L'éducation, un objet de recherche
Spécificités des recherches sur les pratiques éducatives
Enseignement pour Master Recherches et Expertise en Éducation et licence Sciences de l'Education
Année 2017, 2018, 2019, 2020, 2021

Benoît Urgelli
last up-date : 17-Nov-2021

Pour leur précieux soutien, merci à :
Françoise LANTHEAUME et Rémi DESLYPER pour leurs compléments dans le cadre de ces enseignements partagés
Noémie CHEVROT et Maëva DIAS, étudiantes en Licence Sciences de l'Education,
Sidonie VACHER et Leila BENNACEF, étudiantes en Master Recherche

Voir aussi :
Connaissances du champ éducatif : vers un nouveau paradigme ?

L' éducation, un objet de recherche est le titre de la couverture du mensuel n°142 de Sciences humaines publié en octobre 2003. Ce numéro a orienté le choix d'introduire ce thème en formation de licence Sciences de l'Education en 2016 (L2, et L3, deuxième et troisième année d'études). La publication en 2018 du numéro 192 de la revue interface Diversité a conforté cette orientation dans nos formations, notamment en master Sciences de l'éducation.

  • Modalités d'examen Master Recherche :

Ecrit : Sur la base d'un texte écrit de 7.000 caractères, espaces compris (2 pages, hors des références bibliographiques (3 références au minimum, à mettre aux normes APA). Consignes : à partir de 3 articles de recherche portant sur les conditions d'études scientifiques de pratiques éducatives (conditions de méthode, conditions temporelles, relation interpersonnelle, environnement, contexte et terrains, objet d'études,...), quels sont selon vous, les intérêts et les points de vigilance à prendre en compte dans la conduite d’une recherche sur les pratiques éducatives (réflexivité, relation chercheur-praticien, neutralité et impartialité, rapport à la réalité, etc..).

  • Deux objectifs du cours de Master

Les termes « épistémologie », « pratiques », « méthodes », « réflexivité », « preuve », « scientificité » et « nature des sciences humaines et sociales » seront nécessaires dans nos débats. On évoquera les limites, l'utilité sociale et politique, les risques d'instrumentalisation possible, et la place à accorder aux dimensions citoyennes, parfois militantes, du chercheur (sa POSTURE).

1. Placer les recherches en éducation dans un cadre théorique et plus précisément épistémologique, ce qui aide à élaborer une démarche de recherche. On entre ici dans le domaine de l'EPISTEMOLOGIE, terme qui apparaît au milieu du XIXe siècle, à partir du grec epistemé (savoir) et de logos (raison). C'est un discours rationnel sur le savoir, et plus exactement sur comment on sait, on connaît, on comprend (Lecourt, 2001). En nous référant aux travaux de synthèse de Quintin (2013, p.8) à l'attention des master 1 en Sciences de l'éducation, nous définirons les termes EPISTEMOLOGIE, PARADIGME et DEMARCHE de la manière suivante :

L’épistémologie, une branche de la philosophie des sciences, est la théorie de la science et concerne plus particulièrement les méthodes de construction et de validation de la connaissance. Selon Nadeau (1999, p. 209), elle « étudie de manière critique la méthode scientifique, les formes logiques et modes d›inférence utilisés en science, de même que les principes, concepts fondamentaux, théories et résultats des diverses sciences, afin de déterminer leur origine logique, leur valeur et leur portée objective ». Elle conduit à se poser des questions telles « Qu’est-ce que la connaissance ? » (Gnoséologie) ; « Comment se constitue-t-elle ? » (Méthodologie) ; « Comment évaluer sa valeur ou sa validité ? » (Pour plus de détails, voir Pesqueux, 2010)
Selon Kuhn (1962, cité par Raynal & Rieunier, 2003, p. 260), un paradigme représente « un ensemble de croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui sont communes aux membres d’une groupe donné ».
[...] Nous utiliserons le terme démarche dans un sens plus général que celui d’approche pour désigner le « mouvement » générale de la recherche, soit essentiellement déductive lorsque la recherche vise à vérifier une théorie par l’entremise des hypothèses que l’on pose au préalable (démarche hypothético-déductive), soit globalement inductive quand le chercheur participe à la construction de nouvelles connaissances scientifiques en partant des « faits » observés sur le terrain d’étude.

Pour construire des connaissances, trois paradigmes en sciences humaines et sociales se côtoient historiquement, depuis le positivisme d'Auguste Comte à l'approche constructiviste, en passant par le paradigme post-positiviste de Popper (1979). Ce qui différencient ces trois paradigmes, c'est le rapport que le chercheur et sa communauté entretiennent avec la réalité (et ses modes d'appréhension), c'est à dire la manière dont on "découvre" ou on "construit" des connaissances. Plus précisément encore, c'est le rapport à la réalité (relativisme) et au sujet (subjectivisme) qui parait structurer ces différents paradigmes. Il faudra donc, dans nos recherches, adopter un cadre (ou plusieurs en les hybridant, pourquoi pas, comme c'est la cas dans les travaux sociologiques de Morin inscrits dans le paradigme de la complexité) et l'expliciter, car il oriente l'approche du terrain d'enquête et la relation aux sujets (échantillon, proximité, posture de l'enquêteur...).

Des deux paradigmes positivistes découle une démarche de recherche hypothético-déductive, avec la récolte ou collecte de données, mais avec un rapport différent à la réalité, à l'hypothèse et à la théorie scientifique, qu'il s'agit d'infirmer ou de confirmer ("le terrain vérifie"). Dans le paradigme post-positiviste, l'intention est d'établir une loi générale à l'épreuve de la falsabilité ou réfutabilité :

Le principe de « vérificabilité » avancé par les positivistes a été remis en question par Karl Popper (1979) [...] pour lequel il n’est pas possible de vérifier si une théorie est vraie. Il peut toujours exister un cas, non testé, pour lequel la théorie ne « tient pas », quel que soit le nombre de cas étudiés (« peu importe le nombre de cygnes blancs que nous puissions avoir observés, il ne justifie pas la conclusion que tous les cygnes sont blanc » op.cit., p. 23). Seule la « falsifiabilité » d’une théorie la rend scientifique, c’est-à-dire la possibilité de la réfuter par l’expérience des faits. Une théorie n’est donc pas scientifique selon Popper si elle ne peut être réfutée : c’est une idéologie, écrit-il, comme par exemple le marxisme ou la psychanalyse. (In Quintin, 2013, p.15)

Le paradigme constructiviste est associé à une démarche empirico-inductive, avec la production par le chercheur de données et d'un savoir local contextualisé à partir du terrain, puis la tentative de construction d'un modèle théorique de compréhension à confronter à la littérature sur le sujet. Par une approche itérative, le chercheur reformule son questionnement et sa méthode à l'épreuve du terrain, en s'appuyant sur des "informateurs privilégiés". La démarche inductive se réfère souvent à la méthodologie de la théorie enracinée de Corbin et Strauss 2003, cité par Luckerhoff et Guillemette (2017).

Le risque de cette approche est de se noyer dans la masse de données et de s'éparpiller face à des évènements de terrain imprévus. Lahire (2001) propose d'ailleurs une critique de ce paradigme et de l'épistémologie de Luc Boltanski qui donne parfois un poids important aux représentations des acteurs, ce qui risque de dissoudre le réel dans les représentations..


in Quintin, J-J. (2013). Approches et démarches de la recherche en sciences de l'éducation.
Cours de Master 1 Sciences de l'éducation, CNED, Université de Rouen et Université Lyon 2.

Quintin (2013, p. 19) propose un tableau de comparaison dichotomique de deux démarches, en se référant à la nomenclature des recherches quantitatives et qualitatives, dont nous révèlerons les limites plus loin.

2. Dessiner le paysage des recherches sur les pratiques éducatives, ce qui permettra de positionner les recherches envisagées par l’étudiant, et de construire collectivement un débat sur les méthodes et les postures pertinentes en fonction des objectifs visés par l'enquête. La question de la problématisation d'une recherche (Lemieux, 2010) fera l'objet d'une attention particulière.

Plusieurs formes de recherche en éducation coexistent : recherche pédagogique, recherche sur les pratiques, recherche en didactique, recherche sur les fondements et recherche disciplinaire, entre autres champs de recherche en éducation. Ces recherches contribuent autant à définir l'objet des sciences de l'éducation qu'à enrichir la réflexion sur les pratiques. On distinguera la recherche « avec » et la recherche « sur » les pratiques. On réalisera progressivement une carte conceptuelle de ce que sont des recherches sur les pratiques, à partir d’évocations que suscitent les termes « PRATIQUES » (action, activités, pluridisciplinairité, situations…), « ACTEURS » (chercheur, enseignant, éducateur, situations, postures,….) et « ACTANTS » (archives, vidéos,….).

Les recherches sur les pratiques peuvent être expérimentales, collaboratives, qualifiées parfois de recherches actions ou de recherches interventions. A partir d’exemples, nous tenterons d’établir une catégorisation de ces différentes formes de recherches et les méthodes d'investigation associées. On soulignera les différentes échelles d’observation-expérimentation-modélisation de pratiques, et la nécessaire prise en compte des contextes. On distinguera également des descriptions extrinsèques de pratiques, et des descriptions intrinsèques, dans lesquelles le chercheur s’immerge pour raconter en s’appuyant sur le récit des acteurs (les régulations sont différentes entre acteurs et chercheurs). On discute ici des critères de validité et de scientificité des recherches, et de leurs utilités sociales. Ainsi, nous tenterons de définir les spécificités et les attributs des recherches sur les pratiques, en partant de comparaison de recherches, mais aussi par opposition à des recherches qui ne porteraient pas sur des pratiques.

Réaliser un mémoire de recherche : voir quelques consignes ici
ATTENTION : à discuter et aménager avec le directeur de mémoire
Modalités d'évaluation du mémoire : voir la fiche modèle ici -

Bibliographie

Définir l'éducation comme une question socialement vive

L'éducation est une question socialement vive, c'est à dire une question qui mobilise des représentations, des valeurs et des intérêts qui s'affrontent. C'est une question parfois chargée d'émotions, souvent politiquement sensible, intellectuellement complexe, et dont les enjeux sont importants pour le présent et l'avenir commun (Tutiaux-Guillon, 2006, p.119).

  • Tutiaux-Guillon, N. (2006). Le difficile enseignement des "questions vives" en histoire-géographie. In Alain Legardez et Laurence Simonneaux (coord.), L'école à l'épreuve de l'actualité, enseigner les questions vives (pp.119-135), Issy-les-Moulineaux : ESF.

L'éducation est donc à la fois une question complexe et incertaine, expertisée et donc politisée, mais aussi médiatisée et débattue publiquement (Urgelli, 2009).

Le travail d'enquête va tenter d'éclairer ces affrontements de représentations, pour éventuellement en déduire des implications pour l'éducation et la formation. La recherche en éducation, notamment sur les pratiques éducatives, peut donc avoir des implications sur la manière d'agir en situations d'éducation et de formation.




L'éducation, un objet de recherche

L'idée que nous défendons est qu'en devenant éducateur ou formateur professionnel, et donc praticien, il faut être sensible à la manière dont on agit, et donc tenter de conscientiser la posture que l'on adopte sur la scène éducative, pour ne pas en être prisonnier, et ne pas l'imposer malgré soi, à nos publics.

Il s'agit donc de comprendre dans l'action éducative, quelles sont les forces et faiblesses de nos choix éducatifs, et leurs limites. Le travail de la recherche en éducation contribue à éclairer ses questions importantes. L’objectif est de développer des modèles explicatifs des phénomènes et des situations d'éducation et de formation, au plus proche des représentations et des pratiques des acteurs.

On considère que l'éducation est un fait social et que la situation d'éducation et de formation est une relation entre un ou plusieurs individus, parfois de générations différentes, qui vise à transmettre des connaissances mais aussi des valeurs et des pratiques, dans un objectif de socialisation et de citoyenneté, se référant à un programme politique plus ou moins explicite, en accord avec une image attendue, espérée, voire idéalisée de la société de demain (Dewey, 1916). Chaque modèle de société est associé à un modèle politique d'éducation (Meuret et Lambert, 2011).

La relation pédagogique est réglée par un contrat éducatif, certains diront un contrat d'apprentissage ou contrat didactique, qui définit les attentes des uns par rapport aux autres dans la situation construite. Ce contrat, qui devrait être explicite, mais qui reste le plus souvent implicite, est inscrit dans une tradition, une histoire éducative et des systèmes de représentations et de valeurs. Ce contrat définit donc les finalités de la relation éducative. Les non-dits du contrat sont un point important à considérer lorsqu'on est enseignant, chercheur ou formateur, et à éclairer lorsqu’on tente une recherche visant à comprendre la relation éducative.

On a parfois considéré que cette relation était unidirectionnelle, ce qui a conduit à être peu attentif aux représentations et aux attentes des publics à éduquer. Philippe Meirieu insiste sur la prise en compte du principe d'éducabilité : pour que la relation éducative ne soit pas violente symboliquement, mais également physiquement, il faut s'assurer régulièrement que les personnes à éduquer sont prêtes à recevoir, à participer et à collaborer avec l'éducateur. Cela veut dire aussi qu'il faut accepter que la personne à éduquer puisse ne pas être d'accord avec le contrat, les pratiques, les savoirs ou les valeurs de l'éducateur. Il est donc important de considérer que la relation éducative est bidirectionnelle, dissymétrique !

Meirieu (1997) précise que l'éducation est une relation dissymétrique nécessaire et provisoire, visant à l'émergence d'un sujet [...] l'action éducative n'est possible que si elle intègre, tout à la fois, un volontarisme obstiné sur ses moyens et une attention extrême aux espaces de liberté qui permettent à l'éduqué de « se mettre en jeu ».

Pour aller plus loin :

La recherche en éducation tente donc de comprendre les représentations que se font les acteurs impliqués dans une situation éducative particulière, située et contextualisée.

Pour conduire une recherche en éducation, on articule des théories et des méthodes qui permettent de décrire et de comprendre les phénomènes d'assujettissement et de subjectivation (Audureau, 2003), de socialisation et de communication à visée éducative.

Des disciplines comme la sociologie, mais aussi la psychologie sociale sont nécessaires pour comprendre les attentes et les représentations des acteurs, sans oublier l'histoire, puisque cette relation a une dimension sociopolitique, récente et passée, qu'il faut décrire, en lien avec un projet politique, visant souvent la citoyenneté, l'autonomie, la pensée critique et la responsabilité indivuelle et collective, voire l'engagement citoyen (empowerment) et l'émancipation politique des individus à éduquer (sur la pédagogie critique, voir Pereira, I. (2018). Les pédagogies critiques).

Des recherches en éducation : raisons sociales, catégorisations et rapport à la réalité
Conceptualisation des pratiques et Opérationnalisation des théories : mission difficile !

Utiles pour lire et comprendre le réel, éclairer les contradictions et les incohérences entre intentions affichées et les effets probables (par exemple sur l'idéal d'enrolement de tous les élèves et la réussite scolaire), étudier un phénomène précis, le decripter dans sa complexité et on contexte, avec des tendances mais également construire des théories explicatives, des concepts et des modèles, et informer sur la probablilité d'obtenir un résultat.

Améliorer les pratiques et les dispositifs en définissant des conditions de mise en place de pratiques efficaces mais toujours selon les acteurs consultés par les chercheurs, en se référant aux praticiens. Cela pose la question de l'application et de la généralisation de nos travaux de recherche.

Mais les modèles (paradigme éducatif et modèle pédagogique) et les concepts construits (motivation, bien-être, résilience, émotions,...) ne se prêtent pas facilement à la prescription, à l'application pratique et à la généralisation. Les corrélations ne sont pas nécessairement des causalités (par exemple mal-être à l'école et échec scolaire sont liés mais non causales : il ne faut pas oublier la place de la résilience dans cette relation). Les correlations ne sont parfois que des coincidences !

