Réforme du CAPES 2014
La place des éducation à dans les nouvelles épreuves du concours

Intervention pour l'AFPSVT
Journée du 13 janvier 2014

Benoît Urgelli
last up-date : 26-Jan-2014

Les documents présentés durant l'intervention du 13 janvier sont disponibles ici au format pdf.

Les sujets CAPES proposés autour des éducations à, mais aussi les programmes de collège (Bulletin officiel spécial n° 6 du 28 août 2008) et de lycée (Bulletin officiel spécial n°4 du 29 avril 2010) évoquent la nécessité de prendre en compte la dimension éducative des connaissances transmises, à travers la définition d'objectifs éducatives et de compétences à acquérir par les professeurs (notamment la compétence "Agir de manière éthique et responsable", Bulletin officiel n° 29 du 22 juillet 2010).

Dans les programmes officiels, on constate que la question éducative est présente dans les entêtes des thèmes scientifiques à traiter, dans les paragraphes "objectifs éducatifs". On y précise qu'il s'agira, à côté des objectifs scientifiques, de développer une éducation à la responsabilité en matière d'environnement, de développement durable, de santé, mais aussi de travailler l'esprit critique face à une médiatisation des sciences qui peut faire partie de l'univers social de certains élèves.

A l'oral, le questionnement (15min) du jury concernera "la place du projet d'enseignement par rapport aux perspectives éducatives globales (programmes du secondaire, les éducations à ..., les problèmes sociétaux, les intérêts intrinsèques du dossier, etc ...)". C'est donc ces 15 min qui comprendront la discussion sur les éducations à.

Deux idées me semblent importantes dans le traitement des éducations à :

  1. Si l'on se réfère aux sujets zéro du CAPES externe de SVT, proposés pour la session 2014 (E2 et O2), les questionnements peuvent (sont parfois, et devraient toujours selon moi) explorés le sens éducatif de la démarche pédagogique et des contenus d'enseignement traités par le candidat, avec une question du type : "quel(s) est selon vous l'objectif(s) socio-éducatif(s) de l'enseignement de cette thématique ?". On constate souvent que cette question arrive en fin d'épreuve, ce qui souligne que, pour les jurys, il faut d'abord acquérir les connaissances connaissances avant de se poser la question des enjeux éducatifs. Je défends l'idée exactement inverse dans la mesure où, même si traditionnellement, on ne se pose pas cette question, la poser d'abord permet de chercher le sens civique et social, et donc éducatif, de notre enseignement des sciences. Comme le disent souvent les élèves : "A quoi ça sert de savoir ça ?". Mon hypothèse est qu'une fois définie, la visée éducative contribue à orienter les pratiques pédagogiques en donnant plus de sens aux savoirs à enseignés.
  2. Je partage l'idée que les "éducations à" introduisent une forme d'anthropisation des questions de SVT, et un rapport au temps centré sur celui des sociétés. Cet aspect peut devenir aveuglant si on n'y prend pas garde à maintenir une forme de vigilance épistémologique pour traiter ces questions (Orange-Ravachol, D. (2013). Les SVT entre sciences et « éducations à » : une mise à mal des principes qui structurent les savoirs ? Actes de l'AREF à Montpellier, septembre 2013). Avec les éducations à, je dirais qu'on introduit de la subjectivité dans une discipline dont les fondements sont la construction d'une argumentation objectivante. Face aux éducations à, toute la question pour les enseignants est la suivante :"comment gérer la subjectivité qui accompagne des questions socialement vives articulant des connaissances de sciences et à propos de sciences, mais aussi des considérations éthiques, autour de questions par essence complexes, expertisées et médiatisées (Urgelli, 2009) ?". Comme le précise Fabre (2011), si l'on se focalise sur la question des valeurs, on risque de rabattre l'argumentation sur une affaire d'opinion, ignorant la rationalité à travers des récits simplistes. Mais si l'on se centre sur les connaissances, en donnant la primauté à la rationalité, on risque de minimiser le raisonnable et l'acceptable socialement.

