L'éducation
prisonnière de la forme scolaire :
Bibliographie
La forme scolaire a été définie par Guy Vincent dans les années 1980. Revenant sur l'émergence de ce concept, l’auteur précise que “la forme scolaire apparaît dans tout l'Occident moderne, du XVIe au XVIIIe siècle [...] en se substituant à un ancien mode d'apprentissage par ouï-dire, voir faire et faire avec. À la différence de ce mode ancien, la forme scolaire, qui est une forme de transmission de savoirs et de savoir-faire, privilégie l'écrit, entraîne la séparation de « l'écolier » par rapport à la vie adulte, ainsi que du savoir par rapport au faire. En outre, elle exige la soumission à des règles, à une discipline spécifique qui se substitue à l'ancienne relation personnelle teintée d'affectivité [...] historiquement c’est une relation sociale nouvelle” (Vincent et al., 2012, p. 112). Dans les sociétés occidentales hyper-scolarisées, Vincent (1994) avance que la forme scolaire s’est étendue bien au-delà des murs de l’école. Devenant “un modèle normatif pour toute forme d’éducation” (Garnier, 2018, p.15), elle s’est alors liée à d’autres formes de transmission de savoirs (Vincent et al., 2012). Garnier (2018) rappelle que dans les années 1970 la trilogie “éducation formelle, non formelle, informelle” (EF/ENF/EI) est proposée par les programmes internationaux d’aide aux pays en développement. L’éducation informelle a d’abord désigné l’éducation que recevaient les populations faiblement voire non scolarisées, une éducation traditionnelle et ancestrale, donnée dans les familles, dans les villages, dans les pays du tiers-monde ou en voie de développement (Freire, 1971). A partir des années 1990, l’UNESCO publie les trois définitions suivantes : “L’éducation formelle est une éducation organisée dans un cadre institutionnel (école, université, formation professionnelle), structurée en séquences et de manière hiérarchique. Elle doit amener à une certification ou un diplôme”. “L’éducation non formelle est un processus d’éducation organisé qui a lieu parallèlement aux systèmes traditionnels d’éducations et de formations. Il n’y a pas de certification. Les acteurs ont un rôle actif dans ce processus d’apprentissage”. “L’éducation informelle est une éducation impliquée dans le cadre familial, entre pairs, et dans d’autres types d’espaces de socialisation. L’apprentissage éducatif est moins conscient.” Si ces définitions constituent une première référence commune, Garnier souligne l’existence d’un flou définitoire attaché à ces formes d’éducation qui, selon les usages, peuvent tour à tour être envisagées comme des processus, des programmes ou des institutions éducatives. Ainsi l’éducation formelle peut renvoyer à la fois aux pratiques scolaires d’enseignement, aux politiques pour l’école ou encore à l’institution scolaire elle-même. Il en va de même pour l’éducation non formelle et le musée. Face à ce flou définitoire, l’auteur propose d’analyser le triptyque EF/ENF/EI en se référant à la forme scolaire, dont le travail de conceptualisation paraît plus avancé. Histoire et théorie de la forme scolaire En 1948, Merleau-Ponty montre comme la notion de forme peut permettre de repenser le rapport entre le subjectif et l'objectif, la forme étant d'abord ce qui n'est ni une chose, ni une idée. Parler de forme, c'est donc chercher ce qui fait l'unité d'une configuration historique particulière, apparue dans certains formations sociales à une certaine époque et en même temps que d'autres transformations, par une démarche à la fois descriptive et compréhensive. A partir de là, la forme se présente comme espace et temps spécifiques, et comme l'histoire d'un processus par lequel la forme se constitue et tend à s'imposer dans des relations, des institutions, en reprenant des éléments de formes anciennes, comme le montre par exemple l'exercice. La théorie de la forme scolaire permet de penser le changement, à la différence des théories strcuturalistes, et de comprendre l'émergence d'une forme en la mettant en relation avec d'autres transformations, à condition de sortir de causalisme et du positivisme, et de la mettre en relation avec le développement de cette forme politique historiquement singulière qu'on appelle l'Etat. La forme scolaire est donc liée à d'autres formes, notamment politiques. Ce qui est aujourd'hui en jeu dans ce qu'on appelle la crise de l'école est peut etre principalement l'avenir de la démocratie (Vincent, 1994, p.15). L'analyse
sociohistorique de l'émergence de la forme scolaire, du mode
de socialisation qu'elle instaure, des résistances qu'elle rencontre
permet de la définir et d'en saisir et de penser l'unité,
autrement que comme une énumération de caractérisitiques
