébrés en classe de sciences. Identifiez les débats socioscientifiques et éducatifs que suscitent cette mesure au sujet de l'enseignement des sciences.

Voir aussi le décret du  01 février 2013 sur la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques.


Bibliographie scientifique :

  • Mendl M, Paul E. Bee happy. Science 2016, 353:1499-1500
  • Alem S, Perry C, Zhu X, et coll. Associative mechanisms allow for social learning and cultural transmission of string pulling in an insect. PLOS Biology, October 4, 2016, pp 1-28.
  • Matsuzawa T. Sweet-potato washing revisited: 50th anniversary of the Primates article. Primates 2015, 56:285-7.
  • Anderson DJ, Adolphs R. A framework for studying emotions across species. Cell 2014, 157:187-200.
  • Damasio A, Carvalho G. The nature of feelings: evolutionary and neurobiological origins. Nature Reviews Neuroscience 2013, 14:143-52.
  • Matsuzawa T, McGrew W. Kinji Imanishi and 60 years of Japanese primatology. Current Biology 2008, 18:R587-91.
  • Leadbeater E, Chittka L. Social transmission of nectar-robbing behaviour in bumble-bees. Proc Biol Sci 2008, 275:1669-74.
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  • Goodall J. Tool-Using and Aimed Throwing in a Community of Free-Living Chimpanzees. Nature 1964, 201, 1264 – 1266.
  • Fisher J, Hinde RA. The opening of milk bottles by birds. British Birds 1949, 42:347-57.
  • Darwin C. Humble-bees. The Gardeners’ Chronicle, 21 August 1841, 34: 550.
  • Darwin, C.. The expression of the emotions in man and animals. Harper Perennial, 2009.
  • Frans de Waal. Quand les singes prennent le thé. Fayard, 2001.

 

 

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