Projet d'article
La scolarisation de controverses socioscientifiques
entre savoirs, croyances, opinions et action politique ?

voir aussi Pensée critique, flexibilité cognitive et émotionnelle et enseignement scientifique : exemple de l'éducation aux controverses climatiques

Benoît Urgelli et Olivier Morin
last up-date : 1-mai-21

Echanges issus du séminaire  L’éducation morale et civique au prisme des disciplines,
mars et juin 2019 à l'Université Lyon 2 - Animation : Anne-Claire Husser, laboratoire ECP
Objectif : Comment les enseignants de sciences se saisissent de la formation morale et civique des élèves, futurs citoyens ?

18 mars 2019 : Morale laïque, enseignement scientifique et émancipation citoyenne, Benoit Urgelli

Résumé : Dans l'enseignement des sciences, comme dans d'autres disciplines de l'enseignement secondaire et primaire, depuis le début de la IIIe République française, l’enjeu éducatif reste la construction d'un jugement moral, critique et réflexif, au delà de l’acquisition de connaissances scientifiques et de valeurs épistémiques associées. Mais lorsque les questions scientifiques traitées s'accompagnent de cadrages éthiques et politiques pluriels et controversés, cet enjeu est lui meme objet de controverses. Ainsi, lors du traitement pédagogique de questions socio-scientifiques comme l'évolution climatique, l'évolution humaine, la conservation de la biodiversité et plus généralement l'écologie et le développement durable, nous montrons que les enseignants de sciences s'engagent de manière différente dans un projet d'émancipation critique et morale, entre le modèle « du savant » et celui du « citoyen engagé ». Nous défendons l'idée qu'une formation des personnels à la diversité de ces postures éducatives et des contributions pédagogiques associées, pourrait contribuer à une éducation à la citoyenneté scientifique, à condition qu'elle soit couplée à une formation à la nature des sciences, à la pensée critique, complexe et divergente, et à la prise en charge didactique des représentations des élèves.

Mots clés : question vive, formation scientifique, jugement critique, réflexivité

 

03 juin 2019 : La scolarisation des controverses, Olivier Morin

Si l’enseignement des sciences a pour objectif premier la formation d’un mode de pensée fondé par les valeurs épistémiques de Popper – exactitude, factualité, fiabilité, réfutabilité – établissant une exigence d’objectivité du regard porté sur le monde (en tant qu’objet de savoir), il n’en est pas moins confronté à la nécessité de reconnaitre une diversité d’interprétations subjectives du monde (en tant que projet de société) lorsqu’il se donne aussi l’objectif de former des citoyens préparés à édifier collectivement un avenir désirable. De ce fait, la diversité de contributions possibles de l’enseignement scientifique à la construction de la citoyenneté scientifique – entendue comme la possibilité pour les citoyens non-spécialistes d’intervenir de manière démocratique sur les développements technoscientifiques – mérite d’être questionnée. En quoi permettent-elles la construction d’une « objectivité de second rang » (Latour, 2007), comment articulent-elles l’apprentissage d'une rationalité critique à celui de la participation, dans quelle mesure favorisent–elles la prise en charge de la complexité et des incertitudes des enjeux contemporains ? Pour illustrer notre propos, nous prenons des exemples dans l’enseignement de l’écologie, la scolarisation de Questions Socialement Vives Environnementales révélant une diversité de prise en charge du concept de service des écosystèmes, que nous positionnons dans un continuum entre un modèle « du savant » et un modèle du « citoyen engagé ».

Nos réflexions sur l'enseignement des sciences croisent des enjeux d’éducation à la citoyenneté scientifique critique et active, à travers les programmes d'éducation aux médias et à la nature des sciences, à la laïcité, à l’esprit critique, en s'appuyant sur des thématiques scientifiques socialement vives à propos de questions d'environnement et de développement durable (évolution climatique, évolution humaine, conservation de la biodiversité).

Enseignement scientifique, morale laïque et émancipation citoyenne : le cas de la scolarisation de controverses.

Résumé : Dans l'enseignement des sciences, depuis le début de la IIIe République française, l’enjeu éducatif reste la construction d'un jugement moral, critique et réflexif, prenant appui sur l’acquisition de connaissances scientifiques et des valeurs épistémiques associées.
Mais lorsque les questions scientifiques traitées s'accompagnent de positionnements éthiques et politiques pluriels et controversés, cet enjeu est lui même objet de controverses. Ainsi, lors du traitement pédagogique de questions socio-scientifiques comme l'évolution climatique, l'évolution humaine, la conservation de la biodiversité, la relation agriculture-environnement et plus généralement l'écologie et le développement durable, nous montrons que les enseignants de sciences s'engagent de manière différente dans un projet d'émancipation critique et morale, entre le modèle « du savant » et celui du « citoyen engagé ».
Nous défendons l'idée qu'une formation des personnels à la diversité de ces postures éducatives et des contributions pédagogiques associées, pourrait contribuer à une éducation à la citoyenneté scientifique, à condition qu'elle soit couplée à une formation à la nature des sciences, à la pensée critique, complexe et divergente, et à la prise en charge didactique des représentations des élèves.

Plan de l'article :

Définir une question socialement vive
Un horizon politique : dépasser la science normale par la démocratie technique

Enjeux éducatifs : penser une formation à la citoyenneté scientifique critique et active

D'une morale religieuse à une morale scientiste à la fin du XIXeme siècle : distinguer savoir et croire, science et opinion
L'enseignement des sciences entre évitement et comprehénsion : l'exemple de l'enseignement de l'évolution
Postures éducatives et pédagogies critiques : l'exemple de l'éducation à la conservation de la biodiversité
Approche didactique par une cartographie des ilôts de rationalités : l'exemple de l'éducation au développement durable


Vers un enseignement soscioscientifique en classe de sciences ?

