Projet d'article voir aussi Pensée
critique, flexibilité cognitive et émotionnelle et enseignement
scientifique : exemple de l'éducation aux controverses climatiques
Echanges issus du
séminaire L’éducation morale et civique
au prisme des disciplines,
Nos réflexions sur l'enseignement des sciences croisent des enjeux d’éducation à la citoyenneté scientifique critique et active, à travers les programmes d'éducation aux médias et à la nature des sciences, à la laïcité, à l’esprit critique, en s'appuyant sur des thématiques scientifiques socialement vives à propos de questions d'environnement et de développement durable (évolution climatique, évolution humaine, conservation de la biodiversité). Enseignement scientifique, morale laïque et émancipation citoyenne : le cas de la scolarisation de controverses. Résumé
: Dans l'enseignement des sciences, depuis le début de la IIIe
République française, l’enjeu éducatif reste
la construction d'un jugement moral, critique et réflexif, prenant
appui sur l’acquisition de connaissances scientifiques et des
valeurs épistémiques associées. Plan de l'article : Définir
une question socialement vive Intervention
B. Urgelli Plan La genèse
de la morale laïque s’inscrit dans la filiation de la Révolution
française et des débats sur les projets d’organisation
scolaire. Alors que Condorcet milite pour une instruction publique en
1792, Rabaut Saint Etienne est favorable à une éducation
nationale. L’origine de cette morale serait peut être à
chercher dans les théologiens protestants de la Réforme,
qui auraient ainsi contribué à la sécularisation
de la France. La question
de la morale se pose dans l’histoire de l'enseignement scientifique
depuis l’institutionnalisation de la laïcité scolaire
et de la morale républicaine dans les écoles à la
fin du XIXeme siècle. En 1882, on passe de l’instruction
morale et religieuse à l’instruction morale et civique.
La question est alors la suivante : quelles
valeurs morales pourront remplacer la morale religieuse, pour donner de
la liberté au sujet, dans le cadre d’un enseignement non
confessionnel ? Quelle morale républicaine enseignée
dans les écoles au XIXeme siècle ?
D'une morale religieuse à une morale scientiste à la fin du XIXeme siècle A la fin du XIXeme siècle, coupée de la morale religieuse et de la justification théologique, la morale est alors envahie par le paradigme scientiste. Les positivistes proposent que la morale des sciences devienne une référence. Certaines personnalités des sciences vont alors être mises en culte dans l'institution scolaire : gloire à Pasteur, gloire à Darwin, notamment dans les manuels scolaires de Paul Bert et dans les discours et propositions de Jean Macé en 1882. L’évolution de l’homme ou encore le pasteurisme connaitront un succès très particulier dans ce contexte laïque anticlérical des années 1880.
A partir de cette époque, la morale laïque sera-t-elle une morale positiviste, et l’enseignement des sciences sera-t-il un outil d'éducation aux sciences positives ?
Philippe Breton (2016, p.24-29) propose, dans son triangle argumentatif, de préciser ce qu'il entend par opinion. Pour lui, il s'agit de l'ensemble des croyances, des valeurs, des représentations du monde qu'un individu se forme pour être lui-même; Elle est mobile et en perpetuelle mutation, soumise au autres et prise dans un courant d'échanges permanents. Elle se distingue de la certitude et de la foi qui relève d'autres modalités de discussion. L'opinion désigne ce en quoi nous croyons, ce qui guide nos actions et qui nourrit nos pensées (voir aussi l'analyse de l'opinion et des croyances ici). L'opinion suppose toujours qu'un autre point de vue est possible. Elle est vraisemblable et distincte des sentiments, des croyances religieuses et des connaissances scientifiques, et balise donc un espace public laïque. Selon lui, trois domaines échappent à l'opinion pour relever de la certitude et de l'évidence :
Pour Peirce
(1878) philosophie sur la différence entre doute et
croyance et son implication sur l'action : il existe des états
d'esprit tels que le doute et la croyance ; que le
passage est possible de l'un à l'autre, l'objet de la pensée
restant le même, et que cette transition est soumise à
des règles qui gouverne nt toutes les intelligences. On
reconnaît en général la différence entre
faire une question et prononcer un jugement, car il y a dissemblance
entre le sentiment de douter et celui de croire. Mais ce n'est pas
là seulement ce qui distingue le doute de la croyance. Il existe
une différence pratique. Nos croyances guident nos désirs
et règlent nos actes. […] Le sentiment de croyance est
une indication plus ou moins sûre qu'il s'est enraciné
en nous une habitude d'esprit qui déterminera nos actions.
