De l'utilisation des représentations sociales en communication et éducation
Le cas du traitement des questions socioscientifiques
Nos cadres constructivistes en question

Benoît Urgelli
last up-date : 30 avril, 2021
Previous : 30 avril, 2021

les représentations sociales sont des phénomènes complexes toujours activés et agissant dans la vie sociale. Dans leur richesse phénoménale on repère des éléments divers dont certains sont parfois étudiés de manière isolée : éléments informatifs, cognitifs, idéologiques, normatifs, croyances, valeurs, attitudes, opinions, images, etc. Mais ces éléments sont toujours organisés sous l’espèce d’un savoir disant quelque chose sur l’état de la réalité. Et c’est cette totalité signifiante qui, en rapport avec l’action, se trouve au centre de l’investigation scientifique. Celle-ci se donne pour tâche de la décrire, l’analyser, l’expliquer en ses dimensions, formes, processus et fonctionnement. Durkheim (1895) fut le premier à identifier de tels objets, comme productions mentales sociales relevant d’une étude de « l’idéation collective ». Moscovici (1961) en renouvela l’analyse, insistant sur la spécificité des phénomènes représentatifs dans les sociétés contemporaines que caractérisent l’intensité et la fluidité des échanges et communications, le développement de la science, la pluralité et la mobilité sociales. [...] une première caractérisation de la représentation sociale sur laquelle s’accorde la communauté scientifique. C’est une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social. Egalement désignée comme « savoir de sens commun » ou encore « savoir naïf », « naturel », cette forme de connaissance est distinguée, entre autres, de la connaissance scientifique. Mais elle est tenue pour un objet d’étude aussi légitime que cette dernière en raison de son importance dans la vie sociale, de l’éclairage qu’elle apporte sur les processus cognitifs et les interactions sociales. In Jodelet, 1989, p.53.

Nous formons nos représentations pour réponde au désir de se familiariser avec l’étrange et réduire ainsi la marge d’incommunication liée aux ambiguïtés, aux incompréhensions, aux « flous ». Ce processus permet d’acquérir un répertoire commun d’interprétations et d’explications. L’émergence des représentations sociales résulte de ce processus communicationnel de familiarisation. d'après Moscovici, 2013, p.110-111.

Les représentations sociales permettent également de construire du lien social par l’adhésion des sujets aux mêmes idées et l’affirmation d’une identité, l’affirmation symbolique d’une unité et d’une appartenance […] l’établissement et le renforcement du lien social. D’après Jodelet, 1994, p.36.

L’étude des représentations sociales “dans leur genèse, leur structure et leur transformation est la voie pour comprendre le rôle de l’inscription des sujets dans un ordre social et une historicité, et rendre compte de la construction, nécessairement sociale par leurs appartenances et leurs communications, des interprétations qu’ils produisent dans le cadre d’une culture ” (Jodelet, 2002, p.129)


Jacquard, A. (1993). E= CM2.
Éditions du seuil. p.101


le sens social n'est pas toujours celui de la logique scientifique...

La représentation d'une souris blanche selon Cubitus
in Dupa (1977). Souris, c'est une blague. Cubitus du meilleur tonneau. Ed. du Lombard, p. 4.

Dans les écoles laïques, le mot "Dieu" n'est guère prononcé. Ce n'est évidemment pas a un système éducatif accessible à tous de privilégier telle ou telle explication globale de l'univers, et d'interférer avec les apports des familles ; apports aujourd'hui très divers. Cependant, immanquablement, une fois la confiance établie entre les élèves et moi, lorsque le scientifique laisse la place au grand-père, Dieu entre dans la conversation. Il me faut à la fois être sincère et ne choquer aucune foi. Je n'ai pas à cacher que j'ai été élevé dans la religion catholique et que l'Évangile est, de plus en plus, pour moi, le texte de référence ; mais il serait suprêmement malhonnête de profiter de ma position pour faire le moindre prosélytisme. Je ne suis pas sûr de toujours parvenir à cet équilibre. (Jacquard, 1993)

Bibliographie

 

Dans les années 1960-1970 émerge le concept de représentations sociales, pour comprendre le lien entre la pensée, la communication et l’action, dans le cadre de la psychologie sociale. Certains pensent alors pouvoir anticiper et prescrire les comportements (Weber) et les faits sociaux en connaissant la psychologie des individus. Selon Moscovici (1989), on peut distinguer plusieurs phases évolutives dans la structuration de ce concept :

Représentations individuelles et représentations collectives...

