n°45 - 2016

Education nouvelle, alternative et conventionnelle
Histoire d'un conflit de modèles
Comment rendre un jeune citoyen autonome et responsable ?

TD Licence Sciences de l'éducation et de la formation (année 2017, 2018, 2019)

Sincères remerciements aux étudiants de l'année 2018, 2019 et 2020,
pour leurs commentaires critiques et leurs prises de notes
notamment Tommy GIRARD, Charlotte DUNOGUIEZ, Lady Elora PANNETIER et Marianne GOUMAZ

Benoît Urgelli
last up-date : 30-avr-21

"tout au long du XXème siècle, la majorité des promoteurs des pédagogies nouvelles ont lié leurs théories à une volonté de transformation sociale et se sont donné une fonction émancipatrice [...] Les pédagogies nouvelles [...] forment à la pensée critique, à la coopération, elles engagent à la prise d’initiatives et à la conduite de projets collectifs ; en un mot, elles forment des citoyens qui se sentent concernés par la marche des affaires collectives. Il est donc possible que ce type d’éducation soit refusé car elle conduirait à ce que les élèves deviennent, à l’âge adulte, des citoyens capables d’une contestation active de la société." In Hugon M.-A & Viaud M.-L. (2004).


n°307 - 2018


Objectifs
Derrière chaque pays et chaque école, et derrière les choix des enseignants, il y a des philosophies éducatives qui peuvent évoluer au cours du temps et en fonction des contextes et des publics. Dans une même école, plusieurs philosophies éducatives peuvent se cotoyer ! Le but du TD est de réfléchir sur celles qui a priori fondent ou fonderont vos pratiques professionnelles. Et d'ailleurs comment définir une philosophie éducative ?

Nous allons donc tenter de catégoriser des styles et des modèles éducatifs à travers l'histoire des courants de l’éducation nouvelle et de l’éducation alternative moderne, en suivant les analyses parfois décriées de Rousseau, Pestalozzi, Itard, Decroly, Ferrière, Freinet, Montessori, Adler, Steiner, Freire, Illich, Neill, etc….

Ce TD devrait vous permettre de :

- Identifier différentes pédagogies et comprendre les fondements des différentes philosophies éducatives
- Avoir une idée de l’histoire des pédagogies du XXeme siècle, et ce qui en fait leurs actualités (de Maria Montessori en Italie, à Céline Alvarez en France !)
- Faire un choix réfléchi et éclairé sur la manière d’enseigner et d'éduquer (réflexivité de l'éducateur)
- Aider à créer sa propre école, ou tout autre structure éducative, pour adultes ou pour enfants, avec des fondements éducatifs explicites
.

Références bibliographiques et documentaires

- Alvarez, C. (2016). les lois naturelles de l’enfant. La révolution éducative.
- Collectif (2001). Célestin Freinet, pédagogue moderne. BT2, 43..
- Collectif (2017). Le paysage institutionnel des écoles différentes : ouvrir, fermer, durer, essaimer... ? Spécificités 10(1).
- De Cock, L. & Perreira, I. (2019). Les pédagogies critiques
- Dewey, J. (1933). How we think.
- Dubet, F et al. (2010). Les sociétés et leurs écoles
-
Fournier, M. (2000). L'éducation nouvelle. Liberté, créativité, autonomie. Magazine Sciences humaines, Décembre 2000/Janvier-Février 2001.
-
Gutierrez, L. (2009)., La ligne internationale pour l'éducation nouvelle : Contribution à l’histoire d’un mouvement international de réforme de l’enseignement (1921-1939). Spirale – Revue de Recherches en Éducation, 45, 29-42.
- Halpern, C. (2016). John Dewey - Éduquer par l'expérience. Les Grands Dossiers des Sciences Humaines, 45, (12), 13-13.
-
Hugon M.-A & Viaud M.-L. (2004). L’Éducation nouvelle et l’enseignement secondaire français, de rencontres improbables en rendez-vous manqués. Informations sociales, 116, 114-124.
- Jauzent, V. (2013).
- Le Menn, E. (2018). L’école autrement. Mon tour du monde des pédagogies alternatives. Editions Retz.
- Leroy, G. & Lescouarch, L. (2019). De la pédagogie Montessori aux inspirations montessoriennes. Réflexion sur la question des emprunts pédagogiques partiels dans les pratiques enseignantes. Spécificités, 12(1), 31-55.
- Piquemol, M. (2017).
- Rabbas,
B. (2015).
- Raymond, A. (2011).
- Viaud, M.-L. (2013). Montessori, Freinet, Steiner, une école différente pour mon enfant ?
- Viaud, M-L. (2017).
- Wagnon, S. (2018). Les pédagogies alternatives en France aujourd’hui : essai de cartographie et de définition. Tréma [En ligne], 50.

- Meirieu, P. en ligne, dont le dictionnaire de l'éducation : Pédagogie, didactique, éducation nouvelle, etc...
- Les conseils de Philippe Meirieu pour les étudiants en Sciences de l'Education - Année 2013-2014

- Revue Sciences humaines : revue de référence :
=> Octobre 2014 : Eduquer au 21ème siècle
=> Décembre 2016 : Les grands penseurs de l’éducation
=> Mars-avril-mai 2019 : Les grands psychologues de l'enfant (Grands Dossiers N°54)

- Rapport UNESCO (2015) : Repenser l’éducation : compare ce qui se fait en France et à travers le monde, et propose des pistes de recommandations pour les décideurs et les éducateurs.

- DVD Alphabet (2013)
- DVD Etre et Devenir (2015)
- DVD Demain (2015), chapitre 5. (1h40-1h50) : court extrait du documentaire de Cyril Dion et Mélanie Laurent, un éclairage sur les méthodes pédagogiques employées chez nos voisins scandinaves.
- DVD C’est d’apprendre qui est sacré (2016) de Delphine Pinson
- DVD Ecole en vie (2016)

Evaluation
On souhaite développer chez les étudiants, futiurs éducateurs, une culture pédagogique et historique, en comparant les pédagogues entre eux, en lien avec les époques et les contextes sociaux. L'évaluation prendra 2 formes, autour du même pédagogue si cela est souhaité :

  • Partie écrite => individuelle. A rendre pour le mercredi 08 mai 2019 dernier délai, par mail, version pdf, 6.000 signes maximum, espace compris hors annexe et bibliographie. Il s’agira de construire une réflexion critique, argumentée et structurée, à partir de vos lectures, en réponse à une question d’éducation choisie dans la liste du site de Philippe Meirieu (voir ci-dessous). Il s’agit d’aller plus loin que les analyses de Meirieu et d’entrer dans une approche comparatiste entre différents réponses apportées par des pédagogues de l'éducation nouvelle, alternative et traditionnelle. Votre analyse montrera les arguments qui répondent à la question, sa complexité, en soulignant les points de désaccords entre acteurs. En fin de dissertation, vous exprimerez brièvement votre position personnelle sur la question.


Tentative de comparaison de quelques pédagogues en fonction de leurs visions d'une éducation à la coopération et de l'autonomie (affective, cognitive et politique) des élèves comme enjeux éducatifs
(B. Urgelli, avril 2019)

  • Partie orale => collective par groupe de 4 membres maximum (se mettre d’accord sur le choix d’une des questions).
    En 15 minutes, vous travaillerez sur une des vidéos de P. Meirieu, en montrant l’actualité sociale et politique de la question, les théories éducatives et les représentations que les pédagogues ont de la relation éducateur/éduqué, et les limites de leurs visions, par rapport à d’autres pédagogies. Vous proposez ensuite, en 10 min, une situation d'apprentissage que vous construirez en accord avec les propositions d’action du pédagogue étudié.

    Pour l'oral, les points d'analyse suivants sont donc attendus, précédés d'une explicitation de la bibliographie utilisée :

    1. Présentation de la question éducative choisie et des réponses proposées par le pédagogue
    - Actualité sociale, politique et historique de la question choisie
    - Contexte de l’époque du pédagogue
    - Présentation de la biographie du pédagogue
    - Sa représentation de la nature de l’enfant et de l’enfance
    - Sa vision de la mission de l’éducateur
    - Les savoirs nécessaires pour éduquer, selon lui
    - Limites de sa vision
    - Rapport à d’autres pédagogues et à d'autres philosophies éducatives (passées ou contemporaines)
    2. Proposition d'une situation d'apprentissage et activités pédagogiques

Grille d'évaluation de l'oral, co-construite avec les étudiants

  • Durant 15 min, vous présenterez la vidéo de la manière suivante :
  1. l’actualité sociale, historique et politique de la question choisie
  2. le pédagogue, sa biographie, son contexte socio-politique, son horizon politique
  3. sa représentation de la nature de l’enfant et de l'enfance
  4. sa représentation de la mission de l’éducateur
  5. sa représentation des savoirs et des pratiques nécessaires pour éduquer
 
   
  • Vous proposerez ensuite, en 10 min, une situation d’apprentissage en lien avec la philosophie éducative présentée. Eventuellement vous pourrez l’expérimenter avec le groupe de TD.
   
L’évaluation attachera une attention particulière à :
la variété des références critiques mobilisées pour argumenter

la capacité à comparer les pédagogues entre eux, en lien avec les époques et les contextes sociaux

la qualité de la présentation orale

 

Présentations de 26 pédagogues

  • Voici la série de 26 films de 13 minutes chacun proposée par Philippe Meirieu et co-produite par France 5 et Mosaïques Films.
    Chaque film croise les apports d'une grande figure de la pédagogie avec les questions que se posent au quotidien les praticiens de notre temps. Repères historiques, questions philosophiques et travaux pédagogiques avec des élèves [...]
    permettent de s'interroger sur des grandes questions de l'éducation et la manière de les affronter aujourd'hui à la lumière de l'histoire de la pédagogie...
    [...] Dans chaque film, on "entre" dans l'oeuvre d'un ou d'une grande pédagogue (sans prétendre, bien sûr, être exhaustif), on voit travailler des maîtres et des élèves sur des thématiques qui se réfèrent à leurs apports et on s'interroge sur les principaux défis éducatifs...
    Outils d'information, de culture, de réflexion, chaque film est aussi un outil de formation qui peut être utilisé dans le cadre d'une réflexion individuelle ou collective.

Cliquez sur le nom du pédagogue pour visionner le film
Attention ! Ces films ont été réalisés en 1999-2000-2001
ils portent donc la marque de leur époque de réalisation et doivent aussi être interrogés de ce point de vue

 
Nom du pédagogue
GROUPE TD 002
25/03 - 01/04 - 08/04 - 29/04 - 29/04 2019 pour 12 groupes
 GROUPE TD 001
25/03 - 01/04 - 08/04 - 29/04 - 29/04 2019 pour 14 groupes
Comment donner accès à tous les savoirs à tous les humains ?
 
Que faire avec des enfants qui ne veulent pas de vous ?
Maëlle et al. - 08-04-2019

Sarah et al. - 25-03-2019
Audrey et al. - 01-04-2019

 
Peut-on enseigner sans savoir ?
Thomas et Cloé - 29-04-2019
 
Tous les enfants peuvent-ils être éduqués?
Madison et al. - 25-03-2019
 
Faut-il se méfier de l'affection en éducation ?
Noémie et al. - 01-04-2019
Celia et al. - 29-04-2019
 
 
 
Doit-on croire le professeur sur parole ?
Laurine et al. - 01-04-2019
Lena et al. - 25-03-2019
 
Suffit-il de décréter l'égalité pour la faire ?
 
L'école maternelle, pourquoi ?
Olivia et al. - 29-04-2019
 
Le travail manuel est-il nécessaire à la formation de l'humain ?
 
Peut-on apprendre à faire la paix avec soi-même ?
 
L'école doit-elle délivrer l'enfant de ses parents ?
 
Peut-on apprendre à être autonome ?
Chloé et al. - 08-04-2019
Candice et al. - 29-04-2019
 
La "méthode globale" : quels enjeux ? quelles limites ?
Precilia et al. - 08-04-2019
 
Doit-on faire une "école sur mesure" ?
Marleen et al. - 08-04-2019
 
Comment surseoir à la violence?
 
Le travail de groupe : une toute autre manière d'enseigner...
 
Faut-il encore enseigner les grandes oeuvres ?
 
Comment faire lorsqu'un enfant refuse le contrat d'apprentissage collectif ?
La punition peut-elle être éducative ?
Selin et al. - 01-04-2019
 
Que peut-on apprendre par la création ?
Léonie et al - 29-04-2019
 
Comment susciter le désir d'apprendre ?
Marie et Alexia - 29-04-2019
Camille et al. - 01-04-2019
 
Suffit-il d'écouter pour aider ?
Sofia et al. - 08-04-2019
 
Les bons élèves sont-ils tous des névrosés ?
 
Y a-t-il une autre loi possible dans la classe ?
 
Pourquoi apprendre à lire ?
Lisa et al - 29-04-2019
 
Peut-on fonder l'éducation sur le seul désir de l'enfant ?
Anaïs et al. - 29-04-2019
Océane et al. - 29-04-2019
 
Peut-on enseigner sans école ?
Pauline et al. - 01-04-2019
Lou et al. - 08-04-2019
Johanna et Perrine - 29-04-2019
 

De nouvelles formes pédagogiques ? classe flexible, classe inversée, école démocratique, école à la maison, unschooling, etc.
 

 

1. Définir une philosophie éducative : proposition théorique

  • Activité autour de l'extrait du DVD Demain (2015) de Cyril Dion et Mélanie Laurent, sur le modèle pédagogique d'une école primaire finlandaise en zone d'éducation prioritaire : Chapitre 5 : l'éducation (1h40-1h50)
    Question : Quelles sont les représentations de l'enfant et de l'enfance, les objectifs éducatifs, et la nature des savoirs, des compétences et des pratiques dans cette école. Discutez la cohérence de ce modèle éducatif mais aussi ses limites.

Transcription adaptée d’un extrait du documentaire Demain (2016) de Cyril Dion et Mélanie Laurent.
Chapitre 5 : Les écoles finlandaises (https://www.wetube.io/video/demain-le-film-les-ecoles-finlandaises/)

En 2012, La Finlande était encore le premier pays européen pour les sciences et la lecture, et le 4e pour les mathématiques. Cyril est allé passer 3 jours dans une école publique d'une banlieue populaire d'Helsinki, qui accueille 530 élèves de 6 à 10 ans : l'école Kirkkojärvi. Il précise que l'objectif ici est avant tout de leur apprendre à apprendre. De les rendre plus autonome. Si aujourd'hui les connaissances sont accessibles un peu partout, Kari, le chef d’établissement, et son équipe aident chacun à aller puiser dans cette masse de savoirs, et à trouver la bonne façon d'acquérir ce qui lui sera nécessaire dans sa vie future. Les jeunes finlandais apprennent non seulement les maths, le finnois et l'histoire, mais aussi à tricoter, à coudre, à fabriquer des vêtements, à travailler le bois, le métal, le cuir, à construire des objets, à laver leur linge, à ranger, à nettoyer, à cuisiner, à dessiner, à peindre, à jouer des instruments.

