Débattre en classe autour de questions socialement vives

UE10 "Communication et didactique scientifique"
Master 2 - Enseigner les sciences de la vie et de la Terre - Université de Bourgogne
Avril 2012 et Mars 2013

Benoît Urgelli et Françoise Salvadori
last up-date : 19 janvier, 2014

Objectifs généraux

Il s'agit de travailler la communication didactique autour de questions scientifiques d'actualité ayant des implications sociales, et le plus souvent un important retentissement médiatique. Ces questions socialement vives (socioscientific issues pour les anglosaxons comme Sadler) articulent des connaissances scientifiques (K) et des considérations éthiques (V). Elles s'accompagnent donc des prises de position et des choix, notamment politiques.
Ces questions étant complexes, controversées, expertisées (en relation avec une demande sociale et des prises de décision politique) et médiatisées, la difficulté de leur traitement didactique en classe de sciences revient à poser la question de l'enseignement de choix ou de l'éducation aux choix face à des questions qui articulent des connaissances et des valeurs. Définir une éthique professionnelle pour le traitement des questions sous-jacentes est l'enjeu de cette formation.

1. Caractériser une question socialement vive

NEWS on SOCIOSCIENTIFIC ISSUES ? Follow my twitter ! from BBC News , Nature and Science

De manière empirique (voir ci-dessous), nous avons catégorisé les questions socialement vives en trois domaines, qui se croisent parfois : les questions de santé, les questions d'environnement et de développement, et les questions sur les origines du vivant, de l'homme et de la biodiversité, sur Terre et dans l'univers.

Vous voyez probablement apparaître les trois thèmes du programme de lycée (2010, 2011 et 2012). En effet, dans ces programmes, dès la classe de seconde, un ensemble de questions socialement vives apparaissent autour des thèmes suivants : « La Terre dans l’Univers, la vie et l’évolution du vivant », « Enjeux planétaires contemporains » et « Corps humain et santé ». Ces thèmes ont en commun de pouvoir être discutés sous l'angle des risques (sur la santé, l'environnement, et sur le développement humain), "risques" qu'il faut savoir définir et exposer en classe (voir par exemple en classe de SVT-4ème).

Pour l'enseignant de sciences, il est important de s'interroger sur des stratégies de gestion didactique des dimensions socioscientifiques de ces questions, en relation avec des programmes scientifiques qui n'évoquent le plus souvent que les connaissances scientifiques stabilisées sur lesquelles on peut s'appuyer pour argumenter en classe. La difficulté pour l'enseignant réside dans la gestion des dimensions controversées, éthiques et politiques (bref socialement vives !) de ces questions.

Point fondamental : ce sont les dimensions controversées, éthiques et politiques qui font souvent le plus de sens pour les profanes et les élèves, même si elles sont en apparence loin de la logique des discours scientifiques. D'où l'intéret de prendre le temps de parcourir les FORUMS pour cerner des familles d'interrogations et de représentations sociales qui mériteraient une attention didactique, sachant qu'elles n'apparaissent pas forcèment dans les traitements des médias de sciences (généralistes ou spécialisés).

Source : le blog d'Alain Prunier (2013)

Activité : Analyse des 40 réactions sur le forum Le Monde à la suite de l'article Naissance de moutons génétiquement modifiés phosphorescents en Uruguay (Le Monde.fr, Sciences, 25 avril 2013). Un mouton phosphorescent né en Uruguay dont l'ADN a été génétiquement modifié. Source : AFP/JAVIER CALVELO Débats socioscientifiques : Le sens de l'activité scientifique et les droits à expérimenter sur l'animal sont questionnés par les intermautes.

2. Faire l'état des connaissances et des débats sur une question socioscientifique

voir le dossier Medias and communication about socioscientific issue

Temporalités des médias généralistes et spéacialisés, communication sur les avancées scientifiques et les programmes de recherche
Présentation d'un réseau mondial de médiation des sciences, progressivement élaboré depuis les années 1880, en lien avec des 3 temporalités (daily, weekly et monthly news). Attention à l'existence de choix éditoriaux et commerciaux et d'effets d'agenda socioscientifique et politique dans le choix des sujets traités. Se dégager également d'une vision des médias comme reflet et miroir de la réalité sociale. Les médias contribuent à la construction de l'actualité scientifique.