Par ailleurs, le chercheur peut parfois confondre ses idées, ses modèles avec la réalité, qui est bien plus complexe et impossible à saisir de manière complète. Son objectif est de soumettre ses idées aux tentatives de réfutation par ses pairs, et par les données de terrain, pour en éprouver la robustesse, avec modestie et doute organisé.

La recherche n'implique donc pas de prescription : prescription difficile voire impossible, à cause de la variabilité des situations et des contextes socio-culturels et géographiques, de l'adaptatibilité des praticiens et des publics, à cause d'un phénomène social complexe et évolutif, à cause de l'importance des valeurs et des finaltiés éducatives pour comprendre les actions.

Néanmoins, il faut envisager une aide réciproque évidente entre la recherche et la fomation des éducateurs, notamment pour la réflexivité des praticiens (praticien réflexif). Soyons attentif au risque d'instrumentalisation de nos recherches (voir article des Master 2 ERE Spécificités des recherches sur les pratiques et Saussez et Lessard, 2009).

Recherche en éducation :
Quelques points de vigilance méthodique

  1. La relation éducative s'inscrit dans un espace, un lieu, et un moment particulier de l'histoire sociale, mais aussi dans une culture donnée. Il faut donc être attentif à la scène éducative et aux effets de contexte (exemple des effets d'établissement de Cousin (1993)) et à la description de cet espace dans lequel se déploie un jeu contextualisé d'acteurs, d'arguments, de pratiques et de valeurs.
    Cousin, O. (1993). L'effet établissement. Construction d'une problématique. Revue française de sociologie, 34(3), 395-419.
  2. Lors de nos enquêtes, il nous faut donc essayer de comprendre une situation éducative, de la manière la plus nuancée possible, en se méfiant de la tendance à la généralisation, à transformer les corrélations en causalité. Cela suppose donc d'adapter durant l'enquête, et dans la rédaction de son compte rendu, une posture de recherche modeste et prudente, en explicitant clairement les conditions de l'enquête et mais aussi ses limites.
  3. Il y a toujours des biais quand on conduit une enquête, ne serait ce que parce que les acteurs sur lesquels on enquête ont des représentations a priori sur nos intentions d'enquete et la portée sociale et politique de notre travail ! Il faut donc clarifier les objectifs de l'enquête, dès la prise de contact pour réaliser l'enquête. C'est ce qu'on appelle la clarification de posture de l'enqueteur dans l'enquête et face à ses enquêtés.
  4. Il faut donc essayer de se mettre à la place de celui qui reçoit la demande d'enquête, en essayant d'imaginer ce qu'il peut penser a priori de nos intentions et donc clarifier la situation d'enquête. Cela veut dire aussi que dans l'enquête, par entretien, observation ou questionnaire, il faut imaginer quelles pourraient être les représentations a priori et se laisser surprendre par des représentations auxquelles on n'aurait pas pensé... Il faut donc permettre à l'enquêté d'exprimer des représentations, des attentes non pensées par l'enquêteur, à travers un protocole ouvert !
  5. Il faut également s'assurer que la question de recherche choisie, qui découle d'une problématique, n'a pas déjà été traitée de la même façon que vous, ou, si elle a été traitée, quelle est votre originialité ? Pour cela, on peut se servir des plate-formes des revues en sciences humaines comme Cairn, Persée, Erudit, ERIC, etc... avec une recherche par mots clés, à préciser, pour réduire le nombre de résultats obtenus. Lire ensuite les résumés, l'introduction, la conclusion et la bibliographie des articles identifiés, avant d'aller plus loin dans la lecture des articles. Si votre question de recherche a déjà été traitée, on peut choisir de modifier le contexte d'enquête, ou le protocole, pour travailler sur les limites du travail déjà produit, et le nuancer en augmentant la complexité des réponses apportées précedemment.

Limites du paradigme constructiviste : le relativisme et le rapport au réel

Le paradigme constructiviste peut donc se comprendre à partir des notions complémentaires de relativisme et de subjectivisme.

  • Le relativisme spécifie une relativité de perception et d'interprétation, variables selon les observateurs. Olivier de Sardan (2008, p.8) précise que "même si le monde (ou ses « morceaux ») est au sens propre in-connaissable, en dernière instance opaque ou incertain, et philosophiquement inaccessible comme réalité externe, les sciences sociales reposent sur un pari : « malgré tout », le monde peut-être l’objet d’une certaine connaissance raisonnée, partagée et communicable". Il existerait selon lui un "réel de référence" relativement et partiellement connaissable par la recherche scientifique, ce qu'il appelle l'hypothèse réaliste, alors que la paradigme positiviste serait plutot dans une illusion réaliste "qui croît en un accès direct et objectif à ce réel de référence, et oublie que ce dernier est une construction sociale". Si la question de savoir si un réel existe indépendamment de l'observateur est débattu, entre ceux qui considérent qu'il n'existe pas de réalité objective, ceu qui considèrent qu'il existe un réel de référence, et ceui qui ne se prononcent pas, cette question ne remet pas en question les fondements méthodologiques du paradigme constructiviste.

Lahire (2001) insiste néanmoins sur un des risques des approches constructivistes de la réalité sociale qui consisterait à considérer que "la science est une construction discursive de la réalité comme une autre". L'idée d'une "construction sociale de la réalité" peut devenir parfois "le refuge de tous les lieux communs hyper-relativistes, antiréalistes, antirationalistes, antiobjectivistes, a-critiques, idéalistes et souvent antiscientifiques".

"Partant de l’idée selon laquelle la science est une activité sociale de construction de la réalité, [certains sociologues constructivistes] croient pouvoir en déduire logiquement que la science [...] construit une version de la réalité comme une autre, annulant [...] toutes les différences objectivables entre la science, l’opinion, la croyance religieuse, l’idéologie, etc. [...] Ce qui peut conduire vers un scepticisme général sur la valeur égale de toutes les constructions discursives du monde. Les constructions scientifiques reposent sur plus de réflexivité, d’explicitation et de preuves argumentatives et empiriques que n’importe quelle autre construction moins exigeante du point de vue de l’effort de la démonstration. Le « degré de sévérité empirique » [...] que s’imposent les sciences sociales en allant enquêter (sous toutes les formes que peut revêtir l’enquête aujourd’hui, des observations ethnographiques aux grandes enquêtes par questionnaires en passant par l’analyse de documents ou l’enquête par entretiens), en réfléchissant sur les conditions de l’enquête et les conditions sociales de production des « données », etc., est sans commune mesure avec les affirmations convaincues et péremptoires du journaliste-essayiste, du croyant ou du militant. Lahire (2001, p.110)

Limites du paradigme constructiviste : le subjectivisme et le rapport du chercheur aux acteurs, au déclaratif et à la perpeption de la réalité par les acteurs

Si l'approche constructiviste souffre parfois de réductionnisme dans son rapport à la réalité, il en va de même dans sa vision de la relation entre l'enquêteur et les acteurs. Le subjectivisme propre au paradigme constructivisme consiste à considérer que le sens se construit à travers la relation que le sujet observant entretient avec le sujet observé. Ici le chercheur est nécessairement un sujet à part entière de la relation qu'il établit avec les acteurs de terrain (voir Bourdieu, 1993, Comprendre), ce qui s'oppose à la conception positiviste du sujet neutre, en dehors de la relation et ne cherchant à ne pas influencer les acteurs dans sa quête d'une compréhension objective, donc indépendante du sujet pensant :

"Tout se réduirait [...] à de pures croyances ou à de pures représentations : c’est un monde social sans bâtiments, sans meubles, sans machines, sans outils, sans textes, sans institutions, sans statuts durables, etc., dont on nous brosse alors le portrait et dont la réalité est assez improbable". Le programme scientifique de la sociologie est  alors réduit à "l’étude des conceptions (manières de voir, ethnométhodes, constructions symboliques, représentations…) que les acteurs se font du monde social". »[...] " À une classique [...] « sociologie du réel » ([...] statistiques, enquêtes d’opinion, observation des conduites) s’oppose une "sociologie des représentations – imaginaires et symboliques". Pour ne pas faire violence aux acteurs, " on passe purement et simplement de la recherche de la vérité (« véracité externe », « épreuve de vérité ») à celle de la "cohérence interne par rapport aux systèmes de représentations".

Or, pour Lahire, interpréter, c'est nécessairement aller "contre" les acteurs. Il dénonce ainsi le projet de la sociologie pragmatique de Boltanski et revient sur la sociologie de Durkheim :

Luc Boltanski écrit qu’il faut que « nous renoncions à avoir le dernier mot sur les acteurs en produisant et en leur imposant un rapport plus fort que ceux qu’ils sont à même de produire. Cela suppose de renoncer à la façon dont la sociologie classique concevait l’asymétrie entre le chercheur et les acteurs » [...] l’acteur ne doit pas être traité comme un « idiot culturel » (cultural dope), le projet scientifique de rendre raison du monde est conçu comme un projet d’oppression et de domination symbolique : « asymétrie », « imposition », « avoir le dernier mot »…[...] le travail du sociologue consiste en un compte rendu des comptes rendus des acteurs (account of accounts), assimile le « rapport de recherche » du sociologue à « un procès verbal de ces enregistrements, un rapport des rapports» [...] Les nouvelles règles de la méthode sociologique « exigent du sociologue qu’il se maintienne toujours au plus près des formulations et des interprétations des acteurs. Elles visent donc toutes, en dernière analyse, à subordonner le rapport du chercheur à celui des acteurs » [...] . Nous renonçons à présenter notre propre version avec l’intention d’avoir le dernier mot, et nous refusons par là une activité dont l’acteur ne se prive pas. » [...]
On peut dire avec Émile Durkheim que « nous ne pouvons, en aucune manière, pour savoir quelle est la cause d’un événement ou d’une institution, nous borner à interroger les agents de cet événement et leur demander leur sentiment », mais aussi avec Max Weber [...] que les « motifs invoqués […] dissimulent trop souvent à l’agent même l’ensemble réel dans lequel s’accomplit son activité, à tel point que les témoignages, même les plus sincères subjectivement, n’ont qu’une valeur relative», c’est parce que les représentations sont en partie constitutives des pratiques sociales mais ne disent pas ces pratiques sociales [...] (Lahire, 2001, p.102-103).

Dans ce même article, Lahire revient également sur l'idée que la sociologie ne doit étudier que les constructions de sens commun (« représentations »), "en décrivant la façon dont les acteurs, selon les situations, investissent tel ou tel de ces moments pour assurer leur rapport au monde. Ce n’est pas, autrement dit, au sociologue de choisir ses “objets” (dans tous les sens du terme) : c’est à lui de se laisser guider par les déplacements des acteurs dans le monde tel qu’ils l’habitent."

Quid des pratiques sociales effectives dans ces réflexions qui réduisent purement et simplement leurs objets à l’analyse de discours ? Portant exclusivement son regard sur la production de la réalité officielle et publique, le sociologue, obnubilé par le regard légitimiste, en oublie-t-il l’existence de réalités non dites et non perçues à travers les différents discours « officiels » ? À trop vouloir quitter le terrain d’étude des populations, des situations sociales vécues, des conditions d’existence, pour se concentrer exclusivement sur la manière dont une partie de ces situations, de ces conditions ou de ces expériences sont perçues, constituées comme problématiques et portées jusqu’au faîte de la reconnaissance publique, les sociologues peuvent finir par ne pas voir l’exclusion qu’ils opèrent d’une immense partie de la réalité sociale qui n’est pas la réalité des institutions et actions publiques. Sans s’en rendre compte, certains sociologues ont ainsi politisé leurs objets de recherche [...] au sens où ils concentrent leur attention exclusivement sur la scène publique et politique. La reconstruction et la sociogenèse des formes officielles de perception et de représentation du monde social ne doivent conduire le sociologue ni vers un légitimisme consistant à n’étudier que ce qui est officiel dans le monde social (même pour en montrer le caractère historique), ni vers un déconstructivisme qui laisserait le lecteur devant le néant après l’entreprise de déconstruction de la réalité sociale". (Lahire, 2001, p.106).

Pratiques déclarées et pratiques effectives

Laurent Talbot (2012, p.138) précise à propos des recherches sur les pratiques déclarées dans les entretiens, versus les pratiques effectives:

[…] peu de recherches dans le domaine s’intéressent à ce qu’il est fait réellement en classe. Elles portent généralement sur les pratiques déclarées par les enseignants comme le souligne Tupin (2003) et non sur les pratiques enseignantes effectives. Les méthodologies de recueil de données utilisées restent bien souvent inadaptées à une perception fidèle et fine des phénomènes étudiés, car la plupart du temps, on recourt uniquement à des entretiens ou des questionnaires. L’observation in situ est généralement délaissée pour diverses raisons, essentiellement parce qu’elle s’avère chrono-phage et difficile à mener en termes de demandes d’autorisations diverses, d’utilisation de matériel et de traitement des données.

Virginie Albe (2009, p. 189) ajoute les commentaires suivants, qui sont révélateurs d'une tendance de la recherche collaborative sur les pratiques :

Attention aux modèles d’inspiration mentaliste qui privilégient l’intention de l’enseignant pour expliquer son action, comme la théorie du comportement planifié de Ajzen (1991) […] nous nous sommes jusqu’à présent centrée sur les intentions, propositions d’enseignement et pratiques déclarées d’enseignants, les considérant comme des éléments qui participent de significations accordées par les enseignants aux activités en jeu. Nous privilégierons les pratiques effectives et la conception de situations d’enseignement étayées par la recherche. De telles situations d’enseignement peuvent également servir d’espaces de théorisation des processus d’enseignement et d’apprentissage […] afin de développer une modélisation selon un processus itératif.

Recherches empiriques en éducation :
la nécessité d'une mixité des approches

La typologie ci-dessous a été proposée par Quintin (2013, p.38) en inspirant des travaux de Christian Depover (2009) sur les méthodes et outils de recherche en sciences de l’éducation. Elle mobilise un cadre de lecture se référant aux intentions des chercheurs et à la démarche employée, en lien avec un cadre épistémologique positiviste (recherches expérimentales hypothético-déductive sur des populations nombreuses) ou constructiviste (recherches inductives ancrées sur des situations de terrain, se référant parfois à la méthodologie de la théorie enracinée (MTE) de Corbin et Strauss, 2003,). Il est rappelé qu'en sciences humaines et sociales, la tendance à la polarisation et à la dichotomie dans la (re)construction de la réalité, en l'occurence ici des recherces empiriques en éducation, aboutit à une simplification de la réalité et à des généralisations abusives. Les acteurs, qu'ils soient chercheurs ou non experts, hybrident et complémentent souvent leurs représentations, leurs pratiques et les dispositifs, ce qui pousse à considérer la catégorisation, et l'effort de modélisation associé, avec prudence, nuance et humilité. Les approches inductives "qualitatives" sont souvent complétées par des approches hypothético-déductives "quantitives" (et vice et versa), pour aboutir à une compréhension plus fine du processus éducatif étudié.

Cadre éthique et déontologique pour une recherche en éducation et en sciences sociales

Talbot (2004) précise que "le praticien, le formateur et le chercheur ne travaillent pas sur le même registre. Cependant, il ne s’agit aucunement d’établir une échelle de valeur dans les différentes fonctions mais de souligner leurs différences de nature. Finalement c’est la question de la rencontre et des échanges qui est posée. Elle renvoie à des problèmes de légitimité, de consentement, d’éthique et de déontologie".

Gagnon (2001) montre que l'éthique de la recherche dans les sciences sociales ne se situe pas aux pourtours de la recherche, dans la manière de la conduire, mais dans l'objet même de la recherche et dans son interprétation. De cette idée, il tire deux conclusions : 1) les principes et les règles de l'éthique biomédicale s'appliquent mal à la recherche en sciences sociales, et ce sont les sciences médicales qui auraient plutôt à apprendre des sciences sociales ; 2) ici comme ailleurs, le positivisme donne congé à l'éthique, en se satisfaisant d'une déontologie.