Cyril : Comment définiriez-vous le système éducatif en Finlande ?
Kari : L'essentiel, c'est de former les professeurs. En Finlande ils ont tous fait un master de 5 ans à l'université. Ils se forment dans des écoles d'application, ils s'entraînent avec de vraies classes. Ils découvrent de nombreuses pédagogies. Nous prenons à Montessori, à Steiner, un peu partout. Et ils étudient de manière approfondie la psychologie enfantine. Nous tenons à leur donner de nombreux modèles éducatifs, beaucoup d'idées pédagogiques et une réelle perception de la capacité de l'enfant à apprendre, des difficultés qu'il peut rencontrer. Et bien sûr les enfants à besoins éducatifs particuliers sont suivis par un enseignant supplémentaire. C'est important de se sentir bien en classe. Si l'environnement est trop strict, ils n'arrivent plus à se concentrer. Ils n'arrivent plus à apprendre je pense.

Cyril : Vous n'avez pas peur des problèmes de discipline en étant trop proche des enfants ?
Kari : La question n'est pas là. Nous avons des problèmes de discipline comme toutes les écoles du monde. Mais je crois qu’en étant plus proche, c'est plus facile. Ils ne veulent pas nous faire des histoires, ils nous aiment. Nous sommes amis, et ils voient qu'on est là pour les aider. Ce n'est pas toujours facile. Mais les punitions, ça n’aide en rien. Discuter, les rassurer, les écouter, les laisser prendre des décisions aussi, voilà comment on les incite à coopérer. Je crois que ça accroît leur confiance, la confiance en eux-mêmes, et d'autres compétences comme celle d’être avec les autres. Ils apprennent les uns des autres. Ils apprennent que le professeur n'est pas une autorité, ce n'est pas une sorte de Dieu, mais que nous sommes tous pareils, égaux. C'est plus libre, plus ouvert, et plus social. Ce sont des compétences sociales. Et ça c'est important dans la vie, il n'y a pas que les matières, même si bien sûr elles comptent ! Au CP, quand on apprend à lire, certains commencent avec les lettres, et ils les combinent, et d'autres commencent par les mots, et en quelque sorte, ils les décomposent.

Cyril : Vous voulez dire que vous n’avez pas une seule façon d’enseigner la lecture ?
Kari : Oui, nous utilisons plusieurs méthodes, pour offrir la possibilité à chaque élève d’apprendre. Et de toute façon, ils finissent tous par apprendre. Certains rapidement et d'autres un peu moins vite, mais ils finiront par apprendre, quelle que soit la méthode, je crois. Il n'y a pas une bonne méthode, il y en a de nombreuses. A mon époque, il n’y en avait qu'une, mais maintenant, on ne fait plus comme ça. Même moi j'ai appris, donc tout peut marcher ! Tous les élèves sont différents, et nous tentons de tenir compte du fait que tous n'apprennent pas de la même manière, et qu'il y a donc différentes façons d'apprendre.

Cyril : Quel est le but de l'école selon vous ? Et en tant qu'être humain, de quoi auront-ils besoin ? Qu’essayez-vous de leur apprendre ?
Kari : Nous tentons de les préparer à la vie, et à la prochaine étape. Nous leur donnons les connaissances de base, un enseignement général, de sorte qu'ils puissent expérimenter s'ils sont plutôt manuels ou intellectuels. Nous essayons de leur apprendre la tolérance, des idées non racistes, comprendre la différence, comprendre que chacun est important, que certains ont besoin de plus d'aide. S’aimer les uns les autres. J'espère qu'ils emporteront ça avec eux quand ils quitteront l'école.

Pour caractériser un paradigme éducatif et le modèle pédagogique associé, je propose d'être attentif à trois points qui définissent selon moi une configuration ou une proposition théorique d'éducation. Le premier point est de savoir quelle représentation on se fait de l’enfant, de sa nature et de son contexte, et plus généralement de l’enfance  ? Il faut également s’interroger sur la mission éducative que l’on se donne. Enfin, quels sont, selon nous, les savoirs qui sont nécessaires et qui ont de la valeur pour éduquer, en relation avec notre projet éducatif ?

  • NATURE OF CHILDHOOD and CHILD
  • EDUCATIONAL AND LEARNING OBJECTIVES
  • NATURE OF KNOWLEDGE

Historiquement, l’école française conventionnelle est l’école des savoirs (Dubet et al. 2010) : c’est par les savoirs culturels qu’elle espère donner la liberté aux enfants et l’émancipation citoyenne. Ce modèle républicain considère qu'une relation d’autorité à l’école serait nécessaire pour l'efficacité des pratiques sur les jeunes générations en devenir. C'est cette relation à l'enfance qui différencie probablement, en première approximation, l'éducation conventionnelle et l'éducation nouvelle. Mais seulement en première approximation car la relation d'autorité eiste également en pédagogie nouvelle, mais elle fait l'objet d'une négociation de sens avec les enfants, pour un contrat didactique explicite.

Il y a probablement une diversité de représentations de l'enfant (Dupeyron, 2012) et Korczak est probablement celui qui a larqué les esprits par son effort pour faire reconnaitre les droits de l'enfant.

Activité autour de la vidéo Surseoir à la violence : Voir la vidéo de Meirieu sur Korczak (1878-1942) et ses méthodes pour lutter contre la violence des enfants, par l'écriture et la boite aux lettres, le tribunal des enfants,...

Question : Analyser la conception de l'enfant selon Korczak.

« Vous dites :
— C’est épuisant de s'occuper des enfants.
Vous avez raison.
Vous ajoutez :
— Parce que nous devons nous mettre à leur niveau. Nous baisser, nous pencher, nous courber, nous rapetisser.
Là, vous vous trompez. Ce n'est pas tant cela qui fatigue le plus, que le fait d'être obligé de nous élever jusqu'à la hauteur de leurs sentiments.
De nous élever, nous étirer, nous mettre sur la pointe des pieds, nous tendre.
Pour ne pas les blesser. »

Janusz KORCZAK, prologue de Quand je redeviendrai petit, Traduction AFJK, (révisée en 2007). Tiré du site de l'AFJK.

Cette citation a été publiée en 1990 et longtemps diffusée par l’Association française Janusz Korczak (AFJK) en hommage à la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) adoptée par l’ONU en 1989, sous la forme d'une carte postale illustrée par le peintre surréaliste W. Siudmak, qui a connu un très grand succès.

L’ouvrage de Janusz Korczak Quand je redeviendrai petit, est l'un des plus beaux romans pour enfants dédié aux droits de l’enfant. Il a été traduit et publié en français sous le titre : Le droit de l’enfant au respect, coédition Laffont/Œuvres représentatives de l’Unesco, 1979 (épuisé).

2. Petite histoire de l'éducation nouvelle : pour une citoyenneté libre et critique

Le modèle pédagogique et le paradigme éducatif varient selon l’histoire d’un pays. Ils sont remis en question chaque fois qu’il y a une crise socio-politique et/ou environnementale (guerres, attentats, catastrophes environnementales, épidémies, critique sociale de grande ampleur, changement de régime politique,...).

Les pédagogies nouvelles, qualifiées d’alternatives, reviennent au goût du jour régulièrement. On considère qu’elles se sont développées depuis le début 20ème siècle jusque dans les années 1940. On retient de cette période Maria Montessori, Ovide Decroly et Célestin Freinet, dans la lignée de John Dewey et des pédagogies de l’autonomie et de la démocratisation des jeunes générations. Ces écoles nouvelles du début du XXème siècle sont issues du travail d’enseignants, de médecins, de psychologues et de philosophes. Elles vont naitre un peu partout en Occident au début du 20ème.

  • 2.1 Critique de l'éducation traditionnelle - le projet de Dewey et celui de Durkheim
    Halpern, C. (2016). John Dewey - Éduquer par l'expérience. Les Grands Dossiers des Sciences Humaines, 45, (12), 13-13.

Nous avions mentionné que ces écoles nouvelles ont une philosophie particulière, celle du vivre ensemble et de la liberté. L’idée est de mettre les enfants en situation de faire « Learning by doing ». Ce courant de pensée vient des USA de John Dewey, avec son éducation à la démocratie dans un contexte politique très particulier (montée des régimes totalitaires en Europe). Il ne faut jamais négliger l’importance sur les choix éducatifs d’une nation, à un moment de son histoire, avec d’ailleurs, des mouvements de balanciers à chaque crise sociale.

Ce sont des pédagogies anglo-saxonnes qui ont inspiré l’ancien continent. Elles semblent s’opposer en France aux pensées de Emile Durkheim. Ce sont deux conceptions différentes du projet éducatif et du rôle de l’adulte. Au début du 20è siècle, 2 modèles éducatifs semblent donc coexister.
Même si, tous les deux proposent de repenser l’école, Durkheim insiste plutôt sur la nécessité de transmettre des savoirs pour éduquer. Cette éducation ne peut être faite que par un enseignant qui incarne l’autorité, et qui présente les vérités acceptées scientifiquement, universelles et laïques sur le monde. Pour Durkheim l’école doit être un sanctuaire des savoirs, un lieu privilégié coupé du monde et de ses influences extérieures pour protéger l’enfant des influences extérieures et l’aider à grandir sereinement. Le projet de Durkheim est surtout le développement de l’esprit critique à l’abri des perturbations sociales. Tandis que pour Dewey le projet est de développer chez les élèves la capacité d’agir de manière autonome. Les 2 ne sont pas incompatibles mais l’ensemble du 20ème siècle a été traversé par ce dualisme. Les 2 conceptions extrêmes ont tendance actuellement à s’hybrider : on peut parier aujourd’hui sur le pouvoir émancipateur des savoirs et la nécessité d'éduquer à la pensée critique.

La première école dite nouvelle apparaitra aux USA dans le Massachusetts avec une école laboratoire dans laquelle les enfants travaillent avec la pédagogie de projet. Enseignants et élèves se mettent d’accord sur des objectifs éducatifs qui sont clarifiés en accord avec les demandes des politiques. Pour John DEWEY, le fondateur de cette pédagogie de projet, l’idée forte est que la seule manière de faire apprendre, c’est de faire faire les choses : « Learning by doing ». La deuxième idée est que si les enfants ont des difficultés d’apprentissages, il faut repenser la façon d’enseigner et non pas accuser la capacité des enfants. Enfin, l’école doit être une école des savoirs et de la pensée critique, dans le sens d’Emile Durkheim, mais elle doit également développer des savoirs faire et des savoirs être (c’est-à-dire des compétences, dont apprendre à apprendre). Généralement, les compétences regroupent savoir-faire = capacité et savoir être = attitude.

Avec l’idée de favoriser la confiance et l’estime de soi chez l’enfant, la capacité d’expression, et plus largement ce qu’on appelle l’intelligence émotionnelle et le développement personnel, pour la connaissance de soi et des autres, mais surtout l’empowerment des enfants pour lequel milite Dewey. En 1910, il publie l'ouvrage « éducation et démocratie ». Pour lui, la fonction de l’école c’est d’apprendre l’ouverture d’esprit (open-mindness dans son ouvrage How we think, 1933), en étant attentif au fait qu’il y a d’autres manières de penser et qu'il s'agit d’en comprendre la logique. Il propose une méthode pédagogique qui permette d’apprendre à apprendre, centrée sur sa devise : « learning by doing ».

  • Texte de John DEWEY, 1933, p.10 sur l’ouverture d'esprit
    Cette attitude peut être définie comme une indépendance à l’égard des préjugés, de l’esprit partisan et autres habitudes de ce genre qui ferment l’esprit et le rendent peu disposé à considérer de nouveaux problèmes et à accueillir de nouvelles idées. […] Cette attitude implique le réel désir d’entendre plusieurs points de vue, de porter attention aux faits, quelle que soit la source d’où ils proviennent, d’examiner avec soin d’autres possibilités, de reconnaître la possibilité de l’erreur même pour les croyances qui nous sont les plus chères.
    La paresse mentale est l’un des grands facteurs de fermeture de l’esprit aux idées nouvelles. La pente du moindre effort et du moindre ennui est déjà creusée dans l’esprit. Changer de vieilles croyances exige un travail pénible. La vanité pousse souvent à considérer comme un signe de faiblesse le fait de reconnaître qu’une croyance à laquelle nous adhérions est fausse. Nous nous identifions tellement à nos idées qu’elles deviennent nos « chéries », nous nous dressons pour les défendre, nous fermons nos yeux et nos oreilles à toute idée différente. Nos craintes inconscientes nous conduisent aussi à adopter des attitudes purement défensives qui, agissant telle une armure, nous ferment aux nouvelles conceptions et nous empêchent même de faire de nouvelles observations.
    L’effet cumulé de ces forces ferme notre esprit et provoque un repli sur soi qui nous coupe des nouvelles relations intellectuelles dont nous avons besoin pour apprendre. Le meilleur moyen de les combattre est de cultiver cette sensibilité spontanée à la nouveauté et cette curiosité de tout instant pour le nouveau qui constituent l’essence d’un esprit ouvert
  • 2.2 La charte de la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle (LIEN) : la critique de la pédagogie traditionnelle (1920-1950)

Les dernières grandes guerres avaient résulté de la montée des régimes totalitaires en Europe et de la mise en place de régimes politiques qui avaient utilisé l’institution scolaire pour endoctriner les plus jeunes (uniformes, chants patriotiques et militaires, lever de drapeaux,..), dans l’espoir de former des citoyens soldats au service de la nation et de la défense corps et âme de ses intérêts. A la sortie de ces périodes, le constat général d’une utilisation de l’école au service de la guerre amène à s’interroger sur la part de responsabilité de cette institution sur le fonctionnement sociale, l'apprentissage de la liberté, de l’égalité, de la solidarité et la démocratie critique.

En 1918, les pédagogues de toute l’Europe (Italie, Allemagne, Pologne, Grande Bretagne, France) décident de créer la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle (LIEN). Cette ligue propose de créer une Charte internationale à destination des systèmes éducatifs de tous les pays autour de l’objectif d’éduquer à la paix, pour que plus aucune personne ne sorte de l’école avec l’envie de combattre et de se radicaliser. Comme la plupart des courants de l’Ecole nouvelle à cette époque, le projet politique est celui d’une éducation à la paix et à la démocratie, au vivre-ensemble. C’est dans ce contexte que vont naitre toutes les éducations dites nouvelles, avec le congrès de 1921. Cette idée sera partagée par C. Freinet en France. Rappelons que, au cours de l’histoire du 20ème siècle, à chaque crise sociale, sanitaire, militaire et/ou terroriste, cette question de l’éducation des jeunes à la paix et à la démocratie est remise en avant, notamment lorsqu’on se rend compte que ce sont des jeunes passés par notre système éducatif qui se marginalisent, loin des valeurs républicaines, avec des appels à la violence et à la haine (situations des attentats en France en 2015).

Adolphe Ferrière, cofondateur en 1921 de la Ligue internationale de l'éducation nouvelle, résume une préoccupation commune de ce courant pédagogique : la critique de la pédagogie traditionnelle. Il déclare :

« Et sur les indications du diable, on créa l'école. L'enfant aime la nature : on le parqua dans des salles closes. L'enfant aime voir son activité servir à quelque chose : on fit en sorte qu'elle n'eût aucun but. Il aime bouger : on l'obligea à se tenir immobile. Il aime manier des objets : on le mit en contact avec des idées. Il aime se servir de ses mains : on ne mit en jeu que son cerveau. Il aime parler : on le contraignit au silence. Il voudrait raisonner : on le fit mémoriser. Il voudrait chercher la science : on la lui servit toute faite. Il voudrait s'enthousiasmer : on inventa les punitions. (... ) Alors les enfants apprirent ce qu'ils n'auraient jamais appris sans cela. Ils surent dissimuler, ils surent tricher, ils surent mentir. »

Le courant européen de la LIEN se réunira en congrès régulièrement jusqu’en 1936. Il va au départ rédiger une charte, en 1921, qui sera reprise en 1932. Le préambule précise que l’éducation doit permettre de transformer la société, avec une vision anticonformiste. Elle doit apprendre à coopérer et à trouver des solutions ensemble en problématisant. L’éducateur ne pourra réussir que s’il s’entoure des parents, de l’administration et des travailleurs sociaux. Tous contribuent aux changements d’attitudes, aux questionnements des préjugés des plus jeunes, pour une société plus juste et démocratique.