Le doute n'a jamais un tel effet. [...] Pour Peirce (1878), la dynamique intellectuelle entre doute et croyance permet de fixer l'opinion : L'irritation produite par le doute nous pousse à faire des efforts pour atteindre l'état de croyance. […] La lutte commence avec le doute et finit avec lui. Donc, le seul but de la recherche est d'établir une opinion. […] Ce qu'on peut tout au plus soutenir, c'est que nous cherchons une croyance que nous pensons vraie. […] le seul but de la recherche est de fixer son opinion. La croyance maintient alors une paix d'esprit : On sent que, si l'on peut seulement se maintenir sans broncher dans sa croyance, on aura tout lieu d'être satisfait, car on ne peut nier qu'une foi robuste et inébranlable ne procure une grande paix d'esprit. D'où la question de Peirce (1878) : comment se fixe la croyance, non pas seulement chez l'individu, mais dans la société. […] Cette méthode a depuis les temps les plus reculés fourni l'un des principaux moyens de maintenir l'orthodoxie des doctrines théologiques et politiques et de leur conserver un caractère catholique ou universel. […] Quand on juge cette méthode de fixer la croyance, qu'on peut appeler la méthode d'autorité […] Mais, dans les Etats les plus soumis au joug sacerdotal, se rencontrent des individus qui ont dépassé ce niveau. Ces hommes ont une sorte d'instinct social plus large ; ils voient que les hommes en d'autres pays et dans d'autres temps ont professé des doctrines fort différentes de celles qu'ils ont eux-mêmes été élevés à croire. […] ; et ceci fait naître des doutes dans leur esprit. Ils apercevront ensuite qu'ils doivent nourrir des doutes semblables sur toute croyance qui semble déterminée soit par leur fantaisie propre, soit par la fantaisie de ceux qui furent les créateurs des opinions populaires. Peirce
(1878) interroge alors la spécificité de la méthode
scientifique par rapport à la philosophie métaphysique
et son rôle dans la fixation des opinions :
L'histoire de la philosophie métaphysique en offre un exemple
parfait. Les systèmes de cet ordre ne se sont pas d'ordinaire
appuyés sur des faits observés, ou du moins ne l'ont
fait qu'à un assez faible degré. On les a adoptés
surtout parce que les propositions fondamentales en paraissaient agréables
à la raison. […] par exemple la doctrine que l'homme
seul agit par égoïsme, c'est-à-dire par la considération
que telle façon d'agir lui procurera plus de plaisir que telle
autre. Cette idée ne repose absolument sur aucun fait, mais
elle a été fort généralement acceptée,
comme étant la seule théorie raisonnable. Pour mettre
fin à nos doutes, il faut donc trouver une méthode grâce
à laquelle nos croyances ne soient produites par rien d'humain,
mais par quelque chose d'extérieur à nous et d'immuable,
quelque chose sur quoi notre pensée n'ait point d'effet […]
la méthode doit pourtant être telle que chaque homme
arrive à la même conclusion finale. Telle est
la méthode scientifique. Son postulatum fondamental
traduit en langage ordinaire est celui-ci : Il existe des réalités
dont les caractères sont absolument indépendants des
idées que nous pouvons en avoir. Ces réalités
affectent nos sens suivant certaines lois, et bien que nos Sensations
soient aussi variées que nos relations avec les choses, en
nous appuyant sur les lois de la perception, en nous servant du raisonnement
nous pouvons nous faire une idée de comment les choses sont
réellement.; et tous les hommes, pourvu qu'ils aient une expérience
suffisante et qu'ils raisonnent suffisamment sur ses données,
seront conduits à une seule et véritable conclusion.
Ceci implique une conception nouvelle, celle de la réalité. Peirce (1878) en appelle alors à une morale du doute scientifique à propos de toute croyance : Par la force de l'habitude, on reste quelquefois attaché à ses vieilles croyances après qu'on est en état de voir qu'elles n’ont aucun fondement. Mais, en réfléchissant sur l'état de la question, on triomphera de ces habitudes ; on doit laisser à la réflexion tout son effet. […] Par dessus tout, il faut considérer qu'il y a quelque chose de plus salutaire que toute croyance particulière : c'est l’intégrité de la croyance, et qu'éviter de scruter les bases d'une croyance, par crainte de les trouver vermoulues, est immoral tout autant que désavantageux.