La première phase dans l’étude des représentations sociales est caractérisée par les travaux de Durkheim (1968) : l'auteur distingue des représentations individuelles, variables et propres à chacun et des représentations collectives, stables, universelles, autonomes, une sorte d’assiette mentale de la société qui crée un idéal cohérent, pas toujours logique et rationnel. Ces représentations collectives seraient à l’origine des représentations individuelles, en exerçant des contraintes sur les individus et en les préparant à une action collective. Les représentations sont donc des idées qui s’accompagnent de mises en scène et en actes.

Représentations primitives et représentations civilisées...

La seconde phase correspond à l'abandon progressif, avec Levy-Bruhl (1951) de la distinction entre représentation collective et représentation individuelle, pour disntiguer des représentations primitives, hors de la rationalité scientifique et des représentations "civilisées", comme dans l’exemple de l’ombre qui peut être interprétée dans deux mondes sociaux différents à travers la perception de deux réalités différentes (mythique ou scientifique).

La dynamique des représentations sociales

A partir de cette phase, le caractère collectif des représentations sociales compte autant que leur dynamique : on cherche alors les structures intellectuelles et affectives des représentations mais également les mécanismes psychiques et logiques à l’origine de l’ordre mental et du symbolisme.

Avec Piaget (1972), la psychologie de l’enfant est interprétée à travers un monde différent de celui des adultes. L’enfant pense différemment. Le fonctionnement de sa pensée est différent, comme le montre le réalisme des enfants pour expliquer les rêves. Pour découvrir ce fonctionnement, il faut passer par la communication entre enfants ou entre enfants et adultes. Par ailleurs, la communication va produire des représentations, des modèles de pensée à travers la discussion. Il existe donc une dynamique des représentations : une contrainte évolue d’une règle sacrée à une règle adoptée, lors du passage de l’enfant à l’adolescent puis l’adulte.

Les représentations sociales ont donc une composition psychique et une dynamique. Elles s’élaborent dans les échanges sociaux. Pour Freud (1908), les représentations sociales sont une tentative pour comprendre et expliquer un problème. Un savoir va prendre corps à cause notamment d’un conflit psychique. Chez l'enfant, ce conflit psychique, notamment avec les parents, génère des représentations de l’acte sexuel. Ces savoirs vont progressivement se transformer et s’intérioriser. On passe de l’univers de « celui qui en dit plus qu’il en sait » à « celui qui en sait plus qu’il n’en dit ». Des savoirs populaires s’élaborent.

A la fois collectives et individuelles, produit d'une logique sociale...

Les représentations permettent donc de comprendre à la fois le collectif et l’individuel. Elles ont une composition psychique et supposent des échanges sociaux. Et c'est en ce sens qu'elles sont sociales.

L’ensemble de ces auteurs inspire Moscovici (1961). Il va prolonger la réflexion et proposer une psychologie sociale des représentations : à l’inverse de la psychologie de l’enfant et du passage du mythique au scientifique, il s’intéresse dans la psychologie clinique et à la communication de masse, aux métamorphoses des théories scientifiques abstraites en nouvelles représentations plus concrètes, imagées et réfléchies. Selon lui, le savoir généré, lorqu'il est communiqué, devient une partie de la vie collective. Il peut servir de solutions à un problème social. Les représentations servent aussi d’explication à un évènement : le modèle de l’effet de serre anthropique permet de donner un sens à des évènements météorologiques extrêmes, comme la sécheresse durant l’été 1988 au USA avec Hansen (Roqueplo, 1993).