multiples. L'autonomie de la relation pédagogique instaure alors un lieu spécifique dinstinct des lieux ou s'accomplissent les activités sociales : l'école, avec, comme pour toute relation sociale, un espace et un temps spécifiques, soigneusemeent conçu et organisé comme en témoignent les écrits de J.B. de La Salle, probablement en lien avec l'instauration d'un nouvel ordre urbain et une redistribution des pouvoirs civils et religieux au XVIIe siècle. Si la forme scolaire se réalise d'abord dans l'école, elle va aussi tendre à structurer d'autres espaces : n'importe quelle relation sociale peut etre pédagogisée, comme le montre l'observation de la vie quotidienne : position des interlocuteurs, doigt levé, ton 'docte', etc.. Mettre tous les enfants dans des écoles est une vaste entreprise d'ordre public, à condition de ne pas la réduire à la simple police. AU XVIIe sicèle, l'enfant y apprend l'obéissance à des règles qui sont constitutives de l'ordre scolaire, qui s'imposent à tous. La relation pédagogiqsue apparait alors comme la soumission du maitre et des écolier à des règles impersonnelles, loin de l'assujettisement à la volonté d'une personne détenant l'autorité, sacré notamment. L'espace est clos et ordonné autour de l'accomplissement par chacun de ses devoirs, dans un temps réglé pour éviter les imprévus. Chacun soumet son activité aux régles qui la régissent. Telle est pour l'essentiel la forme scolaire dans les nouveaux établissements créés dans les villes et dans les Collèges des Jésuites, qui passent "d'une communauté de maîtres et d'élèves au gouvernement sévère des élèves par les maitres", de l'énoncé des conditions d'un style de vie à un réglement de discipline fiant avec rigueur et détails l'occupation de la journée (Aries, 1973). La forme scolaire s'accompagne de l'invention des disciplines et des manuels scolaires. La pédagogie devient une composante interne des enseignements qui doit se comprendre à partir des finalités sociales de l'école (Chervel, 1988). Cette définition de la forme scolaire permet de comprendre les pratiques scolaires mais également les négations plus ou moins radicales depuis la Révolution française de 1789 jusqu'au XXeme siècle. Les règles de l'école ne s'imposent plus de l'extérieur à tous mais sont considérées alors comme une manisfestation en chacun d'une raison universelle. Se crée alors la pédagogie des Lumières. Le citoyen qu'entend former la IIIe République est bien un écolier, respectueux et obéissant, connaissant ses droits et ses devoirs. Les thèses de Kant et de Rousseau du XVIIIe siècle se rapprochent de la codification de la relation pédagogique au XVIIeme siècle, avec l'effacement de l'autorité personnelle chez Rousseau, et la soumission aux lois constitutives de l'ordre scolaire considérées comme universelles chez Kant. L'analyse sociogénétique de l'émergence de la forme scolaire montre qu'elle est donc contemporaine d'un changement dans le politique et le religieux, plus fondamental que les changements de régimes ou d'institutions qui ont marqué les sociétés européennes à partir du XVIIeme siècle, en relation avec la transformation des formes d'exercice du pouvoir, dans une configuration sociale d'ensemble. Tout mode de socialisation, toute forme de relations sociales implique à la fois l'appropriation de savoirs (savoirs objectivés, explicités, systématisés, codifiésà et l'apprentissage de relations de pouvoir. La forme scolaire s'accompagne de la généralisation de formes sociales scripturales, tramées par des pratiques d'écriture et/ou rendues possibles par les pratiques d'écriture, et de formes sociales orales avec un rapport particulier au langage et au monde (Lahire, 1990, Thèse). Les rapports entre la forme scolaire et d'autres formes sociales et notamment politiques passent par la question des cultures écrites. Lahire (1994) rappelle que la culture de l'écrit est au couer de l'appropriation adéquate de l'univers scolaire mais qu'il existe plusieurs cas de figure dans la manière dont l'enfant peut trouver les appuis familiaux pour se l'approprier, les traits familiaux n'étant pas des facteurs explicatifs ou des causes : les cas d'échecs scolaires sont des cas de solitudes des élèves dans l'univers scolaire : très peu de ce qu'ils ont appris, intériorisé dans la structure de coexistence familiale leur permet d'affronter les règles du jeu scolaire et les formes scolaires de relations sociales (Lahire, 1994, p. 80). les enfants se retrouvent « inégalement dotés d’expériences culturelles scolairement et socialement rentables ». Culturel, et surtout « langagier », c’est-à-dire hérité des pratiques de lectures des parents ou de leur habitude de prendre la parole en public dans leur cadre professionnel (Pottier, 2020).