Ainsi si la croyance est un assentiment qui exclue le doute (Lalande, 1926), la science, par une mise en doute de la croyance aboutit à la fixation d'une nouvelle réalité extérieure à notre pensée, d'un savoir universel (Peirce, 1878).
Toutes
ces considérations ramènent donc à la définition
de
la nature des sciences (avec 5 caractéristiques clés)
et de la nature des croyances
Les documents de l’AAAS (2010) sur la nature des sciences (Exploring the nature of science) rappellent que les sciences s’appuient sur une système de valeurs, que c’est une entreprise sociale et collective régie par des normes et des règles. Elle vise la modélisation. Cette activité est « embedded » avec la société et la politique, elle est donc inscrite dans une époque et des représentations sociales situées qui l’influencent dans ses questionnements, mais aussi dans ses orientations thématiques, pratiques et éthiques, voire dans les grilles d'’interprétation de ses résultats ou la construction de ses corpus.
La morale laique dans l'enseignement des sciences : entre évitement et comprehénsion, la question de la neutralité L’enquête REDISCO (2016-2018) identifie plusieurs positions du côté des enseignants dans la manière de gérer les interrogations socioscientifiques des élèves, notamment en situation d’interpellations et des controverses vis-à-vis des savoirs construits en classe de sciences, des savoirs qui deviennent ainsi des questions vives au sein de Bonnafoux (2015). Les postures
enseignantes ont été largement décrites dans la
littérature scientifique anglosaxonne dans le cadre des interrogations
sur le teaching
controversies. L'enquete
de Jean-Pierre Obin (2004) souligne
l'existence de trois réactions ou postures lors de la contestation
des enseignements. La variété
des réactions des professeurs dénote à la fois
une détermination sans doute inégale, des expériences
différentes et la place, plus ou moins claire ou confuse, où
ils situent leur enseignement - et plus largement la science - par rapport
aux conceptions religieuses. Hess, Cotton, Kelly, ont défini plus précisemment différentes postures éducatives, notamment en classe de sciences, parfois aussi à partir des contestations de l’enseignement de l’évolution.
Cotton (2006) interroge à son tour la validité de la posture de « neutralité et d’équilibre entre les points de vues » qui, aux États-Unis, est pourtant préconisée à l’enseignant pour aborder des sujets controversés, selon de nombreux travaux de recherche et guides pratiques. L’auteure a observé trois cycles de cours (de 5 à 6 semaines), conduits par trois enseignants confirmés de géographie, avec des d’élèves britanniques de 16 à 18 ans, portant sur trois questions vives touchant à l’environnement : les droits territoriaux des peuples indigènes dans la forêt tropicale, le rôle des organisations non-gouvernementales dans l’administration de l’Antarctique, la conciliation entre le développement touristique et les besoins de protection de la nature dans les parcs nationaux. L’observation, l’enregistrement et l’analyse des échanges mettent en évidence un important décalage entre les intentions de neutralité des enseignants et leur attitude effective, implicite ou explicite. L’auteur fait également ressortir comment certains propos des enseignants sont mal interprétés des élèves, qui leur imputent abusivement telle ou telle opinion. D. Cotton en tire une réflexion sur la notion de neutralité. Elle encourage les enseignants à ne pas faire de la neutralité un absolu, et préconise au contraire de les laisser décider au cas pas cas la stratégie à adopter, entre exposer ou taire leur propre position. L’auteure pense en effet qu’une prise de position bien assumée est d’un meilleur effet pédagogique qu’une tentative de neutralité forcée et mal interprétée par les élèves. Dans tous les cas, former les enseignants à la préparation et à la gestion d’un débat constitue une véritable nécessité. In Cavet, 2007, p.14.
Urgelli (2021, in press) constate que plus un enseignant avance dans sa carrière et plus il se sent en capacité de prendre en charge des questions éthiques et politiques, comme s’il prenait de la distance par rapport à un idéal de transmission de connaissances disciplinaires stabilisées, à la doxa d'un principe de neutralité, et la nécessité de garder les affects, les émotions, les questions de valeurs à distance de la classe et des discussions avec les élèves (voir le numéro de la revue Diversité n°195, 2019 sur les émotions à l'école).