Au final, avec Moscovici, les représentations collectives deviennent des représentations sociales par le fait des communications. Les représentations sociales sont donc individuelles ou collectives. Leur dimension sociale est liée aux échanges et aux interactions sociales, une représentation individuelle pouvant devenir collective et vice versa. Les représentations sociales s’élaborent donc par le social et ne sont plus vraiment considérées comme un support de l’individu, de la collectivité ou d’un groupe social. Elles sont même une passerelle entre l’individuel et le collectif sachant qu’il s’agit d’un mécanisme psychique qui permet d’innover, de faire vivre socialement, progressivement. Avec cette vision des représentations sociales, la psychologie sociale s’intéresse à une anthropologie de la culture moderne, la culture étant compris au sens de Schiele :

[...] la culture peut être définie comme un complexe de signes et de significations - y compris de langage - tissés, amalgamés, entrelacés dans des dispositifs de transmission de valeurs et de sens […] les pratiques culturelles sont porteuses de sens parce qu’elles témoignent de la société dans laquelle elles s’inscrivent et à laquelle elles renvoient. Pratiques, représentations et comportements s’articulent dans des matrices de relations et de sens […] La publicisation de la science, à un moment marqué d’une société donné […] ancre et consolide des sens partagés […] c’est la consolidation du sens qui produit la culture et non pas l’inverse (Schiele, 2005, p.51).

Pour Moscovici, les représentations sociales sont donc produites par des personnes. Elles sont codifiées, transmises et confèrent une autorité. Par une idéation, elles créent des trames communes et des mots d’ordre.

De l’utilisation des représentations sociales en didactique des sciences : construire des savoirs scolaires socialement utiles ?...

La didactique se propose d'aider à l’intériorisation des représentations et des savoirs scolaires, afin de donner une utilité démocratique et un rôle social à l’école : la communication didactique doit permettre une transmission de connaissances et une socialisation des jeunes, ce qui suppose qu’elle peut avoir des effets forts d'intériorisation de représentations sur les récepteurs de cette communication.

Didactique et constructivisme (Astofli et Develay, 2005, p. 98-104)

L'approche didactique constructiviste met en avant le rôle premier de l'élève placé au centre du système éducatif (la loi d'orientation de l'école de 1989). Les développements de la didactique des sciences sont d'ailleurs contemporains du mouvement constructiviste, autour des figures de Piaget, Bachelard et Vygotski. Diverses combinaisons sont possibles entre ces trois références :

  1. Pour Piaget, le constructivisme d'un noyau de connaissances et d'une pensée formelle est progressif chez l'enfant, et ses expériences fortuites avec la réalité du monde qui l'entoure permettent de réaliser une ouverture progressive de ses potentialités. Cependant, Piaget accorde plus d'importance au "dialogue de l'enfant avec les objets" qu'aux interactions sociales, notamment avec ses pairs.
  2. Loin de l'idée de progressivité de Piaget, l'obstacle, pour Bachelard, est une tendance de l'esprit à se précipiter vers une explication toute prete, vers des oppositions ou des alternatives simplistes et rassurantes. Pour apprendre, il faudrait renoncer à ce qu'on croit savoir. La rupture avec le sens commun est nécessaire pour pouvoir apprendre. Elle a un cout intellectuel. Bachelard se méfie de la connaissance générale, source d'obstacle, alors que Piaget cherche les invariants de la pensée.
  3. Vygotski, animé par un marxisme authentique, est sensible aux interactions sociales et humaines dans l'apprentissage : il s'oppose à Piaget en pensant que l'apprentissage précède le développement : il n'est pas nécessaire d'atteindre un stade de développement pour que certains apprentissages soient possibles. L'apprentissage permet le développement (et non l'inverse) et l'école doit contribuer à stimuler les potentialités intellectuelles de l'enfant. Pour cet auteur, la pensée se développe du collectif à l'individuel qui l'intériorise grâce au langage. Il rompt ainsi avec l'égocentrisme enfantin décrit par Piaget. L'enfant a un niveau de développement potentiel, défini par ce que le sujet est capable de faire en collaboration et qu'il réussirea demain. Ce niveau est supérieur à son niveau de développement actuel, celui que Piaget considère comme étant ce que le sujet est capable de réussir seul aujourd'hui. Pour Vygotski, c'est dans l'écart entre ces niveaux de développement, dans la zone proximale de développement, que la stimulation éducative est efficace.