Place de la médiation Internet et des sites à Forum pour cerner les débats socioscientifiques, avec ici aussi, une attention particulière sur le fait que toutes les opinions ne s'expriment pas dans les forums internet, pour diverses raisons, les médias ne sont donc pas le reflet ou le miroir de la réalité sociale.

3. La communication des chercheurs sur des questions socialement vives

Les scientifiques refusent explicitement d'apporter des réponses politiques et sociales à des questions socialement vives comme celle du réchauffement climatique, des cancers, de l'obésité,.... sauf en contexte d'expertise. Pourtant, implicitement, les chercheurs inspirent et contribuent à la construction de normes sociales (exemple de l'histoire des pratiques sociales d'alimentation, de santé et d'hygiène publique, de reproduction humaine... ou comme le montre les travaux de Molinatti (2007) autour des discours des chercheurs sur le statut de l'embryon et l'utilisation des cellules souches embryonnaires).

D'après Molinatti, G. (2010). Discours des chercheurs autour d'une controverse socioscientifique. RDST n°1, pp197-222.
Les représentations des chercheurs engagés dans des débats sur les utilisations des cellules souches embryonnaires articulent des connaissances et des valeurs (c'est à dire des représentations hautement investies affectivement [...], des idéaux qui motivent les membres d'une communauté à agir de telle manière plutôt que de telle autre...) et donc des normes (c'est à dire des jugements d'appréciation qui confèrent une valeur à un objet (Molinatti, 2010, p.201)).
Dans leurs discours, analysés par itération et par comparaison sémantique, on constate que, face aux lycéens, les chercheurs hypertrophient les savoirs conceptuels consensuels, discutent quelques aspects de la nature des sciences en train de se faire (les incertitudes et les ignorances sur les savoirs, les paradigmes scientifiques et les controverses associées). Ils expriment aussi une diversité d'opinions (valeurs attachées à des questions particulières dans des contextes spécifiques) sur les liens entre progrès scientifique et technique et progrès social mais également sur le cadrage sociale et politique de l'activité scientifique.
Concernant le statut de l'embryon, les discours analysés montrent l'existence de controverses non explicitées autour des normes en construction, à la charnière entre sciences et société. Neurogènese et évolution de l'embryon vers une personne humaine, cerveau et esprit étant une même entité, teles sont les normes utilisées qui confèrent une valeur d'individu à l'organisme doté d'un cerveau. Dans ce contexte précis, l'existence de ce glissement implicite de sens, de normes scientifiques vers des normes sociales, participe à la construction d'une norme sociale concernant le statut de l'embryon. Face aux lycéens, les chercheurs expriment une volonté de neutralité axiologique dans leur discours, une volonté qui repose sur le mythe d'une rupture entre savoirs et opinions. Finalement, les normes scientifiques sont utilisées ici implicitement pour faire passer comme neutre et objective une information scientifique. Pour Roqueplo (1974, p.149), elles contribuent dans ce cas à une opération idéologique.
Face à ces résultats, l'explicitation didactique de la dynamique des normes socioscientifiques pourrait être l'enjeu d'une éducation scientifique citoyenne.

Les valeurs peuvent être définies comme ce qui fonde le jugement (Castera, J. & Clément, P., 2010, p.244). Pour rechercher les valeurs, qui fondent donc un jugement, dans le cas du traitement d'une question socialement vive, on s'intéresse aux contenus des discours produits à propos de cette question, et plus précisément aux évocations de ce qui est vrai ou faux, bon ou mauvais. Les scientifiques portent des jugements sur ce qui est scientifiquement vrai, faux ou probable. Les valeurs idéales qui fondent ces jugements sont l'honnéteté, la rigueur, le respect des preuves et des démonstrations, l'esprit critique, l'absence de dogmatisme, etc.... On pourrait citer ici les travaux de Merton (1973). Reprendre ici la communication à l'Association Française de sédimentologie de Rennes lors de l'affaire Allègre sur le réchauffement climatique (Urgelli, 2009). Ces valeurs idéales peuvent parfois interférer avec d'autres valeurs (ambition, carriérisme, cynisme de la fraude). Les pratiques scientifiques valident des connaissances scientifiques qui pourront apparaitre plus tard comme entachées par ces autres valeurs. Et c'est au nom d'autres valeurs (respect des preuves scientifiques, non dogmatisme,...) que ces connaissances apparaitront ensuite comme dépassées pour être remplacées par de nouvelles connaissances et/ou de nouvelles pratiques. L'histoire récente mais aussi l'histoire passée des sciences apporte ainsi des exemples multiples de cette interférence entre pluralité des connaissances et des valeurs. Exemple de transgression des valeurs idéales de la science : Article Le Monde Doutes sur la fiabilité des neurosciences, Pierre Barthélémy, 14 avril 2013 Article Le Monde Vers une police du cerveau, Laurent Alexandre, 19 mai 2012 Article Le Monde L'étude qui relance la polémique sur les OGM, Stéphane Foucart, 21 septembre 2012.