Intervention B. Urgelli
« Morale laïque, enseignement des sciences et citoyenneté critique »
pdf de la présentation

Plan
D'une morale religieuse à une morale scientiste à la fin du XIXeme siècle
Distinguer savoir et croire, science et opinion
La morale laïque entre évitement et comprehénsion : l'exemple de l'enseignement de l'évolution
Des programmes éducatifs de lutte contre les "croyances irrationnelles" et l'obscurantisme
Vers un enseignement soscioscientifique en classe de sciences ?
Conclusion : penser une formation à la citoyenneté scientifique critique et active

La genèse de la morale laïque s’inscrit dans la filiation de la Révolution française et des débats sur les projets d’organisation scolaire. Alors que Condorcet milite pour une instruction publique en 1792, Rabaut Saint Etienne est favorable à une éducation nationale. L’origine de cette morale serait peut être à chercher dans les théologiens protestants de la Réforme, qui auraient ainsi contribué à la sécularisation de la France. La question de la morale se pose dans l’histoire de l'enseignement scientifique depuis l’institutionnalisation de la laïcité scolaire et de la morale républicaine dans les écoles à la fin du XIXeme siècle. En 1882, on passe de l’instruction morale et religieuse à l’instruction morale et civique. La question est alors la suivante : quelles valeurs morales pourront remplacer la morale religieuse, pour donner de la liberté au sujet, dans le cadre d’un enseignement non confessionnel ? Quelle morale républicaine enseignée dans les écoles au XIXeme siècle ?

D'une morale religieuse à une morale scientiste à la fin du XIXeme siècle

A la fin du XIXeme siècle, coupée de la morale religieuse et de la justification théologique, la morale est alors envahie par le paradigme scientiste. Les positivistes proposent que la morale des sciences devienne une référence. Certaines personnalités des sciences vont alors être mises en culte dans l'institution scolaire : gloire à Pasteur, gloire à Darwin, notamment dans les manuels scolaires de Paul Bert et dans les discours et propositions de Jean Macé en 1882. L’évolution de l’homme ou encore le pasteurisme connaitront un succès très particulier dans ce contexte laïque anticlérical des années 1880.

A partir de cette époque, la morale laïque sera-t-elle une morale positiviste, et l’enseignement des sciences sera-t-il un outil d'éducation aux sciences positives ?

  • Distinguer savoir et croire, science et opinion

Philippe Breton (2016, p.24-29) propose, dans son triangle argumentatif, de préciser ce qu'il entend par opinion. Pour lui, il s'agit de l'ensemble des croyances, des valeurs, des représentations du monde qu'un individu se forme pour être lui-même; Elle est mobile et en perpetuelle mutation, soumise au autres et prise dans un courant d'échanges permanents. Elle se distingue de la certitude et de la foi qui relève d'autres modalités de discussion. L'opinion désigne ce en quoi nous croyons, ce qui guide nos actions et qui nourrit nos pensées (voir aussi l'analyse de l'opinion et des croyances ici). L'opinion suppose toujours qu'un autre point de vue est possible. Elle est vraisemblable et distincte des sentiments, des croyances religieuses et des connaissances scientifiques, et balise donc un espace public laïque.

Selon lui, trois domaines échappent à l'opinion pour relever de la certitude et de l'évidence :

  1. la science et ses énoncés s'imposent à tous et à un auditoire universel, mêrme s'il y a une rhétorique propre au monde scientifique avec des règles propres, ce que Lecointre appelle un contrat de méthode. Breton souligne que certains connaissances scientifiques nourissent nos croyances et sont traduits en opinion par l'argumentation. C'est à mon sens typiquement le cas dans les argumentations socioscientifiques qui empreintent aux faits pour se nourrir et les combinent à des arguments de valeurs pour convaincre. L'opinion se situe du côté du vraisemblable alors que la connaissance du coté du probablement vrai objectivement. Breton établit donc la dichotomie entre savoir et opinion. En dehors du champ scientifique, Breton précise que la connaissance scientifique peut transformer le vraisemblable de nos opinions en illusion de vérité, un mécanisme probablement à l'oeuvre dans l'argumentation socioscientifique.
  2. la religion : si la théologie utilise l'argumentation, comme la science, mais avec des procédures de régulation interne à une croyance. Breton estime que la réligion échappe à l'argumentation car l'argumentation concerne chacun dans son universalité. La laicité d'ailleurs, sépare l'espace public des opinions et de leurs argumentations, des croyances privées.
  3. les sentiments et plus généralement les émotions échappent à l'argumentation (beauté ou amour).

Les opinions sont des jugements de valeurs
Elles se fondent sur des savoirs et des croyances



Larrouy, 2018

 

L'univers des croyances selon Kant (1787)
Croire, c'est tenir pour vrai une assertion....

Les programmes récents d’enseignement des sciences, en lien avec le Socle commun de connaissances, de culture et de compétences (2004 et 2015), mais aussi le livret de la Laicité de décembre 2016, dont la version d’octobre 2015 fut controversée et réécrite en décembre 2016) insistent sur la nécessité de faire la distinction entre savoir et croire, entre sciences et opinions. C’est à la charnière entre trois systèmes de connaissances que certains scientifiques (Larrouy, 2018; Ifé) placent l’enjeu de la pensée critique : faire la distinction entre savoirs, croyances et opinions.

Chez Durkheim, les croyances, et au premier rang les croyances religieuses, sont décrites comme de puissants ciments de la cohésion sociale ; chez Max Weber, l’accent est mis sur l’articulation entre les croyances, les rationalités qui les sous-tendent, et les logiques d’action qu’elles engendrent (Paugam, 2010).

[...] lorsque l'on évoque la question de la croyance en psychologie sociale, nous sommes confrontés à l’opposition “ rationnel versus irrationnel ”, [...] le sens de cette opposition est souvent relatif au principe de la “ raison ” et à la valeur qui lui est assignée. Pour Moscovici (1998), la distinction entre “ knowledge ” et “ belief ” passe par la considération de ces deux modes de représentation en tant que formes distinctes de connaissance, médiatisant différentes configurations des rapports sociaux tant au niveau de leurs fonctions qu’à celui de leur élaboration et leur partage dans la vie des groupes sociaux (Apostolidis et al., 2002).

Croyances et connaisances sont donc des représentations sociales.
Qu'en est-il des savoirs et des opinions ?

Pour Paul Ricoeur, dans un article rédigé pour l'Encyclopedie Universalis), se référe à Kant dans Critique de la raison pure, chapitre III « Opinion, science et foi » (1787). Il précise qu'une croyance est une attitude mentale d'acceptation ou d'assentiment, un sentiment de persuasion, de convinction intime. Ce sont des propositions et des énoncés qui sont tenus pour vrais. Croire, c'est tenir pour vrai, en conjugant des principes objectifs et des principes subjectifs (voir Tableau).