Ces trois points de vue constructivistes montrent que Piaget s'intéresse au comment ça marche à travers un diagnostic qui décrit des étapes du développement, alors que Bachelard s'intéresse au pourquoi ça résiste, appelant à un travail de deuil permanent vis à vis de la pensée commune, là où Vygotski précise jusqu'où on peut aller dans l'ambitiion éducative. Ces trois poles s'articulent différemment en fonction de l'objectif didactique :

  • si l'on veut déterminer les possibilités cognitives d'un apprentissage chez de jeunes enfants, le constructivisme piagétien s'impose, avec l'idée qu'il existe des obstacles pscychogénétiques à franchir pour atteindre la pensée abstraite.
  • si l'on cherche les obstacles épistémologiques à dépasser pour maitriser des concepts, l'appui de Bachelard l'emporte, l'histoire des sciences pouvant même fournir des éclairages montrant à quelles difficultés épistémologiques on risque d'être confrontée sur un domaine de savoir donné.
  • Si l'on souhaite convevoir des dispositifs didactiques réalistes et ambitieux, ou lorsqu'on s'interroge sur les obstacles didactiques crées par des tradtions dl'enseignement, la référence à Vygotski est majeure.

Mais les enquêtes sur l'évolution des représentations ne constatent pas toujours une intériorisation durable des représentations scientifiques scolarisées, tout au plus une coexistence (comme dans le cas de représentations créationnistes et évolutionnistes (Clément et Quessada, 2008 ; Urgelli, 2012). Ce qui laisse penser que, si les représentations sociales s'élaborent à travers les communications et les interactions, le contrat de communication et les situations didactiques ne conduisent pas à la dynamique des représentations tant espérée par certains didacticiens.

J’émets l’hypothèse que le contrat didactique qui fonde les situations de communication éducative ne contribue pas toujours à actualiser les représentations sociales parce que le contrat et la situation didactique (le contexte) ne font pas sens pour les élèves enquêtés. Si les savoirs mobilisés par les élèves se construisent souvent en référence à des savoirs exposés par les médias et l'environnement extrascolaire quotidien, c’est peut-être que ces médiations élaborent une forme de contextualisation qui rend possible un début de problématisation. Les élèves donnent alors un sens social à ces savoirs. On retrouve en partie la fonction d’opérateur social de sens attribuée aux productions médiatiques par Davallon (1992).

Davallon pense les médias comme des dispositifs socio-symboliques, plus que des dispositifs techniques qui acheminent de l’information d’une source émettrice à un ensemble de récepteurs.
  1. Le média est un lieu d’interaction entre le récepteur et les objets images, etc. L’action du récepteur fait donc partie intégrante du média.
  2. Ce qui se passe dans le dispositif social, ses caractéristiques sont socialement définis (le cinéma n’est pas la publicité, pas plus que la presse ou le musée).
  3. Le média est un lieu de production de discours social : chaque média a son genre de discours et produit des effets de sens sociaux spécifiques : le discours de l’exposition n’est pas celui du théâtre ou du livre. On n’y fait pas du sens de la même façon.
  4. Chaque média établit un type de lien social qui lui est propre entre les acteurs : les liens du téléspectateur aux autres téléspectateurs et au monde physique et social diffèrent de ceux qui sont établis par d’autres médias comme le livre, le théâtre, la publicité, la télématique, etc.
  5. Pour se construire comme dispositif, chaque média développe une technologie, de sorte que ce dispositif rende possible les opérations précédentes : il garde en mémoire, si l’on veut, des logiques d’interaction et des procédures de réception, des logiques de production de sens et des modalités de relations sociales.
  6. Le média comme dispositif est au centre d’un espace social qu’il contribue à organiser et qui lui sert en même temps de soubassement.
  7. Enfin, le dispositif et son espace social, qui sont à la fois produits et producteurs de langage et de lien social, sont évidemment un enjeu de pouvoir et donc potentiellement le lieu de développement de stratégies de pouvoir.