Prédominance de la forme scolaire et ouverture de l'école aujourd'hui Avant les années 1960, l'origine sociale déterminant sirectement le niveau d'insertion professionnelle et sociale, l'école ne jouant qu'un role annexe, aujourd'hui les trajectoires sociales et professionnelles sont fortement tributaires des trajectoires scolaires. L'excellence scolaire est consacrée norme d'excellence universelle reconnue meme par ceux qui ne vont pas à l'école ou n'y réussissent pas (Perrenoud, 1984). La forme scolaire est donc prédominante, même dans les domaines étrangers au curriculum scolaire. Et la prise de conscience de l'illétrisme par exemple, de sa désignation, ses interprétations, les initiatives pour y mettre fin relèvent d'une approche proiritairement scolaire des réalités sociales. La manière dominante d'envisager les enfants comme des etres sociaux à part, est issue du rapport à l'enfant né avec la forme scolaire. Ils doivent faire l'objet d'actions spécifiques et adaptées, de pratiques distinctes pensées et voulues n'ayant comme autres fonctions sociales que d'éduquer, de former leurs corps, leur connaissances, leur morale, le tout étant indisssociable. A travers les critiques de l'école dans son fonctionnement traditionnel, doit-on y voir un affaiblissement de la prédominance de la forme scolaire ? assiste-t-on au passage du mode scolaire de socialisation à un autre mode de socialisation ? On lui reproche d'etre trop coupée des réalités extérieures et les responsables au plus haut niveau prônent l'ouverture de l'école, et il existe une relative altération des limites entre l'école et ce qui l'entoure. "L'exterieur" socialise davantage comme le fait l'école, sur le mode de socilaisation scolaire. Mais la forme scolaire n'est pas directement confondue avec l'institution scolaire, elle est transversale à diverses institutions et à divers groupes sociaux, et aujourd'hui la constitution de l'enfance comme une catégorie spécifique nécessiant une action éducative est largement établie dans nos formations sociales. Si l'école a du etre par le passé un monde clos afin de constituer l'enfance comme un univers séparé, il n'est donc pas nécessaire qu'elle le demeure. Lorsqu'on se préocuupe de remedier à ce que l'on considèrre comme des échecs de l'école, c'est le plus souvent en augmentant la scolarisation et en reproduisant des pratiques scolaires (soutien péri ou extrascolaire ou action de lutte contre l'illéttrisme) : face aux échecs constatés, on demande toujours plus d'école. Or à un moment où la scolarisation n'a jamais été aussi grande, les exigences à son égard sont plus grandes et plus diversifiées. Actuellement, l'école paye le succès du mode de socialisation dont elle a été le principal vecteur et dont elle n'a plus le monopole. Forme scolaire et modèle républicain : l'éducation de la démocratie ? La question des rapports de l'école à la citoyenneté, à l'intégration, à l'unité nationale et aussi à l'économie se sont posés à diverses repises depuis 1880 parce que le modèle scolaire de la fin de la IIIème République a été le résultat instable et contesté d'un long travail d'élaboration exprimant une pluralité de réponses possibles. Ce modèle selon Vincent pourrait etre insuffisant dans la mesure où il renvoie à la Ier République et à l'idée de Condorcet d'une instruction publique fondatrice du rapport politique à la citoyenneté. Deux thèmes vont traverser les débats de l'époque : quelles sont les besoins de la démocratie en matière d'éducation et quelle est l'unité des principes, les règles de l'enseignement public et des activités scolaires. En 1902-1903, Durkheim réalise son cours sur l'éducation morale à la Sorbonne, alors que des débats sont organisés à l'EHESS. Il insiste sur la place centrale qu'il faut donner à l'éducation morale à tous les degrés de l'enseignement pour assurer l'unité de la société, la morale revêtant dans les sociétés modernes (rationalistes et individualistes) certains caractères de la religion. L'unité d'une société caractérisée par la démocratie suppose de s'interroger sur les rapports de l'école avec le sens (quelle sorte de culture, quelle orientation de l'éducation attentive à profiter de tous les enseignements pour former des citoyens), le concept de citoyen étant entendu comme une forme de rapport politique. L'espace scolaire est alors considéré comme un espace éducatif et un espace civique. Exemple