Pour Kant (1787), il ya plusieurs degrés de croyances, considérant la croyance comme une d'assertion que l'on tient pour vrai. La croyance-opinion (doxa chez les Grecs) serait de l'ordre de l'assentiment subjectif de ce que l'on tient pour vrai (c'est le belief des philosophes anglais). L'opinion est consciente d'être insuffisante objectivement et subjectivement.

Une opinion devient conviction si elle se suffit subjectivement ; elle devient certitude si elle se suffit objectivement (pour tout le monde). La croyance-opinion s'oppose au savoir véritable établi dans des conditions objectives. C'est cette distinction entre savoir et croire qu'établit Kant. C'est l'opposition entre science et opinion, la science étant une croyance à la fois objective et subjective.

Enfin, la croyance-foi (origine juive et chrétienne) est quant à elle une croyance qui se suffit subjectivement mais qui est insuffisante objectivement.

  • Doute, croyance, opinion (Peirce, 1878) :

Pour Peirce (1878) philosophie sur la différence entre doute et croyance et son implication sur l'action : il existe des états d'esprit tels que le doute et la croyance ; que le passage est possible de l'un à l'autre, l'objet de la pensée restant le même, et que cette transition est soumise à des règles qui gouverne nt toutes les intelligences. On reconnaît en général la différence entre faire une question et prononcer un jugement, car il y a dissemblance entre le sentiment de douter et celui de croire. Mais ce n'est pas là seulement ce qui distingue le doute de la croyance. Il existe une différence pratique. Nos croyances guident nos désirs et règlent nos actes. […] Le sentiment de croyance est une indication plus ou moins sûre qu'il s'est enraciné en nous une habitude d'esprit qui déterminera nos actions. Le doute n'a jamais un tel effet. [...]
Le doute est un état de malaise et de mécontentement dont on s'efforce de sortir pour atteindre l'état de croyance. Celui-ci est un état de calme et de satisfaction qu'on ne veut pas abandonner ni changer pour adopter une autre croyance. Au contraire, on s'attache avec ténacité non-seulement à croire, mais à croire précisément ce qu'on croit. Ainsi, le doute et la croyance produisent tous deux sur nous des effets positifs, quoique fort différents. La croyance ne nous fait pas agir de suite, mais produit en nous des propositions [dispositions!(5)] telles que nous agirons de certaine façon lorsque l'occasion se présentera. Le doute n'a pas le moindre effet de ce genre, mais il nous excite à agir jusqu'à ce qu'il ait été détruit.

Pour Peirce (1878), la dynamique intellectuelle entre doute et croyance permet de fixer l'opinion : L'irritation produite par le doute nous pousse à faire des efforts pour atteindre l'état de croyance. […] La lutte commence avec le doute et finit avec lui. Donc, le seul but de la recherche est d'établir une opinion. […] Ce qu'on peut tout au plus soutenir, c'est que nous cherchons une croyance que nous pensons vraie. […] le seul but de la recherche est de fixer son opinion. La croyance maintient alors une paix d'esprit : On sent que, si l'on peut seulement se maintenir sans broncher dans sa croyance, on aura tout lieu d'être satisfait, car on ne peut nier qu'une foi robuste et inébranlable ne procure une grande paix d'esprit.

D'où la question de Peirce (1878) : comment se fixe la croyance, non pas seulement chez l'individu, mais dans la société. […] Cette méthode a depuis les temps les plus reculés fourni l'un des principaux moyens de maintenir l'orthodoxie des doctrines théologiques et politiques et de leur conserver un caractère catholique ou universel. […] Quand on juge cette méthode de fixer la croyance, qu'on peut appeler la méthode d'autorité […] Mais, dans les Etats les plus soumis au joug sacerdotal, se rencontrent des individus qui ont dépassé ce niveau. Ces hommes ont une sorte d'instinct social plus large ; ils voient que les hommes en d'autres pays et dans d'autres temps ont professé des doctrines fort différentes de celles qu'ils ont eux-mêmes été élevés à croire. […] ; et ceci fait naître des doutes dans leur esprit. Ils apercevront ensuite qu'ils doivent nourrir des doutes semblables sur toute croyance qui semble déterminée soit par leur fantaisie propre, soit par la fantaisie de ceux qui furent les créateurs des opinions populaires.

Peirce (1878) interroge alors la spécificité de la méthode scientifique par rapport à la philosophie métaphysique et son rôle dans la fixation des opinions : L'histoire de la philosophie métaphysique en offre un exemple parfait. Les systèmes de cet ordre ne se sont pas d'ordinaire appuyés sur des faits observés, ou du moins ne l'ont fait qu'à un assez faible degré. On les a adoptés surtout parce que les propositions fondamentales en paraissaient agréables à la raison. […] par exemple la doctrine que l'homme seul agit par égoïsme, c'est-à-dire par la considération que telle façon d'agir lui procurera plus de plaisir que telle autre. Cette idée ne repose absolument sur aucun fait, mais elle a été fort généralement acceptée, comme étant la seule théorie raisonnable. Pour mettre fin à nos doutes, il faut donc trouver une méthode grâce à laquelle nos croyances ne soient produites par rien d'humain, mais par quelque chose d'extérieur à nous et d'immuable, quelque chose sur quoi notre pensée n'ait point d'effet […] la méthode doit pourtant être telle que chaque homme arrive à la même conclusion finale. Telle est la méthode scientifique. Son postulatum fondamental traduit en langage ordinaire est celui-ci : Il existe des réalités dont les caractères sont absolument indépendants des idées que nous pouvons en avoir. Ces réalités affectent nos sens suivant certaines lois, et bien que nos Sensations soient aussi variées que nos relations avec les choses, en nous appuyant sur les lois de la perception, en nous servant du raisonnement nous pouvons nous faire une idée de comment les choses sont réellement.; et tous les hommes, pourvu qu'ils aient une expérience suffisante et qu'ils raisonnent suffisamment sur ses données, seront conduits à une seule et véritable conclusion. Ceci implique une conception nouvelle, celle de la réalité.
[...]
l'investigation scientifique a obtenu les plus merveilleux succès, quand il s'est agi de fixer les opinions.

Peirce (1878) en appelle alors à une morale du doute scientifique à propos de toute croyance : Par la force de l'habitude, on reste quelquefois attaché à ses vieilles croyances après qu'on est en état de voir qu'elles n’ont aucun fondement. Mais, en réfléchissant sur l'état de la question, on triomphera de ces habitudes ; on doit laisser à la réflexion tout son effet. […] Par dessus tout, il faut considérer qu'il y a quelque chose de plus salutaire que toute croyance particulière : c'est l’intégrité de la croyance, et qu'éviter de scruter les bases d'une croyance, par crainte de les trouver vermoulues, est immoral tout autant que désavantageux.