Ce que pointent les résultats des études didactiques de représentations, c’est peut-être un manque d’opérativité sociale du contexte scolaire, dans le cadre des communications qui s’y élaborent....

Mais face aux constats d’échec des stratégies didactiques de dépassement en classe des systèmes de représentations, certains auteurs mobilisent une théorie structurale des représentations sociales qui différent de celle élaborée par Moscovici. Par exemple, Legardez (2004), en évoquant les travaux de Flament (1994) et Abric (1994) précise qu'une représentation sociale ne se transforme véritablement que lorsque le noyau central change. Pour préserver ce noyau, elle génère des périphéries dont l’une des fonctions est de protéger le noyau central (résistance au changement). Par contre les périphéries sont plus vulnérables et des modifications sont donc possibles sans remettre en cause la structure globale de la représentation sociale (Legardez, 2004). Cette conception mécaniste du fonctionnement d’une représentation sociale me semble éloignée de la définition de Moscovici. Elle permet pourtant à certains didacticiens de se lancer dans une véritable bataille dans laquelle il s’agit d’essayer de contourner l’obstacle (le noyau central), en visant un élément secondaire d’une périphérie, plutôt que de l’attaquer directement, pour tenter de le transformer, en espérant qu’un apprentissage pourrait avoir lieu (Legardez, 2004 ; Urgelli, 2009 la bataille didactique avec les représentations, p.156-160).

Dans la visée interventionniste en faveur d'une éducation scientifique et technique, de nombreux auteurs ont mobilisé les représentations sociales en terme d’obstacles à la transmission de savoirs scientifiques (Bachelard, 1968 , De Vecchi & Giordan, (1994) ; Giordan, 2008) : ils évaluent ainsi la distance entre les représentations sociales et les pensées savantes, dans l’intention de transformer les pensées de sens commun pour faciliter les apprentissages de savoirs savant. Avec cette logique de rupture, pour Le Marec (1996), on s’éloigne de l’enjeu de l’étude des représentations sociales qui est un questionnement sur l’origine de cette distance sociale, issue de la transformation des connaissances scientifiques au contact du fonctionnement social. Dans une perspective éducative, il s’agirait plutôt de comprendre comment les éléments de la science sont intégrés dans une réalité de sens commun qui est produite par le mécanisme même de l'objectivation et de l'ancrage (Moscocivi, 1998). Pour Moscovici (1989, cité par Molinatti, 2007), la théorie des représentations sociales est une anthropologie de la communication moderne qui permet de comprendre l’innovation et la vie sociale en train de se faire.

[…] La pédagogie […] devrait tenir compte des circonstances dans lesquelles l’information reçue est transformée et des structures logiques qui y contribuent ou qui en sont les résultats. Le rythme même de l’évolution scientifique et technique de notre époque, où presque toutes les décades apportent un bouleversement profond de ce qui est acquis impose une éducation permanente des adultes. Cette éducation s’accompagne non seulement d’une transmission de notions nouvelles mais aussi d’une refonte de la façon dont on saisit le réel et son image (Moscovici, 1981 [1976], p.359).

Quoiqu'il en soit, la persistance de représentations non scientifiques semble particulièrement forte dans le cadre du traitement didactique de questions socioscientifiques, complexes, expertisées (donc politisées) et médiatisées. Autour de ces questions coexiste une diversité des représentations, qui reflète la diversité des logiques d'acteurs et des communications. Le traitement de ces questions nécessite probablement le développement d'une didactique qui s'attache à mettre en évidence ces logiques, sans détour et évitement, tout en montrant celles qui ont la préférence institutionnelle, et les raisons socioscientifiques de ces positionnements.