Question: Comparer l'évolution entre les 2 chartes de la LIEN. Essayez d'analyser les variations entre les deux déclarations, en lien avec le contexte sociopolitique international.

PRINCIPES DE RALLIEMENT (Charte de 1921)
1. Le but essentiel de toute éducation est de préparer l’enfant à vouloir réaliser dans sa vie la suprématie de l’esprit ; elle doit donc, quel que soit par ailleurs le point de vue auquel se place l’éducateur, viser à conserver et a accroître chez l’enfant l’énergie spirituelle.
2. Elle doit respecter l’individualité de l’enfant. Cette individualité ne peut se développer que par une discipline conduisant à la libération des puissances spirituelles qui sont en lui.
3. Les études et, d’une façon générale, l’apprentissage de la vie, doivent donner libre court aux intérêts innés de l’enfant, c’est-à-dire ceux qui s’éveillent spontanément chez lui et qui trouvent leur expression dans les activités variées d’ordre manuel, intellectuel, esthétique, social et autres.
4. Chaque âge à son caractère propre. Il faut donc que la discipline personnelle et la discipline collective soient organisées par les enfants eux-mêmes avec la collaboration des maîtres ; elles doivent tendre à renforcer le sentiment des responsabilités individuelles et sociales.
5. La compétition égoïste doit disparaître de l’éducation et être remplacée par la coopération qui enseigne à l’enfant a mettre son individualité au service de la collectivité.
6. La coéducation réclamée par la Ligue exclut le traitement identique impose aux deux sexes, mais implique une collaboration qui permette à chaque sexe d’exercer librement sur l’autre une influence salutaire.
7. L’Éducation nouvelle prépare, chez l’enfant, non seulement le futur citoyen capable, de remplir ses devoirs envers ses proches, sa nation, et l’humanité dans son ensemble, mais aussi l’être humain conscient de sa dignité d’homme.

Nouvelle charte de la LIEN après le Congrès de Nice (1932)
La crise actuelle appelle la concentration à travers le monde entier de tous les efforts vers une éducation rénovée. En vingt ans, l’éducation pourrait transformer l’ordre social et instaurer un esprit de coopération capable de trouver des solutions aux problèmes de l’heure. À cela, nul effort national ne saurait suffire. C’est pourquoi la Ligue Internationale pour l’Éducation nouvelle adresse un pressant appel aux parents, éducateurs, administrateurs et travailleurs sociaux pour qu’ils s’unissent en un vaste mouvement universel. Seule une éducation réalisant dans toutes les activités un changement d’attitude vis-à-vis des enfants peut inaugurer une ère libérée des concurrences ruineuses, des préjugés, des inquiétudes et des misères caractéristiques de notre civilisation présente, chaotique et dépourvue de sécurité. Une rénovation de l’éducation s’impose, basée sur les principes suivants :
1° L’Éducation doit mettre l’enfant en mesure de saisir les complexités de la vie sociale et économique de notre temps.
2° Elle doit être conçue de manière à répondre aux exigences intellectuelles et affectives des enfants de tempéraments variés et leur fournir l’occasion de s’exprimer en tout temps selon leurs caractéristiques propres.
3° Elle doit aider l’enfant à s’adapter volontairement aux exigences de la vie en société en remplaçant la discipline basée sur la contrainte et la peur des punitions par le développement de l’initiative personnelle et de la responsabilité.
4° Elle doit favoriser la collaboration entre tous les membres de la communauté scolaire en amenant maîtres et élèves à comprendre la valeur de la diversité des caractères et de l’indépendance d’esprit.
5° Elle doit amener l’enfant à apprécier son propre héritage national et à accueillir avec joie la contribution originale de toute autre nation de culture humaine universelle. Pour la sécurité de la civilisation moderne, les citoyens du monde ne sont pas moins nécessaires que les bons citoyens de leur propre nation.

Les 5  grands principes de la charte de 1932 sont les suivants :

  • - Aider l’enfant à saisir la complexité de la société et de l’économie
  • - Être vigilant sur les dimensions relationnelles, affectives des enfants qui expliquent leurs tempéraments différents.
  • - Apprendre aux enfants à s’adapter aux règles mais sans les imposer par les punitions. Pas de peur de la punition mais plutôt des efforts de responsabilisation
  • - Collaborer entre tous les membres de la communauté, dans le but de comprendre que la diversité a de la valeur et qu’elle contribue à l’indépendance d’esprit.
  • - Faire comprendre à l’enfant qu’il est citoyen du monde, au-delà de sa Nation, de sa région, de sa ville, de son quartier, de sa famille.

Mais derrière cet affichage consensuel, les membres de cette ligue, dont Maria Montessori, Célestin Freinet et Adolphe Ferrière manifestent plusieurs points de désaccord moins sur les finalités éducatives émancipatrices que sur les modalités qui devraient favoriser une telle éducation. Selon Meirieu, 7 sources de malentendus sur la nature de l’enfant, et 7 principes éducatifs à discuter sont repérables dans les débats. Voici selon lui quelques uns des points de tensions, que l'on peut mettre en relation avec les trois dimensions théoriques à la base d'une proposition pédagogique (voir plus haut) :

Question : classer les différents pédagogues étudiés en fonction de la réponse qu'ils apportent à ces questions controversées :

  • Que veut dire être actif ?
    Pour certains pédagogues, c’est le maitre qui imagine et propose une activité et les enfants la réalisent.
    Pour Freinet, les enfants pensent l’activité et ils la réalisent. Ils contribuent tous ainsi à toutes les étapes de l’activité, mentalement et manuellement. Pour éviter la spécialisation des enfants dans les taches, il propose que les rôles tournent dans les groupes d’enfants qui coopèrent.
  • Quel degré de liberté accordée aux enfants ?
    Tous sont d’accord pour dire que les jeunes enfants ont peu de filtres. Face à cela, certains disent qu’il faut canaliser leur spontanéité, parce qu’elle est chargée de stéréotypes, une spontanéité plus émotionnelle que réfléchie. Il faudrait donc donner un cadre à la liberté d’expression de l’enfant, par exemple avec une boite aux lettres d’expression que l’enfant adresse à l’adulte, qui prendra le temps de lui répondre, en différant pour temporiser et mettre à distance les émotions, pour laisser le temps de la réflexion.
    D’autres pensent qu’il faut laisser la spontanéité s’exprimer, ce qui suppose d’être capable de saisir au vol, sur le moment de l’expression, l’occasion de la transformer en situations éducatives.
  • Quelle adaptation de l’adulte à l’enfant ?
    Montessori pense que pour s’adapter aux enfants, il faut leur proposer une palette d’outils pédagogiques, qu’on les laisse explorer en fonction de leurs intérêts tout en étant attentif à sa compréhension de l’objet, pour éventuellement changer le matériel et l’adapter (cuillère adaptée à la taille de la main de l’enfant par exemple, miniaturisation des objets courants, du mobilier scolaire, etc.).
    D’autres pédagogues proposent de s’adapter à l’enfant, en essayant de bien le connaitre avant, par diagnostic, en lui faisant passer des tests et des exercices, afin de lui proposer un parcours éducatif individualisé et adapté à son profil. C’est une vision médicale de l’éducation, et une vision de l'enfant comme objet diagnosticable Dupeyron, 2012). Cette vision est actuellement renforcée probablement par l'expertise neuroscientifique. Le risque de cette approche est de figer dans le temps le profil de la personne.
  • Quels savoirs transmettre ?
    Pour certains il faut transmettre les savoirs utiles en société, en accord avec la société du moment (savoirs de l’agriculture, de l’industrie, etc..)
    D’autres pensent que l’école doit transmettre des savoirs culturels qui permettront à l’enfant de se connaitre lui-même, dans son intimité (sa biologie, sa psychologie) pour le sortir de son isolement, de sa solitude, de son égocentrisme, pour qu’il soit capable de comprendre ses pensées et ses émotions, et le relier aux autres, à la différence et à l’histoire de l’humanité. Signalons que depuis 2015, il existe un texte officiel résultat d'un consensus national qui précise les connaissances mais aussi les attitudes et les capacités (compétences) que l’école doit transmettre. Ce texte qui accompagne la loi de refondation de l'école en 2013 fait l’objet de nombreuses questions au concours de recrutement des enseignants, précise l’essentiel de ce que doit savoir un enfant à la fin du parcours scolaire. Il s'agit du Socle commun de connaissances, de compétences et de culture.

En 1945, à la sortie de la 2nd guerre, la Ligue de l’éducation nouvelle va s’essouffler, pour des raisons à identifier, et probablement un projet politique orienté prinicpalement vers le social plus que vers l'éducatif, et chaque pays va réécrire sa propre charte. L’école française reviendra sur le modèle de l’école des savoirs culturels, avec une représentation de l’enfant comme sujet à encadrer et à diriger pour l’aider à grandir. Ce modèle tiendra jusqu’en mai 1968 où il sera à nouveau critiqué, tout comme l'illusion pédagogique que porterait l'éducation nouvelle d'inspiration rousseauiste (Raband, 1968).

C’est à cette époque que les pays scandinaves s’orienteront vers le modèle qui leur vaut actuellement la reconnaissance internationale, notamment dans le cadre des tests PISA. Très récemment, les pays asiatiques et le Japon sont également particulièrement bien placés dans ces grandes évaluations internationales des élèves de 15 ans, pour des raisons différentes.

En France, la dernière crise sociale qui a le plus interrogée notre éducation, ce sont les attentats commis par des jeunes français éduqués dans les écoles françaises en 2015. L’école est-elle responsable ? Certains estiment que c’est la preuve que l’école n’a pas été capable d’éduquer au vivre ensemble, à l’esprit critique et aux valeurs de solidarité et de coopération.  Najat Valaut Belkacem lancera rapidement un programme d'éducation aux valeurs de la République, aux médias d’information, à l’esprit critique, qui conduira progressivement à reconnaitre l’intérêt des pédagogies coopératives et solidaires. Sous la présidence Macron, on s'interrogera régulièrement sur les conséquences de l’expérimentation de Céline Alvarez (2011-2014), sur la politique éducative du ministre Blanquer, celui la même qui avait soutenu l’expérimentation à Gennevillers en 2011, alors qu'il travaillait pour la DGESCO.

La crise sanitaire et notamment la fermeture des écoles françaises en mars 2020 relanceront les questionnements à propos de la forme scolaire, de la coopération entre enfants et éducateurs (parents, enseignants, animateurs périscolaires, etc.), des finalités des apprentissages scolaires, des pédagogies enseignantes, et de la pertinence d'une scolarisation souvent volontairement fermée sur les réalités sociales, au moins dans les discours.

3. Itard : la question de l'éducabilité

Au début du Xeme siècle, époque d’avènement de la psychologie du développement, les travaux du docteur Itard questionnent le principe d’éducabilité (Meirieu, en ligne): est-ce que tous les enfants sont éducables, à travers la pensée adulte, sont-ils tous capables d’accepter d’apprendre avec la présence d’un éducateur, quel que soit son projet pédagogique ? Le principe d’éducabilité suppose que pour qu’il y ait une relation éducative, il faut qu’il y ait une négociation entre l’éducateur et l’éduqué, avec la prise en compte de l'éventualité d’un refus par l’éduqué du projet de l’éducateur. Il faut donc être prêt à entendre et à comprendre les résistances à l’éducation, pour éviter un rapport de domination, tout en remettant en question notre projet et nos méthodes.

  • Jean-Marc Itard : éducabilité, inné et acquis dans les apprentissages

Itard décide de prendre en charge un enfant sauvage dans l’Aveyron en 1801. Il déclare qu’on pourra l’éduquer si l’on utilise les « bonnes méthodes ». Victor est un enfant récupéré à l’âge de 8-9 ans, incapable de communiquer, sans connaissance des normes sociales et comportementales de l’époque. Itard va rencontrer l’opposition du docteur Pinel qui lui dira que l’éducation a une part d’inné, et que vu le comportement de cet enfant, on ne pourra jamais l’éduquer. Début d’une bataille entre 2 écoles de psychologie et la question de la place des savoirs de référence dans l’éducation (voir Raymond, 2011, la place de la psychologie sur la connaissance de la nature de l’enfant) : de l’acquis et de l’inné notamment vis à vis à de styles d’intelligence.

L'histoire se déroule dans les années 1800 et a donné lieu à un film de Truffaud l’Enfant sauvage en 1970. Pendant cinq années, Itard travaille à la réinsertion sociale de cet enfant sauvage, mais considère comme un échec personnel son incapacité à parler. Victor sera confié à Madame Guérin qui reçoit une pension annuelle de 500 francs et le soigne pendant 17 ans, de 1811 à sa mort en 1828, dans une maison de l’impasse des Feuillantines à Paris. Son corps sera jeté dans une fosse commune sans que soit pratiqué d'autopsie.

Le principe d’éducabilité est associé au principe de liberté car, en éducation, il y a un risque de vouloir exercer un contrôle sur la personne pour son "bien", et si on n’écoute pas les limites exprimées par la personne à éduquer, cela peut conduire à de la violence symbolique, verbale, voire physique. Il faut donc reconnaitre la liberté à l’enfant de refuser l’apprentissage et donc d’être dans la non réciprocité.

4. Montessori : apprendre l'autonomie

Itard va inspirer Maria Montessori notamment dans le développement de matériel pédagogique ayant chacun des objectifs précis d’apprentissage, avec une différenciation pédagogique possible. Un rapport particulier à la liberté de l'enfant, que l’éducateur peut moduler en laissant à l’enfant le choix de l’activité et un matériel qui lui donne immédiatement la vision de la réussite ou de l’échec (feed back immédiat), mais qui l'automise également. En interaction avec l’offre de l’éducateur, l’enfant découvre, se régule. L’ouverture d'esprit du pédagogue permet de faire évoluer l’offre pédagogique. Cela rappelle un des 4 principes édicatifs énoncés par Alvarez (2014) et l'équipe des neuro-pédagogues, des principes que les sciences de l'éducation avaient déjà théorisées.

Durant le Moyen Age et la Renaissance, l’enfant est considéré comme un adulte en miniature. A partir du début du XXème siècle, les représentations sociales changent sur la nature de l'enfant (Raymond, 2011 ; Dupeyron, 2012). On va considérer que l’enfant a une personnalité particulière, singulière et qu’il fonctionne différemment de l’adulte.

  • Quelques compléments extraits de :
    Les travaux arrivent à un moment où beaucoup d’enfants sont à prendre en charge par la nation parce qu’ils ont perdu leurs parents (Première guerre mondiale). Ils se retrouvent donc dans la rue, les banlieues. Le projet est donc de les rendre rapidement autonomes et donc indépendants vis à vis des adultes, dans la mesure du possible. Il y a également un autre projet plus philosophique. C’est l’idée de permettre aux enfants de se rendre compte et de réagir lorsque les adultes essayent de les endoctriner par la propagande, notamment militaire. Dans cette période de montée du fascisme en Italie, les années 1920, avec le port de la blouse obligatoire à l’école et des chants militaires. Les sensibiliser donc aux risques que certains adultes les conditionnent pour la guerre.