  • Croyance, doute, science et religion

Ainsi si la croyance est un assentiment qui exclue le doute (Lalande, 1926), la science, par une mise en doute de la croyance aboutit à la fixation d'une nouvelle réalité extérieure à notre pensée, d'un savoir universel (Peirce, 1878).


Lecointre (2018, p.13)

Lecointre (2012) précise : Les sciences sont tacitement laïques dans leur exercice même : nos expériences ne portent pas la marque de nos options métaphysiques personnelles et nos articles n’en font pas mention : c’est hors champ. (p.19, p.127). [...] Le rôle des sciences est de dire ce qui est du monde réel, et de l’expliquer par les moyens de la raison et d’un rapport à la nature appelé expérimentation. La science explique la nature avec les seuls moyens de la nature, comme le postulèrent les encyclopédistes. Cela signifie que par contrat, on exclut tout recours à un principe extra-naturel (providence, miracle,…) lorsqu’il s’agit d'expliquer scientifiquement une manifestation du monde réel. (p. 28) [...]
La croyance au sens de « foi » ne peut être remise en cause. La foi n’éprouve pas le besoin de se justifier : elle est l’affirmation d’une vérité non négociable de ce qui est. Dès lors, elle ne tire pas sa légitimité de sa possibilité d’être remise en cause, mais d’un pouvoir qui produit et maintient l’affirmation. La croyance « scientifique » tire sa légitimité de l’ouverture laissée à sa propre déstabilisation. Les assertions scientifiques sont renforcées d’une résistance à de multiples mises à l’épreuve
(p.80).

Toutes ces considérations ramènent donc à la définition de la nature des sciences (avec 5 caractéristiques clés) et de la nature des croyances
Voir aussi
Osborne J. et Dillon J. (2010). Good Practice in Science Teaching: What research has to say. Open University Press, 2nd Revised edition.

science as tentative (subject to change); empirically based (based on and/or derived from observations of the natural world); subjective (influenced by scientists’ background, experiences, and biases); partly the product of human imagination and creativity (involves the invention of explanations); and socially and culturally embedded (Khishfe and Lederman 2006, p. 396, in Hildebrand & al., 2008, p. 1045).

Les documents de l’AAAS (2010) sur la nature des sciences (Exploring the nature of science) rappellent que les sciences s’appuient sur une système de valeurs, que c’est une entreprise sociale et collective régie par des normes et des règles. Elle vise la modélisation. Cette activité est « embedded » avec la société et la politique, elle est donc inscrite dans une époque et des représentations sociales situées qui l’influencent dans ses questionnements, mais aussi dans ses orientations thématiques, pratiques et éthiques, voire dans les grilles d'’interprétation de ses résultats ou la construction de ses corpus.

  • Faire réfléchir les enfants sur la distinction conceptuelle entre « croire » et « savoir », Connac. S. (2009). Savoir que croire n’est pas savoir. Les Cahiers pédagogiques, 477, 25-27.

La morale laique dans l'enseignement des sciences : entre évitement et comprehénsion, la question de la neutralité

L’enquête REDISCO (2016-2018) identifie plusieurs positions du côté des enseignants dans la manière de gérer les interrogations socioscientifiques des élèves, notamment en situation d’interpellations et des controverses vis-à-vis des savoirs construits en classe de sciences, des savoirs qui deviennent ainsi des questions vives au sein de Bonnafoux (2015).

Les postures enseignantes ont été largement décrites dans la littérature scientifique anglosaxonne dans le cadre des interrogations sur le teaching controversies.
Voir aussi les postures lors de la mise en scène de controverses ou le cours sur Savoirs, pédagogies et postures
. Rappelons les recommandations de Michel Debray (2002, p.22) pour le passage d’une laïcité d’évitement (d’incompétence vis-à-vis du religieux) à une laïcité de compréhension (laïcité d’intelligence) : Le temps paraît maintenant venu du passage d’une laïcité d’incompétence (le religieux, par construction, ne nous regarde pas) à une laïcité d’intelligence (il est de notre devoir de le comprendre)."

L'enquete de Jean-Pierre Obin (2004) souligne l'existence de trois réactions ou postures lors de la contestation des enseignements. La variété des réactions des professeurs dénote à la fois une détermination sans doute inégale, des expériences différentes et la place, plus ou moins claire ou confuse, où ils situent leur enseignement - et plus largement la science - par rapport aux conceptions religieuses.
1. L’autocensure existe aussi dans cette discipline, elle concerne notamment la reproduction, que des enseignants nous ont avoué ne plus aborder avec les classes difficiles.
2. […] d’autres professeurs nous ont parus solidement assurés face aux tentatives de certains élèves de les entraîner sur le terrain religieux. Ils répondent aux contestataires que la religion n’étant pas leur domaine, ils n’ont rien à en dire, que l’établissement de la vérité scientifique n’est jamais révélée ou imposée, qu’elle est le résultat de la démarche expérimentale et que c’est précisément l’un des objets de l’enseignement des SVT.
3. […] d’autres enseignants semblent désemparés par l’attitude des élèves et l’opposition dans laquelle ils placent la religion et la science. Combien de jeunes enseignants notamment nous ont déclaré, candidement là encore, promouvoir ou se réfugier dans un relativisme qui leur paraît juste, ou simplement efficace puisqu’il semble satisfaire les élèves, en présentant la science comme une croyance parmi d’autres (« une hypothèse parmi d’autres », nous dit ce professeur), celle de l’école, ou du professeur, face à celle de la religion, ou des élèves ; entre Adam et Darwin, à chacun de choisir en quelque sorte. Cette dérive n’est pas sans rappeler celle qui, par ailleurs, présente la laïcité comme une option spirituelle parmi d’autres.

Hess, Cotton, Kelly, ont défini plus précisemment différentes postures éducatives, notamment en classe de sciences, parfois aussi à partir des contestations de l’enseignement de l’évolution.