Cadres théoriques et méthodiques pour des recherches en éducation
Sociologie critique ou sociologie pragmatique ?
Comprendre la configuration sociale (N. Elias) et la rationnalité individuelle (R. Boudon)

Faire une recherche en science de l'éducation, c'est entrer dans un champ qui s’intéresse aux logiques d'engagement des acteurs et aux conditions d'existence de la relation éducative. Le but est donc de lever le voile, de manière méthodique, sur des représentations et des pratiques, pour essayer de les catégoriser, d'en mesurer les conséquences sur l'action éducative des individus, et sur son efficacité, en tant que processus culturellement situé, visant à transmettre des connaissances, des valeurs et des pratiques à travers des jeux d'acteurs et d'arguments (Chateauraynaud, 2014 (en sociologie) ou Sensevy, 2011 (avec la théorie de l'action conjointe en didactique)).

Paradigme éducatif et modèle pédagogique


Un modèle pour analyser la pédagogie...

avec un paradigme contemporain...


et un paradigme idéal, à venir ?

Exercice : le modèle éducatif finlandais : A partir du visionnage de l'extrait du documentaire Demain, 2015 (durée 10 min, de 1h40min à 1h50min) et du modèle théorique qui définie une pédagogique (voir Urgelli, 2019), définir le modèle pédagogique de cette école finlandaise de la banlieue pauvre de Helsinki.

Etudier l'éducation comme un fait social :
quelles cadres sociologiques ?

Corcuff (2017) propose de faire un point sur les nouveaux paradigmes qui se sont développés dans la discipline sociologique depuis le début des années 1980 et l'entrée dans la crise économique et le chômage de masse, ainsi que par l'arrivée au pouvoir de libéraux durs tels que Ronald Reagan aux Etats-Unis et Margaret Thatcher au Royaume-Uni, cette dernière ayant d'ailleurs successivement nié l'existence de la société (« There is no such a thing as society ») et affirmé une vision fataliste de l'action politique (en martelant son fameux « There is no alternative »). Son panorama s'articule autour d'une opposition centrale dans la constitution de la sociologie : celle entre individuel et collectif, l'un de ces couples conceptuels légués par la philosophie, avec idéalisme/matérialisme ou sujet/objet. Selon lui, les « nouvelles sociologies » ne dépassent pas entièrement les approches plus classiques du holisme et de l'individualisme méthodiques, mais, en ouvrant de nouvelles voies, perdent aussi une partie des apports de chacun. Pour l'auteur, la discipline évolue par déplacements de son regard. Le socillogue est un artisan intellectuel qui avec rigueur et imagination, rapproche des idées que personne ne croyait compatible, loin du grand théoricien ou du technicien étroit. Il prend appui sur un patrimoine professionnel mais avec ouverture d'esprit, loin des conformismes, avec une culture scientifique et littéraire.

1. Le sujet et l'objet : Bourdieu, en 1980, definit l'objectivisme comme le projet d'établir des régularités (lois, relations, structures,...) indépendantes des consciences et dee volontés individuelles. On tente de montrer des liens entre les dimensions objectives et subjectives du monde social, entre ce que font et vivent les acteurs dans l'action et le pinr de vue de l'observateur, avec mise en place d'une réflexivité du chercheur vis à vis de sa propre relation à l'objet, de ses présupossées théoriques, ses limitations méthodiques, les effets de ses insertions sociales, les interactions en jeu avec les acteurs observées, etc. Pour Weber (1904), la réalité sociale ne peut être connue qu'en faisant des présupposés anthropologiques sur la condition humaine, sur les émotions, sur les comportements. Cette part anthropologique du regard scientifique reconnait un part etrascientifique qui oriente le regard et délimite donc le domaine de validité des connaissances produites, en s'effroçant de porter un regard sur ces propres présupposés dans la discussion scientifique et en utilisant des modèles inteprétatifs qui utilisent d'autres présupposés et d'autres hypothèses anthropologiques.

Pour Bonneuil et Joly (2013), L'objectivité a une histoire. Loin d'être une norme intemporelle de la science moderne, elle est née à la croisée d'une nouvelle exigence de scientificité et d'une nouvelle configuration de la société. L'objectivité scientifique pose comme connaissance la plus fiable celle où l'idiosyncrasie (tempérament personnel) et la subjectivité de l'observateur sont les plus réprimées [Daston, 1992 ; Daston et Galison, 2007]. Cette objectivité est loin d'avoir toujours constitué la norme de la production de savoirs légitimes. Ainsi, au XVIIIe siècle, la virtuosité d'un savant capable de convaincre en produisant des phénomènes et des arguments que ses opposants ne peuvent égaler était fréquemment valorisée, la culture scientifique ayant alors partie liée avec une culture de cour, une culture spectacle, une culture nobiliaire. Et, lorsque le terme « objectivité » entre dans la philosophie, notamment avec Kant, il n'est pas encore paré d'une valeur épistémique supérieure. L'objectivité n'émerge comme norme scientifique que dans le deuxième tiers du XIXe siècle lorsque la professionnalisation de l'activité de recherche dans l'appareil d'État et l'industrie (et non plus comme activité de cour, de gentilhomme) et l'accroissement de la taille des communautés scientifiques donnent un poids moindre aux qualités personnelles et aux liens interpersonnels pour se convaincre de la valeur du travail d'un collègue. S'affirment alors de nouvelles conventions de confiance, plus impersonnelles, renforcées par le développement des statistiques, de la photographie et des appareils auto-enregistrants, qui convergent vers l'affirmation de la posture d'un savant qui s'effacerait derrière une nature supposée « parler » toute seule et se révéler identiquement à tout observateur impartial. Une nouvelle norme de preuve, une nouvelle posture savante émergent donc en même temps que se transforment les conditions sociales du travail scientifique et le statut du savoir scientifique par rapport aux autres formes de savoir".

2. Le collectif et l'individuel : Pour Durkheim, le collectif ou le social dépasse l'individu et lui impose des manières d'agir et de penser par son autorité. Pour comprendre un fait social, il faut s'intéresser aux faits sociaux précédents, et non à l'état de conscience des individus (holisme méthodique). Mais si on estime à l'inverse que pour comprendre un fait social, il faut reconstruire les motivations des individus en considérant qu'elles vont s'agréger pour former et expliquer le phénomène, le collectif est alors envisagé comme le résultat d'activités individuelles, par agrégation et composition (individualisme méthodique). Cette sociologie individualiste postule la rationalité des individus dans leur choix. Ou plutot les rationalités si on se réfère aux travaux de Raymond Boudon dans sa théorie générale de la rationalité.
Le relationnisme méthodique est une troisième voie : il suppose que le social n'est pas le résultat d'éléments antérieurs ou nouveaux, mais un système de rapports qui construisent une réalité sociale. Cette sociologie relationniste et constructiviste s'intéresse aux relations sociales, aux processus historiques et aux usages sociaux. C'est cette explication sociologique que porte Jean Piaget en 1965.

3. Les sociologues relationnistes :

Le courant relationnaliste, dont le paternité reviendrait à Norbert Elias, avec la notion de « configuration » et la métaphore de la société comme un jeu d'échec, met l'accent sur les relations sociales plutôt que sur les individus ou la totalité sociale. S'il demeure des « points aveugles » dans la théorie d'Elias, comme son historicité ou la distinction entre interdépendance et interaction sociale, force est de constater que sa pensée continue d'irriguer celles des chercheurs actuels, à commencer par le champ de l'analyse des réseaux sociaux. On s'intéresse donc aux relations entre individus, aux interactions, aux relations de dépendance entre individus qui forment des structures sociales, et construisent des univers objectivés supports des individus et des phénomènes sociaux. L'individuel et le collectif sont donc traités dans un même cadre. Les réalistés sociales sont considérées comme des constructions historiques et quotidiennes des acteurs individuels et collectifs. Ces ralités sont prises dans un double mouvement d'extériorisation de l'intérieur subjectivié, et d'intériorisation de l'extérieur objectivé. il y a ainsi la construction d'une réalité sociale (J.-P. Sartre, 1986). Mais attention, il ne s'agit pas de dire qu'une maison construite n'existe pas et que ce n'est qu'une représentation de la réalité ! Il s'agit de penser que c'est une construction humaine qui n'a pas toujours été là. on s'interroge sur ce qui est donné. C'est une nouvelle forme de réalisme. Nous ne sommes pas dans le constructivisme subjectif et le monde des objets constitue des contraintes et des points d'appui pour l'action.
  • 3a. Les structuralistes : Pierre Bourdieu (1930-2002) met en avant l'ambiguïté du monde social, simultanément contraignant et construit par les agents sociaux. Cette sociologie de l'action est tournée vers la pratique et la réflexivité, mais elle est critiquée surtout par la « complication » du rapport entre action et réflexivité liée à la trop grande cohérence prêtée au concept de l'habitus. Si on considère comme Bourdieu qu'il existe des structures objectives indépendantes des individus qui orientent leurs pratiques et leurs représentations, on entre dans le constructivisme structuraliste. Il y a une genèse sociale des actions et des pensées, des habitus, dans le cadre de strcutures sociales que Bourdieu appelle champ. Cette sociologie de l'action suppose l'eistence de deux postures : celle de l'observatuer qui disserte sur l'action, et celle de l'agent qui agit dans une logique pratique qui fait partie de l'habitus. Il parle de sens pratique qui s'exerce dans l'action et en situation, face à des problèmes pratiques. Cette logique pratique permet à l'agent d'économiser de la reflexion et de l'énergie dans l'action. Cependant, contre le risque d'intellectualisme des individus, Bourdieu recommande la réflexivité pour saisir les logiques d'action, avec une travail d'auto-socio-analyse de son rapport à l'objet, lié à son parcours personnel, à sa place dans le champ intellectuel, etc. Il faut donc s'interroger sur les relations enquêteur-enquêté dans les analyses, mais également sur l'horizon politique de nos travaux.
    Le sociologue Philippe Roqueplo (1974, p.16-17), dans son ouvrage Le partage des savoirs, précise que l'horizon politique qu'il donne à sa thèse c'est une lutte contre l'idéologie de la compétence qui empécherait un authentique partage des savoirs dans notre société. Cet horizon disparait dans le suite de l'ouvrage et ainsi n'organise pas la démarche d'enquête et son interprétation. Pour Roqueplo, l'explicitation de l'horizon politique en début d"ouvrage permet de situer la démarche et d'en manifester l'enjeu. Néanmoins cet horizon demeurant trop hypothétique et controversé, il ne peut servir de principe théorique de l'analyse : ce genre de procédé ne convaincrait que les convaincus. Roqueplo préfère effectuer une analyse aussi indépendante que possible par rapport à l'horizon politique qui la motive et la situe. Au sein de l'analyse elle-même, on va alors
    faire progressivement réapparaitre cet horizon.
  • 3b. Les interactionnistes : citons Garfinkel, Goffman, Callon, Latour... Avec des investigations sur des actions situées, sur les interactions en situation, qui constituent un ordre, une régularité, une concordance visible dans les phénomènes sociaux, on considère que la réalité des faits sociaux est objective par l'accomplissement d'activités concrètes de la vie courante. Les phénomènes sociaux deviennent alors disponibles à la réflexivité et à la thématisation par les individus. Il y a ici aussi risque d'intellectualisme des individus, sachant qu'il peut y avoir des logiques d'action qui ne sont pas réfléchies, par économie de réfléivité de la pratique en situation. Pour Cicourel, les membres d'un groupe ou d'une société créent des méthodes et des théories propres pour intégrer la réalité micro et macro : ils transforment des micro-évènements en macro-structures. Il prend en compte les aspects interactionnels dans la notion d'habitus de Bourdieu et dans l'action située.

    STRUCTURES SOCIALES
    INTERACTIONS
    collectives
    <========================================>
    individuelles
    objectives

    subjectives


  • 3c. La théorie de l'acteur-réseau (notamment dans la sociologie des sciences) : partant du programme fort de Blooor et des travaux Social studies of science, on estime ici qu'au delà de la vérité et de la raison, la science se construit en incluant d'autres dimensions. Un fait scientifique est construit par un travail discursif et intellectuel mais également dans un contexte comprenant des dispositifs qui sont ensuite oubliés. Calloon et Latour suivent les acteurs dans leurs activités et les regles du jeu qui sont rediscutées, avec des jeux de traduction de leurs langages, de leurs intérets et de leurs identités dans le langage des autres. On observe des stratégies en concurrence, des confrontations dans des épreuves de force, un travail de mobilisation et d'enrolement, l'élaboration de dispositifs d'intéressement,, avec des systèmes d'alliance et d'associations d'acteurs, avec des porte-paroles. Les sociolgues tentent ainsi de comprendre les réseaux d'alliance et leurs stabilisations apparentes par des pratiques quotidiennes et des dispositifs. En 2001, Callon introduit la notion de forum hybride autour des controverses marquées par l'incertitude, qui marque la naissance d'une démocratie dialogique et critique en actes. La théorie de l'acteur-réseau permet de redéfinir le social et de saisir des connexions inattendues, notamment en contexte d'incertitudes, pour explorer er construire un monde commun (Latour, 2006). Pour Simonneaux et al., 2017, se référant à Callon (1990) et Latour (1989, 2007), dans cette théorie, le monde ne doit pas être pensé en termes de groupes sociaux, mais en termes de réseau d’acteurs. Le social est appréhendé […] par les interactions successives d’actants hétérogènes. Les acteurs - appelés actants – peuvent être humains ou non humains. Un actant est identifié par ses actions performatives, autrement dit des actions qui font exister un nouvel état de la controverse. La forme du réseau est déterminée par les actants et leurs interactions. Cette cartographie permet de clarifier les arguments, intérêts, alliances et oppositions des actants, et les relations transitoires qui sont à la fois matérielles (entre les choses) et sémiotiques (entre concepts). Il y a cependant le risque de réduire la science à des rapports de force et de conviction, et de dissoudre la question de la vérité scientifique, par principe de symétrie généralisée, en niant les rapports de raison. Il y a donc un risque de relativisme vis à vis de la notion de vérité. Notons également que les logiques scientifiques ne sont pas toujours et seulement liées à des logiques politiques.

4. Le courant individualiste :

En 1980, deux sens sont pretés à la notion d'individu : il s'agit de l'agent présent dans toute société (individuation) ou de l'être de raison, le sujet normatif des institutions (individualisation). il est considéré comme singulier, individualisé ou pluriel, en rapport avec ces deux définitions du mot individu. De Bourdieu à Lahire, on va considérer les individus comme sociaux et pluriels et la notion d'habitus évolue : d'un système de dispositions durables et transposables, on parle progressivement d'habitus déchirés, en contradiction, contre soi-même (Bourdieu, 1997). Lahire parle d'habitus individuel pluriel. il y a une dissonance des singularités liée à la plurisocialisation des individus. Lahire (2004) parle de variations individuelles des comportements sociaux. Certains chercheurs ont donc investi le champ de la pluralité interne des individus, soit, comme Bernard Lahire, en mettant en lumière la multiplicité des dispositions au sein de chaque individu, soit, à l'instar de Luc Boltanski et Laurent Thévenot, en pointant la pluralité des « régimes d'action ».

5. La sociologie pragmatique (ou sociologie des épreuves)

Le sociologue critique Durkheim, E. (1897), dans La conception matérialiste de l'histoire (Revue philosophique, XLIV, 645-651), considère "féconde cette idée que la vie sociale doit s'expliquer, non par la conception que s'en font ceux qui y participent, mais par des causes profondes qui échappent à la conscience : et nous pensons aussi que ces causes doivent être recherchées principalement dans la manière dont sont groupés les individus associés." Ce cadre théorique sociologique (d'inspiration positiviste) se distingue de celui de la sociologie pragmatique, d'inspiration constructiviste, qui consiste à analyser des actions situées et évoquées par les acteurs eux-mêmes pour identifier des logiques de justification et d'action.