L'histoire raconte que la Dr Montessori rencontre un jeune enfant très concentré sur une tache : elle va comprendre que le rapport au monde de l’enfant est celui d’un être qui veut apprendre sur le monde, en manipulant et en explorant des outils. Elle propose de reproduire des situations semblables à l’école, pour permettre à l’enfant découvrir, de se concentrer sur une tache et de se construire son intelligence et sa personnalité.

Née en 1870 d’une famille aisée, Montessori est poussée par ses parents à faire des études de médecine : elle deviendra la 1ère femme médecin en Italie. Féministe, elle exerce dans la banlieue de Rome et se trouve confrontée à des enfants en difficultés, qualifiés à l’époque d’anormaux. Elle rencontre le Docteur Itar notamment et met en place ses principes pédagogiques jusqu’à la création de la Maison de l’enfant. Le projet vise à donner aux enfants un cadre sécurisant, permettant de la concentration et une sortie du tumulte intérieur. Selon elle, de nombreuses solutions pédagogiques viennent de l’observation attentive des élèves en difficultés. Par l’observation, elle constate qu’ils ont des capacités de concentration sur une activité, et qu'ils sont donc capables de travailler. Elle émet l’hypothèse que les difficultés des enfants à l’école sont liées aux représentations et aux attentes des adultes. Et notamment à l’ignorance du fait que les enfants apprennent à partir du monde. Montessori propose que l’adulte soit un trait d’union entre l’enfant et les objets du monde, et que sa mission soit de l’aider à connaitre, à savoir faire et à savoir être à partir d’objets choisis par le pédagogue et que l’enfant va manipuler avec curiosité, détermination et exigence. Elle propose de miniaturiser le monde des adultes et de laisser les enfants choisir parmi les activités de la classe, en mettant l’accent sur le langage écrit et oral, la communication avec l’adulte et entre les enfants, la gestion des émotions, l’écriture, la lecture et le calcul.

Elle invite à réaliser une harmonie entre l’enfant et son environnement, avec notamment la réduction à la taille de l’enfant du mobilier scolaire. On fabrique également des outils spécifiques : collier de perles, puzzles, bouliers, des instruments de musique…Beaucoup de matériaux pédagogiques développés permettent de travailler la motricité fine. Une fois que l’appropriation du matériel est faite, l’enfant va faire tout seul.

Actuellement, la méthode est peu appliquée en dehors des écoles Montessori (source), même si elle suscite ces dernières années un engouement sociomédiatique lié probablement à de nouvelles générations de parents plus sensibles au question de développement et d'apprentissage libre des enfants, même si le pri de ces écoles le plus souvent privés sous contrat reste un facteur d'évitement notable. La méthode permettrait de mieux gérer le travail des enfants, le contrôle des émotions, l’autonomie. Le rôle du maitre est celui d’un organisateur, d’un médiateur et il n’est plus le transmetteur comme dans la pédagogie traditionnelle. Il est dans une attitude de non-domination et c’est un trait d’union entre le matériel et l’enfant, en respectant le rythme d’apprentissage de chaque enfant. Il s’agit de prendre les enfants là où ils sont, pour les aider à progresser et ainsi donner le meilleur d’eux-mêmes. Ce qu’il reste aujourd’hui de cette pédagogie, c’est la devise « aide moi à faire tout seul ». Etre capable d’être là pour l’enfant mais lui lâcher la main. C’est donc un appel à l’autonomie. Cette autonomie pour M. Montessori, et également pour Célestin Freinet, n’est possible que s’il y a une relation de confiance et de respect réciproque entre l’adulte et l’enfant (voir vidéo Demain, 2015). Il y a donc des dimensions affectives à prendre en compte dans l’apprentissage de l’autonomie. Pour Montessori, l’autonomie, ce n’est pas la liberté absolue laissée à l’enfant, mais c’est plutôt lui apprendre à être conscient de lui-même, des choix qu’il fait et d’en assumer les conséquences. En grec, l’aumos de l’autonomie, c’est la loi à laquelle j’obéis. Cela veut donc dire que l’enfant va adhérer de manière lucide aux activités, et qu’il en prend la responsabilité. Eduquer à l’autonomie, c’est donc une éducation à la responsabilité.

Signalons que Céline Alvarez revendique le souhait de se démarquer de la pédagogie Montessori comme elle l'indique dans le message d'accueil (2017) de son site internet. Ce message répond aux principaux reproches qui sont faits à la pédagogie Montessori. Alvarez souhaite montrer comment elle s'en est éloignée, pour répondre à ses critiques. Il s'agit probablement d'un message à l’attention des enseignants mais aussi des parents, avec lesquels elle tente toujours de maintenir l’alliance à travers les témoignages sélectionnés sur son site, et l’engagement dans une forme de partenariat éducatif, dont parle Le Menn (2018, p.151-157) pour l’école Ao Tawhiti, en Nouvelle-Zélande qui ouvre les portes de la classe et fait réellement cas de l'idée de coéducation entre parents et enseignants (voir aussi le blog Tour du monde des écoles : la Nouvelle-Zélande).

  • Question : A partir du message d'accueil du site internet de Caline Alvarez (2017), essayez de comprendre ce que justifie le besoin de l'auteure de se démarquer de la pédagogie Montessori :
    Chers visiteurs,
    Nous assistons actuellement à l'essor de la pédagogie Montessori en France, essor auquel l'expérience de Gennevilliers a probablement contribué. Or les travaux du Dr Montessori n'ont été qu'un point de départ dans notre travail. Il nous semble important de le rappeler.
    Nous avons soustrait de la proposition Montessori ce qui ne semblait pas ou plus adapté, comme les plages quotidiennes obligatoires de 2 à 3h de travail individuel (matin et soir). Nous avons également retiré des activités et en avons proposé d'autres, plus traditionnelles telles que Kaplas, puzzles, jeux de constructions, perles, jeux de société, etc... Ce que la pédagogie Montessori officielle n'autorise pas : elle impose une liste stricte de matériels avec laquelle aucun autre ne peut cohabiter.
    Nous avons retravaillé l'entrée dans la lecture en la recentrant sur la relation humaine, nous avons focalisé notre attention sur le développement des compétences exécutives des enfants (via l'autonomie, le langage oral, la gestion des conflits), nous avons proposé une posture de l'enseignant plus directive et plus active ; et surtout, nous avons mis l’accent sur les activités collectives et le lien entre les enfants. Nous avons ajouté de la vie, de la spontanéité, de la joie et son corollaire : le bruit causé par les éclats de rire et les nombreux échanges entre jeunes enfants !
    Toutes ces modifications ont été déterminantes pour la réussite de l’expérience.
    Nous invitons donc parents et enseignants à rester vigilants : appliquer la stricte méthode Montessori - en particulier telle que promue par le centre de formation officiel - ne saurait en aucun cas vous permettre de créer ou de retrouver un environnement tel que celui mis en œuvre à Gennevilliers, ou d'obtenir les mêmes résultats.
    À noter par ailleurs que si la proposition didactique issue de la pédagogie Montessori est une excellente porte d'entrée pour amorcer un changement de pratique, la rigidité dont peut parfois faire preuve le système global de cette méthode est susceptible de placer enfants et enseignants en grande difficulté.
    Étudions et considérons les héritages précieux des générations précédentes, mais prenons garde à conserver - toujours - notre discernement.
    Bonne visite !

Alavarez défend l’idée qu’elle a réactualisé à Gennevilliers la méthode traditionnelle et qu’elle n’applique pas à la lettre cette méthode enseignée dans les écoles de formation Montessori. Elle en profite pour faire une citrique de cette méthode en appelant à la vigilance par rapport, selon elle, à la « rigidité des pratiques Montessori » : absence de collectif, cadrage trop fort des enfants, matériel proposé qui ne laisserait pas de souplesse aux enfants et enseignants pour re-inventer et innover. Elle va même jusqu’à dire que la méthode Montessori introduit une forme de stérilisation de ce que certains pédagogues ont appelé « l’élan vital » de l’enfant.Annexe : La question des modes d'inclusion des parents

Question : à partir de ce texte, réalisez l'emploi du temps des enfants dans l’école Ao Tawhiti, en Nouvelle-Zélande:
  • En inscrivant leur enfant dans cet établissement, les parents s'engagent à coopérer pleinement avec les enseignants et à donner au moins une demi journée de leur temps par an à l'établissement, que ce soit pour accompagner les enfants en sortie, animer un atelier ou donner un coup de main de maintenance. [...] presque tous les jours des parents et des grands-parents vaquent aux diverses tâches auxquelles ils s'étaient engagés [...]
    le partenariat pédagogique entre éducateurs et parents est primordial. "Les parents, qui connaissent le mieux l'enfant et l'enseignant qui connait le mieux les méthodes pour apprendre ne peuvent que travailler ensemble". L'école est ouverte en permanence aux parents. Ceux-ci peuvent rester en classe en choisissant de jouer un rôle actif en aidant les enseignants ou en étant de simples observateurs des élèves en activité. Les parents se sentent en confiance dans cette école, en raison de la grande transparence dans laquelle travaillent les enseignants, ce qui ne signifie pas qu'il n'y ait pas parfois des conflits d'idées entre
    [certains membres de, ndr] l'équipe pédagogique et certains parents. [...]
    Il est parfaitement normal que cinq ou six parents passent une demi-heure dans la classe, le matin lors du temps de regroupement ou avant la sortie des élèves, pour regarder l'avancée des projets de leurs enfants, les voir interagir avec leurs amis...[...] Le père d'un garçon autiste
    vient régulièrement passer du temps avec son fils pour l'accompagner dans ses apprentissages. Et tous les vendredis matin, lors de la présentation des travaux des élèves volontaires à leurs pairs, il n'est pas rare qu'une dizaine de parents se présentent dans les classes pour assister à ce moment solennel [...]. Sur toute l'école primaire et ses 150 élèves, seuls 5 mamans et 2 papas sont présents quasi quotidiennement, [...] purement bénévoles [...] et volontaires. C'est finalement à l'occasion des sorties que l'on retrouve le plus grand nombre de parents, puisqu'ils sont exxplicitement sollicités pour transporter les élèves à bon port, avec leur propre véhicule, pendant que les professeurs font de même [...] le fait d'autoriser les parents à passer du temps dans les locaux permet de dissiper certains malentendus et d'éviter des conflits [..] Les parents peuvent se rendre plus facilement compte du comportement de leur enfant sur le temps scolaire et apprennent à mieux le connaitre. Ce que voit l'adulte de son enfant à l'école ne se limite plus alors à un simlple bulletin de notes orné de quelques appreciations, ni à un carnet de suivi où s'alignent sur le papier les preuves de réussite ou d'échec [...] Les parents sont plus proches de la réalité que vit leur enfant [...] Le lien de confiance qui nait entre parents et enseignants se reporte sur l'enfant qui n'est plus "abandonné" devant l'école, et "récupéré" à la sortie, mais [...] confié à des adultes connus des parents. Il devient plus clair pour l'enfant que parents et enseignants oeuvrent communément pour son bien.[...] Chez les enfants, surtout les plus jeunes, la simple présence occasionnelle de leur géniteur les rend très fiers. Ils s'empressent de leur montrer ce qu'ils font en classe, de présenter leurs amis.
    En parallèle du simple fait d'ouvrir l'école aux parents, une matinée destinée aux ateliers des familles est également organisée tous les jeudis. Il s'agit de permettre aux parents, grands-parents, grandes soeurs et grands frères de venir proposer des ateliers aux enfants toutes les semaines. [...] les enfants s'inscrivent aux ateliers de leur choix pour une période de deux mois. Pendant que des ateliers (bricolage, théatre, cuisine, jardinage, langues vivantes,...) sont proposés, les enfants qui n'ont pas souhaité s'inscrire [...] travaillent sur leur projet personnel, avec un soutien renforcé de la part des enseignants, plus disponibles. [...] Les parents puuvant accueillir jusqu'à 10 enfants dans leurs atelier, sans avoir à être supervisés par les enseignants, ceux-ci peuvent alors se consacrer à d'autres tâches.
    Cette école est publique et gratuite, mais en raison des méthodes pédagogiques particulières, les parents doivent adhérer au projet d'école et notamment à l'idée de partenariat éducatif.[...] Cette ouverture aux parents permet aussi de mettre en accord
    [ou au moins d'expliciter, ndr] les régles de vie et les valeurs enseignées à l'école et au sein des familles [...]
    L'école est gérée par un conseil d'administration dont font partie le directeur de l'établissement, un représentant du personnel enseignant, un représentant des élèves et [...] cinq représentants des parents [...]. Le rôle de cette instance est notamment d'assurer que l'établissement continue à faire vivre sa philosophie originelle. Ce conseil se charge aussi, par exemple, de recruter les nouveaux enseignants [...]
    On peut donc envisager des modes d'inclusion des parents très variés, de la simple ouverture de la classe à la cogestion de l'établissement.
    In
    Le Menn (2018, p.151-157)

5. Freinet, Freire: apprendre pour transformer la société, par la coopération et la critique, contre le principe de neutralité à l'école. Une éducation populaire pour la transformation sociale

  • D'après De Cock, L. et Pereira, I. (2019). Célestin Freinet et Paulo Frere : des pédagogies de transfoirmation sociale (pp. 21-34). Marseille : Agone.

Célestin Freinet (1869-1966) et Paulo Frere (1921-1997) ont cherché à développer une éducation émancipatrice pour les opprimés et avec eux : les enfants du prolétariat et de la petite paysannerie du sud Est de la France pour l'instituteur français et les adultes analphabètes du Brésil et du Chili pour l'éducateur brésilien. En 1991, Paulo Freire déclarera dans une conférence au Brésil "les réves de Freinet sont aussi mes rêves. Il y a concordance de nos reves et de nos objectifs : la lutte, l'engagement permanent pour une éducation populaire, pour une école qui tout en étant sérieuse n'a pas honte d'être heureuse. La critique qu'ils formulent contre l'éducation officielle instaurée par les classes dirigeantes est la suivante : cette éducation présenté comme neutre, a pour objectif d'éloigner les questions sociales de l'enseignement et d'apdater les élèves à servir un ordre social établi, sans être en capacité de la remettre en cause. Ils denoncent un enseignement fondé sur la parole du maitre ou sur les contenus de manuels scolaires éloignés des réalités sociales. Cette éducation verticale est souvent assimilée à une éducation de gavage dans les écrits de Freinet et elle est nommée éducation bancaire dans l'oeuvre de Freire. Ces représentations de l'éducation qui considèrent que l'enseignant est toujours celui qui sait, et les élèves ceux qui ne savent pas, nient le fait que la connaissance est un processus de recherche et le savoir n'est plus celui de l'expérience vécue mais celui de l'expérience racontée ou transmise. Plus on impose la passivité aux élèves par cette éducation bancaire, et plus les élèves s'adaptent à une réalité parcellaire, étouffent leur puissance active, ce qui réduit leur pouvoir créateur, et leur pensée divergente pour reprendre l'expression de Sir Ken Robinson, leur sens critique. Pour les défenseurs de l'éducation bancaire, qui se cachent derrière le principe de neutralité pour ne pas aborder les problèmes sociaux et politiques, l'essentiel n'est pas la découverte du monde et la transformation, mais l'étouffement de la puissance active, de la réalisation personnelle, du pouvoir créateur et du sens critique des plus jeunes. Selon  Freinet et Freire, il importe pour la neutralité, pour la sécurité et la paix des enfants que l'instituteur ne regarde pas plus loin que ses livres, ses cartes et ses tableaux. Le principe de neutralité sert en réalité des classes dominantes.