  • 1. Modèle positiviste : on enseigne les faits vérifiés dans l’état actuel de la connaissance et pas de place pour des controverses ou des questions de valeur (ce que les américains appellent « neutralité exclusive »). Comme le dit Tutiaux-Guillon (2008), l'éducateur estime alors que la présentation des faits générera naturellement valeurs et comportements responsables chez les publics scolaires, futurs citoyens.
  • 2. Modèle de la partialité exclusive : l’enseignant cherche à enrôler les élèves et prend en compte les autres points de vue pour les dénigrer, avec le risque de mettre la science contre l’opinion (Isabelle Stengers). En classe de sciences, on retrouve alors une pédagogie de la réfutation par la critique rationaliste (Urgelli et al., 2018). C’est aussi cette posture qui conduit parfois à un enseignement des petits gestes sur les questions d’environnement et de développement durable (Urgelli, 2009 ou Simonneaux, 2010).
  • 3. Modèle de l’impartialité engagée : favoriser l’expression d’une diversité de points de vue, l’enseignant indique qu’il se situe dans le cadre des valeurs de la République et s'autorise alors à donner son positionnement personnel sur la question (une posture qui s’observe en lycée, notamment en philosophie, en HG et parfois en SVT, mais qui est aussi considérée comme trop risquée dans certains contextes scolaires, en fonction de l'age des publics scolaires, des publics que l’on considère immature, ignorant, provocateur, et qui manquerait de recul (Urgelli 2009).
  • 4. Modèle de l’impartialité neutre étant une posture idéale, qui ne se retrouve pas vraiment dans la pratique.

Pour Simmoneaux (2004), « Sans prétention de neutralité, [l’]enseignement d’un savoir “critique” doit s’appuyer sur une déontologie de l’enseignant. Cette déontologie ne peut s’inscrire que dans la tradition de l’enseignement philosophique qui s’appuie sur la liberté et la diversité des positions pour débattre des valeurs et principes. Nous supposons alors deux positions possibles parmi les quatre postures envisagées par Kelly (1986) : l’impartialité neutre et l’impartialité engagée, la position de neutralité paraissant impossible à tenir et la partialité engagée peu acceptable d’un point de vue éthique ».

Cotton (2006) interroge à son tour la validité de la posture de « neutralité et d’équilibre entre les points de vues » qui, aux États-Unis, est pourtant préconisée à l’enseignant pour aborder des sujets controversés, selon de nombreux travaux de recherche et guides pratiques. L’auteure a observé trois cycles de cours (de 5 à 6 semaines), conduits par trois enseignants confirmés de géographie, avec des d’élèves britanniques de 16 à 18 ans, portant sur trois questions vives touchant à l’environnement : les droits territoriaux des peuples indigènes dans la forêt tropicale, le rôle des organisations non-gouvernementales dans l’administration de l’Antarctique, la conciliation entre le développement touristique et les besoins de protection de la nature dans les parcs nationaux. L’observation, l’enregistrement et l’analyse des échanges mettent en évidence un important décalage entre les intentions de neutralité des enseignants et leur attitude effective, implicite ou explicite. L’auteur fait également ressortir comment certains propos des enseignants sont mal interprétés des élèves, qui leur imputent abusivement telle ou telle opinion. D. Cotton en tire une réflexion sur la notion de neutralité. Elle encourage les enseignants à ne pas faire de la neutralité un absolu, et préconise au contraire de les laisser décider au cas pas cas la stratégie à adopter, entre exposer ou taire leur propre position. L’auteure pense en effet qu’une prise de position bien assumée est d’un meilleur effet pédagogique qu’une tentative de neutralité forcée et mal interprétée par les élèves. Dans tous les cas, former les enseignants à la préparation et à la gestion d’un débat constitue une véritable nécessité. In Cavet, 2007, p.14.

  • voir aussi Urgelli et Simonneaux, 2011 : This neutral position was criticised by Kelly (1986) and Oulton (2004). According to them, if teachers make their own position explicit facing a socioscientific issue and encourage students to criticize them alongside other positions, then youthful citizens will be aware of potentials bias and encouraged to develop an independence of thought, understanding the complexity of the issue studied. We consider that ESD must be a critical education for democratic and transformative action (Giroux, 1987) in which teachers could adopt commitment impartiality around democratic values, rather than the myth and misguidance of a value-free and non disclosing neutrality. The educational aim is to catalyze the critical intelligence and civic courage of both youthful citizens and ourselves (Kelly, 1986).

Urgelli (2021, in press) constate que plus un enseignant avance dans sa carrière et plus il se sent en capacité de prendre en charge des questions éthiques et politiques, comme s’il prenait de la distance par rapport à un idéal de transmission de connaissances disciplinaires stabilisées, à la doxa d'un principe de neutralité, et la nécessité de garder les affects, les émotions, les questions de valeurs à distance de la classe et des discussions avec les élèves (voir le numéro de la revue Diversité n°195, 2019 sur les émotions à l'école).

L'adoption de ces postures dépend d'un système complexe de représentations : celle des capacités crtitiques autonomes des publics (représentation des publics), celle de la fonction de l'action pédagogique (représentation des finalités éducatives) et la représentation de la vivacité socioscientifique de la question traitée (vivacité scientifique, éthique et politique, et nature des sciences).

Des programmes de lutte contre les croyances et l'obscurantisme par la critique rationnaliste ?

Voir la pensée critique : exemple du climat et de la météorologie

Un programme d'éducation à l’esprit critique est porté en France par le groupe CORTECS (groupe de zététique), une association de chercheurs et d'enseignants qui luttent contre les charlatanismes, l’homéopathie, la peur des ondes, dans un esprit de lutte contre l’obscurantisme.

Gérald Bronner, sociologue des croyances, a rejoint ce groupe, en lien avec l'AFIS et la revue Science et pseudo-science, probablement pour nuancer les risques de posture scientiste dans les travaux du groupe, et introduire une attention particulière aux mécanismes sociaux d’élaboration des croyances, des stéréotypes, des biais cognitifs. Il s’appuie d’ailleurs sur les neurosciences (avec des travaux sur les systèmes cognitifs cérébraux de l’esprit critique et de la pensée intuitive, Bronner, 2015, Daniel Khaneman : Système 1, système 2) pour faire ce lien entre l’univers des scientifiques rationalistes et l’univers des relativistes modérés, vis à vis de la place des croyances en société mais aussi dans l’entreprise scientifique (voir conférence de Dominique Larrouy pour le MEN et les ouvrages de Guillaume Lecointre, 2012 et 2018).