On pourra se référer aux travaux de Boltanski et Thevenot (De la justification en 1991 et De la critique en 2009). Bolltanski (1991) et Thevenot (2006) se placent en rupture avec Bourdieu à la fin des années 1980, avec une sociologie centrée sur l'action, sur les régimes d'action et d'engagement. On s'intéresse aux rapports entre personnes, à l'ajustement aux choses, aux situations et au personnes, au cours de l'action située. On suit les acteurs en situation pour comprendre le monde à travers les sens ordinaires qu'ils donnent aux actions pour s'ajuster au monde ou le mettre en cause. On apprenhende donc l'action en situation et on développe des modèles d'action régionaux et non généraux. Il y a donc des régimes pluriels d'action et d'engagement, et un pluralisme anthropologique sous-jacent. C'est une micro-sociologie mais on identifie des logiques d'action en situation, et de justification, plus générales, à la charnière entre micro et macro, dans un espace micro-sociologique. Selon les auteurs, les formes de justification correspondent aux 6 grandes métaphysiques politiques qui se sont développées au long de l'histoire de nos sociétés (voir Jacquemain, M. (2001). Les cités et les mondes selon Luc Boltanski, en ligne). On s'interesse aux logiques d'argumentation qui se révèlent à travers les conceptions différentes du bien, de la justice, etc. On aboutit alors à identifier des modes d'engagement familier, fondé sur des relations de proximité, des modes d'engagement planifié (on se projete dans l'avenir et on calcule), mais également des modes de justifications publiques (action justifiable et régime de "dispute en justice"). Ce sont des modes d'engagement du plus intime au plus public.

Notons que dans cette sociologie, la globalisation est cependant limitée. Il y a également des impensés parce qu'elle ne traite pas des dispositions des individus comme chez Bourdieu et Lahire, et qu'elle reste dans une critique interne et située. Une autre limite de ce modèle est probablement liée au fait que l'impératif de justification n'épuise pas le réalité sociale.

Selon Charlène Ménard (Lexique de sociologie pragmatique, communication interne, 2017), trois points caractérisent le cadre méthodique et empirique de ces auteurs, un cadre valable dans le monde occidental moderne :

Le discours des acteurs est considéré comme digne de confiance. Selon Boltanski &Thévenot, les personnes ont un regard sur le monde, elles ne se réduisent pas à leur rôle ou leur statut mais ont une réflexion sur leur position, leur action. Les actions et les justifications des personnes sont donc à prendre au sérieux. La sociologie pragmatique souhaite dépasser le clivage sens commun / sens savant. [...] Il prend en considération les compétences critiques des acteurs, c’est-à-dire leur capacité à avoir un regard critique et interprétatif sur leurs actions.
Le social est visible dans le conflit. Lorsque « tout va bien », il n’est pas possible de comprendre les mécanismes du social, c’est seulement lorsqu’il y a un problème, un conflit, que les logiques d’action deviennent visibles, tout comme c’est seulement quand une voiture tombe en panne qu’on peut comprendre comme le moteur fonctionne. Lorsque les personnes se confrontent à une épreuve, à un conflit, elles doivent alors justifier leur action. C’est dans l’observation de la justification de leur logique d’action par les acteurs que le sociologue se place pour comprendre le social.

La sociologie pragmatique se détache de la sociologie critique qui considère que l’acteur est soumis à des déterminismes sociaux dont il n’a pas conscience et qui orientent son action. Le sociologue critique doit lever le voile sur et décrire une réalité inaccessible aux acteurs, alors que le sociologue pragmatique ne considère pas son regard en surplomb de celui de l’acteur, mais cherche à comprendre les processus de catégorisation des acteurs, au plus près de leurs expériences.

En sociologie pragmatique, la situation est l’unité de base (et non pas l’acteur de la sociologie critique). La situation est l’ensemble des interactions qui vont avoir lieu à partir d’un point de départ : l’épreuve. L’épreuve est le conflit, la dispute, l’événement qui va amener les êtres à entrer dans une logique de justification, d’argumentation jusqu’à la clôture de la situation (compromis, arrangement, relativisation). Toutes les épreuves ou les disputes ne mettent pas forcément en place une situation de justification des acteurs (certaines se réduisent à un simple rapport de force violent). La sociologie pragmatique suppose néanmoins que les disputes en justice (faisant appel à une argumentation selon des principes de justice) sont les plus fréquentes. Les acteurs qui interviennent dans la situation peuvent être à la fois humain ou non humain. Dans la catégorie des non-humains sont regroupés les objets, les dispositifs. Enfin, dans la justification, les personnes font appel à des principes supérieurs communs, des principes de références, c’est-à-dire des arguments dépassant leurs intérêts personnels et faisant référence à ce que Boltanski & Thévenot identifient comme des principes de justice qui renvoient à des logiques politiques prégnantes dans notre société occidentale, et française particulièrement.

Comme le précise Lemieux (2010, p.46 et p.48), les approches d’inspiration ethnométhodologique ou pragmatique mais aussi, par exemple, de l’approche boudonienne en termes de « bonnes raisons » de croire à des idées fausses, invitent le chercheur à envisager que les explications non sociologiques ou profanes du monde social ont un fondement dans la pratique des acteurs – fondement qui devient, dès lors, un objet de l’enquête. Les explications profanes n’apparaissent donc pas se perpétuer seulement parce qu’elles sont régulièrement validées collectivement en dépit de leur fausseté scientifique mais encore, et plus fondamentalement, parce que se reproduisent des pratiques collectives qui continuent à donner à de telles explications une évidence et un ancrage « naturel » et rationnel. [...] Certains sociologues ont pour habitude de se plaindre de ce que les explications qu’ils produisent ne sont jamais entendues, reprises et acceptées par les acteurs qu’elles concernent. C’est qu’ils n’abordent la question des explications profanes qu’en termes d’obstacle épistémologique, c’est-à-dire qu’en tant qu’ils y voient des idées fausses du point de vue sociologique – la « résistance » des acteurs aux explications « vraies » devenant dès lors un signe de leur irrationalité. Étudier en quoi l’organisation des pratiques sociales attache politiquement et moralement les acteurs à des explications profanes, du simple fait qu’elle rend ces explications beaucoup plus « naturelles » et « évidentes » que les explications « vraies » du sociologue, est une attitude plus conforme à l’ambition de la sociologie, ne serait-ce que parce qu’elle n’oblige pas à attribuer aux acteurs plus d’irrationalité que le chercheur n’est prêt à s’en attribuer à lui-même.

6. Les configurations sociales (courant relationniste)

Quelque soit la représentation de la vie sociale et de faits sociaux, qu'on soit sociologue critique ou sociologue pragmatique, l'éducation étant considérée comme un fait social, il y a l'idée que l'on va s'intéresser à ce que Nobert Elias appelle des configurations sociales (voir Ducret, 2011). Selon Ducret, se référant aux sociologues allemands Max Weber et Norbert Elias, les individus ne flottent pas dans le vide, mais ils sont toujours pris dans un tissu de relations avec autrui, l’« action réciproque » (Wechselwirkung) des uns par rapport aux autres permettant d’expliquer pourquoi, dans telle ou telle situation, ces individus en viennent à se comporter les uns vis-à-vis des autres de cette façon, et pas d’une autre. On assimile alors la reconstruction des causes susceptibles d’expliquer le comportement de l’individu à la restitution des raisons, bonnes ou fortes, qui l’animent.

[...] la solution alternative à une approche quantitative, à la vision des sociétés comme accumulation d’individus originellement isolés, n’est pas tant de rechercher les qualités de ces sociétés que de déterminer leurs structures, c’est-à-dire les structures ou les configurations formées par les êtres humains. Le terme de "structure" ne sied d’ailleurs guère aux êtres humains. Il est plus commode de parler de configurations d’êtres humains, par exemple de la configuration mouvante que forment deux équipes de joueurs sur un terrain de football » (Elias & Dunning, 1994, pp. 60-61).
« Le processus du jeu est précisément une configuration mouvante d’êtres humains dont les actions et les expériences s’entrecroisent sans cesse, un processus social en miniature. L’un des aspects les plus instructifs de ce schéma est qu’il est formé par les joueurs en mouvement des deux camps. On ne pourrait suivre le match si l’on concentrait son attention sur le jeu d’une équipe sans prendre en compte celui de l’autre équipe. On ne pourrait comprendre les actions et ce que ressentent les membres d’une équipe si on les observait indépendamment des actions et des sentiments de l’autre équipe. Il faut se distancier du jeu pour reconnaître que les actions de chaque équipe s’imbriquent constamment et que les deux équipes opposées forment donc une configuration unique » (Elias & Dunning, 1994, p. 70).

La configuration sociale, qui peut d'ailleurs pour Elias imprégner et marquer durablement les individus (ce qui rejoint probablement la notion d'habitus de Bourdieu), et se perpétuer dans le temps, en fonction des attentes et des espoirs des agents, conduit à donner comme objectif à l'enquête d'identifier la cohérence des comportements des agents, c'est à dire les logiques d'action et de justification de l'action, et de caractériser ainsi la configuration sociale dans laquelle ils évoluent.

La notion de « dynamique de groupe » prend ici un sens nouveau en se centrant, non sur les interactions observables au sein de chaque équipe, mais bien sur les interdépendances de l’ensemble des joueurs les uns par rapport aux autres « en tant qu’ils forment ensemble une seule configuration en tension » (Elias & Dunning, 1994, p. 265). En définitive, cette configuration en acte que donne à voir le match de foot illustre à merveille, aux yeux de Norbert Elias, les processus d’agrégation et de régulation sociale observables dans d’autres domaines que le sport. [...] le sociologue privilégiera « une approche configurationnelle de l’étude des tensions et des conflits » (Elias & Dunning, 1994, p. 265) qu’il observe. Dans les diverses situations qu’il analysera, il se refusera néanmoins à donner le primat au conflit plutôt qu’à la coopération, tous deux définissant au même titre l’un que l’autre la vie sociale.

Mais si cette vision des jeux d'acteurs et de la dynamique de groupe n'est pas sans rappeler la vision de Chateauraynaud des jeux d'acteurs et d'arguments en situation de controverses, Elias prend ici de la distance avec une sociologie pragmatique centrée principalement sur l'étude des controverses.

Cette sociologie de la configuration de Norbert Elias est simple mais les difficultés empiriques sont nombreuses. Selon Nathalie Heinich (1997, p.105, dans La Sociologie de Norbert Elias, paru aux Éditions La Découverte), le modèle exige une radicale reconversion des habitudes mentales sur le terrain de l'enquete et une méthode rigoureuse pour penser en termes de configuration sociale. Le concept de configuration ne se résume pas à celui d’« interaction », un terme « qui ne rend pas compte de l’interpénétration des expériences et des actions des individus, car il est trop étroitement associé au modèle traditionnel de la société conçue comme une simple unité cumulative, composée d’individus humains initialement isolés » (Elias & Dunning, 1994, p. 70).

La première observation que formulent nos deux auteurs porte sur le recours aux statistiques dans une perspective « configurationnelle ». Elle peut être nécessaire mais non suffisante, dans la mesure où les individus ne sont pas isolés et ne sont pas des variables indépendantes les unes des autres. Par exemple établir la morphologie sociale d'un quartier afin de mettre en lumière, par exemple, des différences au niveau de l’emploi ou du revenu, s’avère nécessaire, mais cela ne suffit pas pour expliquer la manière dont les uns et les autres se perçoivent réciproquement : On ne pouvait les expliquer au moyen de procédures destinées à mesurer des "facteurs" ou des "variables", comme si chacun d’eux existait et variait indépendamment de toute la configuration sociale – bref, au moyen de procédures fondées sur le postulat implicite que les phénomènes sociaux sont des combinaisons de variables comparables aux combinaisons de particules atomiques, selon l’un des principaux modèles établis par les spécialistes des sciences de la nature » (Elias & Scotson, 1997, pp. 74-75). Les représentations des individus, leurs attitudes et leurs croyances, ne se sont pas formées indépendamment les unes des autres. Les opinions, lorsqu'elles existent sur un sujet donné, se forgent au contact des autres, dans la communication (voir l'émergence des représentations sociales selon Moscovici, S. (1989), Des représentations collectives aux représentations sociales : éléments pour une histoire). Les représentations individuelles sont le résultat d'intéractions et d'interpénétrations d'actions et d'expériences. Certains individus n'ont ainsi pas d'opinion sur un sujet donné, étant donné la configuration sociale dans laquelle ils évoluent.

les opinions de chacun [...] ne se formaient donc pas isolément ; elles étaient le résultat d’un échange continu d’opinions au sein de la communauté, les individus faisant peser les uns sur les autres de multiples pressions afin que chacun se conformât, dans ses paroles et sa conduite, à l’image commune de la collectivité (Elias & Scotson, 1997, p. 76).

Si l'enquête veut tenter de saisir l'insertion des répondants dans une configuration sociale au sein de laquelle se forment leurs opinions, l'entretien et le questionnaire sont donc insuffisants car ilns ne conduisent qu'à des variations individuelles sur les croyances et attitudes, alors que ce que l'on souhaite comprendre c'est la façon dont se constituent, se transmettent, se perpétuent et se transforment les représentations collectives. Pour Elias, il faut donc avoir recours à plusieurs techniques sur le terrain, l'observation participante permettant dans la durée de mieux apercevoir sur quelles configurations sociales reposent les représentations collectives identifiées par entretiens et questionnaires individuels. Il faut donc approder le terrain avec une approche synoptique ou encore approche synthétique.

Face à la complexité de la réalité sociale et face à son objet d'étude, le sociologue ne peut se contenter de le décomposer en autant de dimensions différentes qu’il y a de variables susceptibles d’expliquer pourquoi il se présente sous tel aspect et non sous tel autre. Une procédure de type « analytique » ne suffit pas en sociologie, non seulement parce que les variables à prendre en compte prolifèrent à mesure que le regard s’affine, mais surtout [...] parce qu'on ne saurait réduire les configurations sociales à un simple agrégat de variables dépendantes et indépendantes, les unes expliquant la variation des autres (Ducret, 2011).

Puur Elias, la société est donc un agrégat de configurations sociales que l'on peut comprendre à travers un regard combinant à la fois une approche analytique et synoptique, dans une perspective englobante. Pour le sociologue, il s'agira de déssiner des modèles de configurations, montrant « comment les individus font bloc, comment et pourquoi ils forment ensemble cette configuration particulière, ou comment et pourquoi les configurations ainsi formées changent et, dans certains cas, se développent » (Elias & Scotson, 1997, p. 79).

  • Elias, N. (1993). Engagement et distanciation. Contributions à la sociologie de la connaissance, traduit de l’allemand par Michèle Hulin, Paris : Éditions Fayard.
  • Elias, N. & Dunning, E. (1994). Sport et civilisation. La Violence maîtrisée, traduit de l’anglais par Josette Chicheportiche et Fabienne Duvigneau. Paris : Éditions Fayard.
  • Elias, N. & Scotson, J.L. (1997). Logiques de l’exclusion. Enquête sociologique au coeur d’une communauté, traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat. Paris : Éditions Fayard.

Problématiser
Mettre en énigme ce qui apparait comme "naturel" et normal

  • voir le texte : Lemieux, C (2010). Problématiser. In Serge Paugam (dir.), L'enquête sociologique (pp. 27-51). Presses universitaires de France, coll. Quadrige Manuels.