Pour Freinet, l'éducation ne peut etre neutre car elle dépend des décisions du gouvernement au pouvoir et subit l'influence de la société. Freire insiste sur le caractère profondement politique et idéologique de l'éducation : la pratique éducative est toujours politique. La question est alors de savoir quel type de savoirs et quel type de politique, en faveur de quoi ete de qui, contre qui et contre quoi elle est dirigée (Freire, 1991). Freinet et Freire ont toujours lutté pour que l'école devient le lieu d'apprentissage et d'expérimentation de la démocratie, préparant à la fois les futurs citoyens et les futurs travailleurs d'une nouvelle société (Freinet, 1921). C'est en décidant que l'on apprend à décider (Freire, P. (1996, 2019). Pédagogie de l'autonomie. Toulouse : Eres). Lorsqu'il était secrétaire de l'éducation à la mairie de Sao Paulo, Paulo Freire développa un programme ambitieux de démocratie dans l'éducation et par l'éducation, en instituant dans chaque établissement un conseil d'école délibératif ouvert aux enseignants, aux parents et aux élèves (Freire, P. (1991). L'éducation dans la ville. Paris : Paideia).

Au coeur des pratiques pédagogiques développées par Célestin Freinet et Paulo Freire se trouvent le vécu, les expériences et les aspitrations des élèves : le centre de l'école n'est plus le maitre mais l'enfant (Freinet, 1928), sachant par ailleurs que les conditions matérielles dans lesquelles vivent les enfants conditionnent leur compréhension du monde et leur capacité à apprendre. L'enseignant dot donc devenir plus familier, moins étranger et distant vis à vis des formes de vie des enfants. Pourquoi ne pas établir une nécessaire initmité entre les savoirs curriculaires fondamentaux pour les élèves et l'expérience sociale qu'ils ont en tant qu'individus (Freire, 2006). En partant de l'expériecne vécue des apprenants et de leur lecture du monde, Freinet et Freire voulaient aiguiser chez les élèves leur compréhension critique des causes véritables des difficultés sociales et les aider à agir sur ces causes, en les plongeant toujours davantage dans leur milieu et en les habituant à réagir contre ce milieu (Freinet, C. (1932). L'école prolétarienne et la crise. L'imprimerie à l'école, 49, 137-140).

Ainsi l'éducation populaire de Freinet et de Freire présente les mêmes fondations, même si ces deux hommes ne se sont jamais rencontrés. Ils militent pour une éducation qui expérimente la participation démocratique et dans laquelle l'expérience sociale des élèves occupe une place centrale. C'est selon eux une point d'appui vers une compréhension critique de la société et des origines des inégalités sociales. Cette compréhension passe par l'engagement des apprenants et des éducateurs vers la transformation sociale.

Il faut préparer les jeunes à dire, en face du proclème social, politique, ce qu'ils ont à dire, comment ils concoivent la société, comment cette société doit se réaliser pour correspondre à leurs besoins [...] Les progrès viennent des gens qui n'ont pas pensé exactement comme les autres, qui ont fait ce que les autres ne faisaient pas". Célestin Freinet, extrait d'une conférence de 1958.

Après une enfance paysanne et une jeunesse brisée par la guerre et une blessure aux poumons en octobre 1917, Freinet, invalide à 70%, se lance dans un vaste courant pédagogique rejettant toute forme d'endoctrinement des enfants :

  • "Si nous ne trouvons pas des réponses adéquates à toutes les questions d'éducation, nous continuerons de forger des âmes d'esclaves à nos enfants [...] Il faut les faire vivre en République dès l'école". Freinet, 1920, L'Ecole émancipée.

Après avoir relu Rabelais, Montaigne et Rousseau, Freinet s'intéresse au pédagogue Johan-Heinrich Pestalozzi (1746-1827), imprégné des idées des Lumières. Lecteur de l'Emile de Rousseau, il avait créé des écoles pour des enfants orphelins dans laquelle il construit une "société éducative" avec des enfants très différents et d'âge disparates.

L'été 1922, en quetes d'expériences pédagogiques récentes, il se rend en Allemagne et viste des écoles libertaires à Hambourg. L'été suivant, il assiste au congrès international pour l'éducation nouvelle, et réalise qu'il veut créer une éducation nouvelle populaire pour les enfants de milieu prolétaire, les enseignants étant pour lui des véritables éducateurs. En 1925, il participe à un voyage d'enseignants en URSS et découvrent des expériences qui l'enthousiasment. Il s'inscrit alors au parit communiste français, estimant que l'engagement pédagogique est indissocilable de l'engagement social et politique. Il met alors en oeuvre de nouvelles pratiques pédagogiques, renonçant aux manuels scolaires et au cours magistral, il sort souvent en enquête avec les élèves dans l'environnement pour observer la nature, le cadre géographique, le travail des gens et faire de vrais calculs. Il fixera les observations et les paroles des enfans sur des textes libres et quotidiennement imprimés, qui constitueront "le livre de vie" de la classe et du village. Le désir d'échanger et d'être compris devient la motivation principale du travail des enfants.

Avec le soutien notamment d'Adolphe Ferrière, il amorce progressivement un réseau d'enseignants français, suisses et belges, et créera L'imprimerie à l'école. Le réseau va enchainer les innovations pédagogiques, à partir de la place donnée aux textes libres des enfants. Acette époque, on s'échange également de petites bobines de film tournés avec les enfants grace à la caméra amateur Pathé-Baby et à son projecteur à manivelle. Des instituteurs girondins organiseront alors en 1927 une cinémathèque coopérative pour le prêt de petits films documentaires muets. La même année, durant l'été, à Tours se tient avec 30 enseignants le premier congrès pédagogique du Mouvement Freinet. En 1928, à Paris, est créée la Coopérative de l'enseignement laïc (CEL) pour éditer et diffuser mes revues et outils pédagogiques du mouvement. En 1931, le CEL financera un film de court métrage Prix et profits (1932), avec Pierre et Jacques Prévert, dénonçant la spéculation des intermédiaires qui prive de ressources les petits producteurs de pomme de terre et les consommateurs prolétaires. La revue du CEL s'appelle désormais l'Educateur prolétarien.

Au coeur du mouvement social, dans les années 1930, il sera pris d'assaut par les forces de l'extrême droite (l'affaire de Saint Paul, 1932-1933, librement adaptée dans le film l'Ecole Buissonière sorti en 1949 et qui fait honneur à l'école publique), alors que de nombreux intellectuels lui apportent son soutien. Simone de Beauvoir écriera, dans La Force de l'Age (1960, p.138-139), à propos de l'instituteur de Saint Paul de Vence qui avait inventé des méthodes nouvelles d'éducation : "sa réussite s'accordait à notre conviction le plus passionnée ; la liberté est source inépuisable d'inventions, et chaque fois qu'on en favorise l'essor, on enrichit le monde."

Conscient que tout sera fait pour l'empêcher de continuer son action dans l'école publique, Feinet décide de construire sa propre école à Vence, avec l'aide des enfants et l'école ouvre en 1936 avec une dizaine de jeunes "cas sociaux" de Gennevillers. Il parie sur la capacité de régulation du groupe par les enfants plutot que sur la seule autorité des adultes. Il y accueillera aussi des enfants réfugiés espagnols en 1937 pour une éducation pluriculturelle, beaucoup d'enseignants de l'Espagne républicaine se sentant en accord profond avec Freinet, alors que Franco déclenche la guerre civile, soutenu par Hitler et Mussolini.

Au debut de la seconde guerre mondiale, il sera suspect par principe et partiellement censuré dans les pages de l'Educateur (l'adjectif prolétarien sera supprimé...), arrété de 20 mars 1940 jusqu'en octobre 1941. Il rejoint alors sa famille réfugiée dans les Hautes Alpes. Privé de toute activité pédagogique jusqu'au début de 1944, il rédige ses 4 principaux livres. Après la guerre, et malgré les changements sociaux qui se mettent en place, rien ne changera à l'école et le plan Langevin-Wallon (1947), auquel Freinet n'est pas associé, n'aura aucune application. Freinet participera à la Charte de l'école moderne adoptée en 1950 à Nancy, une charte qui sera réactualisée en 1968 après la mort de Freinet, puis à l'AG de l'ICEM de Paris de mai 2018 et mai 2019.

Les travaux de Freinet commence 10 ans après le belge Ovide Decroly (1871-1932), après la première Guerre Mondiale et dans un contexte de reconstruction, avec l’idée du « plus jamais ça ! ». Maria Montessori est présente dans le travail de Freinet, mais il estime que le matériel qu’elle propose est trop sophistiqué, surtout dans le contexte économique de l’après-guerre. Il propose de développer des pédagogies coopératives entre les enfants, en lien avec la vie de l’époque, qui est essentiellement une vie paysanne. Les enfants pratiquent maçonnerie, élevage d’animaux… On retrouve le learning by doing de John Dewey, au début du XXeme siècle. Freinet insiste sur le fait que les enfants ne jouent pas dans la classe, mais ils travaillent et apprennent par la pratique. On part ici des questions qui font sens pour les enfants, autour des problèmes de la vie quotidienne.

  • voir Meirieu (2003) sur la question du sens et de l'utilité des savoirs, de la place des affects dans la perception de situations d'apprentissage supposées objectives : Le désir de savoir et d'apprendre ne se décrète pas, alors que l'instruction est obligatoire. on invente à une ruse pédagogique en créant des sitiations problèmes, c'est à dire "des situations dans lesquelles le désir va être présent, mais où il va y avoir un obstacle et cet obstacle permettra à l’éducateur d’introduire un savoir nécessaire."
  • Meirieu, P. (2003). Donner du sens aux apprentissages. Revue Quart Monde [En ligne], 185(1).

Une des particularités dans cette pédagogie coopérative, ce sont les règles de vie et de travail qui sont écrites par les enfants et pour les enfants. Ils décident de ce qui est bien, ce qui est juste, et de ce qu’il faudra faire en cas de non-respect de la règle. Une approche qui pourrait en première approcximation se rapprocher de l'actuel courant de la discipline positive de Jane Nelsen et Lynn Lott, basé sur les principes d'Alfred Adler, psychiatre autrichien du début du XXème siècle : la Discipline Positive est un modèle, ni punitif ni permissif, ancré dans cette belle notion de fermeté et bienveillance simultanées. Face à un problème, ce n’est pas l’adulte seul qui décide, mais on trouve la solution avec l’enfant, mis sur un pied d’égalité morale, et dont la parole a alors le même poids que celle de l’adulte. Mais en conclusion (Wagon, 2018), on verra qu'il s'agit d'un autre courant pédagogique alternatif, au regard de finalités différentes : le développement personnel chez les uns, versus la transformation sociale chez Freinet et Freire.

L'organisation coopérative de la classe conduit chez Freinet à la suppression des rites scolaires habituels et de l'estrade, qui symbolise l'autorité du maitre seul détenteur de la parole autorisée. La communication des enfans n'est plus considérée comme bavardage mais organisée en échanges. L'autonomie et l'initiaitve responsable sont favorisées, chaque élève prévoyant son plan de travail de la semaine, avec différentes rubriques scolaires. Le bilan de la semaine est fait collectivement et un planning générale permet de s'assurer que des points impprtants du programme n'ont pas été négligés. Cette souplesse permet aux jeunes de travailler à leur rythme. Ils disposent d'un "journal mural" pour écrire leurs propositions, critiques, félicitations et le "conseil de coopérative" hebdomadaire, auquel participe l'enseignant, permet une discussion animée tout à tour par l'un des élèves. L'enseignant fait lui aussi des propositions, répond aux demandes, aide de son expérience, stimule parfois certains, et rappelle si nécessaire au respect des règles élaborées et décidées par le groupe classe. Avec cette organisation, les jeunes ne sont donc plus des hotes de passage ananymes, mais les véritables cogestionnaires de leur classe au quotidien, dont ils doivent aussi maintenir la propreté, le rangement et enrichir la décoration.

L'enseignant fait donc confiance à l'expression libre et aux échanges coopératifs. Le projet édcuatif est également celui de favoriser la maitrise de tous les moyens d'expression et d'approfondir par l'échange les expressions libres notamment à travers l'art enfantin, et dans un véritable compagnonnage des jeunes avec l'éducateur. En prenant en compte l'affectivité dans la relation pédagogique, et en dépassant le rapport impersonnel, l'enfant apprend au contraire à l'exprimer, à l'utiliser positiviement dans l'enthousiasme mais aussi à la maitriser lorsqu'elle perturbe sa relation aux autres.

Il s'agit d'une éducation rigoureuse dans la mesure où les obligations proviennent de la nécessité d'une action coopérative et de la joie enthousiaste de réussir ensemble, ne rupture avec l'idéologie de l'effort dans la douleur, considérée parfois comme seule source de mérite.

Pour Freinet, l’enfant a un élan vital : il a l’envie innée de travailler mais à une condition : que le travail fasse sens pour lui, et qu’il suscite le désir de faire. Le risque avec les situations proposées par Freinet, c’est que les enfants se spécialisent dans un type de travail, de compétences, comme la menuiserie, le jardinage, l’élevage, qu’ils se spécialisent aux yeux des autres, et qu’ils développent des compétences qui ne soient pas transposables.
L’autre risque, c’est que les travaux proposés ne fassent pas sens pour tous les enfants, et que certains individus, comme dans toute approche pédagogique d'ailleurs, se retrouvent marginalisés (critique qu’on peut formuler à toutes les pédagogies, qu'elles soient alternatives et conventionnelles). Pour éviter le risque de spécialisation des enfants, en 1948, Freinet va réadapter sa pédagogie en obligeant les élèves à passer des brevets de compétences dans chacune des spécialités définis collectivement. Malgré ses réticences vis à vis du scoutisme qui lui rappelle le militarisme, Freinet avait découvert chez Baden-Powell un système de brevets qu'il va ainsi transposer aux besoins de l'école. Cette démarche stimule et respecte l'initiative des élèves et les associe collectivement à l'auto-évaluation au sein du groupe, sans reposer sur la seule appréciation de l'enseignant, en s'appuyant sur une réalité concrète et des épreuves objectives (BT2, 2001).