Des programmes de lutte contre les croyances et l'obscurantisme par la critique rationnaliste ? Voir la pensée critique : exemple du climat et de la météorologie Un programme d'éducation à l’esprit critique est porté en France par le groupe CORTECS (groupe de zététique), une association de chercheurs et d'enseignants qui luttent contre les charlatanismes, l’homéopathie, la peur des ondes, dans un esprit de lutte contre l’obscurantisme. Gérald Bronner, sociologue des croyances, a rejoint ce groupe, en lien avec l'AFIS et la revue Science et pseudo-science, probablement pour nuancer les risques de posture scientiste dans les travaux du groupe, et introduire une attention particulière aux mécanismes sociaux d’élaboration des croyances, des stéréotypes, des biais cognitifs. Il s’appuie d’ailleurs sur les neurosciences (avec des travaux sur les systèmes cognitifs cérébraux de l’esprit critique et de la pensée intuitive, Bronner, 2015, Daniel Khaneman : Système 1, système 2) pour faire ce lien entre l’univers des scientifiques rationalistes et l’univers des relativistes modérés, vis à vis de la place des croyances en société mais aussi dans l’entreprise scientifique (voir conférence de Dominique Larrouy pour le MEN et les ouvrages de Guillaume Lecointre, 2012 et 2018). Pour Lecointre (2012), la vertu des sciences réside dans le fait de semer des doutes (scepticisme initial, matérialisme méthodique, (naturalisme), réalisme de principe, rationalité) pour se mettre à l’épreuve de soi-même et des autres, à l’inverse des croyances, qui seraient de l’univers de l’irrationnel, ce que contredit la sociologie et la psychologie sociale tout au long du XXeme siècle (voir Boudon, 2009 sur les rationalités notamment).
Le groupe CORTECS est un groupe de pensée influent dans les plans de formation des enseignants de sciences, mais avec un héritage, des finalités et des enjeux citoyens qui se limitent parfois à la question de la lutte contre l’obscurantisme et l’endoctrinement des jeunes esprits. Ils postulent plus ou moins consciemment l'existence d'une impact fort et direct des médias de masse et des médias socio-mumériques sur les jeunes générations, ce que les sciences de la communication ont remis en cause depuis les années 1970 en considérant que les récepteurs de messages médiatiques ne sont pas de simples acteurs passifs et singuliers (Fourquet, 1999). Mais dans ces programmes d'inspiration positiviste, l'émancipation démocratique par l'enseignement scientifique, l’apprentissage de la tolérance et d'une morale laique qui soit celle de la compréhension plus que celle de l'évitement ou de la réfutation sont rarement explicités de la sorte. Alors comment faire ? Vers un enseignement soscioscientifique en classe de sciences ? Les enquêtes de terrain (depuis Meirieu, 1998, Quels savoirs enseignés en lycée) montrent que les publics scolaires ont un rapport critique au savoir et aux sciences : ils s’interrogent sur la nature des sciences, la place éthique et politique des scientifiques. Ils réclament des pédagogies qui approchent les sciences de manière socioscientifique, loin du seul enseignement des faits et des résultats des sciences (Tutiaux-Guillon, 2008). Ce dernier, critiqué probablement sous sa forme du modèle de 4R (Audiger, 2001) s’appuie sur une pédagogie constructiviste de la découverte, par la démarche d’investigation expérimentale, souvent stéréotypé sous la forme de l’OHERIC décrit par Martinand, et qui laisse peu de place aux questionnements sociaux, éthiques et politiques en classe de sciences. Conclusion
Quelques ressources théoriques et définitions - Pensée critique = capacités et une attitude (que l'on appelle l’esprit critique proprement dit), dans la lignée du courant du Critical thinking que l'on peut rattacher à Dewey qui dans Education et démocratie considère que l’enquête est une méthode active permettant l’émancipation intellectuelle et morale des jeunes (Cosperec, 2018). - Voir aussi
Caroti, D. (2010). Pensée
critique, esprit critique, Un peu de théorie. Cortecs (en ligne).