des politiques éducatives de la Ville de Saint-Fons, 1975-1982 Les politiques éducatives de la Ville de Saint Fons à la fin des années 1970 pour créer un espace éducatif coextensif à celui de la Cité qui coordonnait les établissement scolaires, les services municipaux, les équipements sportifs, culturels et socio-culturels à travers l'élaboration de nouveaux "rythmes scolaires" un terme qui au début des années 1980, peut etre d'ailleurs comme celui de coéducation depuis les années 2010, des termes résument un ensemble hétérogène de spéculations sur l'amélioration de la vie scolaire. En 1980, il s'agissait ici d'intégrer des activités périscolaires gratuires et obligatoires de 15h30 à 17h30 en réorganisant le temps scolaires et d'ouvrir l'école sur le cité et les autres acteurs éducatifs (associations essentiellement), et donner à chacun des chances supplémentaires d'épanouissement et de réussite scolaire. Cette politique avait été élaboré à partir de 1975 et se résume par l'idée que l'école n'a plus le monopole mais devient un creuset éducatif avec la définition d'un espace éducatif concerté qui doit faciliter la mise en place de l'éducation globale (Brochure de la ville de Saint Fons, Que fait-on à l'école, 1990, p.39). L'éducation n'est pas jugée de la compétence de l'état mais de celle de toutes les forces sociales [...] L'organisation du système scolaire est de la responsabilité des diverses communautés qui composent la nation. En théorie, il y a autant d'écoles que d'expressions socioculturelles. L'Etat borne son rôle au soutien financier des initiatives qui présentent un minimum de garanties. On refuse donc le modèle dominant qui avait la volonté d'homogénéisation mais avec le risque que la prise en compte des diversités ne dégénèrent en inégalités, et l'exigence que tous les jeunes soient initiés aux mêmes savoirs essentiels. L'enjeu pour les élus est d'organiser une concertation nouvelle entre enseignants, parents, associations, collectivités locales. La notion clé est ici celle d'"espace éducatif concerté". M. David, maire de Saint-Fons, et F. Best, maire d'Herouville-Saint-Clair, Naissance d'une autre école, 1984. Dans les discours à propos de la structuration de cet espace éducatif concerté, et les oppositions, Vincent constate qu'elles s'organisent toutes pour répondre à la question : comment faire en sorte que les activités périscolaires servent aux activités scolaires sans qu'elles perdent leurs caractères libres ou même ludiques ? Le rapport aux apprentissages scolaires des activités périscolaires est un des problèmes de fond qui fait l'objet de débats difficiles dans cet exemple, le périscolaire devant compenser ou renforcer l'action de l'école. La forme scolaire tend donc à s'imposer aux "activités périscolaires" et dans les débats, les différents acteurs tentent de faire exister c'est un mode de socialisation propre au sociétés européennes depuis le XVIIe siècle et dans lequel la forme scolaire s'impose à toutes les manières de transmettre et d'apprendre, une forme caractérisée par l'exercice, la répétition, la progression, etc. (Vincent, 1994, p. 225). A Saint Fons, le modèle républicain de l'instruction publique telle que l'avaient définie les philosophes des Lumières sert de référence à la construction de l'espace éducatif. L'école est pensée en position centrale, comme un lieu où toutes les expériences, les pratiques se réfléchissent à la lumière de la raison. L'école est alors un espace public et par la même un espace civique. Il en va probablement de même à propos des débats qui s'intéressent à la pertinence de la scolarisation des questions politiquement sensibles avec en toile de fond la question de la neutralité des