En 1960, le Québec, qui veut rattraper son retard pédagogique, s'intéresse à la pédagogie Freinet. Un peu plus tard, ce sera le cas des enseignants japonais qui critiqueront un système scolaire élitiste. Freinet deviendra le pédagogue français le plus traduit et le plus connu hors de nos frontières. Il impulsera un large mouvement d'éducation moderne, dont l'originalité repose sur :

  • une vision de la relation enseignants-élèves qui ne doit pas être une relation hiérarchique, encoiore moins un rapport de force, l'autorité et le statut de l'enseignant s'appuyant sur l'expérience qu'il peut apporter aux jeunes dans leur propre développement, en leur permettant d'acquerir des moyens comportementaux, techniquers et culturels pour se libérer des tutelles ultérieures.
  • le respect du vivant,
  • la dialectique de la personne et de la collectivité, par un va et vient permanent entre la personne et le groupe, où chacun agit non pour sa réussite égoiste, mais en vue de l'échange avec les autres qui enrichiera sa création personnelle ete ses recherches individuelles.
  • la prise en compte et l'exaltation maximale des diversités individuelles et leur avec la certitude que les différences ne détruisent pas l'unité fondamentale de l'espèce humaine,
  • la dynamique de l'échange à partir du groupe comme moyen d'enrichissement et de régulation, notamment contre le communautarisme,
  • le choix du métissage culturel dans un climat critique, fraternel et lucide, l'objectif n'étant pas la fusion générale mais les échanges reciproques multiples qui font la richesse de l'humanité,
  • L'émulation remplaçant la compétition, pour stimuler la réussite dans l'interet général, alors que la compétition exclut les perdants. Les réussites de chacun sont mises au service des autres et non à son profit exclusif,
  • La prise de responsabilité préférée à l'obéissance passive, les règles étant d'autant mieux comprises et acceptées qu'elles ne sont pas imposées d'en haut, dans l'intéret de tous et non celui de certains,
  • L'inventivité plutôt que la reproduction, dès le plus jeune âge, pour ne pas simplement répéter des schémas appris mais en inventant des questions qui n'ont pas encore été posées.
  • La prise en main responsable des techniques modernes, par le compagnonnage avec les techniciens, les créateurs, les chercheurs, afin d'éviter les risques d'aliénation par ceux qui dominent le mieux ces techniques, sans être maintenu au stade de consommateur,
  • La rupture de l'isolement des éducateurs, par l'organisation coopérative des moyens de formation et d'édition, et pour résister au poids hiérarchique stérilisateur et aux tenants de la hiérarichie à tout prix,
  • Un réalisme lucide et un courage indéracinable.

En France actuellement, Freinet a été marginalisé car certains représentants politiques, enseignants ou parents y ont vu une pédagogie libertaire, laissant trop de place aux intérêts de l’enfant, un enfant supposé incapable de choisir et de décider seul, de manière responsable. C'est encore une fois la représentation de la nature de l'enfant qui est en question dans cette orientation pédagogique. Le mouvement Freinet est largement ignoré dans les centres de formation des enseignants et n'est pas une pédagogie de masse, même si la hantise de Freinet était l'application dogmatique de son approche, comme il a pu l'observer à la mort des leaders de l'éducation nouvelle, Decroly et Montessori.

Comme Célestin Freinet, Freire est considéré comme le militant des pédagogies critiques pour la transformation sociale. Il s'intéresse à l'éducation des adultes, en partant de ce qui leur tient à coeur. L'objectif est de permettre aux populations de conscientiser les rapports de domination, non par pour les inverser mais pour en souhaiter la disparition (p.83), contre la naturalisation des inégalités et pour l'émancipation collective (p. 126). In De Cock et Perreira (2019). Les pédagogies critiques.

C'est seulement dans les années 1920 à 1930 à partir du moivement moderniste et des pionniers de l'éducation nouvelle que l'intelligence nationale brésilienne commence à se rebeller contre la compréhension coloniale selon laquelle la population n'a pas la capaciuté d'autonomie pour produire son propre art pictural, écrire des romans ou des contes, produire de la musique érudite ou encore concevoir des politiques d'éducation scolaire libres de l'obligation de reproduire les normes françaises. Dans les années 1950, Freire perçoit qu'il faut forger une nouvelle éducation pour donner vie et réaliser le réve d'une nation souvenraine à travers le sens critique de la citoynneté et la participation tolérante et collective. Il propose une édcuation des adultes qui tout en enseignant la lecture des mots, rend possible la lecture du monde. La préoccupation est de donner la parole à ceux qui en sont interdits, et leur donner la possiblité d'exprimer leur vie en tant que sujets historiques. Freire estime que les connaissances de sens commun doivent etre dépassées par les connaissances scientifiques et philosophiques et qu'il faut partir du savoir de l'expérience pour créer une vérité scientifique, philosophique en le passant au crible de la réflexion critique, tolérante et collective. Il montre alors l'importance du dialogue intersubjectif passionné autour d'un objet de connaissances dans le processus éducatif, au service non d'une science neutre et d'une pédagogie apolitique, mais d'une praxis pour la transformation sociale. Comme le précise sa femme Nita dans la préface de la traduction française de l'ouvrage Pédagogie de l'autonomie, Freire lance un appel pour un enseignement éthique, esthétique, critique et passionné, sous l'égide d'un engagement politique libérateur, qui apprenent aux élèves à être des Etres humains toujours plus humains (pormouvoir l'humain dans l'humanité).

Freire (1921, 1997), né au Brésil, fonde en 1960 le Mouvement de culture populaire et associe engagement sur le terrain pour l’alphabétisation des adultes, et réflexion théorique (université du Recife). Il coordonne le programme national d’alphabétisation. Une des caractéristiques originales de la méthode Freire est la prise en considération des connaissances déjà construites par l'expérience de vie des populations à alphabétiser. A celle-ci viennent s'ajouter la prise en compte du lien entre savoir et pouvoir, (voir aussi Roqueplo, 1974, le partage du savoir), de l'importance du dialogue et de la participation dans le processus d'enseignement et d'apprentissage. Trois idées-force organisent sa méthode : la prise de conscience, la décodification des mots générateurs et le travail en groupe. L'enseignement est centré sur une problématisation collective de la réalité vécue quotidiennement afin de conquérir un pouvoir d'expression à partir de leur expérience de vie, ce qui fonde d'ailleurs la pédagogie Freinet des années 1920. Les adultes qu'il prend en charge produisent alors des discours plastiques, riches en métaphores. Ils ne modélisent pas de concepts, ils content des faits.

Son engagement politique et pédagogique pour le développement d'une éducation libératrice promotrice de plus de démocratie de justice et d'humanité, lui valut d'être victime de la dictature militaire qui s'imposa par un coup d'Etat en 1964 au  Brésil. Il s’exile alors au Chili, et le gouvernement fait de sa méthode, la méthode « officielle ». Son livre, Pédagogie de l'opprimé est publié en 1970 et s’appuie sur des situations « concrètes » récueillies lors de son travail d’alphabétisation. Par la suite, Freire fera des interventions aux Etats-Unis et en Europe. A son retour d'exil, il fut nommé professeur à l'Université de Campinas, et proclamé doctor honoris causa par une trentaine d'institutions universitaires à travers le monde, pour son éducation au service du peuple, fondée sur une praxis pédagogique et une pratique réflexive. De manière générale, il s'nitéresse aux différentes formes éducatives permettant de penser les transformations sociales et les dialogues associées, permettant à tout citoyen de devenir un sujet politique, de sortir de la passivité pour aller vers la militance, de la souffrance à l'espérance, de la résignation à l'utopie.

Personne n'éduque autrui, personne ne s'éduque seul,  les hommes s'éduquent ensemble, par l'intermédiaire du monde.
Paulo Freire (1973). Pédagogie des opprimés.

Etre jeune et ne pas être révolutionnaire est une contradiction presque biologique.
Salvador Allende (1972). Discours du président du Chili à l'Université de Guadalajar, Mexique.

Pour Chambat (2006), le retentissement qu’a eu, à sa parution, le livre de Freire est du au contexte sociopolitique des années 60-70 (contexte colonialiste). Son relatif oubli actuel s’explique par un texte difficile d’accès, avec des références politiques datées. La publication des travaux de De Cock et Pereira en 2019 montre néanmoins un regain d’intérêt contemporain, probablement en lien avec un projet de refondation pédagogique à visée émancipatrice et critique, au service d’une citoyenneté plus juste, responsable et équitable, capable de transformations sociales (empowerment des élèves). Pour Freire, le projet politique est le fondement du projet pédagogique : « révolution et éducation doivent être abordées dans la même perspective, avec les mêmes exigences, les mêmes convictions et la même démarche » (p.51). La situation de domination est une situation historique qui peut être dépassée à condition de la comprendre : pédagogie et révolution sont liées.

Freire s’oppose à une conception « bancaire » de l’éducation, basée sur la « conquête (des corps, des esprits, de la culture), la division (par la sélection), la manipulation et l’invasion culturelle » (p.52) qui maintient un système de domination entre les personnes. Il n’y a plus celui qui sait et celui qui ignore : « Personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble, par l’intermédiaire du monde » (Chambat p. 51, citant Freire, 1970)....
Il défend plutot une éducation dialogique basée sur la communication, qui efface les distinctions éducateur-éduqué. Il oppose le dialogue (parole en action) au verbiage (parole sans action).

La pédagogie des opprimés n’est donc pas une pédagogie pour les opprimés, mais par les opprimés. En faisant de l’oppression un objet de réflexion, Freire vise une conscientisation des acteurs et leur engagement pour la libération de toute idée de domination. Freire considère même que la domination empêche l’oppresseur de s’émanciper (parce qu’elle permet sa survie). Ce sont donc les opprimés qui sont « porteurs d’un potentiel libérateur » (p.51). Ils doivent se libérer eux-mêmes, libérer leurs oppresseurs, mais aussi se détacher du désir d’être oppresseur. Il y a deux temps dans la pédagogie des opprimés : celui durant lequel les opprimés découvrent l’oppression et agissent pour la transformation (travaux éducatifs élaborés avec les opprimés), et celui durant lequel la pédagogie des opprimés devient celle « des hommes en marche permanente vers la libération » (éducation systématique) (p.53)
Freire cherche « comment transmettre une culture qui ne soit ni intellectuellement, ni politiquement aliénante. » Pour l’alphabétisation des adultes, il part des expériences sociales des éduqués (il n’y a pas de programme figé), cherche des termes générateurs qui font sens et déclenchent l’apprentissage, fait émerger les « contradictions qui trahissent la présence de l’oppresseur dans les représentations de l’opprimé » (p.53).

Pour Chambat, les limites de la pédagogie des opprimés portent sur l’applicabilité de la méthode à d'autres apprentissages que l'alphabétisation, à d'autres contextes, et à d'autres publics que les adultes. Freire n’évoque pas les enfants, ni l’école. Sa méthode pédagogique peut être schématisée en trois moments d'apprentissage sur un mode interdisciplinaire :
1. l'investigation thématique, par laquelle élève et professeur cherchent, dans l'univers de l'élève et de la société où il vit, les mots et les thèmes centraux de son existence ;
2. la thématisation, au cours de laquelle les thèmes sont décodés et recodés pour faire apparaître leur signification sociale, et prendre ainsi conscience du monde vécu ;
3. enfin la problématisation, où professeur et élève cherchent ensemble à dépasser une vision magique par une vision critique, point de départ pour la transformation de la réalité vécue.

Dans son ouvrage Pédagogie de l'autonomie, Savoirs nécessaires à la pratique éducative (Freire, 1996), il résume l'ensemble de sa pensée et propose une éthique de la pratique éducative à destination des enseignants, et une réflexion sur le rôle et l'attitude des professeurs dans leurs salles de classe.

Précisons ici que cette notion d'autonomie est une notion ambivalente si on compare au sens qui lui est donnée actuellement et à celui des années 1970. Selon Molenat (2010), la notion est passée de l'idéal à la norme sociale, puisque ce sont actuellement les institutions qui parlent d'autonomie, notamment dans l'éducation face à la massification et à la diversification des publics. En 1970, elle traduisait plutot l'intention de lutter contre toutes formes d'alienation et d'oppression, contre les hiérarchies, les institutions même, par la critique finalement des normes sociales. Pour Kant au XVIIIe siècle, l'autonomie consiste à à agir selon la façon qu'on s'est donnée, selon la loi de la raison qui peut devenir une loi universelle. Il s'agit d'autonomie émancipatrice, pour ne pas être dirigé par quelqu'un et à partir de règles qui se trouvent au fond de nous. Pour Vincent Descombes (2004, interrogé par Aubin, 2006), au contraire, ces règles de l'autonomie se trouvent dans le contexte social et nous donne des capacités et des compétences. a compléter

L'autonomie passe par la socialisation et la collaboration, l'individu autonome n'étant pas isolé et replié sur lui-même, mais il obeit à des règles sociales. Son autonomie est une autonomie relationnelle, un façon d'agir ensemble et de faire entendre sa voix, avec une finalité émancipatrice. Finalement, cette question de l'émancipation du sujet est une des caractéristiques de l'autonomie. La question porte alors sur la manière de conquérir cette autonomie, pour reprendre l'expression de Descombes.

Glevarec (2010) observe que l'autonomie des adolescents se construit par l'accès croissant de mondes culturels et sociaux plus ou moins controlés par les parents, ce qui peut conduire à une autonomie précoce, ce que David Bucingham appelle la mort de l'enfance, sous la dépendance néanmoins des ressources économiques des parents. L'adolescent déploie alors des sphères d'activité propre, avec une autonomie culturelle semi-publique, souvent dans sa chambre ou sur internet, en étant sédentaire. L'enquête du laboratoire Bonheurs (Université de Cergy Pontoise) conduite par Pascale Haag au printemps 2020, durant le confinement et auprès d'élèves (672 participants du CP à la Terminale, depuis le 16 mars), cette expérience de vie leur a permis d'acquérir de l'autonomie (pour 100 élèves sur 365) : Voici quelques exemples de ce qu’en disent les élèves :

« Je pense que je serai plus autonome. » (élève de 6e) ; « Apprendre à bien s'organiser et à être autonome » (élève de 1re). Certains élèves anticipent également la suite de leur parcours scolaire ou l’entrée dans le supérieur : « J'apprends que je suis autonome et peut-être prêt pour la 6e. » (élève de CM2) ; « Nous avons appris à faire nos cours et devoirs de manière autonome, ce qui peut être un avantage pour nos futures écoles et universités. » (élève de Terminale).

L'autonomie vue par les parents est donc différente de celle vécue par les enfants et les jeunes qui considère qu'il s'agit d'une autonomie qui leur permet de devenir soi par la sédentarisation, en participant et via des outils culturels. Cette vision s'oppose à celle des parents qui la définierait comme la capacité à être indépendant financièrement, d'avoir une profession, un engagement familial et d'etre mobile.

Pour Freire, il doit y avoir équilibre entre liberté et autorité dans la pratique éducative, et la construction de la liberté impose des limites. Les vertus de l'édicateur doivent être l'amour de sa pratique, le courage de lutter pour elle (politisation de l'éducateur), la tolérance vis à vis de la différence et de l'antagonisme, la confiance et l'espoir dans l'action, contre le cynisme et le fatalisme néolibéral, qui empeche le rêve et l'utopie. "Fomer est plus beaucoup plus que simplement entrainer l'apprenant à accomplir des performances" (Freire, 1996, p. 32). Les obligations de l'enseignant sont exprimées de la manière suivante ; la préparation scientifique des enseignants doit coincider avec sa droiture éthique [...] formation scientifique, correction éthique, respect des autres, cohérence, capacité de vivre et d'apprendre avec la différence, ne pas permettre à notre mal etre personnel ou à notre antipathie pour autrui de l'accuser de ce qu'il n'a pas commis. (Freire, 1996, p.35). Les étudiants et les élèves doivent percevoir le respect et la loyauté avec lesquels un enseignant analyse et critique la posture des autres. Lorsque Freire parle d'éthique, c'est en tant que marque de la nature humaine, indispensable à la sociabilité humaine et au vivre ensemble.