4. Comment traiter didactiquement ces questions socialement vives ?

Etude de la communication des enseignants sur le réchauffement climatique
Travaux Urgelli (2009) : représentations des enseignants sur une question socialement vive, déterminants d'engagement ou d'évitement et stratégies proposées, en relation avec une posture éthique professionnelle

Etude des conceptions des enseignants sur les aspects génétiques du comportement humain
Travaux de Castera, J. & Clément, P.(2010). Intéraction entre connaissances et valeurs dans les conceptions d'enseignants français sur le déterminisme génétique de comportements humains. Revue RDST n°1, p. 241-264.

Les philosophes, les enseignants de sciences économiques et sociales, d'histoire-géographie et les chercheurs qui étudient les pratiques enseignantes (courant de la didactique des questions socioscientifiques, notamment Legardez, Simonneaux, Albe,...) nous apprennent que c'est dans le DEBAT ARGUMENTE qu'on trouve un ensemble de pratiques qui permettent d'appréhender cette famille de questions et de construire du sens chez les élèves (voir aussi les instructions officielles 2000 relatives à l'ECJS et au débat argumenté).
Cela suppose pour l'enseignant une bonne connaissance des fondements de l'expertise scientifique, mais aussi une culture générale et une maturité éthique professionnelle qui ne s'acquièrent pas facilement et qui méritent d'être explicitées dans le cadre de l'exercice du débat avec des jeunes publics.

Débattre d'une question socialement vive en classe de sciences

Dans cette formation, il s'agit donc d'identifier les enjeux et les difficultés associés à l'exercice d'animation d'un débat autour d'une question socioscientifique. La préparation d'un débat en classe de sciences doit être guidée par un certain nombre d'exigences rappellées ci-dessous :

Liste de QUESTIONS SOCIOSCIENTIFIQUES et DEBATS POSSIBLES, établie à partir d'une analyse des titres et sous-titres de médias d'ACTUALITES GENERALISTES (Daily news : BBC News, Infosciences, Le Monde, Libération, Le Figaro, Journaux télévisés, ...) et d'ACTUALITES SPECIALISEES (Weekly and Monthly news : Science, Nature, Journal du CNRS, La Recherche,...) :

La revue de l'Espace des sciences - Mars 2012       Science, 5 april 2013, vol. 340, p.32-33

Les nouvelles techniques de procréation : de la FIV au clonage reproductif. Débats possibles : DPI, clonage, cellules-souches, progrès scientifique et questionnements éthiques,... Filiation et parentalité : entre normes scientifiques et normes sociales Variabilité génétique et santé humaine. Débats possibles : antibiotiques, gènes de susceptibilité à certaines pathologies, diagnostic prénatal/préimplantatoire, facteurs d’obésité et de cancer,.... Exploration du système solaire. Débats possibles : acceptabilité, enjeux scientifiques, technologiques, sociaux et politiques. Créationnisme/évolutionnisme. Débats possibles : rapport aux discours religieux, argumentations et éthiques scientifiques,.... L'après-pétrole. Débats possibles : énergies renouvelables et risques naturels ou technoscientifiques, Nourrir les hommes. Débats possibles : OGM, eau, cultures, croissance démographique, pauvreté, Réchauffement climatique. Débats possibles : anthropique ou naturel, lien avec la propagation des maladies infectieuses, la pauvreté, la biodiversité, le développement durable La biodiversité. Débats possibles : enjeux scientifiques, évolution naturelle et anthropique, incertitudes, dimensions économiques et sociales, L'expérimentation animale et ses alternatives : Débats possibles : l’acceptabilité, le droit à l'information, le problème des modèles en biologie... L'Homme réparé jusqu'où ? Débats possibles : acceptabilité et risques socioscientifiques, enjeux autre que médicaux,... La dé-extinction. Débats possibles : doit-on ressusciter les espèces disparues ? voir le sondage Le Monde sur le blog de Pierre Barthelemy (Passeur de sciences) Activité : Dans l'article de Pierre Barthélémy (avril 2013) "Doit-on ressusciter les espèces disparues ", repérer ce qui est de l'ordre des connaissances et de ce qui est de l'ordre des valeurs. Quizzes by Quibblo.com