Pour Lecointre (2012), la vertu des sciences réside dans le fait de semer des doutes (scepticisme initial, matérialisme méthodique, (naturalisme), réalisme de principe, rationalité) pour se mettre à l’épreuve de soi-même et des autres, à l’inverse des croyances, qui seraient de l’univers de l’irrationnel, ce que contredit la sociologie et la psychologie sociale tout au long du XXeme siècle (voir Boudon, 2009 sur les rationalités notamment).

  • voir deux ouvrages de La main à la pâte 2016 sur Esprit critique, Esprit scientifique, dans le cadre du lancement d’un programme nationale pour le développement de l’esprit critique à l’école, probablement à la suite des évènements de Paris en 2015 et des interprétations complotistes qui les ont accompagnées.

Le groupe CORTECS est un groupe de pensée influent dans les plans de formation des enseignants de sciences, mais avec un héritage, des finalités et des enjeux citoyens qui se limitent parfois à la question de la lutte contre l’obscurantisme et l’endoctrinement des jeunes esprits. Ils postulent plus ou moins consciemment l'existence d'une impact fort et direct des médias de masse et des médias socio-mumériques sur les jeunes générations, ce que les sciences de la communication ont remis en cause depuis les années 1970 en considérant que les récepteurs de messages médiatiques ne sont pas de simples acteurs passifs et singuliers (Fourquet, 1999).

Mais dans ces programmes d'inspiration positiviste, l'émancipation démocratique par l'enseignement scientifique, l’apprentissage de la tolérance et d'une morale laique qui soit celle de la compréhension plus que celle de l'évitement ou de la réfutation sont rarement explicités de la sorte. Alors comment faire ?

Vers un enseignement soscioscientifique en classe de sciences ?

Les enquêtes de terrain (depuis Meirieu, 1998, Quels savoirs enseignés en lycée) montrent que les publics scolaires ont un rapport critique au savoir et aux sciences : ils s’interrogent sur la nature des sciences, la place éthique et politique des scientifiques. Ils réclament des pédagogies qui approchent les sciences de manière socioscientifique, loin du seul enseignement des faits et des résultats des sciences (Tutiaux-Guillon, 2008). Ce dernier, critiqué probablement sous sa forme du modèle de 4R (Audiger, 2001) s’appuie sur une pédagogie constructiviste de la découverte, par la démarche d’investigation expérimentale, souvent stéréotypé sous la forme de l’OHERIC décrit par Martinand, et qui laisse peu de place aux questionnements sociaux, éthiques et politiques en classe de sciences.

Conclusion


Urgelli, 2020

En classe de sciences, nous défendons l'idée qu'il faudrait mettre sur la table didactique des questions scientifiques controversées (QSV et c’est la ligne de l’inspection de SVT avec les dernières réformes de programmes dans le secondaire qui ont introduit des questions de santé, d'environnement, de développement durable et d'exploration du système solaire et de l'Univers).

La didactique des questions socioscientifiques suppose une remise en cause d'un enseignement positiviste et républicain (Tutiaux-Guillon, 2006) associe au modèle des 4 R, c'est-à-dire un enseignement Réaliste s’appuyant sur les seuls Résultats d’un Référent consensuel, avec Refus du politique (Audigier, 2001) ou à ce que Tutiaux-Guillon (2008, p.63) considère comme une représentation sociale de l'apprentissage fréquente dans la profession où les savoirs factuels sont jetés comme graines susceptibles de produire réflexion,valeurs et comportements, pour ainsi dire naturellement, et qui tient que rien ne se fait sans "les bases", confondues avec les faits essentiels.

Alors comment faire ? probablement en considérant l'importance d'une formation à une posture reflexive des enseignants et des élèves futurs citoyens, couplée à une formation à la nature des sciences et à une formation à la gestion laïque de la diversité des représentations sociales, y compris celles sur les manières d'apprendre en classe de sciences, mais également dans d'autres univers éducatifs.

 

Quelques ressources théoriques et définitions

- Pensée critique = capacités et une attitude (que l'on appelle l’esprit critique proprement dit), dans la lignée du courant du Critical thinking que l'on peut rattacher à Dewey qui dans Education et démocratie considère que l’enquête est une méthode active permettant l’émancipation intellectuelle et morale des jeunes (Cosperec, 2018).

- Voir aussi Caroti, D. (2010). Pensée critique, esprit critique, Un peu de théorie. Cortecs (en ligne).

- Durkheim (1902), repris par Edgar Morin (2000) dans son appel à une éducation à la complexité, loin du rationalisme simpliste. L’approche des sciences doit permettre de montrer comme s’élabore un « savoir de la complexité »

- Pédagogie critique suivant l’inspiration de Paolo Freire (1970) : c’est par la conscientisation de la complexité du réel et par une invitation à repenser les rapports sociaux qu’on éduque à l’esprit critique, par des pédagogies critiques (ouvrage de Laurence de Cock et Irène Pereira, 2019)

  • Apostolidis, T., Duveen, G. & Kalampalikis, N. (2002). Représentations et croyances. Psychologie & Société, 5, 7-11.
  • Girault, Y. & Lhoste, Y. (2010). Opinions et savoirs : positionnements épistémologiques et questions didactiques. RDST, 1, 29-66.
  • Kant, E. (1787). Critique de la raison pure, chapitre III « Opinion, science et foi »
  • Lecointre, G. (2012). Les sciences face aux créationnismes. Ré-expliciter le contrat méthodologique des chercheurs. Editeur : Quae.
  • Moscovici, S. (1998). The history and the actuality of social representations. in U. Flick (ed.). The psychology of the social (pp 209-247). Cambridge : Cambridge University Press.
  • Peirce, C.-S. (1878). La logique de la science. Premeière partie : Comment se fixe la croyance ? Revue philosophique de la France et de l’étranger, troisième année, tome VI, 553-569.
  • Ricoeur, P. Croyance. Encyclopedie Universalis [En ligne]
  • De Checchi, K. (2016). « Vie de Labo' », un jeu éducatif sur la nature des sciences. Mémoire Master HPDS, Université Lyon 1.
  • Hildebrand & al. (2008). Addressing controversies in science education: a pragmatic approach to evolution education. Science & Education, 17, 1033–1052.
  • Khishfe R, Lederman N (2006) Teaching nature of science within a controversial topic: integrated versus nonintegrated. Journal of Research in Science Teaching, 43, 395–418.
  • Lederman, N. G. (2007). Nature of Science : Past, Present, and Future. Handbook of research on science education, 831-880.
  • Lederman, N. G., Abd-El-Khalick, F., Bell, R. L., & Schwartz, R. S. (2002). Views of nature of science questionnaire: Toward valid and meaningful assessment of learners’ conceptions of nature of science. Journal of Research in Science Teaching, 39(6), 497–521.
  • Russel, B. (1971). Science et religion, Ed. Gallimard. p.8-15.
  • Simonneaux, J. (2010). Pour aller au-delà des « petits gestes ». Cahiers pédagogiques n°478 - L’éducation au développement durable : comment faire ?
  • Cotton, D. R. E. (2006). Teaching controversial environmental issues: neutrality and balance in the reality of the classroom. Educational Research, 48(2), 223-241.
  • Giroux, H. (1987). Citizenship, public philosophy and the struggle for democracy. Educational Theory, 37, 103-120
  • Hess, D. (2005). How do teachers' political views influence teaching about controversial issues? Social Education, 69, 47-48.
  • Kelly, T. (1986). Discussing controversial issues: four perspectives on the teacher’s role. Theory and Research in Social Education, 14, 113-138.
  • Oulton, C., Dillon, J. and Grace, M. (2004). Reconceptualizing the teaching of controversial issues. International Journal of Science Education, 26, 411-423.