Molinatti, 2010 : contrat de communication des chercheurs sur des questions socioscientifiques...

Représentations et postures d'enseignants en situation didactique politisée

Urgelli, 2009 : Certains enseignants, face aux normes politiques proposant d’enrôler l’école dans un dispositif de communication sociale à visée mobilisatrice, sur le registre du consensus et de l'alarmisme écologique, ressentent un malaise didactique, qui les conduit à refuser d’évoquer le doute épistémologique (SPC-Lyon, HG-Lyon), ressentant alors une forme de chantage au consensus, d'origine socio-politique, allant même jusqu’à parler de question de croyance face aux représentations d'un réchauffement climatique d’origine anthropique. Pourtant lorsque l’enseignant doute épistémologiquement (impartialité mais aussi neutralité vis-à-vis de la rationalité scientifique), il est conduit à proposer une forme d’éducation critique à la complexité (doute, probabilité, incertitude, nature des sciences, ignorance,....), aux médias, et à l’expertise. Mais il déclare que les normes politiques le contraignent dans l’évocation du doute. Pour HG-Grenoble, les normes politiques médiatisées lui permettent au contraire d’avoir la liberté de faire de l’écologie politique (puisque c’est permis !).

Lorsque l’enseignant est convaincu de l’effet anthropique et de la nécessité de changer de comportements citoyens, il n’évoque pas le doute épistémologique pour ne pas influencer les élèves, ou ne l’évoque qu’à la marge de ses enseignements, après avoir rempli sa mission d’enseignement (qui est de souligner le rôle du CO2 dans le réchauffement climatique récent). Le doute n’est donc pas permis, voire même envisagé, car il suppose une remise en question des normes politiques, ce qu’un agent de l’état, en contact avec des jeunes, futurs citoyens, ne peut se permettre. Il se doit de tenir une posture de retenue qualifiée de neutralité exclusive (exclusion des controverses). Cette posture s'apparente à une forme de non-engagement dans le débat politique, mais c’est aussi une forme de soutien silencieux au programme politique (pour un développement durable qui passe par l'engagement dans une économie verte dans notre exemple). L'enseignant se réfugie alors dans un enseignement disciplinaire, souvent positiviste et scientiste, voire partiale et exclusive. Je considère qu'il s'agit plus ou moins consciemment pour l'acteur d'une forme d’engagement politique (avec parfois des modèles d’enseignement interventionniste), en accord et sous couvert des normes sociopolitiques d’éducation pour un développement durable qui s'élaborent progressivement depuis les années 2004 en France.

Le poids des représentations sociales dans l'appréhension des risques

Selon Peretti-Watel (2002), dans l'appréhension des risques (sur les exemples travaillés dans nos recherches, à propos des risques climatiques, des risques infectieux (hésitation vaccinale) et des risques de développement non soutenable, des risques qui échappent souvent à nos 5 sens et ne sont donc pas perceptibles), chacun se positionne en fonction de son identité cultrelle et sociale, de nos rapports sociaux et du système de valeurs en lequel il croit. Il existe donc une diversité de perception du risque, et pas seulement celle qualifiée de "juste", en l'occurence celle déterminée objectivement par les experts qui s'intéressent à sa probablité d'occurence et à la gravité de ses conséquences, une perception qui disqualifiérait alors celle des profanes. Ces derniers tentent de les appréhender (les conjurer, les nier) par des pratiques et des croyances inscrites dans une époque (voir par exemple l'appréhension des risques infectieux en lien avec la colère divine et médiatisée par les prêtres au Moyen Age, selon J. Delumeau, 2003). Cette perception n'est pas juste ou fausse, elle est inscrite dans un système de représentations et de croyances de l'époque.