Elieth P. Eyebiyi écrit en 2010 : Une fois le sens commun neutralisé, si on peut s'exprimer ainsi, le défi suivant pour le sociologue se révèle être celui de problématiser. Cyril Lemieux se penche sur cette question pour montrer que les questions à poser sont finalement plus importantes que les réponses à en attendre, car ce sont elles qui soulèvent les véritables problèmes à étudier. Pour lui d'ailleurs, « l'esprit de la sociologie [...] n'est ni spéculatif, ni purement descriptif, mais critique » (p.29), faisant de la discipline un art puisque le génie du sociologue serait alors de pouvoir poser les bonnes questions, des questions contenant véritablement un problème éligible pour la recherche, à partir des réalités concrètes. La construction de l'objet est en effet un point nodal dans la recherche et permet au chercheur de ne point s'égarer au cours de la vérification empirique. Il sait alors de quoi il parle et on le sait avec lui.

Comment les sociologues s’y prennent-ils pour mettre le monde social en énigme ? La recette est pratiquement toujours la même. On peut la décomposer en quatre étapes :

  1. s’emparer d’une croyance partagée ou d’un constat reconnu relatifs à l’objet qu’on entend étudier ;
  2. en tirer une série d’inférences logiques ou d’énoncés prédictifs ;
  3. faire apparaître un ou plusieurs éléments empiriques qui contredisent les inférences logiques ou les prédictions qu’on vient de tirer ;
  4. se demander comment, si les croyances partagées ou les constats reconnus relatifs à l’objet sont vrais, ces éléments empiriques peuvent exister.

L’incapacité à discriminer entre un nombre indéfini de questions, et la poursuite illusoire d’un idéal d’exhaustivité constituent ainsi les symptômes les plus remarquables de l’absence de problématique. Un autre symptome de l’absence de problématique est le fait que la réalité que le chercheur va décrit l'est toujours sous un jour lisse et sans aspérités, alors même qu’elle comporte des aspects conflictuels – car ceux-ci seront appréhendés comme « naturels » ou fonctionnels. Un tel lissage ou naturalisation de la réalité sociale témoigne de ce que les contradictions qui font la trame du réel n’ont pas été repérées et que, par conséquent, le sociologue ne dispose, au moment de lancer son enquête, d’aucun levier pour dénaturaliser les réalités sociales qu’il cherche à étudier. Mais la situation est loin d’être irréversible et désespérée : les contradictions peuvent être appréhendées chemin faisant et donner lieu, alors, à la formulation rétrospective d’une problématique réelle. Tel est sans doute le processus de la recherche le plus fréquent.

Lorsqu'aucune énigme n’a été posée et que l’objet, de ce fait, n’a pas pu être construit sociologiquement (cas des questions descriptives), l’enquête empirique se présente comme un simple exercice de recueil d’informations visant à être le plus complet possible, et non pas comme un impératif technique lié à la recherche systématique d’une explication. [...] une enquête empirique est une nécessité appelée par la production d’une problématique authentique et par la construction d’un objet, dans la mesure où ceux-ci exigent une réponse qui ne peut pas aller de soi – une réponse, autrement dit, qui ne peut pas être déduite du cercle des faits déjà connus.[...] l’enquête empirique, si elle s’avère effectivement nécessaire, ne constitue jamais une fin en soi mais seulement un moyen – le seul disponible – pour trouver à l’énigme qui a été posée, une réponse satisfaisante scientifiquement (p. 50-51)

Enquêter : La production de matériaux d'enquête

Conduire une recherche, c'est produire des matériaux d'enquête. Cependant, contrairement à ce que l'on croit, les matériaux d'enquête ne se trouvent pas dans la nature, dans le réel, mais sont construits par le chercheur. Ce sont donc des constructions humaines qui répondent à des règles précises, et qu'il faut être capables d'expliciter pour permettre aux lecteurs et aux évaluateurs de comprendre comment ils ont été produits, et d'en juger la part de subjectivité et d'objectivité. Dans le compte rendu de la recherche, on précisera les limites de ces matériaux, c'est à dire ce qu'ils montrent, mais aussi ce qu'ils ne permettent pas de montrer et d'affirmer, sachant encore une fois que les recherches résultent d'un choix subjectif. Elles comportent des limites à expliciter clairement.

Critiquer la distinction entre matériaux quantitatifs et qualitatifs, mixer les approches sans les hiérarchiser

Plusieurs manuels de méthodes de recherche distinguent les matériaux d'enquêtes qualitatives et quantitatives. Le qualitatif s'adresserait plutôt à de petits échantillons pour une compréhension plus fine du phénomène étudié, et inscrite dans la logique de la découverte par induction (paradigme constructiviste), alors que le quantitatif permettrait une approche expérimentale et statistique, plus représentative d'une population mère, à partir d'un échantillon d'enquêtés plus grand. L'approche quantitative serait inscrite dans la logique de la vérification (Mucchielli, 2004), d'inspiration positiviste.

Cette façon de voir les approches en recherche est simpliste, puisqu'en faisant de la "recherche qualitative" à partir d'entretiens, on peut tout à fait conduire à une recherche quantitative sur les mots employés, ou le sens des phrases (analyse lexicale ou semiotique, comme le réalise par exemple Patrick Charaudeau (2015) dans son ouvrage collectif : la laïcité dans les médias). A l'inverse, en faisant une recherche quantitative avec des questionnaires, à partir de questions ouvertes, il est également possible de développer une approche qualitative et indutive faisant émerger, par l'ancrage de terrain, des typologies. Il est donc nécessaire de ne pas s'enfermer dans cette vision binaire simpliste des méthodes de recherche.

La tendance moderne en sciences humaines est de combiner des approches à la fois qualitative et quantitative. Par exemple, on peut faire des entretiens et découvrir des tendances sur une dizaine d'individus, puis vouloir tester leur représentativité sur plusieurs centaines d'individus, à l’aide d’un questionnaire. A l'inverse, on peut partir d'un questionnaire sur cent ou mille individus, pour repérer des positionnements statistiques significatifs, puis tenter d'en comprendre plus finement et de manière plus nuancée, les logiques à partir de quelques entretiens individuels. Il faut penser préalablement la façon de faire, les avantages et les inconvénients de l’articulation des méthodes, mais aussi par quoi commencer (entretiens puis questionnaire ou l'inverse ? entretiens collectifs puis individuels ou l'inverse ? quelles sont les limites de notre choix ?).

Certains classent dans le quantitatif les corpus d'enquête contenant des questionnaires sur un grand nombre d'individus, des corpus d'entretiens sur plusieurs sites ou des données chiffrées. Dans le qualitatif, on retrouve alors les entretiens correspondant à une étude de cas, les observations sur le terrain, mais aussi les analyses de bulletins officiels (analyse de discours de politiques publiques). Je proposerai plus loin une autre typologie des recherches, indépendante du rapport à la quantification et à la mathématisation statistique des analyses.

Sur recherche quantitative et recherche qualitative, voilà ce que me précisait le didacticien Jean-Claude Régnier dans une communication personnelle le 2 mars 2017 :

[...] comme tu le sais déjà, je ne partage pas du tout cette dichotomie et ses caractéristiques [...] je ne développe jamais ce point que je critique. Les deux dimensions quantitative et qualitative sont toujours présentes. [...] Cette vision stéréotypée associant l'enquête par questionnaire au quantitatif et l'enquête par entretien au qualitatif génère un solide obstacle didactique (au sens de la didactique des mathématiques). Les traitements et leurs modèles actuels ne se conforment pas à ces dichotomies : exemple des traitements de données textuelles qui permettent de faire des requêtes efficaces avec les moteurs de recherche, les analyses des données de masse, etc. et les raisonnements logiques, probabilistes et statistiques qui sont utilisés.

Une proposition de catégorisation des recherches en éducation

Je propose volontiers de distinguer les approches en fonction de leurs rapports aux situations vécus par les acteurs. Quelque soit le nombre d'acteurs mobilisés, je distinguerai les approches in situ (en situation, par observation, plus ou moins participante et collaborative, voir l'article de Heinich, 2009 sur comment observer une commission) et les approches par le déclaratif des acteurs à propos de leurs intentions et/ou de leurs pratiques (entretien individuel, focus group, questionnaire,...mais également analyse de discours éducatifs publiques (programmes officiels, manuels scolaires, albums de jeunesse,....). Il s'agirait de mixer ces approches pour une compréhension fine et complexe des réalités éducatives.

La complémentarité des approches et des recherches

Rappelons ici les propos de Quintin (2013, p.28) : En sciences humaines et sociales en particulier, une recherche isolée est toujours une oeuvre inachevée. Elle ne prend tout son sens que dans un ensemble plus vaste de recherches qui, dans un champ d’étude déterminé, concourent, par des résultats convergents, à dégager d’abord et à consolider ensuite des tendances [...] les recherches qui sont conduites les unes après les autres afin de conforter [ou éprouver] une théorie [...] n’adoptent pas nécessairement la même méthodologie [...] c’est bien souvent à partir de recherches méthodologiquement différentes que les tendances, un jour esquissées, sont progressivement consolidées ou écartées. [...] L’approche par triangulation vise à conforter les résultats d’une recherche en multipliant les méthodes utilisées (diversité méthodologique), les chercheurs impliqués (diversité des points de vue) et les sources de données (diversité des données) [...].

Comme le précise Olivier De Sardan (2008, p.79-80), il s'agit de recouper les informations, toute information émanant d'une seule personne devant être vérifier. Il est donc nécessaire à la fois de se reconnaitre et de s'accepter comme un chercheur de l'ombre s'appuyant sur les épaules d'autres chercheurs, avec l'espoir qu'une méta-analyse, nécessairement inscrites dans des temps longs, viennne confirmer ou réfuter la tendance. Soyons cependant vigilant aux programmes de recherche en éducation basé et piloté sur la preuve.

Bien entendu, cette description est un peu simplifiée. La réalité est plus complexe. Mais cette pyramide des niveaux de preuves est un outil qui permet de s’y retrouver en première approximation. Face à un sujet présenté comme controversé dans les médias, il faut systématiquement se demander « quel est le niveau de preuve ? » (rarement indiqué par les journalistes). Le bon réflexe est de ne pas se laisser envahir par l’émotion et les témoignages, ne pas se laisser impressionner par l’affirmation souvent assénée selon laquelle « une étude nouvelle dit que » et se demander s’il existe une littérature de synthèse sur le sujet, si les agences sanitaires ont examiné la question et éventuellement si, à l’échelle internationale, elles émettent des avis convergents. Bien entendu, cette méthode n’est pas infaillible, mais elle constitue la meilleure boussole disponible.

Certes, les agences sanitaires sont imparfaites, il y a des biais, des erreurs, parfois des cas de corruption (voir article ci-dessous). Mais ceci doit nous inciter à revendiquer un renforcement de la transparence et de la qualité de l’expertise, et non pas à discréditer l’expertise en général et le principe d’une mission de service public de l’expertise en particulier.

 

Comment établir la vérité sur les médecines alternatives ? Lesquelles sont efficaces, lesquelles ne le sont pas ? Lesquelles sont sûres et lesquelles sont dangereuses ? Ce sont des questions que les médecins se sont posées pendant des millénaires face à toutes les formes de thérapie qu’ils pouvaient mettre en œuvre. Mais ce n’est que récemment qu’ils ont adopté une approche qui leur permet de séparer l’efficace de l’inutile, le sûr du dangereux. Cette approche, appelée Evidence Based Medicine (Médecine Basée sur les Preuves) a révolutionné la pratique de la médecine, transformant une discipline où régnaient incompétence, et souvent charlatanerie, en un système de soin de santé qui délivre des miracles tels que transplanter un rein, opérer les cataractes, combattre les maladies infantiles, éradiquer la variole et sauver littéralement des millions de vies chaque année.

Evaluer la fiabilité et la validité d'une recherche (in situ ou déclarative)

Pour évaluer la qualité d'une recherche, ces deux exigences sont à respecter.

La validité correspond à une exigence de qualité de la recherche, en termes d'outils, de données, d'analyses et d'interprétations. C'est à la fois la qualité de démarche et de la prise d'informations mais également la capapcité à généraliser les résultats de la recherche.

Des biais se glissent souvent dans l'effort d'analyse, d'interprétation ou dans la recolte de données comme par exemple le biais de désirabilité sociale qui affecte la qualité des données. Dans cet exemple, au cours d’un entretien, les réponses d’un sujet peuvent être influencées par le désir, souvent inconscient, de se présenter sous un jour favorable ou à apporter des réponses que le sujet imagine conformes aux attentes de l’interviewer (Qunitin, 2013, p.30). La validité d'une recherche d'évalue également par la possibilité de généralisation des résultats à d'autres représentants de l'échantillon étudié, à d'autres situations ou d'autres contextes.On parle de la validité externe dans le cadre épistémologique positiviste et de validité écologique chez les tenants de l'approche inductive (proximité entre la situation étudiée et toutes celles que l'on pourrait rencontrer sur le terrain).

La fiabilité se réfère à la possibilité de dupliquer la recherche et d'aboutir à des résultats similaires. Elle se réfèreà la récolte des données, aux outils et méthodes utilisées; notamment le codage de l'analyse dont on peut tester la fiabilité par l'inter-codage par des chercheurs indépendants.

Concernant les recherches reposant sur l'analyse statistique de données nombreuses (données d'observation in situ ou données déclaratives), la volonté de « généralisation » des résultats à un ensemble plus vaste de situations ne peut s’effectuer que si des conditions strictes ont été respectées durant l’étude. Qunitin, 2013, p.23) précise que outre le respect des conditions statistiques inhérentes à l’analyse de données quantitatives, la méthode doit permettre :
• de discuter de l’échantillon et de sa représentativité de la population vers laquelle on veut généraliser les résultats ;
• de discuter d'effets possibles des variables autres que celles étudiées et susceptibles d’agir sur le phénomène analysé ;
• de garantir la validité et la fidélité des méthodes et données récoltés ou construites par le chercheur.

Pour être plausible (dans les données récoltées et/ou construites) et crédible (dans les analyses et les interprétations proposées), une recherche in situ doit respecter trois conditions inter-reliées et propres à une démarche compréhensive : 1. l'immersion dans le contexte pour interpréter de manière fine et complexe les représentations et les pratiques des acteurs ; 2. le détachement du contexte pour une analyse objectivée des situations, des discours et des pratiques observées ; 3. le questionnement de ses propres interprétations et conclusions par un retour constant à son matériel d'enquête (Quintin, 2013, p.27, citant Olivier de Sardan, 2008 et Charmillot et Dayer, 2007).

EXERCICE : Voici les résumés de trois recherches sur les pratiques de communication (De Cheveigné, 1997) et sur les pratiques d'éducation (Morrissette, 2011), qu'il s'agit de catégoriser (cadre épistémologique, démarche, méthodes, rapport à la généralisation,...) et d'en évaluer la qualité en termes de fiabilité et de validité :

Résumé de l'article 1 : Cet article rend compte d’une étude en réception auprès du grand public d’émissions scientifiques à la télévision française. Les interprétations différentes que l’on rencontre sont liées à l’image qu’ont les personnes interrogées de la légitimité de la télévision comme source de savoir et au souvenir qu’elles gardent de l’école. Il apparaît ainsi qu’il n’y a pas une façon idéale de parler de la science à la télévision, mais que le mode d’énonciation doit être adapté au public que l’on souhaite atteindre.

de Cheveigné, S. (1997). La science médiatisée : le discours des publics. Hermès, La Revue, 21, 95-106.

Résumé de l'article 2: Les scientifiques français manifestent une grande ambivalence pour la communication de leurs travaux dans les médias. Trois visions fort différentes de la vulgarisation ont été rencontrées lors de l’étude présentée dans cet article : transmettre des résultats, décrire la démarche des scientifiques ou rassurer le public que l’on pense effrayé. L’unanimité se fait néanmoins pour critiquer la présence de chercheurs à l’écran. On aperçoit par moments une certaine inadéquation entre ces positions et les souhaits du public.

de Cheveigné, S. (1997). La science médiatisée : les contradictions des scientifiques. Hermès, La Revue, 21, 121-133.