éducateurs que dénonçait Freinet, ce que j'appelle la question des postures éducatives. Aujourd'hui, dans le champ politique, le conflit principal parait opposer 2 modèles : le modèle libéral qui offre une constellation très lache de formations offertes aux demandes des individus et de gruupes divers, ajustés à leurs intérets particuliers, l'Etat n'assurant plus qu'un minimum commun et les pouvoirs locaux favorisant le jeu de l'offre et de la demande et le modèle républicain où l'instruction publique assure l'identification cognitive de ce qui est commun à tous (respublica). Ce qui est en jeu dan ce conflit sur l'évolution de la forme scolaire, c'est probablement la défense d'un mode de socialisation démocratique. Remise en cause de la forme scolaire : la généralisation des éducations à quels rapports aux savoirs Audigier (2008) rappelle que la forme scolaire actuelle scolarise des savoirs à partir de situations artificielles et non naturelles, à partir de réalités passées, actuelles ou à venir, mais par l'intérmédiaire de médiations partielles et limitées et des reconstructions rangées sous de grandes thématiques disciplinaires. Cette forme scolaire est une forme socialement construite. Audigier (2008) rappelle que la forme scolaire est un espace-temps spécifique qui rassemble des enfants par classe d'âge autour d'un travail sur des savoirs rangés par discipline, découpés, séquentialisés, avec la présence d'un enseignant, maitre de cérémonie. Ce mode de socialisation se fait par la raison des savoirs contre les croyances et les opinions, et on apprend à se soumettre par la raison à des règles personnelles et collectives. La finalité est donc une finalité politique, une formation à la citoyenneté rationnelle et autonome. Audigier (2008) rappelle qu'en histoire géographie, comme dans d'autres disciplines scolaires, les savoirs scolarisés sont choi suivant le modèle des 4R (Audigier, 1993), c'est à dire en scolarisant des savoirs qui sont des Résultats qui se présentent comme la Réalité, assurent le Refus de ce qui divise et transmettent ainsi un Référent consensuel, avec donc un refus du politique et des controverses, sous le principe de neutralité vivement critiqué par Freinet, qui est donc un modèle associé à la forme scolaire. Toutes les réalités sociales présentées à l'école sont donc reconstruites selon la logique des 4R. La généralisation des éducations à dans le système scolaire a été un élément de remise en cause indirecte de la forme scolaire puisqu'elle se fixe comme objectif, non pas de résoudre des exercices et des problèmes scolaires mais de développer des compétences sociales pour décider et agir en société (Audigier, 2008), c'est à dire le développement d'une forme d'activisme pédagogique et éducatif. Cette nouvelle forme scolaire est interdisiciplinaire, fondée sur le learning by doing, l'expérience et l'enquete, et l'évaluation des compétences acquises. Les savoirs sont ici des ressources (savoirs ressources) à mobiliser, plutot que des stocks culturels de référence (savoirs scolaires disciplinaires) à transmettre. Ce sont les situations qui sont premières et non les savoirs, passant d'une école des savoirs (Dubet et al., 2010) à une école des situations, et à un changement de styles et de postures éducatives. Ce changement pédagogique oblige à prendre en compte en classe 3 régimes de savoirs, car dans ces situations d'éducation à, ce sont des savoirs de sens commun, des savoirs de l'expérience (pour reprendre Freire, 1996) qui sont mobliisés par les élèves, plutot que les savoirs scolaires disciplinaires. Pour les élèves, il semble également difficile dans ces situations de pédagogies critiques, d'articuler l'individuel et le collectif, d'apprendre à penser contre soi et à l'épreuve de l'altérité, dans l'objetif d'élaborer des choix, de décider et d'agir. Avec les éducations à, on importe des formes sociales et politiques différentes de la forme scolaire, en partant de la question des finalités éducatives, pour élaborer des situations scolaires se référant à des réalités