Intervention
O. MORIN
La scolarisation des controverses socioscientifiques : finalités et modalités Plan Défnir une question socialement vive Partant des définitions de Tutiaux-Guillon (2006) et Albe (2009a), une « question socialement vive » constitue un enjeu social, mobilise des représentations, des valeurs, des intérêts qui s’affrontent, fait l’objet de débats et d’un traitement médiatique. Par nature complexe, une question socialement vive confronte à l’incertitude, peut être porteuse d’émotions et être « politiquement sensible » (Tutiaux-Guillon, 2006, p. 119). Une question socialement vive est une question soumise à l'épreuve de l'actualité, qui moblisent et divisent (Albe, 2009a, p.67), qui interroge notre rapport au savoirs et à la vérité mais également à l'action et au pouvoir (rapport à l'expertise). Elle interroge également notre vision du bien commun et d'un avenir désirable, notre "tragédie des communs". Ce qui pose de nombreuses questions aux recherches en éducation. Un horizon politique : dépasser la science normale par la démocratie technique Selon Callon et al. (2001), dans nos démocraties, le pouvoir citoyen est confisqué par une double délégation à la fois scientifique et politique, et seule une démocratie technique permettrait de questionner la production des savoirs et de construire un avenir acceptable par et pour les citoyens. Pour dépasser l'expertise technocratique et l'idéologie de la compétence (Roqueplo, 1993), il pourrait s'agir de questionner les valeurs d'une science normale définies par Merton et Popper, en considérant que les savoirs sont pluriels, contextualisés dans des communautés de pairs élargies, avec des compétences citoyennes à développer et à utiliser (Funtowicz et Ravetz,1993) pour faire des choix éthiques et responsables.
Enjeux éducatifs : vers une citoyenneté scientifique critique et active Il s'agirait, dans un monde incertain, de redonner le pouvoir aux citoyens en apprenant à l'école l'empowerment et l'activisme par des pédagogies critiques. Loin de l'addiction scolaire aux certitudes (Favre, 2013), il s'agirait d'éduquer à la complexité et d'apprendre à se repérer au milieu d'un diversité d'ilots de rationalités (Fourez, 1997). Selon Callon (1986), pour une citoyennété active, il faut un processus de traduction, qui fait converger les arguments vers l'action, en développent des compétences de problématisation, d'intéressement, d'enrôlement et d'adhésion. Selon Rey (2005), la problématisation est le mouvement intellectuel par lequel se déterminent mutuellement les faits en prendre en compte et les modèles qui permettent de les interpréter. L'enjeu reste la participation démocratique à la décision en contexte d'incertitudes et l'engagement collectif des non-spécialistes. On rejoint ici la définition de la citoyenneté scientifique d'Irwin (1995).
Démarches didactiques et pédagogies critiques La démarche d'enquête (Simonneaux, 2019) pourrait permettre de travailler sur les intérets (Habermas, XXXX) loin de la vision des sciences de Merton et Popper. En mobilisant la vision sociologique de l'acteur-réseau, en proposant une didactique des sciences socialisées et une pédagogie de projet, au delà de la transmission des savoirs disciplinaires stablilisés. Se pose la question de l'acceptabilité sociale de l'activisme et de la pédagogie critique à l'école. Pour faire vivre la démarche d'enquete à nos élèves et nos étudiants, une approche de l'enquete sociodidactique à partir de controverses et de débats socioscientifiques pourraient permettre de se forger un point de vue, loin de l'approche traditionnelle de Condorcet qui suppose nécessaire d'abord de "maitriser les savoirs de base" pour pouvoir prendre part aux débats et controverses socioscientifiques. Le modèle de l'école comme lieu d'émancipation par les savoirs est donc questionné. Entre les savoirs et les débats circulent des documents médiatiques qui confortent nos opinions et dans lesquels nos avons plus ou moins confiance. La démarche d'enquete est donc fondée sur une approche médiacentrique dont il faut interroger les limites. Approche didactique par cartographie des ilôts de rationalités Morin (2009) propose une approche didactique par ilots de rationalités et qui doit permettre de construire une opinion nuancée et argumentée à propos d'une question socialement vive. L'eneju est le développement d'une citoyenneté scientifique critique et active. En partant d'une controverse, on tente la problématisation de la controverse par une décentration collégiale. On explore et on catégorise les argumentaires des discours qui circulent sur la question, en étant attentifs aux définitions politiques du préférable et du bien commun qui les portent