 

Résumé de l'article 3: Cette contribution vise à rendre compte d’une avancée méthodologique réalisée dans le cadre d’une recherche doctorale qui a documenté les « manières de faire » l’évaluation formative des apprentissages de cinq enseignantes du primaire. La prise en compte de l’interaction entre les participantes lors des entretiens de groupe, effectuée à partir d’une thématisation du contenu discursif ainsi que d’une analyse de conversations, a en effet permis de dégager un cadre d’analyse susceptible d’éclairer différentes pratiques professionnelles. Ainsi ont été dégagés des conventions d’une culture professionnelle à partir des« manières de faire partagées », des routines et théories-en-usage singulières à partir des « manières de faire admises » et des accords pragmatiques qui montrent comment des praticiennes s’« arrangent » au quotidien avec certaines contraintes institutionnelles ou pressions sociales à partir des « manières de faire contestées ». Cette avancée méthodologique est donc tributaire de la posture interactionniste assumée dans le cadre de cette recherche.

Morrissette, J. (2011). Vers un cadre d’analyse interactionniste des pratiques professionnelles. Recherches qualitatives, 30 (1), pp. 10-32.

Une posture du chercheur face au principe de réfutabilité

Un devoir d'humilité s'impose au chercheur, pour deux raisons : 1. sa recherche est soumise au principe de la réfutabilité, la publication de son travail ,'étant pas une fin en soi, mais le début d'un processus d'expertise collective ; et 2. sa recherche étant isolée et les résultats étant relatifs au contexte et au méthodes de l'enquête, elle est donc nécessairement lacunaire. Comme le précise De Ketele et Maroy (2006, p.224) :

puisque la recherche est un processus qui se construit dans un temps très long et qui se fait autant par de nombreuses et minutieuses études très vite oubliées que par de rares études qui deviendront célèbres, il importe de reconnaître l’importance de ces chercheurs de l’ombre et de leurs travaux. C’est en grande partie grâce à eux et à leurs travaux que certains chercheurs et certaines études pourront être distingués et passer à la postérité.

De Ketele, J.-M., & Maroy, C. (2006). Quels critères de qualité pour les recherches en éducation ? Dans L. Paquay, M. Crahay, & J.-M. De Ketele, L’analyse qualitative en éducation. Des pratiques de recherche aux critères de qualité (pp. 219-249). Bruxelles: De Boeck Universités.

Schématisation de la démarche de recherche
Attention à la non-linéarité et à l'itération des étapes


Deslyper, R., 2018, Université de Lyon.

Dans une recherche, avant l'étape de la problématisation, il est nécessaire de faire un état de la question, par un revue de littérature visant à préciser ce qui a été traité sur le sujet et tout ce que nous savons déjà, mais aussi et surtout les points aveugles ou controversés des recherches.

En préparant l'enquête, nous émettons des hypothèses explicatives en réponse à notre problématique, mais nous oublions forcément des hypothèses probables et plausibles. Il faut donc être capable de se laisser surprendre par de nouvelles hypothèses qui émergeraient du terrain, en laissant la possibilité aux enquêtés d'exprimer d'autres raisons. Il fait donc laisser la possibilité aux enquêtés d’exprimer un positionnement explicatif non prévu par le chercheur, probablement par des questions ouvertes.

Signalons enfin que le travail de recherche peut aussi avoir un volet portant sur l'implication de la recherche pour l'éducation et/ou la formation, au delà de l'objectif de modélisation des positionnements, des représentations et des pratiques éducatives.

Exercice : préparer un diaporama avec le canevas suivant :
voir aussi recommandations pour la rédaction d'un mémoire de recherche

  • Title (and subtitle) of your program
  • Your personal reasons, your position and your involvement in your program
  • Nature of your research on the Education field (optional slide)
  • Questions of reseach, and hypotheses (pre-supposed answers)
  • Goals of your research (production of knowlegde, confirmation of tendancies, understanding of being and practices, for action and political implications)
  • Method(s) of investigation, limits of your methods
  • References

1. Comprendre et approcher la complexité du réel par questionnaire

Le questionnaire est un outil qui peut paraitre assez simple à réaliser, mais qui est imparfait. Il est tellement imparfait qu'il est important de dire ce qu'il ne permet pas de faire ressortir, et donc de préciser les limites de ce matériel.

Un questionnaire est considéré comme une série de questions posées à un échantillon d'individus, avec un nombre de questions qui induira un taux de réponse et de retour plus ou moins important. Les questions que l'on pose portent souvent sur des pratiques, des représentations, des valeurs, des opinions, des croyances, des faits.

On prévoit généralement une partie sur les caractéristiques socioprofessionnelles de la personne (âge, la profession des parents, situation familiale, lieu de naissance et de scolarité des 5 dernières années, nombre d’années d’expérience dans la profession, parcours de formation...). L'anonymat est une règle de base du questionnaire.

Dans l'analyse des questionnaires, il faudra être vigilant, et distinguer les corrélations qui ne sont pas nécessairement des liens de causalités (effet cicogne, voir aussi le site Spurious correlation) !

Echantillon et échantillonage :

On appelle « échantillon » l'ensemble des individus interrogés. Cet échantillon est pris à partir d'une population de référence (ensemble des individus a priori concernés). L'idée du questionnaire est de déduire les propriétés de la population à partir d’un échantillon représentatif de cette population. On dira qu'un échantillon est représentatif quand on a choisi des individus de telle manière que tous les autres membres de la population mère auraient eu la même probabilité de faire partie de cet échantillon d’enquête. Lorsque l'on a une grande population et que l'on tire au hasard des individus, ces derniers sont d'autant plus représentatifs de la population qu'ils sont assez nombreux.

Il existe deux modes d’échantillonnage : aléatoire (sélection au hasard) ou probabiliste. Lors de la sélection aléatoire, parfois incontournable, il y a des biais. On est souvent contraint à travailler sur des échantillons biaisés, c'est à dire que les individus choisis ont eu une probabilité plus forte de faire partie de l’échantillon que leurs homologues de la population de référence. Ces biais peuvent être liés au fait que :

  • les individus ont été choisi sur la base du volontariat
  • l'enquêteur les a choisi lui-même, en ayant des a priori
  • on a choisi les enquêtés à l'aveuglette,
  • en demandant à celui qui répond de faire suivre à des proches (corpus construit en boule de neige)

Il peut arriver que l'on applique des coefficients pour réajuster l'échantillon interrogé et le faire coller à la population réelle. Par exemple si notre échantillon comporte un 50% hommes et 50% femmes, alors on peut redresser l'échantillon en appliquant des coefficients pour correspondre à la population mère qui contient par exemple 48% d'hommes, et 52% de femmes.

Les non réponses au questionnaire doivent être traiter statistiquement, mais aussi en s’interrogeant sur les raisons probables, possibles de ne pas répondre. En effet, on ne peut pas forcer quelqu'un à répondre, et il y a souvent des raisons à la non réponse. On peut alors questionner en complément, par entretiens individuels, les pourquoi de la non réponse.

La structure du questionnaire

Il faut en 10-15 lignes, au début du questionnaire, se présenter et expliciter les intentions de recherche du questionnaire. Préciser également que les résultats sont anonymés et recueillis seulement à des fins de recherches. On peut également demander « Accepteriez-vous un entretien ? ». Et en question ouverte, à la fin « Avez-vous quelque chose à ajouter ? ».

Une question pertinente est une question qui a du sens pour celui à qui on la pose. Elle est donc souvent une déclinaison de la question de recherche brut. Les mauvaises questions sont celles où l'on ne découvre rien de particulier, et celles pour lesquelles les individus répondent tous la même chose. Il faut aussi se méfier des questions où les individus répondent pour faire plaisir au chercheur, en s'imaginant ce qu'il attend.

On distingue souvent 2 familles de questions : les questions de fait (demande d'information sur une pratique), et les questions d'opinion, qui portent sur le sens d'une conduite. Les questions d'opinion permettent d'avoir accès à des valeurs et des représentations, et une tentative d'objectivation des représentations en comparant l'ensemble des réponses de l'échantillon.

  • Question de fait : Combien de livre lisez vous par an ?
  • Question d'opinion : Pensez vous que ceci est juste ?

Questions ouvertes ou fermées ? Elles ont leurs avantages et leurs inconvénients.

Dans tous les cas, il faut faire des tests du questionnaire pour ajuster les questions avant de le distribuer, pour voir si les termes sont compris et compréhensibles, et si les hypothèses ne sont pas trop restreintes. Il est judicieux de mettre une case « autre » et « ne se prononce pas ».

En ce qui concerne la forme des questions, il faut se méfier des risques de manipuler plus ou moins consciemment les réponses des enquêtés. Il faut poser la question de sorte à ne pas influencer la réponse. Eviter les doublers négations. voir les exemples de Rémi Deslyper, 2018.

RETENONS : Avec le questionnaire, on va donc échantillonner une population de référence de manière aléatoire ou de manière probabiliste, pour interroger indirectement les pratiques et les représentations de l’échantillon, les personnes n'étant pas en présence. On couple des questions fermées et des questions ouvertes pour laisser la possibilité aux enquêtés d’exprimer une vision à laquelle nous n’avions pas pensé. On est en général plutôt dans une logique de vérification d’hypothèses. Mais on peut aussi être dans une logique de découverte avec des questions ouvertes.
Le questionnaire est un outil qui demande des tests de préparation, en amont de sa diffusion, et qui demande aussi un texte de présentation de quelques lignes pour préciser les intentions de la recherche. Plus il y a de questions, et moins le taux de retour est important. La tendance actuelle est de coupler les questionnaires à des entretiens individuels d’explicitation, portant sur les personnes interrogées par questionnaire, ou d’autres individus de la population mère. Dans cette optique, il peut donc être intéressant de prévoir dans le questionnaire un espace pour une question du type : « accepteriez-vous un entretien d’une trentaine de minutes ? ».
Le texte de cadrage est important : on y précise les intentions de recherche, le fait que le travail est conduit dans le cadre d’une recherche académique, que la confidentialité sera respectée, mais aussi qu’il ne s’agit pas d’une évaluation. Il n’y a pas de rapport hiérarchique entre l’enquêteur et l’enquêté.
On cherche donc un rapport de confidence, de proximité et de confiance. Il est intéressant de préciser dans le questionnaire, et dans l’entretien, que notre objectif est de comprendre et de produire des connaissances sur les pratiques et les représentations, afin de déconstruire des idées reçues, d'identifier des potentielles innovations ou de tester les conditions de leur diffusion.

2. Comprendre et approcher la complexité du réel par l’entretien

« A partir de la diapo 95 » du diaporama de Rémi Deslyper (2018) :

Imbert, G. (2010). L'entretien semi-directif : à la frontière de la santé publique et de l'anthropologie. Recherche en soins infirmiers, 102(3), 23-34.

Les entretiens individuels peuvent être libres (sous la forme d'une discussion), semi-directifs ou directifs. Il ne faut pas négliger la partie libre, en fin d’entretien, avec des questions comme : "vous auriez quelque chose de plus à dire ?" Dans l’entretien semi-directif, on a un guide d’entretien qui précise les thématiques que l’on veut aborder (en général entre 4 et 6 grandes thématiques pour éviter des entretiens trop longs, fatigants et trop larges). L’entretien est aussi un recueil d’information subjective, qui vise à comprendre des représentations et des pratiques mais aussi des systèmes de valeurs et de croyances.

Il est parfois d’usage de conduire des entretiens exploratoires. Cela permet de caler un guide d’entretien, et d’avoir quelques idées du sens que les questions font pour l’enquêté. Ils permettent aussi de travailler nos premières hypothèses.

Trois conseils pour comprendre et apprendre de l'autre et sur l'autre

il est recommandé d’avoir un guide d’entretien thématique, c’est-à-dire de noter les thématiques à aborder, et une ou deux questions importantes par thématique. Les questions complémentaires pour comprendre précisément viendront naturellement, après les réponses de l'enquêté, et en ayant toujours en tête l'objectif qui est celui de comprendre les logiques d'action, d'engagement et de justification de l'enquêté. Le risque de faire trop de questions est de manquer la posture d’écoute et d'interaction empathique, et donc de passer à côté de la compréhension profonde des logiques de l’acteur.
Autre conseil : en sortant de l’entretien, il faudrait reprendre les thématiques du guide, sans réécouter l’entretien, et travailler à partir de nos souvenirs, pour rédiger une page sur ce que l’on peut retenir, ce que l’on a appris, ce qui nous a surpris, ce qui nous dérange, et ce qui reste obscur. Encore une fois, Comprendre est le mot clé qui doit guider ce compte rendu « à chaud », d’environ une page, et dans lequel on pourra indiquer également des souvenirs d'expressions marquantes employées par l'enquêté.
Attention également à préciser le contexte de l’entretien, c'est à dire le contexte d'énonciation et de réalisation, en détail : lieu, heure, ambiance générale, impression sur la personne, notre rapport à elle, et d'elle à nous, selon nous, etc..

La posture du chercheur dans l'entretien, entre paragisme positivisme et constructiviste ?

  • Voir Haas, V. & Masson, E. (2006). La relation à l'autre comme condition à l'entretien. Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 71,(3), 77-88.
  • Voir l'article aussi Pierre Bourdieu (1993), « Comprendre », dans La misère du monde. Bourdieu explique comment créer avec les enquêtés une relation de proximité qui permette de récupérer des connaissances et des discours le plus authentiques possibles. Dans cet article, il parle de la posture de l’enquêteur et de la violence symbolique qu'il peut exercer malgré lui. Attention à ne pas oublier qu'un enquêteur n’est pas un évaluateur, ni un juge, ou un journaliste, etc. Son rapport et son contrat de travail avec l’enquêté est spécifique. Les questions de caractéristique d’identité de l’enquêté sont importantes, et en les plaçant au début de l'enquête, avant d’entrer dans les questions de recherches, elles permettent de construire lentement une relation de proximité, avant que l’entretien en lui-même ne commence.

Le but de l’entretien est de comprendre la personne, et d’entrer dans la complexité de ses pratiques et de ses représentations, en évitant le piège de la catégorisation abusive et de la généralisaiton. Même si cette catégorisation est inévitable dans un premier temps, ce qui est nécessaire, c’est d'entrer dans la complexité de cette catégorisation, en nuançant les positionnements des acteurs.

Le postulat dans les entretiens, et en sociologie pragmatique plus généralement (courant de recherche théorisé par Boltanski et Thévenot dans leur ouvrage De la justification (1991), puis De la critique (2009)), c'est que ce sont les enquêtés qui ont le savoir que l’on cherche à découvrir. Ils détiennent la clé de compréhension que l'on cherche à découvrir. Ce sont eux qui vont nous apprendre et nous permettre de comprendre. Ce sont donc des producteurs de connaissances. En entretien, on entre donc dans une relation de co-construction des connaissances. Il est nécessaire de s’assurer que ce que nous avons compris correspond bien à ce que les enquêtés ont voulu dire. La solution la plus efficace est de reformuler devant l’enquêté ce qu’il a dit, pour être sûr de partager la compréhension de ses propos ("en fait, si je comprends bien..." et on reformule).

Lahire (2001) a vivement critiqué cette représentation construcitiviste de la relation entre chercheur et enquêté (voir ci-dessus la critique du subjectivisme), rappelant que l'acteur ne donne accès qu'à une partie de la réalité et plus exactement une partie de sa réalité, biaisé par ailleurs par l'analyse de déclarations éloignées des pratiques effectives. L'effort d'interprétation doit rester le travail du chercheur et le recours à des méthodes d'investigation complémentaires, entre études in situ et études déclaratives.