Quel type de documents se prête à ces interrogations relatives aux éducations à ?

Il s'agit, selon moi, de documents porteurs de représentations de sciences et à propos de sciences socialement vives, donc des discours d'extraits scientifiques mais aussi de type associatif, médiatique, publicitaire, soulevant un débat de société, de dimension éthique, au delà de la question des connaissances en jeu (ingénierie climatique ou génétique, exploration du Système solaire, désextinction, expérimentation animale, etc...). Tous ces documents permettent de s'interroger sur la place des sciences en société mais aussi la mission de l'éducateur enseignant face à des questions socialement vives.

Quelques exemples de documents extraits des sujets proposés à l'Agreg externe de SVT (archives des sessions 2011 à 2013), dans l'épreuve « Agir de manière éthique et responsable » ou encore durant mes enseignements à l'université de Bourgogne concernant le traitement didactique de questions scientifiques socialement vives.

Quels questions le jury (et les formateurs) pourrait poser pour évaluer des compétences professionnelles relatives aux éducations à ?

Selon moi, les questionnements doivent permettre d'évaluer la capacité des candidats à argumenter sur l'expertise scientifique et ses limites. Pour cela, les candidats doivent saisir et comprendre la nature des sciences (voir Exploring the Nature of science. Project 2061, AAAS, 2010, ou Séminaire Teaching the nature of science, Urgelli, 2013), les valeurs que les sciences mobilisent dans leurs argumentaires et leurs pratiques, et les démarches qu'elles mettent en œuvre pour évaluer les risques (à venir mais aussi passés). Les questionnements explorent donc la capacité à argumenter socioscientifiquement et de manière prudente sur la NoS (Sadler, T.D. & Zeidler, D.L. (2009). Scientific Literacy, PISA, and Socioscientific Discourse: Assessment for Progressive Aims of Science Education. Journal of Research in Science Teaching. 46, 8, 909–921).

Quel type d'attentes chez des candidats de M1 qui ont fait un mois de stage de pratique accompagnée en collège Lycée ?

On pourrait demander en terme pédagogique ce qui pourrait être mis en œuvre dans les classes pour éduquer aux sciences en société. L'enjeu serait de vérifier qu'il ne s'agit pas d'enseigner des choix et des petits gestes mais d'argumenter sur ce qui est pertinent de dire et de faire scientifiquement, statistiquement, économiquement, et socialement mais également localement et/ou globalement. Bref de la pédagogie de projet (Project Based Learning) et d'investigation (science inquiry), avec l'organisation possible de débats argumentés et/ou de projets co-construits en partenariats pluridisciplinaires et/ou socialement ouverts (avec des musées, des entreprises, des associations, etc...).

Recommandations plus générales

Dans la formation et l'évaluation des futurs enseignants, quatre pistes de questionnements peuvent permettre de se préparer à comprendre la spécificité des éducations à :

1. quelle(s) représentation(s) avez-vous de la nature et des valeurs des sciences ?
2. quelle(s) représentation(s) avez-vous de l'expertise scientifique ?
3. quelle(s) représentation(s) avez-vous de la médiatisation des sciences ?
4. quelle(s) posture(s) de l'enseignant face aux controverses associées ?

A travers ces questionnements, ce que l'on interroge finalement, c'est le rapport des enseignants aux savoirs et aux pratiques (actuelles et passées) de leur discipline de rattachement, mais aussi, plus généralement leur vision des enjeux d'une éducation aux sciences et d'une alphabétisation scientifique pour tous.

Pour l'oral, je pense qu'il faut aussi préparer les candidats futurs enseignants à gérer et à argumenter sur la dimension médiatique, politique et engageante des questions scientifiques, par exemple en questionnant la pertinence de postures éducatives d'évitement ou militantes dans le cadre de controverses, ou le rapport au catastrophisme (cité par Orange-Ravachol, D.). Les modalités et les finalités d'organisation des débats argumentés en classe doivent également faire l'objet d'une réflexion pédagogique et scientifique approfondie, encore une fois en définissant explicitement les objectifs éducatifs visés.