Annexe
DEBATS SOCIOSCIENTIFIQUES DES SESSIONS 2012 et 2013

L'exploration du système solaire L'exposé de la problématique socioscientifique : les objets du système solaire, en lien avec le programme de seconde (La Terre dans l'Univers, zone d'habitabilité notamment), on propose une classification. Depuis 2006, on distingue les planètes naines, les planètes (telluriques et gazeuses), et les petits corps (comme les satellites, les astéroides, les comètes...), à la suite de l'Assemblée générale de l'Union d'astronomie de 2006...), présentation des caractéristiques du Soleil. L'imaginaire de l'exploration du système solaire, puis historique de la conquête en contexte de gueurre froide, avec Spountnik, puis la chienne Laïka, en 1958, la NASA prend pour objectif la Lune. Et le premier humain en 1961 et lancement du programme Appollo. 1965, premier homme russe dans l'espace et en 1969, le premier américain. On retrouve l'image dans la BD de l'Objectif Lune. Les différentes étapes selon Brahic, des sondes jusqu'au retour des échantillons. Le débat proposé : est-il indispensable d'envoyer des hommes dans l'espace ? plutot des sondes et des robots ? Pour quelle(s) raison(s) (économique, politique, technologique, scientifique, sociétale,...) ? A partir de la vidéo "La fin des astronautes" (Brunier, S. et Compain, F.) dont l'objectif est une éducation aux sciences et à l'histoire des sciences. Avec la problématique entre des contraintes de sécurité et des contraintes d'exploration scientifique, et les limites de l'exploration robotique. L'homme a-t-il vraiment sa place dans l'espace ? Des robots pour le précéder ? La découverte et la redécouverte d'un terrain différemment (exemple de la Lune et de l'exploration asiatique pour 2018). Des raisons de limitation des ressources et une démographie. Ressources bibliographiques :

Le réchauffement climatique L'exposé de la problématique socioscientifique Quelques données importantes sur le réchauffement climatique en lien avec le GIEC 2007, avec une probabilité de 90% que les changements climatiques soient d'origine anthropiques. Présentation du mécanisme et du modèle de l'effet de serre, et des gaz à effet de serre (CO2 essentiellement). Rôle des volcans, de l'irrandiance solaire (tâches solaires), de l'albédo variable en fonction des surfaces, des paramètres orbitaux. Présentation du GIEC, depuis 1988, en trois groupes, en relation avec les ONG et les industriels pétroliers notamment (avec la stratégie du green washing). Faire bouger les mentalités par la peur ou aussi par la connaissance. Les médias également avec des discours catastrophistes (éducation aux médias avec des messages de peur et des contraintes économiques) et des populations dont les intérêts nationaux et locaux entrainent des prises de position paradoxale. Et les décideurs souvent en tension entre des groupes d'intérêts divergents, notamment économiques. Les décisions de la COP, de Kyoto à Copenhague (2009) n'ont pas été des engagements chiffrés. Le débat proposé : Politiquement, que faire ? en fonction des données scientifiques ? des contraintes économiques ? de l'opinion publique ? Etant donné des incertitudes du GIEC, des scandales sur le GIEC, et l'exaspération citoyenne, doit-on limiter nos consommations d'énergies fossiles par principe de précaution ? Avec quelles conséquences sur notre compétitivité économique ? Et sur la pauvreté mondiale ? A-t-on des visions divergentes en fonction des pays et de leur niveau de développement ? Ressources bibliographiques :