sociales à scolariser. L'enjeu est de décider, non sur la base d'une approche scientifique indiscutable, mais par la négociation de conflits, d'intérets et d'attentes, d'opinions et de croyances, en faisant un détour par les savoirs pour revenir à une réalité adisciplinaire (Audigier, 2008). Le détour permet de mettre à distance le sens commun, d'aller vers un point de vue commun et réflexif, pour ensuite en retour, débattre autour de la situation et construire et défendre ensuite un point de vue particulier, et convaincre les autres (voir la démarche d'enquête dans le cadre de l'éducation par les controverses). Remise en cause de la forme scolaire : la co-éducation Pour Perier (2020) La coéducation recouvre l’idée de participation d’une pluralité d’acteurs et d’instances éducatives engagés à égalité de considération sur un objectif commun de socialisation et d’apprentissages de l’enfant. Si la mise à l’épreuve de l’idée de coéducation débute dès l’école maternelle, l’enjeu trame l’ensemble de la scolarité dès lors que l’on relie la question scolaire à la question éducative, elle-même emboitée dans la question sociale. [...] Ce fondement de l’action témoigne d’une ouverture en direction des familles, ou du moins des « parents d’élèves » (Dominique Glasman, 1992), qui fait suite à une longue période de séparation, caractéristique de l’histoire de l’école républicaine.
Perier (2020) précise : En France, les prémices remontent à la loi Guizot (1833) ou plutôt à ses conséquences, puisque l’ambition de scolarisation du peuple s’est traduite de facto par une co-instruction ou un coenseignement marqué par la présence de filles dans des classes uniques très majoritairement constituées de garçons. Au tournant du XXe siècle, les militants de l’éducation nouvelle font progresser l’idée de coéducation au sens d’une instruction et éducation en commun. Elle est fondée non sur un traitement identique des filles et garçons, mais sur une collaboration où chaque partie reçoit de l’autre une « influence salutaire ». Le pédagogue Célestin Freinet élargit l’enjeu de la mixité scolaire à celui de la communauté éducative, considérant la nécessité de l’autre pour éduquer, puisque l’école ne peut le faire seule ni seulement dans ses murs. Cet autre sera d’abord pensé sous la figure du parent, dont les droits et la participation se renforcent, quoique lentement. Il faudra, en effet, attendre 1968 pour que les parents élus siègent au conseil d’administration des collèges et lycées, puis, un peu plus tard, dans les conseils d’école. Les lois de l’éducation de 1989 et 2013 confirment et amplifient la volonté politique de faire place et droit aux parents dans l’école. Le partenariat ou la coopération sont dès lors fortement encouragés pour réaliser la coéducation que l’institution scolaire appelle de ses vœux. Les parents sont considérés comme « membres à part entière de la communauté éducative » et les textes les plus récents soulignent la nécessité d’une coopération accrue des parents, élevée en condition de réussite des élèves. [...]
Selon Perrier, on peut distinguer deux conceptions de la coéducation et un déplacement s’est ainsi opéré en passant d’une conception fondée sur l’éducation collective, solidaire, partagée autour de valeurs et de finalités communes, à une attente ciblée d’implication des parents mis en situation de responsabilité face à la scolarité et réussite de leur enfant. Dans le même temps, l’école républicaine, qui a d’abord cherché à agir sur la famille par le biais de l’enfant scolarisé (« petit missionnaire des idées modernes », selon le mot de Ferdinand Buisson), compte désormais sur l’éducation familiale pour agir sur l’enfant afin qu’il se comporte comme élève. Autrement dit, la place des parents consiste à endosser le rôle de parent d’élève, en conformité avec les attentes de l’école et selon les modalités de relation définies par elle. Dans ce but, il est demandé aux parents de « se rapprocher de l’école », en s’adressant tout particulièrement à ceux qui en seraient les « plus éloignés ».
