Les discours scientistes et positivistes
autour du réchauffement climatique


Benoît Urgelli
mars 2013
last up-date : 26 novembre, 2020


Comme le propose signale Dominique Pestre (2006) , les social studies of science britanniques des années 1970 et 1980 ont un objectif avoué – décrire la science telle qu’elle se fait – et dans le même mouvement une cible – les lectures positivistes et scientistes. Ces courants de recherche dénoncent le côté édifiant et tautologique (une proposition est toujours vraie...) de ces lectures et cherchent à miner les positions d’autorité que les sciences tendent à occuper dans le corps social.

1. Le positivisme

Le positivisme scientifique considère que le progrès de l’esprit humain est lié au développement de sciences dites positives qui se construisent contre les croyances théologiques et les explications métaphysiques, en cherchant la cause première des choses. Se limitant au « comment », en formulant les lois de la nature et des relations constantes qui unissent les phénomènes, en langage mathématique, par le moyen d’observations et d’expériences répétées, il s’agit d’expliquer la réalité des faits par la rationalité théorique.

La critique religieuse du positivisme porte sur le fait que le positivisme ne permettrait pas de répondre à la question du « pourquoi " des choses. L’encyclique Fides et ratio de Jean-Paul II (1998) se dresse contre la simple factualité et l'opposition de la raison et de la foi. Le Pape s'interroge sur la capacité que se réservent les sciences à être les seules capables à apprénder le réel.

La critique libérale du scientisme porte sur le fait qu'il amènerait nécessairement au collectivisme puisque la vérité est unique et aucune contestation sociale acceptable. Et même lorsque des scientifiques exprimeraient une probable autre explication des faits, la lecture positiviste peut conduire à traiter tout scepticisme comme une tentative naïve de relativisme.

Exemples

  • Dans le cas du réchauffement climatique anthropique, on se souviendra longtemps des propos de l'économiste indien Pachauri envers les dénieurs du réchauffement anthropique (les théories solaristes sont comparables à une attaque nazie contre les bases de la physique des rayonnements). contester cette physique serait contester parce qu’elle se trouve en conflit avec le matérialisme dialectique et le dogme marxiste revient au même.
  • le "moi je suis physicien" de Bernard Legras.
  • Voir également Schneider (2010) sur la neutralisation des sceptiques
  • les propos du physicien Harold Jeffreys en 1924 contre la tectonique des plaques "out of question" (voir les propos de Francis Bacon (1620), cité par Alan Sokal (2005, p.119)
  • Dans le cas de l'évolution : certains diront

2. Les formes scientistes de l'expertise technocratique

Pour les scientistes, la connaissance scientifique permettrait d’échapper à l’ignorance dans tous les domaines et d’organiser scientifiquement l’humanité. Le politique s’efface donc devant la gestion purement rationnelle des problèmes sociaux et on aboutit à une forme de gouvernement où la place des techniciens spécialisées dans un domaine est centrale dans les prises de décision (exemple de l'expertise technocratique des risques climatiques, ou encore sur les risques en matière de santé publique). Le pouvoir doit être confié à des savants dans le cadre de l'idéologie de la compétence et de l'existence d'un univers des savants contre les ignorants, d'un univers de la raison contre celui de l'opinion ou  de la croyance.

Le risque d'une approche scientiste est de déboucher sur la négation de la démocratie et sur un manque de transparence sociale pour le soi-disant ignorant.

Le scientiste considère que toute expression sceptique relève alors de l’ignorance ou d’une volonté de nuire. Seules les connaissances scientifiquement établies sont vraies, ce qui renvoie à un excès de confiance en la science, qui se transforme parfois en dogme.

3.Quelle place pour l’éducation scientifique dans l'approche scientiste ?

Pour certains, l'éducation scientifique permettrait de libérer le plus grand nombre des illusions métaphysiques et théologiques, voire même de lutter contre l'intrusion religieuse dans l'enseignement, comme dans le cas du créationnisme. Les scientistes divergent cependant sur les stratégies de lutte contre ces intrusions métaphysiques.

Pour certains, c'est l'évitement voire la censure des discours créationnistes qui est recommandé : l'enseignement ne doit pas perdre de temps à démontrer que la parthenogène n'existant pas chez les mammifères, qu'il est hautement improbable que la Vierge Marie est enfanté de Dieu, ou à convaincre que le principe d'Archimède n'est pas compatible avec l'idée de marcher sur l'eau (sauf sur un lac gelé). (communication personnelle de Dominique Larrouy, 28 juin 2010).

Pour Bernard Legras (communication personnelle, 17 mars 2010), le doute est respectable mais tout doute n'est pas également éligible à considération. Il existe une minorité, au moins aussi nombreuse et vociférante que les climato-sceptiques, et comprenant des universitaires dans divers pays, qui considère que la Terre et l'univers ont été crées il y a 6000 ans. Allez-vous pour autant laisser une place au créationnisme dans vos cours de géologie ? Ou pensez-vous que la science de la datation isotopique soit plus sérieuse que la spectroscopie moléculaire. J'ose la comparaison car la qualité de l'argumentation et la malhonnêteté intellectuelle actuellement en vigueur dans la campagne anti-GIEC sont à peu près de même facture.

Lorsqu'il y a des enjeux socio-économiques, comme dans le cas des médecines alternatives, de l'alimentation bio, certains positivistes acceptent que l'instution scolaire s'investisse dans une approche rationaliste à condition qu'elle dénonce les formes pseudoscientifiques de certains discours alternatifs.

4. Une approche relativiste du créationnisme ?

Le sociologue des sciences Steve Fuller propose de destituer la science de sa position hégémonique en matière épistémologique. Concernant la controverse sur l'enseignement du créationnisme à côté de l'évolution dans les écoles publiques américaines, Fuller (1996, pp. 48-49) fait une observation pédagogique judicieuse selon Alan Sokal (2005) : "compte tenu du fait que les deux tiers de ceux qui croient à l'évolution croient également que cette dernière est le reflet de l'intelligence divine, il me semble qu'en niant ex cathedra [les idées théologiques], on méconnait le point de départ intellectuel de l'écolier moyen ". Pourtant loin d'en tirer les conséquences de Sokal pour un enseignement impartial mais engagé vers une lecture rationaliste rigide (à savoir mettre en cause les préjugés des élèves et leur enseigner l'analyse critique des preuves empiriques), Fuller fait preuve d'une forme de relativisme naïf et soutient que l'on doit conforter ces préjugés chaque fois que possible : afin de protéger la liberté d'investigation des élèves, les enseignants devraient essayer, chaque fois que cela est possible, de leur montrer qu'on peut arriver aux mêmes résultats en partant de présupposés thériques différents. Pour Sokal (2005, p.140), qui s'exprime clairement contre cette approche relativiste du créationnisme, une telle démarche des controverses qu'on pourrait qualifier d'impartiale et de neutre, ne protège nullement la liberté d'investigation des élèves, mais plutot la liberté des parents d'empêcher les élèves de se poser des questions.