Validité scientifique des entretiens

Selon Mucchielli (2004), le respect de 5 critères permet de garantir le niveau de scientificité de notre travail d'enquête :

  • L’acceptation interne : entre l’enquêteur et l’enquêté, il y a un engagement, une compréhension et une acceptation partagés des objectifs de l’enquête.
  • La cohérence interne : dans le traitement des données, dans les analyses, dans les interprétations, on est capable de justifier les choix réalisés tout au long de l’enquête. Cela permet aux lecteurs et aux évaluateurs de saisir la logique de l’enquête mais aussi ses limites.
  • La confirmation externe : les analyses et les résultats sont soumis à d’autres enquêteurs pour objectiver par l’intersubjectivité : « moi je vois ça.... est-ce que toi, tu le vois comme ça, tu l’interprètes autrement ? » Comme le rappelle Guillaume Laigle (communication personnelle en mai 2017) : plus la critique s’amenuise, plus le travail tend vers une naturalisation, et non vers l'objectivité ! C'est justement la critique et la réfutation qui permettent de tendre vers l’objectivité, grâce à une articulation raisonnée mais toujours provisoire de l'intersubjectivité.
  • La tentative de complétude : on essaye de produire des explications et des compréhensions les plus complètes possibles, avec des nuances et de la complexité, mais toujours avec un souci de parcimonie explicative.
  • La recherche de la saturation : c’est-à-dire que l’apport d’informations complémentaires n’est pas nécessaire pour mieux comprendre le processus étudié. La saturation s’obtient au fur et à mesure de l’enquête, lorsqu’au bout d’un nombre X d’entretiens, on se rend compte que ce sont globalement, et à quelques nuances près, les mêmes informations qui reviennent.

Je rajoute généralement un 6eme principe, celui de la clarification de posture de l'enquêteur vis à vis de la question à traiter et de la population enquêtée, et mais également la clarification de son horizon politique (Roqueplo, 1974). Il s'agit de permettre au lecteur de mesurer d'éventuels biais d'interprétation liés à l'engagement et à la subjectivité de l'enquêteur. Il s'agit également de garantir que les résultats de l'analyse sont à la fois plausibles, crédibles et fiables, et qu'ils ne contribuent pas à convaincre que les convaincus !

Dans l’entretien compréhensif (Kaufmann, 2001 ; Hass & Masson, 2006), il est conseillé d'adopter une posture qui repose sur 3 postulats :

  • Les enquêtés détiennent des connaissances qui ne sont pas irrationnelles, et on essaye de saisir leurs logiques. Les valeurs, les représentations et les savoirs des enquêtés nous intéressent.
  • Les phénomènes sociaux, et les relations éducatives plus particulièrement, peuvent être comprises par la recherche.
  • La relation d’enquête suppose un effort d’empathie pour comprendre. On essaie de se mettre dans la logique de la personne enquêtée. Il faut accéder au sens des acteurs, et à leur logique d'engagement et de justification, avec de l’empathie.

Il faudra préciser dans le mémoire, de manière clair, qu’on ne cherche pas la généralisation à partir de quelques entretiens compréhensifs. Mais attention, cela ne veut pas dire que ce n’est pas scientifique ! Ce n’est pas parce que ce n’est pas généralisable que ce n’est pas scientifique ! Ne confondons pas une étude de cas et une méta-analyse qui n'ont pas le même niveau de preuve ! C’est pourquoi il est important de préciser le contexte de l’enquête et le chemin réalisé par le chercheur pendant son enquête. Il faut expliciter les choix et les décisions pour remettre les résultats dans leur contexte, et ne pas leur faire dire plus que ce qu'il est possible dans la situation particulière étudiée.

Le travail de catégorisation à partir des entretiens :

Dès le deuxième ou troisième entretien, on commence à faire des catégories en se posant les questions suivantes : Quel est le phénomène, la logique qui apparait plusieurs fois ? Quel est le phénomène, la logique qui apparait moins fréquemment, et mérite-t-il d'être classé dans une catégorie à part ?

Il est intéressant de faire un retour aux enquêtés de nos catégorisations pour plusieurs raisons :

un apport pour les enquêtés eux-mêmes, sur les pratiques de la profession, et un aide au changement par le développement d'un regard réflexif.

avoir un retour des acteurs eux-mêmes, qui permet non seulement de valider et d'objectivier, mais aussi de nuancer nos catégories. Cela permet de se protéger des risques de sur-interprétation, de décrochage interprétatif ou de sous-interprétation (Lahire, 1996). Cette étape n’est valable que si nous acceptons l'idée, encore une fois, que la compréhension repose sur une co-construction.

3. Comprendre et approcher la complexité du réel par des entretiens de groupe focalisés (focus-group)

A la charnière entre l'individuel et le collectif, pertinent pour saisir les représentations sociales, pour Kitzinker et Farquhar (1999), le focus group est une technique d’entretien qui vise essentiellement à créer une dynamique de groupe, et à favoriser les interactions sociales, dans le but est d’analyser les opinions partagées, comprendre les attentes et les désaccords des individus sur un thème particulier. Ce sont donc des discussions de groupe ouvertes, organisées dans le but de cerner un sujet ou une série de questions pertinents pour une recherche. Le principe essentiel consiste en ce que le chercheur utilise explicitement l’interaction entre les participants, à la fois comme moyen de recueil de données et comme point de focalisation dans l’analyse.

Kitzinger, J., Ivana Markova, I. & Kalampalikis, N. (2004). Qu’est-ce que les focus groups ? Bulletin de psychologie, Groupe d'étude de psychologie, 57(3),.237-243.

Ils sont encore peu utilisés en France, car particulièrement chronophages : l’idée est de rassembler un échantillon de 4 à 10 personnes maximum, et de soumettre ce collectif au guide d’entretien prévu par la recherche. Cela permet de confronter les points de vue et donc les représentations et les pratiques. Cela peut permettre également de faire une pré-catégorisation avec les acteurs eux-mêmes. Mais aussi cette approche permet d’entrer directement dans une relation qui est plus équilibrée d’un point de vue de la posture de recherche (posture plus symétrique entre l’enquêteur et les enquêtés). Ce qu'il faut souligner, c'est que le groupe permet aussi de faire émerger la position dominante, c’est-à-dire celle qui est le plus acceptable par le groupe rassemblé (doxa dominante, selon Suzanne de Cheveigné, 1997).

En revanche, il y a un biais : il peut y avoir un effet de groupe, et certains enquêtés risquent de ne pas oser exprimer clairement leur point de vue. Ce qui est intéressant, c’est de compléter le « focus-group» par des entretiens individuels avec les mêmes acteurs pour entrer dans la nuance. Il s'agit alors de nuancer la position dominante (doxa dominante, selon De Cheveigné, S. (1997). La science médiatisée : les contradictions des scientifiques. Hermès 21, 121-133. ) et entrer dans la complexité des pratiques et des représentations. Ce que résume parfaitement ces propos de référence :

Analysons dans un premier temps le discours que tiennent les scientifiques en groupe. La dynamique propre à une réu-nion de groupe, surtout quand sa composition est homogène, mène au renforcement de certains stéréotypes et tend à effacer les nuances propres à chaque point de vue individuel. Il ne faudrait pas pour autant conclure que les tendances qui se manifestent dans une réunion de groupe ne sont que le résultat d'un « artefact méthodologique ». Elles sont au contraire l'occasion de mettre en évidence la doxa dominante, comme ce sera le cas ici. Pour recueillir ce discours dominant, nous avons réuni dans un premier temps deux groupes de cinq chercheurs ou enseignants-chercheurs en poste (excluant donc les doctorants), hommes et femmes, appartenant à des disciplines dites « dures » : physique, bio-logie, chimie, mathématiques, géologie, informatique, dans les locaux d'un laboratoire universitaire. La discussion était d'abord orientée autour de la télévision, de la vulgarisation, puis du commentaire des extraits d'émissions.
De Cheveigné, 1997. p.121-122.

[…] Telle est la position recueillie en groupe. Mais interrogés individuellement, les scientifiques font des analyses qui en diffèrent sensiblement — en particulier leur condamnation de la télévision est moins catégorique. Au cours d'une dizaine d'entretiens individuels, trois types de discours sont apparus, dont aucun ne correspond tout à fait à la position dominante ! De Cheveigné, 1997. p.126.

Dans les entretiens compréhensifs, on peut demander aux enquêtés de montrer des documents qu’ils ont produit et d’expliciter leur manière d’agir, à partir de situations concrètes. L ’approche fait toujours partie de la sociologique pragmatique et on cherche à savoir pourquoi les enquêtés agissent comme ça, avec qui, etc. Cette sociologie nous invite à nous centrer sur les acteurs, les situations et les contextes. Elle conduit à des questions du type : Pourriez-vous me décrire une situation dans laquelle il y a eu du racisme ? Comment avez-vous réagi ? avec qui ? pourquoi ? etc. On essaye donc de comprendre les logiques d'actions, de manière située.

Les entretiens conduisent à des recherches couteuses en temps, et elles font parties des recherches de la sociologie compréhensive, constructiviste voire interactionniste (Corcuff, 2017). Plus on passe de temps auprès des enquêtés, et plus on augmente la probabilité de les comprendre. L’idéal étant de pouvoir s’immerger dans leur milieu de travail. On arrive alors aux méthodes d’observation par immersion.

RETENONS : dans les enquêtes qui essaient de comprendre les enquêtés, il faudrait essayer de créer une relation de proximité qui soit le plus sincère, modeste, et le plus claire possible sur les intentions du l'enquêteur. Prendre le temps de discuter des attentes et rassurer les acteurs. Plus on passe de temps dans cette phase de préparation, et plus on augmente la probabilité d'une compréhension véritable, authentique et fine des logiques d'actions et de justifications des acteurs. 

  • voir ici les points de vigilance de Lahire (2001) à propos de l'approche constructiviste de la réalité par le déclaratif des acteurs.

4. Transcription et analyse des entretiens

  • voir Beaud et Weber, 2010, p.211-225 ; Lahire, 1996 ; Deslyper, 2018, 174-197)
  • Attention au risque de décrochage interprétatif (Lahire, 1996) : observation de la réalité, subjectivité et biais cognitifs (Bronner, 2015 ; Houdé, 2015).

Etude de l'article de Beaud (1996, p.250), à propos de l’importance d’une retranscription intégrale des entretiens :

[...] il faut dire l'importance d'une retranscription intégrale pour les entretiens sur lesquels on a décidé de travailler de manière intensive ; c'est la condition nécessaire pour percevoir et analyser la «dynamique» de l'entretien. En effet retranscrire un entretien enregistré, c'est traduire une parole en texte, opérer cette phase fondamentale qui consiste à passer de l'oral à l'écrit, mais c'est aussi courir le risque de perdre ce qui fait la spécificité et la richesse de la parole3 : non seulement les mots, le vocabulaire, les formes syntaxiques, mais aussi le ton, le timbre, le rythme de la voix, ses différentes intonations et modulations, les changements de rythme et d'humeur, tout le subtil dégradé des émotions qui passent à travers la voix, ce qui permet de deviner ou reconstituer après-coup les gestes, les mimiques de l'acteur. Par l'écoute de cette parole, le sociologue peut saisir les propriétés les plus corporelles, les plus personnelles et en même temps les plus sociales de la personne. Ce sont ces propriétés-là qui définissent le mieux la tonalité d'un entretien. Un entretien sociologique est donc d'autant plus riche et interprétable que sa retranscription respecte les silences, souligne les hésitations et atermoiements, marque les inflexions de la voix et signale les différences de ton, note les gestes et mimiques qui accompagnent la parole.

Etude de l'article de Lahire (1996) sur les risques de l'interprétation :

Les interprétations (au sens de « thèses ») peuvent être qualifiées de scientifiques 1) si elles s’appuient sur des matériaux empiriques ; 2) si sont livrés, aussi précisément que possible, les principes théoriques de sélection puis les modes de production de ces matériaux ; 3) si sont clairement désignés les contextes spatio-temporellement situés de la « mesure » (de l’observation) ; enfin, 4) si sont explicités les modes de fabrication des résultats à partir des matériaux produits (modes de traitement des données et, si possible, choix du type d’écriture scientifique).
Le travail interprétatif n’intervient donc pas après la bataille empirique, mais avant, pendant et après la production des « données » qui ne sont justement jamais données mais constituées comme telles par une série d’actes interprétatifs. Et l’on voit bien à quel point l’expression « interprétation du réel » est éloignée du métier réel de chercheur en sciences sociales dans la mesure où elle donne l’impression que celui-ci serait un « penseur » face au « réel », une sorte d’interprète final.

Exemple de décrochage interprétatif (Lahire, 1996) dans un extrait d'un texte d'Olivier Schwartz (1990), dans l'ouvrage Le Monde privé des ouvriers. Hommes et femmes du Nord :

"Je pense aussi, précisément, à ces télévisions qui, dans de multiples foyers, fonctionnent des journées entières, même si personne ne les regarde. Qu’un visiteur arrive, et on le fait asseoir, on lui sert à boire, on bavarde, la télévision continue de fonctionner sans que personne l’écoute, mais sans non plus que qui que ce soit songe à l’arrêter. Le poste continue de saturer l’espace de son flux d’images et de sons, et rien que par ce courant ininterrompu, par ce continuum visuel et sonore enveloppant, il remplit l’équivalent d’une fonction nourricière, garantissant l’alimentation permanente du corps en stimulants perceptifs ou hallucinogènes. La télévision est l’une des grandes divinités du foyer ouvrier moderne".

Outils et techniques de transcription

Après enregistrement par un logiciel comme Audacity, par une magnétophone professionnel ou un magnétophone téléphonique, des outils permettent de retranscrire les entretiens depuis les fichiers audios MP3, avec des formes de transcriptions plus ou moins détaillées et complètes, en lien avec les usages envisagés.

Les logiciels de reconnaissance vocale (dragon naturally speaking, speech notes, etc...) permettent par exemple d'écouter d'une oreille l'entretien, et de dire ce que l'on a entendu. L'ordinateur l'écrit ! Mais on est de toute façon obligé de réécrire cette transcription déjà lissée, car certains passages sont mal compris et transcrits par le logiciel.

La trancription complète, avec le mot à mot, est plus ou moins nécessaire : tout dépend si l'on peut se contenter d'une analyse de sens, par paragraphe et par thème, ou si l'on souhaite entre dans une analyse lexicale fine.

En tout cas, il faut permettre au lecteur et à l'évaluateur de vérifier l'authenticité des propos utilisés dans l'analyse sous forme de verbatim. Il s'agit de montrer que l'on ne dénature pas à la fois les propos mais aussi la tonlaité de l'entretien !

La consigne est donc de ne pas dénaturer les propos de l'enquêté. En retranscrivant, il ne faut pas altérer la parole de l'enquêté c'est à dire lui faire dire ce qu'il a pas dit, notamment s'il exprime des nuances dans ces déclarations. Il faut réussir à faire ressortir la tonalité de l'entretien, en notant les silences, les hésitations, les rires. De toute façon, en transcrivant, on perd de l'information, puisque les normes de la parole ne sont pas les normes de l'écriture ! Notons enfin que lorsqu'on transcrit, on engage notre responsabilité devant les lecteurs et devant les enquêtés.

Pour un exemple de rédaction avec des verbatims, voir l'article de De Cheveigné, S. (1997). La science médiatisée : les contradictions des scientifiques. Hermès, 21, 121-133.

RETENONS : Certains chercheurs distinguent deux types de transcription : la transcription brute (mot pour mot) et la transcription lissée (destiné aux lecteurs). Il faut toujours donner la possibilité aux lecteurs d'avoir accès aux retranscriptions. Attention à l'illusion de la fidélité lorsqu'on retranscrit : il est très difficile de rester fidèle à l'oral de la personne. On fait donc des choix, mais il faut garder précisément dans la transcription ce qui est important pour comprendre l'individu par rapport à la question qu'on se pose. C'est au moment de la transcription que l'on sélectionne des passages et verbatims qui donnent du sens au positionnement de l'enquêté. A l'issue de chaque entretien, il est intéressant de rédiger une page dans laquelle on explique ce que l'on a compris, ce que l'on a découvert, ce qui nous a surpris, et ce qui reste énigmatique....