Freire invite à reconnaitre que nous sommes des êtres conditionnés et non des êtres déterminés et programmés. Mais également que l'Histoire est un temps de possibilité et non de déterminisme, et que le futur est problématique et non inexorable. Il inscrit son programme éducatif dans un programme politique de lutte contre des idéologies, notamment l'idéologie de la compétence (Roqueplo, 1974) et l'idéologie néolibarale :

  • « L'idéologie fataliste et immobilisante [...] parcourt librement le monde. [...] elle insiste pour nous convaincre que nous ne pouvons rien contre la réalité qui, d'historique et sociale, passe pour être ou devenir "quasi naturelle". Des phrases comme "la réalité est ainsi, que pouvons-nous faire ?" ou "le chômage dans le monde est une fatalité" rendent compte de cette idéologie et de son indiscutable volonté immobilisatrice. [...] cette idéologie n'offre qu'une seule sortie pour la pratique éducative : adapter l'apprenant à cette réalité qui ne peut être changée. Il en découle la nécessité de l'entraînement technique indispensable à l'adaptation de l'apprenant, à sa survie. Ce livre est un choix décisif contre cette idéologie qui nous nie et nous humilie en tant qu'être humain (Freire, 1996).

 

6. Neill, Illich : apprendre l'autonomie librement, sans école

Deux exemples de courants anglo-saxons et germaniques des années 1960-1970 : Alexander Neill en Grande Bretagne et Ivan Illich en Autriche.

Ces courants n’arriveront pas à s’imposer en Europe Latine (et en France, dans l'école des savoirs selon Dubet et al. 2010, les sociétés et leurs écoles) parce qu’ils portent l’idée que, pour donner de l’autonomie à l’enfant, peut être que l’école, voire même la présence de l’adulte référent, n’est pas nécessaire.

Ces courants sont considérés comme ceux de l’éducation libertaire. Dans cette philosophie, il faudrait attendre que l’enfant demande à apprendre et ne pas insister, tout en organisant des rencontres avec les savoirs, même si elles risquent de ne pas être adaptés aux attentes et à la maturité de l’enfant.

  • 6.1 Alexander Neill (1883-1973)

Son école est l’école de Summerhill. Son principe philosophique : on ne peut rentrer dans une situation pédagogique et d’apprentissage avec un enfant que si on arrive à créer des situations qui donnent le désir d’apprendre, un désir qui viendra naturellement selon lui. Inspiré par le psychologue Reich, Neill croit en l'énergie positive des enfants et en leur bonne nature. Le rapport qu'il entretient avec eux est égalitaire. Comme Adolphe Ferrière, il pense que la forme scolaire dominante tue le désir d’apprendre et la créativité.

Sous François Mitterand, en 1982, le lycée expérimental de Saint Nazaire de Gabriel Cohn-Bendit tentera une transposition de la pédagogie de Neill en France.

  • voir aussi la vsion éducative de Sir Ken Robinson et la pensée divergente, notamment dans Alphabet et dans sa conférence TED Education  : Changer le paradigme de l’éducation : son idée est que l’école actuelle a été construite à la fin du 19ème siècle, de manière très standardisée pour gérer la masse des élèves et pour les mettre au service de la machine industrielle, parfois militaire, et qu’elle ne permet pas de les différencier pédagogiquement. Ce système visait essentiellement à donner des diplômes pour permettre l’insertion professionnelle (certification pour donner de l’emploi et de l’intégration sociale). La forme scolaire doit être repensée.
  • 6.2 Ivan Illich
  • Voir aussi son article dans la revue Esprit en 1971 "Comment éduquer sans école ?".

Pédagogue d'origine autrichienne, qui vécut en Amérique du Sud et fut pretre et évêque, Illich va relancer la critique de l'institution scolaire à partir des années 1970. Il propose de diminuer l'emprise de l'école sur la société et les enfants. Il croit en la mise en place d'un système d’éducation diffus et local, avec des lieux d’apprentissages non formels, hors des murs de l’école. Pour lui, l'école est une institution contre-productive. Il faut une inversion des institutions pour apprendre de la vie, plutot que sur la vie. On propose avec Illich d’inverser les institutions voire de les supprimer lorsqu’elles sont trop couteuses et que leur efficacité est remise en question.

Illich propose un système d’apprentissage entre paires « peer learning », c’est à dire entre individus que l’on considère comme ayant tous des connaissances, mais également tous des ignorances, sans hiérarchie de savoirs et de pouvoirs.

  • voir Roqueplo, P. (1974), Le partage des savoirs et l’idéologie de la compétence, loin du modèle déficitaire

Ce sera le début des réseaux d'échanges réciproques de savoirs. Chacun est porteur de savoir et d’ignorance, mais pas les mêmes. On va donc partager une offre de connaissances en échangeant réciproquement des connaissances mais aussi des compétences.

  • Exemple d'un réseau d'échange réciproque de savoirs, groupe de 33 étudiants des TD L2 de l'ISPEF, 04 mars 2019
OFFRE DE SAVOIRS (à mettre en culture)
DEMANDE DE SAVOIRS
étude de l’allemand
ameliorer le français
le portugais

cours de cuisine

cours d’Anglais
culture juive, chant
solfege et piano

savoir graphique, artistique

apprendre à faire faire des exercices interessants de manière interactive
apprendre à expliquer une notion de differente manière

cours de cuisine végétarienne et vegan.
activités manuelles (bijou, mobilier, décoration interieur/exterieur, attrapes rêves...)
cours de maths (niveau ultra débutant..)
savoir dessiner
les bases de navigation sur un bateau
apprendre l’italien
couture
math (sos pour le concours de prof)
donner les bases de la langue chinoise
des cours de yoga ( pour destresser un peu)
cours de cuisine et patisserie
création de cv original avec des logiciels specifiques

culture japonaise
équitation

L'éducation des enfants/adolescents neuroatypique/présentant des pathologies
apprendre le crochet, le tricot ou encore
les bases de la LSF
apprendre à faire du piano
apprendre a être beau
des cours de cuisine
bases de la cuisine
Apprendre la langue des signes française
Connaissance de la gestion de l'effort en montagne et haute montagne
Apprendre à cuisiner à des petits enfants, avec des légumes appétissants
apprendre à appréhender un oral

Savoir être autonome
Savoir me concentrer
des connaissances historiques ou diététiques
apprendre plus de langage français formel/académique
cuisiner !
apprendre a moins depenser d’argent (organisation personelle)
apprentissage du sport aux petits enfants
la cuisine
apprentissage de langues étrangères
pâtisserie
Langue des signes
maths
apprendre à créer des vêtements
des petits cours de basketball
Apprendre à cuisiner
apprendre la langue turc
apprendre la langue japonaise
connaissances sportives
aisance a l’oral
gerer les reseaux sociaux"
anglais
mettre en place une activité + fil rouge en centre aéré
cours d'anglais

ski
cuisine
danse

orthographe

cours de natation
cours d'histoire des religions

Apprendre l'arabe
l'hébreu
travaux manuel (scrapbooking, bullet journal, bricolage)
anglais
la LSF
cuisiner
ski
aider des étudiants étrangers à progresser en français
progresser ou apprendre une langue étrangère
Etude du Design Graphique
Tricoter un pull
des cours de danse sportive
cours de cuisine pour faire de bon gateau
Les bases en cuisine
des bases en danse
Apprendre les bases de la LSF
cours de gymnastique
être moins timide à l'oral

C’est donc un système d’apprentissage par coopération hors des murs de l’école, qui actuellement se développe aussi dans les établissements scolaires avec la mise en place d’enfants tuteurs d’autres enfants, et dans les écoles multi-ages coopératives, même si ces dernières se réfèrent surotyut à Freinet (voir l’école Pasteur de Lyon 69008, année 2017-2018-2019).

Dans les systèmes pédagogiques actuels en France sont expérimentés ces méthodes d’apprentissages entre paires, qui vont même jusqu’à l’évaluation entre pairs (peer assessment). Les premiers résultats sont particulièrement encourageants. Par contre, ils invitent encore une fois à repenser le rôle, les missions et les compétences de l’enseignant et de l’éducateur, probablement autour de la capacité à créer des situations d’échanges et de rencontres autour des savoirs, des compétences mais également des systèmes de valeurs.

La critique qui est faite à Illich, c’est le risque de ne travailler en réseau que sur des savoirs dits utilitaires (voir Meirieu et la question des savoirs qui font sens, notamment pour le bien commun culturel…) et donc de passer à côté des savoirs dits culturels. Les savoirs qui circulent, sont essentiellement utilitaires et qui risquent de perdre la dimension culturelle des savoirs, si l'on n'est pas vigilant sur ce point en tant qu'éducateur.On constate en effet dans des réseaux d’éducateurs que les savoirs qui circulent ne sont pas toujours des savoirs à visée culturelle. On risque donc de perdre certains éléments de culture qui n’ont a priori pas d’utilité sociale immédiate, mais qui ont une valeur symbolique, permettant de se connaitre soi-même, de se mettre à l’épreuve des autres, en reliant son intime à l’universel, pour sortir de la solitude et mettre en récit nos impressions et nos pensées. Ces savoirs culturels permettent aussi, selon Meirieu, de faire le lien entre l’émergence d’une culture, son histoire et les capacités d’émancipation humaine et citoyenne qu’ont porté et que portent encore ces savoirs.

Comme avec Neill, cette vision émerge durant une période de contestation des sociétés industrielles fondées sur la croissance, avec une interrogation toujours actuelle sur les limites et le sens de la consommation. On s’interroge ainsi parallèlement sur la place de l’école et de l’éducation dans nos sociétés, et sur son rôle politique. « Changer la société pour changer l’école, changer l’école pour changer la société » comme on peut encore le lire dans l'association CRAP (Cercle de recherche et d’action pédagogique), née au lendemain de la Libération, en 1945, dans un courant qui veut à la fois la démocratisation de l’enseignement et sa rénovation dans l’esprit de l’éducation nouvelle.

A cette époque, on constate que plus le niveau d’études s’élève, et plus le nombre de recalés augmente. On en conclut alors que l’école est une institution de tri (Voir les travaux en sociologie de Passeron et Bourdieu) qui met à l’écart une grande partie de la population, et qui est donc profondément inégalitaire. Illich propose donc d’expérimenter une déscolarisation de la société pour supprimer le monopole de l’école sur l’éducation. C’est ce même modèle qu’on va retrouver chez Sir Ken Robinson (USA - UK). L’inspiration de Paulo Freire est forte avec ses travaux sur la pédagogie des opprimés (1970), et sur les modèles d’éducation qu’il met en place, notamment pour l’apprentissage des langues pour les adultes illettrés.

Les pédagogues de l’école des savoirs de Durkheim vont qualifier ces courants de libertaires. A l’inverse les courants de Neil, Illich vont qualifier l’école des savoirs l’autoritaire. On est dans un contexte de crise des années 68 en Europe qui se traduit par une remise en question du monopole de l’état dans la régulation de la vie des citoyens. La critique sociale est forte, mais également la créativité sociale.

7. Alvarez : La révolution pédagogique des années 2010 ?

Céline Alvarez, jeune enseignante remplaçante en 2009, puis candidate libre au concours en 2011, elle obtient un poste dans une ZEP à Gennevilliers. Dans cette école, pendant 3 ans, elle suit des enfants de maternelle, de la petite à la grande section avec un projet soutenu par le ministère et la Direction de l’enseignement scolaire, visant à expérimenter de nouveaux modèles d’apprentissages.  Elle annonce qu’à la fin de la grande section, les enfants peuvent savoir lire et compter. Parallèlement à ce travail, qu’elle filme avec l’aide d’une ATSEM attitrée, les parents sont interviewés régulièrement pour évaluer leurs craintes et leurs visions des effets de sa pédagogie sur l’enfant.
En 2013, le ministère ne renouvelle pas le projet. Elle démissionne et constitue un réseau d’enseignants, avec l’aide des chercheurs en sciences cognitives qu’elle a connu durant l’expérimentation. Ces mêmes chercheurs ont suivi la classe pour analyser les mécanismes d’apprentissages durant les activités proposées par Céline Alvarez. Un des neuroscientifiques qui la soutient s’appelle Stanislas DEHAENE. Il est fondateur du site sciences-cognitives.fr. Il présidera le Conseil scientifique de l'éducation nationale en 2018.
Entre 2014 à 2016, elle multiplie les conférences allant jusqu’à rassembler 1000 enseignants du primaire lors des présentations de sa méthode.

  • Question : analyser les fondements de la métohde de Céline ALVAREZ, à partir de ses propos TedX, 2014 « Pour une re-fondation de l’école guidée par les enfants » :
    - 40% sortent du CM2 avec de graves lacunes en lecture et en écriture.
    - 4 principes issus des neurosciences pour un apprentissage efficace : attention, engagement actif, retour d’information immédiat (=> ajustement des hypothèses), la consolidation (répétition pour s’automatiser).
    - Les enfants autonomes dans la classe, qui choisissent librement leur travail. Pendant ce temps l’enseignant est avec les enfants en difficulté.
    - Chaque activité réunit des dimensions "attrayantes, passionnantes", avec un matériel qui dénonce l’erreur (ce n’est plus l’enseignant...), l’enfant répète l’activité et donc il se perfectionne. Conséquence de cette consolidation : les enfants sont calmes et heureux. Le matériel est essentiellement sensoriel.
    - 3 niveaux d’âges mélangés, il n’y a plus un enseignement vertical, mais un mode d’apprentissage horizontal : le savoir se partage entre les enfants, entre pairs => pas de compétition et de comparaison, mais une émulation constante.

Les mélanges volontaires d’enfants en ambiance 3/6 ans existent dans beaucoup d’écoles maternelles urbaines, mais aussi depuis bien longtemps en milieu rural. Ces classes sont source d’inquiétudes pour les parents des plus grands, avec la peur de régression, de retard d’apprentissage à cause de la présence de petits. Pour les parents des plus petits, c’est la peur que les enfants soient en échec scolaire à cause d’une vitesse d’apprentissage trop élevée pour eux. Depuis janvier 2018, les retours de certains enseignants de maternelle, qui ne pratiquaient pas ce dispositif, sont positifs : les enfants développeraient plus rapidement des compétences langagières et de coopération, permettant à l’enseignant de dégager du temps pour les grands l’après-midi, pendant la sieste des petits. Une relation de grande proximité s’établie avec les grands, avec des temps de jeux de société à 4 par exemple. Mais pour certains parents, mais aussi pour certains enseignants, ces pratiques restent contestables. Les raisons de ces constestations sont probablement liées à des représentations diverses de l'enfant, du rôle de l'école (et de l'enseignant référent) et des savoirs à transmettre.

Derrière la méthode de Céline Alvarez, il y a un soutien des neurosciences qui sont utilisées comme preuve du bien-fondé de la méthode, une légitimation scientifique, comme avait pu l’être la psychologie au début du XXème siècle pour l’éducation nouvelle. Il y a également du matériel historique, plutôt couteux actuellement, et issu des travaux de la docteure italienne Maria Montessori.

  • Vidéo Témoignages des parents (2011-2014) sur le site de Céline Alvarez :
    Question : D'après les parents, quelles sont les principals impacts de cette expérimentation sur leurs enfants ?

Alvarez publie un ouvrage en 2016 : les lois naturelles de l’enfant avec le sous-titre la révolution de l’éducation. C’est à partir de la publication de cet ouvrage que vont se multiplier les critiques extrêmement sévères de la part des universitaires, mais aussi d’enseignants du primaire, certains allant jusqu’à parler d’une imposture à son égard.