1. L'appréhension du risque fait appel à un mécanisme d'affirmation identitaire, donnant de la valeur à son propre système de valeurs. Par exemple, la première campagne de Greenpeace contre la chasse à la baleine à la fin des années 1970 a construit la notoriété de l'association écologiste, à travers une conduite à risque, face au harpon du baleinier russe, et une affirmation identitaire reconnue dans le monde entier. Il en va de même des travailleurs des usines de retraitement des déchets nucléaires de la Hague (voir l'étude de Françoise Zonabend, 1989) : ils justifient la prise de risque par une affirmation identitaire de guerriers ou mineurs du nucléaire.

2. L'appréhension des risques dépend également des représentations que l'on se fait des rapports sociaux, ce qui explique que les risques climatiques, nucléaires ou infectieux dépendent souvent des catégories socioprofessionnelles, et leur perception du degré de vulnéralibilité sociale, au delà de la question de la connaissance du risque (exemple pour le SIDA ou le coronavirus chinois).

3. Dans ces derniers exemples liées aux risques infectieux interviennent également les représentations de la vulnérabilité de son propre corps vis à vis de la contagion virale ou bactérienne : perméabilité forte de la peau, air inspirant des germes, piqure de moustique, conduisent à une appréhension très aigue des risques associés au maladies transmissibles et contagieuses, et peut même nourir un fatalisme paralysant et une désensibilisation vis à vis des campagnes de prévention (à quoi bon se protéger puisque ça s'attrape très facilement).

4. L'appréhension dépend également de nos visions de la causalité sociopolitique du risque (des responsables et des coupables), légitimant ou accusant parfois des rapports de classe et des choix politiques, en désignant des ennemis de notre classe sociale. C'est ce que montre Gérard Fabre (1998) à propos des épidémies de peste et de choléra du XIXe siècle : les pauvres accusent les riches de répendre l'infection pour se débarasser d'eux, les riches stigmatisent les pauvres comme vecteur du mal, de par leur hygiène et leurs moeurs dépravés. On décidera alors des mesures coercitives à l'égard des classes dangereuses... Dans l'affaire de la vache folle, c'est un modèle économique (libéralisme économique dominant) qui sert à donner du sens au risque et qui devient alors une ressource politique.

5. Notre représentation des rapports inter-générationnels est également un déterminant de notre appréhension des risques. Le fait que les jeunes soient considérées comme une population à risques traduit les fantasmes d'une société adulte qui s'inquiète pour son avenir, et tente de contrôler sa jeunesse, supposée en perdition (par exemple dans les travaux de Florence Maillochon qui montre comment les campagnes publicitaires de lutte contre le SIDA des années 1980 ont constitué les jeunes comme groupe à risques, alors que les données statistiques montraient que les 30-39 ans étaient majoritairement concernés par les cas de SIDA déclarés).

6. La dissonance entre experts et profanes est marquante vis à vis la perception des conduites à risques, concernant l'alimentation, le tabagisme, la consommation de cannabis ou la sécurité routière. Alors que le tabac et l'alcool tuent chaque année mille fois plus de personnes que les nourritures contaminées, l'homme de la rue semble s'inquiéter davantage de son alimentation, quelques soient les données sur les causes de mortalité. En termes de sécuité routière, les conducteurs persistent à justifier leurs infractions en dissociant le respect du code de la Route et la sécurité. Bien conduire, c'est savoir indexer le respect du code de la route à chaque situation particulière, certaines nécessitant même de s'en affranchir ! Il existe une forme de déni sincère du lien causal entre respect du code et sécurité, entre infraction et danger, et déni sincère du risque pour soi-même.

Le risque est donc un objet de représentations, davantage que de perception. L'apprenhesion dépend de nos croyances, de notre perception des rapports sociaux, du monde extérieur, et d'une représentation cohérente que nous construisons, qui a du sens pour nous, dans notre quotidien. En le niant, en le mettant à distance ou en le justifiant par de bonnes raisons, le risque peut devenir un outil pour conserver ou modifier nos rapports sociaux, pour continuer à vivre avec et malgré lui. Il y a donc une forme de domestication symbolique et identitaire du risque, pour donner du sens et de la valeur à sa vie, pour la légitimer.

voir projet CEHVAC 2020