Ce rapport asymétrique selon Perier, s'accompagne d'un flou d’une politique qui laisse l’initiative aux acteurs dont les moins familiers de l’école , mais aussi les enseignants défenseur de l'école sanctuaire pour diverses raisons, découvrent, au fil de la scolarité, les accrocs et impasses d’une coéducation souffrant d’un déficit d’explicitation et de coconstruction. Il dit aussi et surtout la difficulté des parents les plus vulnérables à se rendre visibles, à prendre la parole et à être écoutés. De l'école sanctuaire à l'école sans les murs, à l'heure du numérique ? Depuis la IIIeme République, l'école entre les murs doit permettre un laicisation de l'enseignement en créant un espace séparé, protégé, et dédié, résistant aux pressions extérieures et dans lequel l'enseignant est maitre de cérémonie. La forme scolaire adoptée et le mode de socialisation scolaire de la jeunesse renvoie à la construction d'un sujet autonome et rationnel, la classe étant un dispositif stable depuis 4 siècles. L'enseignant, missionnaire solitaire, a une double mission : socialiser et instruire. L'éducation nouvelle(1920-1930) puis les mouvements de l'éducation moderne (1950-1960) ont tenté des changements de la forme scolaire, avec l'idée que changer l'école pourrait changer la societé et vice versa (devise de l'association Cercle de Recherche et d'Action Pédagogiques, dont les membres sont auteurs de la revue Cahiers pédagogiques, revue créée en 1945 et éditée depuis 1963 par le CRAP).). La généralisation des éducation à, comme nous l'avons vu, à conduit également à un questionnement de la forme scolaire. Pachod (2019) s'interroge sur les raisons du maintien de cette forme scolaire, de son extension à d'autres formes sociales mais aussi à sa dissolution à l'heure du numérique. Il analyse le passage d'une école-sanctuaure à une école sans les murs en passant par une école hors les murs. Certains auteurs comme Becchetti-Bizot (2017) pensent qu'il faudra inverser la classe au sens philosophique du terme plus que méthodologique, ce qui suppose un changement de posture, le fond précédant la forme et les modalités de réalisation. C'est encore une fois la question des finalités, du pourquoi de l'école, qui doit précéder celle du comment. L'enseignant doit être un résistant de la simplification du réel, un défenseur d'une éthique de la complexité, qui ne fonde pas tout sur la rentabilité immédiate et l'efficacité. rejoignant ici les recommandations récentes de l'UNESCO au printemps 2020, dans le cadre de la crise épidémique mondiale : Les scénarios de l’UNESCO pour l’école d’après Covid ? Neuf idées pour l’action publique - juin 2020 et le scénario d’un école publique démocratique, à retenir les propositions 3, 4 et 5 :
D'autres se référent aux deux rapports de l'OCDE (2001, juin 2020) qui échaffaudent des scénarios pouvant aller du status quo dans les systèmes éducatifs, à la déscolarisation de la société, en passant par une mise en réseau de l'école qualitfié de rescolarisation. La crise sanitaire a ouvert un espace social critique chez de nombreu acteurs sociaux vis à vis de la forme scolaire (Habermas, 2020 ; Chateauraynaud et al. 2020), dont il faur se méfier des dimensions prévisionnelles et des injonctions au changement et à la rupture. Le statut des enseignants est questionné. 2020, L'effet Covid : Eduquer dans un monde incertain ? De la nécessité de la concertation éducative
1. Un univers
éducatif cloisonné dans l'espace, et sur la communauté
famille, avec des éducateurs parents, ne peut pas ou difficilement
entrer dans le contrat didactique scolaire. Cet univers fonctionne sur
un contrat didactique et une autre forme scolaire que celle de la programmation
des apprentissages standardisés.