  • Article de Jean-Paul Brighelli (2016, Le Point) : Céline Alvarez, une imposture ?
    Question : Repérez les arguments en défaveur et les acteurs de la controverse (cartographie de la controverse).
    - On fait du neuf avec du vieux : le vieux étant cette méthode et ce matériel connu depuis la fin de la première guerre mondiale et les travaux de Maria Montessori.
    - Enjeux/ aspects économiques : matériel couteux donc difficilement généralisable à tout le système.
    - Expérimentation difficilement généralisable (conditions privilégiées) : 24 élèves, Atsem en permanence.
    - Intérêts croisés et un plan de communication bien préparé avec les neurosciences (même éditeur) et des instituts privés (Montaigne) dont les scientifiques sont membres de ces instituts (conflits d'interets).
    - Refus d’Alvarez d’un débat publique avec Brighelli, les enseignants critiques et les universitaires
    - Stanislas Dehaene défend les courants de neuro-pédagogies qui estiment que pendant l’apprentissage, on peut étudier l’activité cérébrale de l’enfant et les mécanismes d’apprentissages et arriver à identifier ce qui est pertinent et ce qui l’est moins. Cette approche expérimentale déplait. Si on estime que par l’imagerie cérébrale on peut comprendre le fonctionnement humain => le postulat est dangereux car il présuppose, sur la base de l’imagerie, les compétences des enfants, avec des risques de stigmatisation qui ne laissent pas de place à l’incertitude et à la plasticité cérébrale. Cette approche expérimentale doit donc être manipuler avec prudence, en faisant attention au risque de scientisme, c’est à dire de supposer que l’unique vérité vient des sciences, de préférence expérimentale.
    - Exemple avec la vidéo France 3 (le 18 mai 2015) sur les enfants à haut potentiel : turbulent car manque une "petite boule" dans le cerveau qui permettrait de plus se concentrer sur l’environnement, le contexte, les acteurs et les situations d’apprentissage.
    - Signalons que la neuro-pédagogie retrouve des résultats sur les mécanismes d’apprentissages que les sciences humaines et sociales ont identifiés par les enquêtes de terrain et suivi dans le temps des acteurs et de leurs relations éducatives.
    - Ce qui reste peu clair, c’est comment Alvarez a réussi à obtenir le soutien de l’Education nationale, et plus particulièrement de la direction de l’enseignement scolaire lors de son expérimentation à Gennevilliers.

Même si en 2018, elle sera invitée en Belgique pour participer à une vaste programme de formation de 750 enseignants volontaires, une expérience à grande échelle qu’elle raconte dans Une année pour tout changer (Les Arènes), Céline Alvarez est donc controversée :
- conditions de travail exceptionnelles, qui posent la question de la généralisation
- sa prise de distance vis à vis des universitaires des sciences de l'éducation
- elle instrumentaliserait les neurosciences pour légitimer son travail auprès des professionnels et de la mouvance politique actuelle qui la soutient et l’a soutenu en ZEP à Gennevilliers (Ministre J .-M. Blanquer)(comme Montessori en 1907 à Rome avec la psychologie ?).

  • Question : Repérez le réseau d'acteurs dans l'article sur l’arrivée de Blanquer au ministère de l’éducation nationale en mai 2017 (voir article de Libération, Jean-Michel Blanquer, un ministre de l'Education classé à droite par Marie Piquemal, 17 mai 2017), c’est l’ensemble du réseau Alvarez qui devient visible. Il faut donc être attentif aux discours contradictoires.
  • Article d’opinion contradictoire dans Libération du 4 février 2018, écrit par Roland Goigoux, Professeur des universités en sciences de l’éducation et à l’école du professorat (ESPE) de Clermont Ferrand : Enseigner n’est pas une science.
    Question : Quels sont les événements politiques du début d’année 2018 qui expliquent la prise de position (Conseil National des Programmes) ? Quelles sont les inquiétudes de ce chercheur ?
    Cet article montre qu’il y a des conflits entre les différents courants scientifiques pour dire le vrai en matière de pédagogie, et de capacités d’apprentissage. Plusieurs écoles disciplinaires s’affrontent, essentiellement les neurosciences, la psychologie et les sciences de l’éducation.
    Les chercheurs de l’article avancent que les 4 piliers définis par les neurosciences ne sont pas nouveaux : on le savait déjà avec les sciences du comportement et des sciences de l’intervention. Stanislas Dehaene a été nommé à la tête du Conseil scientifique de l’Education nationale par Jean-Michel Blanquer (on retrouve le réseau Alvarez). Ce conseil oriente les politiques éducatives et donc les pédagogies dans la formation des enseignants. Ce qui inquiète les chercheurs et les auteurs de l’article, c’est le fait que le Conseil soit piloté par un comité d’experts n’ayant qu’une seule vision de l’apprentissage, une vision qui découle des expérimentations IRM et de l’apprentissage expérimental en laboratoire.
    Les chercheurs précisent qu’il ne faut pas confondre l’apprentissage et l’enseignement. Les neurosciences ont une vision novatrice sur la manière dont on apprend. Par contre le passage de l’apprentissage en laboratoire à l’enseignement suppose de s’intéresser aux professionnels, et donc aux acteurs mais aussi à la sociologie des situations et des publics (acteurs et situations). Une même pédagogie dans deux situations et contextes différentes ne donne pas les mêmes résultats. Cet article souligne que l’enseignement et l’éducation sont un processus multifactoriel lié à la nature et la structure des relations humaines.

8. Les écoles alternatives : des risques de dérives ? Individualisme et communautarisme ?

Question : Analyse en cours...autour de l'affaire 2018 de l'Ecole du domaine du possible, Route de la Volpelière, 13104 Arles, une école Steiner.

 

Conclusion, approfondissements et perspectives

Entre un ideal de développement de l'individu et un idéal de mixité sociale, entre individualisme libertaire et socialisation solidaire

In Wagon, S. (2018). Les pédagogies alternatives en France aujourd’hui : essai de cartographie et de définition. Tréma [En ligne], 50.

  • La cartographie des pédagogies alternatives met en avant les relations et ramifications de cette galaxie. Trois archipels se détachent de notre analyse.
    Le premier archipel est celui des courants historiques de l’éducation nouvelle. Cet archipel se structure par des pédagogies identifiables (Decroly, Montessori, Steiner ou Freinet). Forts des expériences pédagogiques d’écoles depuis le début du XXe siècle, ces courants sont bien présents aujourd’hui dans le paysage éducatif tout en étant marginaux numériquement. Néanmoins, si les valeurs de l’éducation nouvelle fédèrent ces mouvements, de nombreuses différences existent. Il ne s’agit aucunement d’un « front » commun. Les idéaux de mixité sociale et de transformation de l’éducation restent des points d’ancrage forts dans la mouvance Freinet et Decroly alors que les courants Steiner et Montessori mobilisent avant tout le développement de la personnalité. Ces deux derniers courants sont donc en phase avec les nouvelles écoles alternatives du début du XXIe siècle.
    Le second archipel, idéologiquement opposé aux idées de l’éducation nouvelle, propose un projet pédagogique centré sur la « tradition », sur la transmission des savoirs avant toute socialisation. Cet ensemble est principalement catholique traditionnaliste. Ces écoles, tout en souhaitant apparaitre comme alternatives, ne possèdent aucun lien avec les réseaux d’éducation nouvelle et restent idéologiquement en opposition avec la plupart des écoles alternatives prônant une transformation sociétale. Néanmoins, cette mouvance perçoit dans certaines écoles alternatives, une convergence dans ce contournement de l’enseignement public et dans cette libéralisation de l’éducation.
    L’archipel central qui personnifie ce que l’on nomme aujourd’hui les pédagogies alternatives est une nébuleuse regroupant sous cette terminologie tout un ensemble d’expériences pédagogiques, d’associations et d’acteurs qui utilisent le triptyque des familles, des neurosciences et du développement personnel. Son essor reste quantitativement négligeable mais médiatiquement et politiquement très offensif. La volonté de transformation de l’enseignement « classique » et une redéfinition de l’éducation semble répondre à une aspiration grandissante de certaines franges de la population française.
    L’un des aspects nouveaux est cette captation de l’idée d’innovation par des écoles ou expériences éducatives qui ne s’attachent pas à une pédagogie spécifique ni à une forme éducative particulière. Le rôle de familles devient primordial. Paradoxalement, on assiste dans ces courants alternatifs à une sorte de tiraillement entre un repli individualiste perceptible et une volonté d’agir pour transformer le système en place.

    Historiquement, les pédagogies d’éducation nouvelle, avec des pédagogies identifiables, structurées étaient les pédagogies alternatives. On assiste à une substitution vers des expériences qui peuvent plus ou moins se référer à des pédagogues d’éducation nouvelle. Néanmoins, le refus de se structurer par une pédagogie spécifique semble être aussi le corolaire d’un refus de pédagogues le plus idéologiquement marqués et en particulier Freinet. Ces alternatives éducatives semblent à la recherche de nouvelles figures. Ainsi, si Montessori et Steiner sont des figures revendiquées, apparaissent de nouveaux noms, comme Daniel et Hanna Greenberg pour les écoles démocratiques par exemple.

    La question des finalités de ces pédagogies apparait au cœur de la possible évolution de cette galaxie. En effet, le système éducatif public français assume encore un idéal de transmission d’une culture commun, d’un « creuset » commun ». Dans les faits, la situation est plus complexe et les critiques sont nombreuses, de tous bords, sur la réalité de cette finalité.
    Actuellement, les pédagogies alternatives, telles que nous les avons définies, mettent à mal cette finalité. Elles semblent même dans une autre approche sociétale, celle de l’accomplissement de la personnalité avant toute chose. Le défi majeur pour l’institution scolaire, comme pour les pédagogies alternatives, n’est-il pas de faire cohabiter un idéal d’épanouissement de la personnalité, à partir des besoins et des intérêts des enfants, sans pour autant oublier l’idéal de mixité sociale, de bien commun et d’émancipation collective ?
  •  A noter le DVD Ecole en vie, 2016 : les pédagogies alternatives dans l'école publique

Toutes ces écoles alternatives ont pourtant des divergences (Wagon, 2018):
- Sur les représentations de l’enfant et la place de la liberté dans les apprentissages (voir Meirieu et les malentendus). Chaque pédagogue à sa propre vision de la manière dont l’enfant apprend : par périodes pour Montessori, pour d’autres c’est un apprentissage de manière globale par la complexité du monde (Decroly), pour certains c’est la motivation, les centres d’intérêt, le désir d’apprendre qui permet l’engagement des enfants (Freinet)…
- A propos du rôle de l’adulte : certains considèrent que l’adulte doit être très présent et dirigiste en imposant un cadre et des limites. D’autres pensent que le rôle de l’adulte est d’imposer le moins de contraintes possibles. On verra la position extrême du pédagogue écossais libertaire : Alexander Neill.
- Au sujet du projet politique et philosophique : Certains veulent créer des écoles nouvelles publiques, gratuites, pour les milieux populaires afin de transformer la société (changer l’école pour changer la société). Pour d’autres, sans le dire explicitement, le projet est de faire des écoles réservées aux enfants considérés comme à haut potentiel et/ou issus d’une classe sociale privilégiée ou d'une communauté particulière, pour assurer la réussite et l'intégration communautaire des enfants (approche individualiste et libertaire).

Pourquoi si peu d'écoles alternatives en France, et dans le système public ?

Pour Marie Laure VIAUD, qui étudie les pédagogies alternatives à l’Université d’Artois (Pas de Calais), il y a 3 raisons : (cf doc extrait de l’introduction de son ouvrage de 2013, p.13-14)
- La mobilisation des parents, enseignants et politiques est faible dans l’enseignement publique. Les enseignants étant peu formés à ces pédagogies et les parents étant surtout demandeurs d’une école qui donne des diplômes, plus que d’une école qui assure l’épanouissement intellectuel et social de l’enfant.
- Les représentations sociales de ces écoles sont ambiguës : on les considère comme des écoles d’élites, extrêmement chères, réservées à des enfants privilégiés et un peu spéciaux. Il circule des imaginaires par rapport aux projets, activités de ces écoles alternatives. Il est vrai qu’elles placent les enfants dans une attitude particulière vis-à-vis des adultes référents et des savoirs, avec un projet politique et philosophique discutée. Il semblerait que les enfants issus de ces écoles sont plus ouvertement critiques, avec un désir d’apprendre de manière autonome, en demande de justifications et de négociations, refusant généralement un rapport de domination et toute violence symbolique : "Pourquoi tu me demandes de faire ça ?" mais également "apprends-moi à faire tout seul !".
- Résistance politique sachant que les individus qui sortent de ces systèmes-là sont formés à la critique et à la créativité sociale. Cette capacité à contester et à innover peut faire peur à certains systèmes politiques qui craignent la contestation. Ces pédagogies critiques peuvent donc être considérées comme dérangeantes politiquement.

  • La raison pour laquelle les pédagogies nouvelles sont peu diffusées est peut-être, en fin de compte, à chercher au delà de toutes les raisons « particulières » décrites ci-dessus. En effet, tout au long du XXème siècle, la majorité des promoteurs des pédagogies nouvelles ont lié leurs théories à une volonté de transformation sociale et se sont donné une fonction émancipatrice. Les dispositifs pédagogiques qu’ils prônent prennent sens dans un projet politique global, comme le montre la devise des Cercles de recherche et d’Action Pédagogique : « Changer la société pour changer l’école, changer l’école pour changer la société ». Les pédagogies nouvelles ont pour ambition de favoriser l’accès de tous aux connaissances – plutôt que la reproduction des élites. Elles forment à la pensée critique, à la coopération, elles engagent à la prise d’initiatives et à la conduite de projets collectifs ; en un mot, elles forment des citoyens qui se sentent concernés par la marche des affaires collectives. Il est donc possible que ce type d’éducation soit refusé car elle conduirait à ce que les élèves deviennent, à l’âge adulte, des citoyens capables d’une contestation active de la société.
    In Hugon M.-A & Viaud M.-L. (2004). L’Éducation nouvelle et l’enseignement secondaire français, de rencontres improbables en rendez-vous manqués. Informations sociales, 116, 114-124.
  • Bourdieu, P. & Passeron, J.-C. (1970). La reproduction. Les fonctions du système d’enseignement, Paris, Editions de Minuit.

 

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ANNEXE : Ethique de l'évaluation :

Comment définir une évalution juste et utile en terme de formation, à partir de l'expérimentation Socrative d'évaluation entre pairs :

Socrative pour l'évaluation des groupes par les pairs : En réperant ce qui semble acceptable, et ce qui l'est moins, voire pas du tout, dans les évaluations entre pairs, on s'accorde sur le fait que l'évaluation doit être à la fois : EXPLICITE, CONSTRUCTIVE, VALORISANTE, COHERENTE, EN ACCORD AVEC LA GRILLE DES CRITERES EVALUES, AVEC LES MEMES CONDITIONS MATERIELLES POUR TOUS. Plus il y a d'évaluateur et plus l'effet de la subjectivité se dilue (intéreet des concours à plusieurs épreuves et plusieurs membres de jury.

Elle peut être à la fois SOMMATIVE ET FORMATIVE. On  peut constater collectivement après évaluations des premières personnes, que la grille doit etre revue et adaptée, par exemple elle n'accorde pas assez d'importance à la qualité de la présentation orale, et on pourrait renforcer l'évaluation de la variété des références critiques mobilisées qui est un critère fort d'évaluation d'une attitude scientifique critique et distanciée.