5. Les observations : percevoir, mémoriser, noter

Il existe deux types d’observation :

Quelques exercices d'entrainement : Commentez le corpus d'enquêtes suivant, critiquez le, et proposez des pistes d'amélioration.

Exercice : Compte-rendu d'un observateur : "une maman appelle son enfant, qui a deux ans, à haute voix pendant le spectacle de la Fête de l'école. Le spectacle a été préparé en classe et mis en scène par les maitresses. Pendant cet évènement, les petits sont déconcentrés par le public, surtout lorsqu'ils remarquent leurs parents." Pourquoi, selon vous, cet évènement a choqué l'observateur ? In Beaud et Weber (2010, pp. 138-139).

Attention à maintenir la position d'analyse distanciée vis à vis de la situation et à ne pas s'identifier à la maitresse et aux organisateurs, avec leurs attentes. La situation observée et la mise en scène est ambigue, pour tous les acteurs, avec des attentes et des représentations différentes


In Beaud et Weber (2010, p. 211)
  • Exercice : compte rendu d'une observation réalisée par une étudiante de master 1. Cette étudiante observe dans une cantine de collège ZEP comment les élèves constituent les tables et les relations entre eux. Elle fait le constat sur le mélange garçon/fille et sur les conflits entre individus et avec les surveillants.

Ce récit permet-il de comprendre la situation ? Qu'auriez vous écrit, et décrit de plus pour la comprendre le plus complètement possible ? Qu'auriez-fait en plus ?

Il semble manquer une explicitation sur les jeux d'acteurs et des inter-relations entre individus.La description reste ici anecdotique et inexploitable scientifiquement, car nous ne pouvons pas comprendre les raisons du conflit.

Il manque également une description plus complexe de toute la phase de positionnement des acteurs, avec des détails sur les ordres d'arrivés, les positions dans l'espace. Un schéma de la salle aurait été pertinent ou une photo si possible. Les termes employés par l'enquêtrice sont vagues et subjectifs, et ne permettent pas de donner du sens à la situation. Les explications sont trop anecdotiques pour donner du sens (exemple du verre cassé, mais par qui ?). Dans la description des jeux d'acteurs, l'enquêtrice en choisit un sans justification, Rudy, auquel elle semble donner toute la responsabilité de la situation.

Malgré tout, on peut déduire des informations de ce récit. On peut déjà découper la situation en plusieurs épisodes. Cela permet d'essayer de comprendre les liens entre les épisodes, afin de donner du sens à l'ensemble de la situation. On peut aussi essayer d'émettre des hypothèses sur les raisons du conflit.

Hypothèse 1 : Le groupe d'ados a certainement un passif qui peut expliquer que les garçons considèrent que les filles font leur loi (représentations sexistes). Afin de vérifier ou d'invalider cette hypothèse, des entretiens avec les élèves ou des surveillants seraient nécessaires.
Hypothèse 2 : Le problème n'est pas réellement entre adolescents, mais plutot autour du choix arbitraire de la surveillante, à l'origine du conflit. Même si entre la surveillante et les élèves il y a un degré de proximité, cela n'empêche pas le conflit si les choix de l'adulte ne sont pas justifiés.
Hypothèse 3 : C'est le groupe garçon, par leur relation, leurs liens intimes, et donc leur comportement sexiste, ou par une forme d'égoïste et la volonté de rester entre garçon, entre amis, qui est à l'origine du conflit.
Hypothèse 4 : Rudy, qui est le plus jeune des garçons, développe des comportements pour affirmer son autonomie et sa maturité auprès des plus grands garçons. Il cherche à affirmer sa présence, en entrant en conflit.
On peut donc émettre au moins 4 hypothèses explicatives, qui appellent toutes des vérifications, mais qui montrent aussi la faiblesse du compte rendu d'observation.

Exercice : Ce dialogue se déroule entre un couple mari (M) et femme (F) qui se rendent chez un psychologue. Ce dernier est noté I dans les interactions. Le but de cette réunion chez le psychologue est de résoudre leur problème de couple. Analysez les interactions pour essayer de comprendre les raisons du conflit.

On peut voir que les échanges sont dissymétriques. On peut identifier une forme de domination de l'un sur l'autre, au moins devant le psychologue, et donc dans le contexte de cette situation. Contextualisez ! La position de la femme est plus distante vis à vis du jeu de pouvoir, sachant que M ne lui laisse pas de place. Le mécanisme qui permet d'expliquer cette interaction est une lutte pour prendre le leadership au détriment de l'autre, au moins devant le psychologue (il est important de toujours remettre en contexte).

Dans le détail des interactions, on pourrait mettre en évidence trois types de moments qui se répètent dans les échanges : les moments de domination, mais aussi des moments de contestation, ou encore de valorisation subjective. Ces moments soulignent toujours l’assymétrie de la relation. Sur ce genre d'interaction, il est possible de conduire une catégorisation des échanges, d'analyser les relations entre acteurs, pour proposer un modèle expliquant la situation. L'analyse est toujours située, c'est à dire ramenée à cette situation particulière, et rien ne prouve que la relation identifiée est généralisable à d'autres contextes, avec les mêmes acteurs.

6. Des outils pour une analyse statistique
(Deslyper, 2018, p. 112-173)

L'intervalle de confiance permet de déterminer le degré de confiance que l'on peut accorder à un résultat et à une analyse statistique fondée sur un échantillon d'individus qui représente la population mère, mais qui n'est pas la population mère ! Cette confiance va dépendre de la représentativité de l'échantillon, c'est à dire du nombre d'enquêtés, mais aussi de la représentativité des profils retenus, par rapport à l'âge, au sexe et à la catégorie socioprofessionnelle. Plus l'échantillon est grand, plus la marge d'erreur diminue, et plus l'intervalle de confiance à 95% se reduit.

Il existe la loi mathématique qui établit le lien entre le nombre de personnes interrogées (taille de l'échantillon) et la marge d'erreur (ou intervalle de confiance à 95%) d'un sondage :



Exercice : Quelle est la marge d'erreur (ou intervalle de confiance à 95%) de ce sondage réalisé sur 1000 personnes environ, le 24 avril 2017, avant le second tour de la présidentielle française de 2017 ?

 

Question : Quel est l'écart le plus petit entre les deux candidats ? Pourquoi ?

Actuellement, certains scientifiques manifestent pour augmenter l'intervalle de confiance, face à un constat de crise de reproductibilité des résultats d'enquête, notamment pour les études en médecine et en épidémiologie (voir Vyse, S. (2018). "Statistiquement significatif" : les critères sont-ils suffisamment exigeants ? Revue de l'AFIS, n°323, mars 2018, p. 32-38).

Indicateurs de position des données : dans une série de données, ces indicateurs permettent de décrire la répartition des données, en précisant notamment la "position centrale" de cette masse de données. On utilise la moyenne, la médiane et le mode, mais également une mesure de la dispersion des données par les écarts à la moyenne (plus les écarts à la moyenne sont grands, plus la dispersion est forte), et les quantiles.

Le mode
C'est la valeur du plus grand effectif de la totalité de l'échantillon, il est souvent noté Mo. Une courbe peut être bimodale ou multimodale, assymétrique ou symétrique.

La moyenne
C'est la somme des valeurs divisées par l'effectif total.

La médiane
Cela consiste à définir dans une série de donnée, la valeur qui est au milieu de la série et qui partage donc l'ensemble en deux groupes égaux. Pour la trouver, il faut d'abord ordonner toutes les données de la série, dans un ordre croissant. Le nombre exactement au milieu dela série est la médiane.

Exemple dans une série de nombre : 34 . 36 . 37 . 40 . 41 . 44 . 45, quelle est la médiane ? 40 est au milieu de la série ordonnée, c'est la médiane.

La combinaison des trois outils permet de décrire la dispersion des résultats de la meilleure façon. Parfois, les trois sont à valeurs égales : la distribution est alors uni-modale et symétrique.

Le quartile (QG1, QG2, QG3 et QG4)
Cela consiste à diviser une série ordonnée en 4 groupes de taille égale. On peut aussi décrire la série en décile ou en centile (on sépare la population en 100 paries égales). C'est ce que l'on appelle la famille des quantiles.

L'écart à la moyenne et les indicateurs de dispersion

https://www.youtube.com/watch?v=e5QMapt8Wfg

L'idée est de savoir si les valeurs sont plus ou moins écartées par rapport à la moyenne. En effet la moyenne seule ne veut rien dire. Il existe une manière de chiffrer cet écart : on calcule la variance (c'est à dire la moyenne des carrés des écarts à la moyenne) et on prend la racine carré de la variance que l'on appelle l'écart-type, à ne pas confondre avec l'écart moyen.

Prenons une série de trois chiffres : 1 – 2 – 3. La moyenne est de 2.
Pour calculer la variance, on calcule la différence à la moyenne que l'on met à la moyenne. (1-2)² + (2 – 2)² + (3-2)², le tout divisé par l’effectif totale c'est à dire 3. Le résultat de la variance est 2/3, soit 0,6666. Pour trouver l'écart à la moyenne, on fait la racine carré de la variance, donc racine carré de 2/3.

Relations entre deux variables : comment tester la dépendance ou l'indépendance statistique entre deux variables ?

Il existe deux outils pour dire si deux variables sont indépendantes ou dépendantes l'une de l'autre. C'est à dire s'il y a corrélation ou non (s'il y a corrélation, on dit que les variables sont dépendantes). On rappelle que corrélation n'est pas causalité : l'existence d'une correlation entre deux variables, aussi forte soit elle, n'est jamais la preuve d'une relation de cause à effet !

Exercice :

Il y a 319 élèves dans le lycée, dont 182 filles et 137 garçons. Soit 57% de filles et 43% de garçons (population mère ou population globale).

En filière L, il y a un total de 56 élèves dont 45 filles et 11 garçons. Soit 80% de filles et 20% de garçons dans la filière L.

Par rapport au lycée (population mère), on constate donc que les filles sont sur-représentées dans la filière L.

On peut donc dire qu'il y a un lien entre le sexe des individus et le choix de la filière.

Si les variables avaient été indépendantes, théoriquement, il y aurait eu en filière L 57% de filles et 43% de garçons, pour être fidèle à la population mère du lycée. Cela aurait donné sur 56 élèves en L, 32 filles et 24 garçons. En calculant l'écart de la réalité à l'indépendance on peut montrer qu'il y a une sur-représentation des filles en filière L.

 

Détail du calcul de la relation de dépendance : Y a-t-il un lien entre la filière et le sexe ?

On veut comparer des sous-groupes :
-Les filles et les garçons selon la filière choisie
-Les filières selon leur composition garçons/filles

Les variables « filière » et « sexe » sont-elles indépendantes ?

Si deux variables sont indépendantes (situation théorique), la répartition est purement aléatoire et reprend pour chaque catégorie la proportion dans la population globale.

On compare la situation observée avec la situation théorique d’indépendance. Si l’écart à l’indépendance est positif, cela indique une sur-représentation. Si l’écart à l’indépendance est négatif, cela indique une sous-représentation.


Comparativement à la marge ligne (17.6%),
il y a sur-représentation des filles dans la filière L (24.7%)


Comparativement à la marge colonne (57.1%),
il y a sur-représentation des filles dans la filière L (80.4%).

Le test d'indépendance entre deux variables d'une population ou test du khi-2 :

On souhaite "mesurer" l'écart entre une distribution donnée et celle que l'on aurait, en théorie, si certaines hypothèses étaient vérifiées. Dans notre cas, l'hypothèse est que deux variables sont indépendantes, et on voudrait savoir si cette hypothèse prudente (H0) est probablement vraie ou probablement fausse. Le test du khi2 nous permet d'avoir une réponse. Ce test consiste à calculer un nombre à partir des deux distributions, réelle et théorique. Ce nombre est ensuite à comparer avec des tables, [...] Selon la valeur de ce nombre, le nombre de modalités des variables, et le degré de confiance voulu, la table dit si l'hypothèse est statistiquement raisonnable ou non.

Le test consiste donc à tester la plausibilité de l’hypothèse d’indépendance H0, entre deux variables.
(H0, hypothèse nulle ou prudente, exemple : le sexe et les filières sont indépendants) : les variables X et Y sont indépendantes
(H1, contre-hypothèse : il existe un lien entre les deux variables) : les variables X et Y ne sont pas indépendantes

Correlation n'est pas causalité : quelle différence ?

Exemple de la consommation de chocolat et du nombre de prix Nobel dans un pays


in Bronner, G. (2015). Comment ne pas croire
n’importe quoi
. Cerveau et psycho, 72, 42-47.

voir aussi les sites :

http://www.cndp.fr/entrepot/themadoc/probabilites/reperes/causalite-et-correlation.html

https://cortecs.org/materiel/effets-cigogne-correlation-vs-causalite/

Il est en médecine judicieux d'attendre d'avoir plusieurs études pour produire une méta-analyse, et un niveau de preuve fort, comme dans le cas, par exemple, des liens entre consommation de café et cancer du colon :


Une étude d'avril 2016, reprise dans la presse en mai 2016...


Une méta-analyse en 2016


Excursion pédagogique en Chartreuse
Chamechaude (2082 m), par le col de Porte

L'album des M2R - 26 octobre 2018

L'album des M2R - 01 octobre 2019

Objectif du cours de licence : Ce cours, et le TD associé, entend vous initier au travail de recherche en sciences de l’éducation à travers la réalisation d’une enquête de terrain, seul.e, en binôme ou en trinôme. Plus précisément, il est attendu qu’à l’issue du TD, vous maitrisiez les grandes étapes de la réalisation d’une enquête que sont la problématisation, la production des données et l’analyse de celles-ci. Il n’est pas attendu ici que vous soyez « original.e.s » (tant sur vos objets d’étude que sur vos approches), que vous remettiez en cause un paradigme des sciences sociales ou que vous en construisiez un nouveau ! L’enquête de terrain demande au contraire une certaine humilité. La « simple » application, rigoureuse, d’une théorie existante constitue un objectif largement suffisant : la confirmation de résultats déjà établis constitue une des bases de la recherche scientifique. Par ailleurs, il est évident qu’étant donné le temps qui vous est imparti (trois mois), ce travail ne peut prétendre aller au-delà de l’enquête exploratoire. Veillez donc à avoir un objectif réalisable.

Le type et la quantité des matériaux à produire est variable selon les questions de recherche et la composition des groupes (comptez cependant, a priori, 2 entretiens ou 3 observations par membre d’un groupe) et le volume du travail attendu est d’environ 25 pages pour un groupe de 2 personnes. La recherche menée sera restituée sous la forme d’un dossier écrit à rendre début mai 2019 au plus tard. Ce travail doit proposer une analyse explicative et empiriquement argumentée sur un objet et une question de votre choix. La faisabilité du travail constitue un critère important de l’évaluation ; la meilleure idée du monde ne vaut rien, si elle ne peut pas être mise à l’épreuve.
Votre dossier doit par ailleurs être clairement organisé (page de garde, sommaire…) et mis en forme (police Times, taille 12, interligne 1,5, pages numérotées, et alignement justifié).

  • Modalités d'examen en Licence : 1h30 d'examen sur table, sans aucun document autorisé. Le sujet comportera deux parties, chacune sur 10 points, avec des questions de cours et des analyses critiques et argumentées de méthodes ou de données de recherche en éducation (ce que l'on en pense, ce que l'on aurait fait autrement, les limites des méthodes, la posture de l’enquêteur, son éthique, etc...). La première partie portera sur les enseignements de Remi Deslyper et la seconde sur les enseignements de Benoit Urgelli.