 

Intervention O. MORIN
La scolarisation des controverses socioscientifiques : finalités et modalités

Plan
Défnir une question socialement vive
Un horizon politique : dépasser la science normale par la démocratie technique

Enjeux éducatifs : pour une citoyenneté scientifique critique et active
Démarches didactiques et pédagogies critiques
Approche didactique par une cartographie des ilôts de rationalités

Défnir une question socialement vive

Partant des définitions de Tutiaux-Guillon (2006) et Albe (2009a), une « question socialement vive » constitue un enjeu social, mobilise des représentations, des valeurs, des intérêts qui s’affrontent, fait l’objet de débats et d’un traitement médiatique. Par nature complexe, une question socialement vive confronte à l’incertitude, peut être porteuse d’émotions et être « politiquement sensible » (Tutiaux-Guillon, 2006, p. 119). Une question socialement vive est une question soumise à l'épreuve de l'actualité, qui moblisent et divisent (Albe, 2009a, p.67), qui interroge notre rapport au savoirs et à la vérité mais également à l'action et au pouvoir (rapport à l'expertise). Elle interroge également notre vision du bien commun et d'un avenir désirable, notre "tragédie des communs". Ce qui pose de nombreuses questions aux recherches en éducation.

Un horizon politique : dépasser la science normale par la démocratie technique

Selon Callon et al. (2001), dans nos démocraties, le pouvoir citoyen est confisqué par une double délégation à la fois scientifique et politique, et seule une démocratie technique permettrait de questionner la production des savoirs et de construire un avenir acceptable par et pour les citoyens. Pour dépasser l'expertise technocratique et l'idéologie de la compétence (Roqueplo, 1993), il pourrait s'agir de questionner les valeurs d'une science normale définies par Merton et Popper, en considérant que les savoirs sont pluriels, contextualisés dans des communautés de pairs élargies, avec des compétences citoyennes à développer et à utiliser (Funtowicz et Ravetz,1993) pour faire des choix éthiques et responsables.

  • voir les défis épistémologiques in Albe, 2009b, p. 174, se référant à Stengers, 1997 : La controverse est le "milieu natal" d'un fait et l'argumentation joue un rôle central dans les débats. Ainsi, selon nous, les fondements positivistes des sciences prégnants dans l'enseignement doivent être remis en cause si l'on souhaite recentrer les activités pédagogiques sur des questions vives sur le plan social afin de permettre aux jeunes de comprendre leur monde et de participer à sa configuration. Le défi de lépistémologie consiste bien comme le souligne Jenkins (2002, p.31) en un "emporwerment of students as citizens". Pour Stengers (1997),il en va de la qualité de la vie sociale et sociale dans "ce que nous appelons démocratie" dans les sociétés occidentales post-industrielles. "Mais ce à quoi les futurs citoyens auront affaire, ce par rapport à quoi les exigences de la démocratie imposent qu'ils deviennent partie prenante, n'a rien à voir avec les légendes dorées de la science faite. Ce à quoi ils devraient devenir capables de s'intéresser, c'est à la science telle qu'elle se fait, avec ses rapports de force, ses incertitudes, les contestations multiples que suscitent ses prétentions, les alliances d'intéret et pouvoirs qui l'orientent, les mises en hiérarchie des questions, disqualifiant les unes, privilégiant les autres. C'est à partir de tout cela que se construit leur monde;" (Stengers, 199, p. 85-86). [...] Ainsi c'est également une éducation politique qui est promue, un objectif pour lequel l'école dans son histoire a été prudente et semble de nature à recueillir l'hostilité de la communauté scientifique. [...] Nous mesurons les risques à tenir de tels propos et sommes consciente de l'ampleur qu'une telle approche implique.

Enjeux éducatifs : vers une citoyenneté scientifique critique et active

Il s'agirait, dans un monde incertain, de redonner le pouvoir aux citoyens en apprenant à l'école l'empowerment et l'activisme par des pédagogies critiques. Loin de l'addiction scolaire aux certitudes (Favre, 2013), il s'agirait d'éduquer à la complexité et d'apprendre à se repérer au milieu d'un diversité d'ilots de rationalités (Fourez, 1997). Selon Callon (1986), pour une citoyennété active, il faut un processus de traduction, qui fait converger les arguments vers l'action, en développent des compétences de problématisation, d'intéressement, d'enrôlement et d'adhésion. Selon Rey (2005), la problématisation est le mouvement intellectuel par lequel se déterminent mutuellement les faits en prendre en compte et les modèles qui permettent de les interpréter. L'enjeu reste la participation démocratique à la décision en contexte d'incertitudes et l'engagement collectif des non-spécialistes. On rejoint ici la définition de la citoyenneté scientifique d'Irwin (1995).

  • La citoyenneté scientifique est définie comme la possibilité pour les citoyens non spécialistes d’intervenir de manière démocratique sur les développements technoscientifiques. L’approche éducative des QSV se donne pour ambition de réduire les traditoinnelles oppositions entre spécialistes et profanes, décideurs politiques et individus ordinaires (Morin, 2019, p.51).