A l'heure où le ministère lance sa campagne nationale d'évaluation des "acquis des élèves" dans le primaire et le secondaire, la question de ce que les jeunes ont appris durant cette période inédite de déscolarisation, liée au confinement, est une question essentielle. C'est la méthode employée pour y répondre qui interpelle. La mise en place centralisée de tests standards est-elle la plus pertinente ? Le présupposé selon lequel les jeunes n'auraient pas ou peu appris, qu'ils auraient perdu du temps et pris du retard sur le programme est-il fondé ? Et si les évaluations prouvaient le contraire ? Ne faudrait-il pas plutôt répondre à la question suivante, de manière plus positive et constructive, loin de l'approche classique du diagnostic scolaire : sachant que toute expérience est source d'apprentissages, qu'ont appris nos enfants durant la période de confinement ? Certes à propos des savoirs fondamentaux comme les sciences, les mathématiques ou le français, mais pas seulement. Dans le contexte actuel, je crains que restreindre l'évaluation à ces disciplines, qui fondent les apprentissages et toute la forme scolaire, ne soit réducteur, voire même contre-productif et anxiogène pour certains. En cette période de rentrée 2020, est-il pertinent de gaspiller le temps scolaire à faire des tests standardisés, en tout cas pas sous la forme administrative qui semble se dessiner depuis quelques années, bien avant la crise sanitaire. Avec le soutien de l'enseignant, attentif à la diversité des contextes et des vécus familiaux, je poserai bien volontiers la question suivante, au sein d'un groupe classe : qu'avez-vous appris durant cette période ? sur le monde, sur la famille ? sur vous, et sur les autres ? qu'avez-vous appris à faire ? Dans l'organisation de votre travail, dans des activités partagées dans la fratrie ou la famille ? Un
accompagnement pédagogique à la fois collectif et individuel
? Cette forme
de suivi pédagogique de la reprise, à la fois collectif
et individuel, certaines sections locales de la FCPE l'avaient proposé
à la communauté éducative bien avant les premiers
jours de la rentrée, avec l'espoir d'en tirer des enseignements.
Quelle place peut jouer l'école dans un apprentissage du vivre-ensemble
fondé sur des savoirs, des compétences et des partages
de cultures et de valeurs.
Un suivi psychologique et social ? Il faudrait
également accompagner ce suivi pédagogique collectif et
individualisé, d'un suivi psychologique et social des jeunes.
Pour répondre à la question suivante : comment les enfants
ont-ils vécu de voir tous les adultes dans le doute, voire dans
la peur ou la panique ? comment ont vécu le confinement les enfants
particulièrement fragiles et angoissés vis à vis
des attentes de l'école ? et quels sont les déterminants
qui contribuent à les encourager dans les apprentissages et la
réussite scolaire, individuellement mais également collectivement. Former la communauté éducative à une collaboration responsable et solidaire A ce deuxième suivi des enfants, j'en rajouterai un troisième qui peut nous permettre de penser une école dans laquelle la coéducation prendrait une forme nouvelle, basée sur la confiance au sein de la communauté éducative. L'enjeu éducatif partagé étant le bien-être et le gout pour les apprentissages scolaires, il s'agirait d'impliquer tous les partenaires éducatifs, notamment ceux de la ville et des associations péri et extrascolaires labellisés, dans les établissements mais aussi à l'extérieur. Pour construire cette coéducation de manière concertée, il s'agirait de lancer un vaste programme de recherche collaborative et de formation, entre enseignants, animateurs, parents, et autres acteurs de l'école, en s'appuyant par exemple sur les compétences présentes dans les instituts d'éducation comme l'Ifé, les Inspé ou encore les centres de formation universitaire comme l'ISPEF à Lyon. Comment éduquer dans un monde incertain ? développer la pensée complexe et divergente La question
que nous renvoie la covid est finalement comment éduquer et agir
dans un monde incertain ? autour de quelles finalités, quelles
valeurs et quelles stratégies ? J'évoquais précédemment
la place centrale de la solidarité, de l'entraide, mais également
de la collaboration et de la concertation, en faisant ce pari auquel
je suis très attaché, celui de l'intelligence collective
locale, prenant en compte la diversité des contextes et des projets. Finalement, ce dont il s'agit de discuter ici, c’est la question des finalités et des postures éducatives au sein d'une communauté d'acteurs engagés sans faille dans l'accompagnement et l’élévation de nos enfants.
|