mais également aux espaces d'expression de ces discours. Par une activité critique qui croise la diversité d'argumentations subjectives, on obtient une objectivité de second rang (Latour, 2007). Couplée à la recherche de preuves tanglibles (Chateauraynaud, 2004), mais également par la prise en compte des émotions, des affects, des systèmes de valeurs et des intérets des acteurs, ces activités permettraient de se faire une opinion indépendante et raisonnée sur la question socialement vive et la controverse associée. Les ilots de rationnalité élaborés durant l'enquete permettraient de saisir la complexité de la question socialement vive, de la (re)problématiser, et de la reconceptualiser (Hasni, 2010 ; Hasni et Dumais, 2018). On aboutirait ainsi à l'élaboration d'une représentation globale de la situation avec sa complexité, ses incertitudes, ses savoirs et ses ignorances (Morin, 2019, p.55). A travers l'analyse des jeux d'acteurs et d'arguments (Chateauraynaud, 2007), un autre intéret de cette approche serait l'identification et la reconnaissance de la diversité des points de vue, et de leurs fondements, au delà d'une approche mainchéenne des controverses. Il s'agirait ainsi de s'extraire du pour ou contre, pour saisir la multiréférentialité de la controverse. La cartographie de la controverse s'intégrerait ainsi à un processus de problématisation, de saisie de la complexité des réalités socioscientifiques, des incertitudes, pour la construction d'un ilot de rationalité personnel, nuancé et argumenté. Bibliographie : Albe, V. (2009a). L’enseignement de controverses socioscientifiques. Éducation et didactique, 3(1), 45-76. Albe, V. (2009b). Enseigner les controverses. Rennes: Presses universitaires de Rennes. Callon, M. (1986). Éléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc. L’Année sociologique, 36, 169-208. Callon, M. (1998). Des différentes formes de démocratie technique. Annales des Mines, 63-73. Callon M., Lascoumes P., Barthe Y. (2001). Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique. Paris: Le Seuil. Chateaureynaud F. (2004). L’épreuve du tangible. Expériences de l’enquête et surgissements de la preuve. In Karsenti B., Quéré L., La croyance et l’enquête. Aux sources du pragmatisme (pp. 167-194). Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Chateauraynaud, F. (2007). La contrainte argumentative. Les formes de l’argumentation entre cadres délibératifs et puissances d’expression politiques. Revue européenne des sciences sociales, Tome XLV, 136, 129-148 Fabre, M. (2016). Eduquer à l’incertitude. Élèves, enseignants : comment sortir du piège du dogmatisme. Collection : Enfances, Dunod. Favre, D. (2013). L'addiction aux certitudes. Michel Y. Eds. Fourez G. (1997). Qu’entendre par « îlot de rationalité » et par « îlot interdisciplinaire de rationalité » ? Aster, 25. Funtowicz S.O., Ravetz J. (1993). Science for the post-normal age. Futures, 25(7), 739-755. Hasni, A. (2010). L'éducation à l'environnement et l'interdisciplinarité : de la contextualisation des savoirs à la scolarisation du contexte ? In Hasni, A.& Lebeaume J. (dir.). Enjeux contemporains de l’éducation scientifique et technologique. Ottawa : Presses de l’université d’Ottawa. Hasni, A. et Dumais, N. (2018). Enseigner les controverses scientifiques et techniques à l’université. Bulletin du CREAS,5, 35-44. Irwin, A. (1995). Citizen Science. A study of people, expertise and sustainable development. Routledge. Jenkins, E. (2002). Linking school science education with action. In W-M. Roth & J. Désautels (Eds.), Science education as/for sociopolitcal action (pp. 17–34). Oxford: Peter Lang. Latour, B. (2007). La cartographie des controverses. Technology Review, 0, 82-83. Morin, O. (2019). Problématiser et… re-problématiser les QSVE : vers une démarche d’enquête structurée par la rencontre de rationalités. In J. Simonneaux (dir.), La démarche d'enquête. Une contribution à la didactique des questions socialement vives (pp. 43-64). Dijon : Educagri éditions. Rey B. (2005). Peut-on enseigner la problématisation ? Recherche et formation, n° 48, 91-105. Roux-Lafay, C. (2014). Est-il légitime de parler de " morale laïque "? Éducation et socialisation [En ligne], 36. Stengers, I. (1997). Sciences et pouvoirs. Faut-il en avoir peur ? Bruxelles : Labor. Tutiaux-Guillon, N. (2006). Le difficile enseignement des « questions vives » en histoire-géographie. In A. Legardez & L. Simonneaux (Eds.), L’Ecole à l’épreuve de l’actualité. Enseigner les questions vives (pp. 119-135). Paris : ESF. Tutiaux-Guillon, N. (2008). Apprentissages socio-culturels et disciplinaires en histoire-géogaphie. Les Cahiers Théodile, 9, 57-73.
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