Démarches didactiques et pédagogies critiques

La démarche d'enquête (Simonneaux, 2019) pourrait permettre de travailler sur les intérets (Habermas, XXXX) loin de la vision des sciences de Merton et Popper. En mobilisant la vision sociologique de l'acteur-réseau, en proposant une didactique des sciences socialisées et une pédagogie de projet, au delà de la transmission des savoirs disciplinaires stablilisés. Se pose la question de l'acceptabilité sociale de l'activisme et de la pédagogie critique à l'école. Pour faire vivre la démarche d'enquete à nos élèves et nos étudiants, une approche de l'enquete sociodidactique à partir de controverses et de débats socioscientifiques pourraient permettre de se forger un point de vue, loin de l'approche traditionnelle de Condorcet qui suppose nécessaire d'abord de "maitriser les savoirs de base" pour pouvoir prendre part aux débats et controverses socioscientifiques. Le modèle de l'école comme lieu d'émancipation par les savoirs est donc questionné. Entre les savoirs et les débats circulent des documents médiatiques qui confortent nos opinions et dans lesquels nos avons plus ou moins confiance. La démarche d'enquete est donc fondée sur une approche médiacentrique dont il faut interroger les limites.

Approche didactique par cartographie des ilôts de rationalités

Morin (2009) propose une approche didactique par ilots de rationalités et qui doit permettre de construire une opinion nuancée et argumentée à propos d'une question socialement vive. L'eneju est le développement d'une citoyenneté scientifique critique et active. En partant d'une controverse, on tente la problématisation de la controverse par une décentration collégiale. On explore et on catégorise les argumentaires des discours qui circulent sur la question, en étant attentifs aux définitions politiques du préférable et du bien commun qui les portent mais également aux espaces d'expression de ces discours. Par une activité critique qui croise la diversité d'argumentations subjectives, on obtient une objectivité de second rang (Latour, 2007). Couplée à la recherche de preuves tanglibles (Chateauraynaud, 2004), mais également par la prise en compte des émotions, des affects, des systèmes de valeurs et des intérets des acteurs, ces activités permettraient de se faire une opinion indépendante et raisonnée sur la question socialement vive et la controverse associée. Les ilots de rationnalité élaborés durant l'enquete permettraient de saisir la complexité de la question socialement vive, de la (re)problématiser, et de la reconceptualiser (Hasni, 2010 ; Hasni et Dumais, 2018). On aboutirait ainsi à l'élaboration d'une représentation globale de la situation avec sa complexité, ses incertitudes, ses savoirs et ses ignorances (Morin, 2019, p.55).

A travers l'analyse des jeux d'acteurs et d'arguments (Chateauraynaud, 2007), un autre intéret de cette approche serait l'identification et la reconnaissance de la diversité des points de vue, et de leurs fondements, au delà d'une approche mainchéenne des controverses. Il s'agirait ainsi de s'extraire du pour ou contre, pour saisir la multiréférentialité de la controverse. La cartographie de la controverse s'intégrerait ainsi à un processus de problématisation, de saisie de la complexité des réalités socioscientifiques, des incertitudes, pour la construction d'un ilot de rationalité personnel, nuancé et argumenté.

Bibliographie :

Albe, V. (2009a). L’enseignement de controverses socioscientifiques. Éducation et didactique, 3(1), 45-76. Albe, V. (2009b). Enseigner les controverses. Rennes: Presses universitaires de Rennes.

Callon, M. (1986). Éléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc. L’Année sociologique, 36, 169-208.

Callon, M. (1998). Des différentes formes de démocratie technique. Annales des Mines, 63-73.

Callon M., Lascoumes P., Barthe Y. (2001). Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique. Paris: Le Seuil.

Chateaureynaud F. (2004). L’épreuve du tangible. Expériences de l’enquête et surgissements de la preuve. In Karsenti B., Quéré L., La croyance et l’enquête. Aux sources du pragmatisme (pp. 167-194). Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales.

Chateauraynaud, F. (2007). La contrainte argumentative. Les formes de l’argumentation entre cadres délibératifs et puissances d’expression politiques. Revue européenne des sciences sociales, Tome XLV, 136, 129-148 Fabre, M. (2016). Eduquer à l’incertitude. Élèves, enseignants : comment sortir du piège du dogmatisme. Collection : Enfances, Dunod.

Favre, D. (2013). L'addiction aux certitudes. Michel Y. Eds.

Fourez G. (1997). Qu’entendre par « îlot de rationalité » et par « îlot interdisciplinaire de rationalité » ? Aster, 25.

Funtowicz S.O., Ravetz J. (1993). Science for the post-normal age. Futures, 25(7), 739-755.

Hasni, A. (2010). L'éducation à l'environnement et l'interdisciplinarité : de la contextualisation des savoirs à la scolarisation du contexte ? In Hasni, A.& Lebeaume J. (dir.). Enjeux contemporains de l’éducation scientifique et technologique. Ottawa : Presses de l’université d’Ottawa.

Hasni, A. et Dumais, N. (2018). Enseigner les controverses scientifiques et techniques à l’université. Bulletin du CREAS,5, 35-44.

Irwin, A. (1995). Citizen Science. A study of people, expertise and sustainable development. Routledge.

Jenkins, E. (2002). Linking school science education with action. In W-M. Roth & J. Désautels (Eds.), Science education as/for sociopolitcal action (pp. 17–34). Oxford: Peter Lang. Latour, B. (2007). La cartographie des controverses. Technology Review, 0, 82-83.

Morin, O. (2019). Problématiser et… re-problématiser les QSVE : vers une démarche d’enquête structurée par la rencontre de rationalités. In J. Simonneaux (dir.), La démarche d'enquête. Une contribution à la didactique des questions socialement vives (pp. 43-64). Dijon : Educagri éditions.

Rey B. (2005). Peut-on enseigner la problématisation ? Recherche et formation, n° 48, 91-105.

Roux-Lafay, C. (2014). Est-il légitime de parler de " morale laïque "? Éducation et socialisation [En ligne], 36.

Stengers, I. (1997). Sciences et pouvoirs. Faut-il en avoir peur ? Bruxelles : Labor.

Tutiaux-Guillon, N. (2006). Le difficile enseignement des « questions vives » en histoire-géographie. In A. Legardez & L. Simonneaux (Eds.), L’Ecole à l’épreuve de l’actualité. Enseigner les questions vives (pp. 119-135). Paris : ESF.

Tutiaux-Guillon, N. (2008). Apprentissages socio-culturels et disciplinaires en histoire-géogaphie. Les Cahiers Théodile, 9, 57-73.